Archive pour octobre 2006

le communisme est-il soluble dans l’alcool ? (titre d’un bouquin dont je parle à la fin de ce texte)

Une journée de Pierre Miglioretti

 

           

            Comme tous les matins, se réveiller à 6H. Ne pas voir le jour. Mais en soit, c’est pas horrible : le pire c’est de se dire que le soir en rentrant ce sera pareil. De toute façon, pour ce qu’on a à faire, le soir…éreinté comme on peut l’être, affamé comme on est, de savoir si il fait jour n’est pas dans l’ordre de nos préoccupations. Tout ce qu’on espère c’est que pour nous le soleil se lèvera le lendemain matin. La seule crainte : la nuit profonde. Mais finalement la nuit d’ici-bas n’est pas tant désirée que cela : peur de l’extérieur : des gardes, du froid mais aussi peur de l’intérieur : le vol mais la maladie surtout.

           

Aujourd’hui, on a de la chance, on part en train. Ça veut dire qu’on va pas marcher. Enfin pour l’aller, au retour on verra, si retour il y a, pour ça aussi on verra. Derrière la noirceur de la nuit, il semble faire beau. Ce qui n’empêche pas le froid de nous pétrifier les os. L’estomac n’est pas en reste. Comme tous les matins, comme toutes les après-midi, comme tous les soirs, il est dans les talons. Si seulement nos chaussures en avait encore.

 

Le train démarre enfin. Il nous est réservé. Mais ça les empêche pas de nous flanquer dans chaque compartiment deux soldats en plus des quatre déjà prévus. Essayer de dormir maintenant. Mais je me fais pas d’illusion. On est au sol, entassés, les uns sur les autres. Mais c’est pas plus mal : les portes ne résistent pas au froid. Dormir dans ces conditions ? y en bien qui ont essayé, malheureusement pour eux, ça a trop bien marché. D’ailleurs je crois qu’on va bientôt marcher : le train s’arrête. La neige sans doute. Nous on y est habitué, les trains moins. Alors bon, on descend.

 

Marcher. C’est ce qui nous attend. Surtout ne pas tomber. Alors penser à autre chose, d’accord mais ne pas oublier de marcher. On a tout ce bardas sur le dos. Pourquoi ? on sait pas trop, on ne se sert pas de la moitié. Et puis y a tout sur le chantier. Un nouveau d’ailleurs aujourd’hui. De toute façon, ça change pas grand chose : le froid est toujours là, la nourriture jamais. Enfin si : ce matin on était chanceux : il nous ont donné un deuxième morceau de pain pour la semaine. C’est peut-être noël. Je sais plus. Depuis que je suis ici, j’ai du en rater un certain nombre. Peut-être un jour…on arrive à s’en passer. D’ailleurs ça me fait penser à cette anekdoty[1] que m’avait raconté Mikhaïl l’autre jour :  À Moscou, un propriétaire fait visiter son appartement à son futur locataire. Après lui en avoir vanter les mérites, elle se retire en disant : « et si vous avez besoin de quelque chose, n’hésitez pas. Venez me voir, et je vous expliquerai comme vous en passer ». Je l’aime bien Mikhaïl. Très serviable et honnête. Et travailleur. Mais ça c’est surtout une chance pour lui. Ça veut dire qu’il survivra plus longtemps que les autres. Il est là pour avoir arrêté d’applaudir plus tôt que les autres à une réunion locale du parti. 10 ans. Mais en fait officiellement ils ont dit trahison à la patrie.

 

Il est à l’infirmerie aujourd’hui Mikhaïl. Enfin j’espère pour lui. Ce matin il est malade comme un chien. Quoique les chiens sont pas mal traités ici : ils doivent nous surveiller alors ils sont en forme. Si il arrive à passer la journée à l’infirmerie, il ira moins pire. Mais il y est déjà allé la semaine dernière, alors pour aujourd’hui, c’est pas sûr.

 

Pendant que je pense à lui, j’en oublie qu’on se met enfin au travail. On creuse. Quoi ? on sait pas : secret d’Etat. Ceux qui creusent, pour eux, information d’Etat. Impossible de leur échapper.

[…]

D’un coup, va savoir pourquoi à ce moment, on nous arrête. « Posez les pioches » qu’ils disent. Ca veut dire qu’on va repartir. Ca veut dire qu’on va marcher. Ca veut peut-être dire que demain on pourra encore se lever. Tout du moins que ce soir on pourra se coucher. Avant de partir j’aperçois, derrière notre chantier, quelque chose qui dépasse de la neige. Je fais mine d’aller déplacer une pioche pour m’en rapprocher. Des pommes de terre. Je savais bien qu’on était pas loin de noël. J’en prends deux. Pas plus. Je pourrais pas les ramener. Faudra déjà que j’arrive à les cacher en arrivant au camps. Sinon ce sera pour les gardes. La fouille du soir : le pire moment de la journée : ils sont capables de te faire attendre deux heures dans le froid pour être sûr que tu n’as pas un morceau de pain volé quelque part.

 

C’est bon dans les chaussettes, en général, ça passe. En général, c’est pas souvent. Parce qu’une prise pareil c’est une fois par an. Maintenant marcher et tenir. Tenir debout. Tenir tout court.

 

[…]

 

J’y suis. Sur ma palliasse. J’ai tenu. En plus j’ai des pommes de terre. Belle journée finalement. Reste plus que la nuit à passer. Et puis demain, on verra bien…

 

 

 

Voilà, c’était ma version d’une Journée d’Ivan Denissovitch d’Alexandre Soljenitsyne. Alors pourquoi ce chef-d’œuvre ? En fait dimanche dernier quand je me suis rendu pour une énième fois dans la campagne finlandaise, j’ai beaucoup pensé à l’URSS dans tous ses aspects et notamment à ce livre que je me rappelle quand je l’avais lu, j’avais mis beaucoup de temps à lire mais qui m’avait vraiment impressionné et marqué. Alors maintenant je vais vous raconter ma journée à moi, la journée de Pierre Miglioretti : 

 

  Levé à 6H30. J’ai toujours du mal. Ça a beau être pour aller découvrir le monde, découvrir le monde de bon heure c’est dur. Mais après c’est le bonheur. Reste à garder la bon humeur. A force je commence à la connaître par cœur, cette rengaine de se lever à l’aube pour voir autre chose que de la daube. Et puis c’est la petite dernière. Après il fera trop froid. Et puis trop nuit aussi. Après m’être dit tout ça[2], je viens à la conclusion assez logique, qu’il faut que je sorte de ces draps pour me plonger sous la douche. Ça me fera pas de mal. Bref passage devant la glace : les cernes doucement se creusent. On dirait pas comme ça, mais jour après jour, les valises sous mes yeux se remplissent. Je les viderais plus tard, en rentrant en France. Ici je suis là pour faire le plein. Pas que j’en vienne à devenir consumériste à en vouloir toujours plus, à n’en avoir jamais assez, à prendre toujours le truc de plus, celui qui sert à rien. Mais je veux consomacter ( Petit néologisme parce que le nom existe mais pas le verbe : donc un verbe formé du mot « consomacteur ».)  la vie. Consommer la vie mais pas en consommateur passif qui subit les tentations de la vie moderne, mais consommateur qui choisit ses conso(d’ailleurs, ici vaut mieux choisir ses conso, parce qu’au vu des prix de l’alcool, tu peux te retrouver à payer très cher…). 

 

Mais aujourd’hui c’est vraiment l’aventure : je vais utiliser 4 moyens de locomotion. Du coup j’ai l’impression de partir au bout du monde : j’attaque à vélo : non je ne l’ai pas acheté, je ne l’ai pas non plus volé si ça peut vous rassurer. Juste une amie partie pour une quelques jours qui me l’a laissé.

 

D’ailleurs en parlant de vol, je commence à en avoir marre du communisme forcé : en fait j’explique la situation : il y a dans notre résidence, un ( voire plusieurs) voleur de bouffe. Alors quand on voit le prix de la bouffe, c’est chiant. Alors bon je suis prêt à accepter des explications : peut-être il a pas d’argent mais dans ce cas il va piquer chez stockman ( le grand magasin dont j’ai déjà parlé) et qu’il arrête de voler à plus pauvre que lui, parce qu’ici, on est tous plus ou moins dans la même situation question finance. Ou peut-être c’est un communiste et il veut qu’on mette la bouffe en commun. Alors pourquoi pas. J’ai rien contre le communisme. Surtout si près de la Russie, je veux bien tester les traditions locales, mais faut qu’on se mette d’accord avant parce que là c’est plus du communisme mais du vol. on voit là d’ailleurs que la frontière entre le communisme et le vol est bien ténue. J’ai donc envie de dire, dans un certain anti-communisme primaire, à la suite de Proudhon qui disait « la propriété c’est le vol », « le communisme c’est le vol ». non mais pourquoi pas le communisme dans une résidence universitaire. Je pense que c’est un lieu propice. D’ailleurs en venant dans une résidence universitaire, je m’étais dit, ça va être bien, ce sera la solidarité, la rigolade, la confiance mutuelle, la compréhension : en gros les boy scouts en cité U…mais lui ( ou eux) il est en train de foutre une ambiance de merde : le suspicion règne, le doute plane ( et parfois un ange passe, mais malheureusement, l’ange avait des chaînes ailleurs).

 

Mais déjà j’en ai identifié un de ces satanées voleurs, qui plus est amateur : ah oui on est bien loin du garagiste ou du gangster qui laisse pas une trace ( dans le premier cas, la facture est toujours bien nickel qu’on croirait presque une vraie. Dans le second cas, pas une bavure : les employés de banque tous au sol, les clients sains et saufs) : non eux ils veulent montrer qu’ils sont passés par là : par exemple on m’a déjà « emprunté » une moitié de courgette…or je suis à peu sûr de ne pas avoir acheté de moitié de courgette….d’ailleurs j’ai sauvé l’autre moitié hier : la pauvre était apeurée dans ce grand frigo, plongé dans le noir ( je suis pas allé voir si il y avait de la lumière dans le frigo quand il est fermé mais j’espère qu’ils n’en mettent pas, parce que question écolo, c’est pas top : déjà les légumes, ils peuvent pas dormir et puis c’est du gaspillage), à attendre de savoir à quelle sauce, elle allait être mangée.  Mon Nick vient à passer par là. Nick est semi-anglais, semi-finlandais ( donc si il a besoin de tune, il peut bosser sans problème) et est déjà soupçonné à tout va. Je pense qu’il a déjà touché à la sœur de la courgette qu’il me reste et qu’il a déjà amputé de sa partie basse (ou haute, je ne sais pas qu’elle est le haut ou le bas d’une courgette). Alors moi qui suis en train  de me faire à manger, je laisse traîner mon œil gauche ( pas parce que je suis gaucher, mais juste parce que le frigo était à ma gauche) sur ses agissements crapuleux. Et mon plan a marché ( en fait c’est à postériori que je considère que j’avais un plan, sur le moment, c’était l’expectative totale, spectateur impuissant d’un crime atroce bientôt commis).

 

Il a été séduit par un de mes nombreux légumes ( je ne suis pas devenu végétarien, ou sinon c’est du végétarisme matériel ou du végétarisme par défaut, du végétarisme parce que les légumes c’est moins cher) : il trifouille, il tripatouille, il est crevé, il est en sueur, il a du cambouis jusqu’au coude ( là je crois que c’est plus les aventures de Gérard Lambert…). Enfin après avoir repéré sa proie avec son œil aiguisé, qui plus est habitué à cette pratique millénaire, il se jette dessus. La vitesse est incroyable. Elle ne doit avoir aucune chance[3]. Mais dans sa chasse et son enthousiasme, il avait oublié qu’il ne régnait pas en maître sur cet écosystème. De nombreuses espèces sont ici en concurrence. Chacune essayant de délimiter tant bien que mal son territoire. Or ce jour, comme de nombreuses fois, il était en territoire ennemi. Mais cette fois-ci, le maître des lieux veillait. Il attendait le moindre faux-pas. Depuis plusieurs semaines qu’il observait les nombreuses intrusions de ce Nick. Surveiller ses habitudes alimentaire, ses horaires, la fréquence de ses repas, …Dans son insouciance, il avait oublié ses anciennes pratiques de discrétion à l’approche de sa proie. Du coup la sanction ne s’est pour lui pas fait attendre : le maître des lieux est intervenu pour récupérer sa proie qu’il avait chèrement chassé quelques jours auparavant[4]. Alors le pauvre Nick a bien essayé d’apitoyer le maître des lieux mais ce dernier n’a pas cédé et Nick est reparti tout penaud.  

 

            Tout ça pour dire, qu’hier, je l’ai surpris en train de prendre ma moitié de courgette restante. Du coup, je lui ai fait savoir qu’il s’agissait de la mienne et alors lui, aucune excuse ni rien, il ose même me demander si il peut pas me la prendre. Mais non, MOOsieur, j’en ai besoin et lui ensuite de marmonner qu’avant il en avait une mais qu’il la retrouve pas. J’avais bien envie d’ajouter : non, t’en avais pas, c’est moi qui en avait mais c’est toi qui les a consommé( Et encore je parle pas du kilo de tomates qu’on m’a piqué…ça c’est très fort.). En tout cas cette métaphore sur la chasse n’en est pas tant une que ça, on est en presque effectivement rendu à ce point : une lutte de tous contre tous : Hobbes avait raison : l’homme est un loup pour l’homme(Surtout quand c’est un con comme semble l’être ce Nick. Mais le pire c’est qu’il nous nique tous pour l’instant…). On protège ses provisions comme on peut contre cette saisie de nourriture, qu’on se croirait au temps de l’URSS où celle-ci saisissait les biens qu’elle souhaitait chez les paysans. On craint chaque nouvelle razzia, on se barricade derrière des cartons : plus précisément on barricade sa bouffe derrière des cartons…quel triste exemple de l’humanité nous offre-t-il ici : en plus il n’est même pas pauvre le gars : pendant qu’il essayait en vain de compléter son repas par quelques frais légumes, il se faisait cuire de la viande…pour finir sur tout ça, l’avoir pris en flagrant délit d’irrespect et désinvolture sociale totale, ne semble pas avoir arrêté ses velléités de pourfendeur d’un ordre social minimal puisque ce soir, après avoir hier remis à neuf[5] mon stock d’œuf, deux de ces derniers avait disparus…je pars en Russie cette semaine, peut-être qu’en voyant la misère russe, je trouverais une idée pour protéger le peu que j’ai à garder…mais en tout cas je suis déjà d’accord sur un point : je n’appellerais pas la police : moi c’est parce que je pense qu’on peut trouver à régler ça entre nous, eux c’est parce qu’ils font plus confiance aux voleurs qu’à la police(et c’est pas des conneries…ils font sans doute moins confiance aux flics que nos jeunes de banlieue…)…     

 

Mais bon revenons à mes moyens de transport : après ce vélo que je n’ai donc pas volé, j’ai emprunté (pas dans le sens de voler, bien sûr) le train. Un fort beau train ma foi, mais par contre, quel temps il mettait…Mais c’était pas un problème j’avais tout mon temps pour admirer le lever du soleil sur la campagne finlandaise et c’était ma foi très agréable. Mais cette douceur de la matinée qui commence ( bien qui plus est) était entrecoupé de notes que j’avais à relire. En fait c’est plutôt le contraire : ma relecture fut entrecoupée d’admiration béate devant le principe astronomique le plus élémentaire qui est que la terre tourne sur elle-même et que du coup, le soleil se lève tous les jours(sauf en Laponie (ou plus haut encore ) où il se lève tous les jours à part pendant 6 mois de l’année…).

 

Dans ma folie des transports en commun, je prenais un second train dans une gare démesurément grande pour la ville où elle se situait : je sais pas ce qu’ils ont à construire des choses si grandes pour des lieux si vides : entre la gare routière de l’autre soir et cette gare ferroviaire, je commence à me dire que les finlandais ont la folie des grandeurs et construisent pour un oui ou pour un non et du coup qu’ils jettent un peu l’argent par les fenêtres[6]. Mais là je quittais mon doux train-train moderne pour un vieux de la vieille qui nous brinquebalait dans la banlieue Ouest d’Helsinki. A chaque arrêt et départ du train, la porte du compartiment suivait le brusque changement d’allure du train et s’ouvrait et se refermait à sa guise… Retour quarante ans en arrière, ou seulement cinq ans quand je me suis rendus à Limoges en passant par toute la campagne avoisinante dans un train de ce genre.

 

Et puis pour finir, j’avais un bus quand même…parce qu’un parc naturel à-côté d’une voie ferré, c’est plus un parc naturel. Alors déjà qu’ils mettent des bouts de bois au sol ( et même pire comme vous le verrez sur les photos, des escaliers dans la forêt : d’ailleurs j’aimerais que des comportementalistes-biologistes examinent la réaction des animaux du coin avec cette intrusion inopiné de bois sous forme non-arbresque. Non mais c’est vrai, vous imaginez vous que désormais le renne tous les matins il prend l’escalier ? non mais vraiment ils ont pas du comprendre les pauvres. Ils ont du faire un comité de quartier pour trouver un moyen d’agir mais à tous les coup ils étaient pas tous d’accord : les escargots ont du faire bloc en disant que pour eux c’était pas si mal, que c’était plus sûr parce que d’habitude on les voit pas et on leur marche dessus. Du coup ils ont du convaincre les grenouilles et ensemble ils ont formé une minorité de blocage. Finalement ils ont rien fait et maintenant, habitué, tous les matins le renne fait des exercices sur l’escalier, pour s’assouplir, se muscler…

Non mais là les mecs faut arrêter les conneries : quand on sait pas quoi inventer on invente pas, c’est tout. Gustave Parking disait « vaut mieux ne rien dire et ne pas passer pour un con que de l’ouvrir et ne laisser aucun doute à ce sujet » et bien je pense ça s’adapte pour les inventions : «  vaut mieux ne rien inventer et ne pas passer pour un con que d’inventer quelque chose et ne laisser aucun doute à ce sujet » : Einstein le 6 août 1945, il a du avoir l’air bien con. Le mec (tant décrié par Desproges) qui a inventé l’espèce de fil rouge autour des portions de crème de gruyère a du lui aussi se rendre compte qu’une fois encore il avait pas oublié d’être con. Et je ne parle pas de celui qui a inventé la race humaine, il doit s’en mordre les doigts ( pardon mon Dieu de critiquer votre Œuvre mais y a des jours, je me dis pourquoi vous avez pas attendus pour rendre votre copie : le travail bâclé, ça ne sert à rien. Ou au pire, valait mieux rendre copie blanche, on se serait débrouillé nous-même, ça aurait été mieux que d’être à votre image). Ou ce finlandais qui doit être si fier de son invention qui ne sert à rien mais qui j’espère un jour se sentira aussi inutile qu’un paquet du meilleur Darjeeling au milieu du désert : en fait ce mec a inventé le tiroir qui sert à rien : y a ça partout ici : en fait dans un des tiroirs de la cuisine, il a mis une planche à découper. Tout le monde trouve ça génial. Moi pas. Ça te prend un tiroir pour rien ( une planche à découper, c’est quand même bien plus fin), tu peux pas le déplacer. Donc c’est nul[7].) Donc pour en revenir à ma nature civilisée, y en a assez avec ces bouts de bois, donc pas besoin de mettre en plus des voies ferrées pas loin des parcs. Multiplions les types de transports. Multiplions les temps de transport. Oui à l’emmerdement généralisé dans les transports !!! (Je dis ça, mais j’aime bien les transports en commun : on peut lire par exemple. On rencontre des gens aussi, des fois c’est bien, d’autres non…)    

 

N’empêche qu’en arrivant au parc, j’étais fier de moi : pas un seul problème logistique : je frôle la perfection… j’avais même pu budgétiser ma journée à l’avance. Visiblement on peut s’épanouir dans la bureaucratie et la logistique…il y a de la vie dans la bureaucratie…le seul truc qui me manquait, j’allais y être confronté très rapidement : au point où j’arrivais, il n’y avait pas de possibilité de récupérer de plan du site. Mais, ça encore je le savais et mieux encore, je savais où aller en récupérer. Je vous le dis, pour moi, c’est fini, les plans foireux, tout sera désormais huilé comme l’invasion en Iraq des Etats-Unis [8]. Je pars donc à la recherche de ma carte et accessoirement de l’écureuil volant qui doit vivre en ces lieux. Une bestiole pareil, quand même. Mais je suis rentré bredouille de la seconde chasse, tandis que je revins avec un merveilleux butin de la première, mais non sans mal : j’ai quelque peu tourné en rond sur la fin, même si dans un lieu pareil, on ne tourne jamais complètement en rond : la beauté nous éblouit à ce point que l’on ne voit plus qu’on est déjà passé par là avant. Par contre aucun risque d’être ébloui par le soleil : il n’y en eut point ce jour. Mais c’était pas grave : je venais chercher l’automne finlandais, alors je l’ai trouvé dans sa totalité : la végétation et le climat.

 

Par contre je venais pas spécialement cherché  la foule, et pourtant je l’ai eu : incroyable : jamais vu autant de monde dans un parc naturel : il y avait je sais pas combien de camps, on se serait cru au Darfour…( désolé, c’est affreux…mais je pouvais pas m’en empêcher mais si vous êtes gênés, remplacez par autre chose : par exemple : le Congo, la Macédoine ( en cherchant bien, il doit bien rester un ou deux camps), … ) et puis toutes les familles idéales qui resplendissent de leur petit bonheur bourgeois, venus quitter le stress de la ville pour un dimanche dans la nature, avant de retrouver leur boulot passionnant le lendemain. Alors ils sont là, avec la poussette pour le petit dernier qui vient de naître, essaye quelque peu de le faire marcher, tandis que l’autre qui a autour de 5 ans ( ils l’ont fait juste après avoir commencé à bosser, quand ils étaient déjà bien installé) s’agite autour, court, saute, virevolte, grimpe, se cache avant de surgir. Ils sont tous comme ça. Pas seulement les enfants qui se comportent comme des enfants. Non tous ceux que j’ai croisé étaient comme ça : la belle famille idéal, où tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes. Des fois, on pouvait même ajouter un zeste de solidarité inter-générationnelle avec la présence de la grand-mère pour compléter le tableau.

 

Mais bon ça m’a quand même pas empêcher de profiter comme il se doit de ces beautés scandinaves automnales. Ça prend une toute autre dimension : en visitant 3 parcs avec 2 mois d’intervalles, j’ai encore plus l’impression d’avoir vu 3 endroits complètement différents. Le jaune majestueux, pas trop tranché comme l’est celui du drapeau allemand[9], s’était imposé sur le vert estival. Seuls les conifères résistaient à cette déferlante. Quoique pas tous : certains se teintaient d’orange, d’ailleurs, c’est bizarre, parce que j’avais toujours cru que les conifères restaient verts même l’hiver…faut que je revois mes connaissances en biologie végétale…

 

Mais en parlant de tout ça, j’oublie de vous expliquer pourquoi j’en suis venu à cette soudaine envie de plagier Alexandre Soljenitsyne : déjà c’est vrai qu’il y avait le froid, les premiers froids de cette année. Ensuite, j’ai pris une décision bizarre à un moment : je retournais vers mon arrêt de bus et je me suis dis que je bifurquerais bien à gauche sur un autre chemin pour voir ce qu’il y a, sans trop savoir sur quoi je pouvais tomber. Alors mon esprit en complet vagabondage, s’est mis à penser à ces prisonniers du goulag qui marchaient des heures durant sans savoir où ils allaient, ni pourquoi, dans le froid, un bardas dans le dos. Mais rassurez-vous loin de moi de penser qu’il s’agissait de la même situation, je suis lucide quand même…et puis ensuite, je suis partis sur des considérations toutes autres : du genre est-ce normal qu’on rigole plus facilement avec les atrocités nazies qu’avec celles du communisme ? moi je demande l’égalité devant l’humour. Il y a au moins égalité en terme d’atrocité dans les deux cas, alors qu’on en rigole pareil. Les fours crématoires, les canaux de la baltique, les énormes complexes industriels de la Sibérie : même combat.  Est-ce une question de sensibilité politique ? je pense pas : moi-même me sentant assez profondément écolo[10], je suis capable de rire sur la destruction de la planète que l’homme est en train de perpétrer, ce matricide affreux dont on se voile la face. Peut-être est-ce seulement, parce qu’on a trop souvent tendance à oublier ces horreurs communistes ? du coup on en rit moins ? faut vraiment que je me penche sur la question : qu’est ce qui fait la popularité humoristique d’un génocide ? c’est pareil on note peu de blague sur le Rwanda, ni les balkans. En fait ce n’était pas Chaplin dans le dictateur qui était drôle mais Hitler… ne riez pas, c’est peut-être la seule qu’il ait réussi dans sa vie, le pauvre bougre. Mais c’était à son insu alors, ça compte pas vraiment…en attendant les soviétiques rigolaient beaucoup de leur propre misère et je ne résiste pas à l’envie de conclure sur une petite blague soviétique ( j’ai un bouquin entier comme ça mais je l’ai pas ici, c’est bête, parce que y en avait des pas mal du tout) : en fait elle est pas tout à fait soviétique mais roumaine mais bon c’est le même genre[11] :

 

Ceausescu est démoralisé : son peuple ne semble pas l’apprécier. Pour en avoir le cœur net, il veut discuter avec un ouvrier.

« Il parait qu’on ne m’aime pas

-Mais non, mais non.

-Il parait que des gens seraient prêts à m’assassiner…

-Jamais entendu parler!

-Et même, il parait que certains seraient prêts à profaner ma tombe!

-Vous ne dites rien… Tenez, vous, par exemple, vous viendriez profaner ma tombe?
– Sûrement pas!

-(soulagé) et pourquoi?

-Parce que j’en ai marre de faire la queue! »

 

étonnant non ?

 

Lundi 23 Octobre 2006.

 


[1] Histoire drôle si vous préférez.

[2] Enfin je sais pas si j’ai réussi à penser à tout ça en me levant mais, ça ressemblait plus ou moins à ça, je crois.

[3] de toute façon, c’est pas compliqué quand même, c’est un légume…

[4] en général, je chasse au Lidl, c’est pas la plus belle zone de chasse, mais on a pas besoin de trop d’efforts ( financiers, j’entends).

[5] j’en ai pas acheté neuf, j’en ai juste acheté des neufs d’œufs…

[6] alors par contre j’ai appris qu’ils aimaient vraiment bien leurs étudiants et qu’ils avaient tous des bourses quelque soit le revenu et pas des bourses au rabais : autour de 500 euros par mois…je vais me faire naturaliser finlandais pour venir finir mes études ici…

[7] position très arrêtée ? ouais je sais.

[8] à moins que je ne me trompes…

[9] d’ailleurs on dit pas jaune mais or pour le drapeau allemand.

[10] Au sens politique du terme, pas au sens partisan, faut pas trop déconner non plus…

[11] elle vient d’un site Internet assez bizarre mais où y en avait quelques unes de ce genre, si vous voulez l’adresse…

Dis-moi Dimanche

Un dimanche à la campagne

 

« Diable, je suis en retard »( si vous savez d’où sort cette réplique (ou tout du moins que vous devinez), c’est que vous me connaissez bien, sinon, c’est soit que vous me connaissez quand même bien soit que vous ne connaissez pas ma relation passionnelle avec ce film). Et oui, aujourd’hui je vais vous narrer une aventure qui remonte à plus de 15 jours. Alors certes, les jours sont courts dans nos contrées reculées ( par rapport à l’équateur, parce que par rapport au pôle Nord, je n’habite pas dans une région reculée), mais ça fait quand même 15 jours. 

 

Une fois n’est pas coutume, je vais parler de nature. Vous allez commencer à vous dire : « mais qu’il arrête avec sa nature, il fait science po, pas Nicolas Hulot comme étude » ( remarquez, il pourrait être étudiant, vu le peu de boulot qu’il fait…je suis dur avec lui, je sais. C’est pas parce qu’il est proche de Chirac, juste parce qu’il est trop consensuel et trop lisse. Il y a des combats ( et beaucoup dans l’environnement notamment) qui demandent de vrais changements et pas seulement de petites adaptation dans notre mode de vie, adaptations certes nécessaires et bénéfiques, mais je pense, bien insuffisantes surtout qu’elles ne responsabilisent pas forcément les gens, juste question de se donner bonne conscience ). En tout cas, si vous pensez ça, je n’hésiterais absolument pas à vous répondre, que c’est bien ce que j’ai prévu de faire. Alors dans cette hypothèse, plusieurs alternatives se présentent à moi : soit je pose mes classeurs et mes bouquins pour rejoindre le maquis dans le Larzac, soit je pose mes bouquins pour retrouver des bouquetins dans les Alpes où je m’installe pour faire du bio, soit je pose mes bouquins de politique pour en prendre d’autres sur l’environnement avant d’aller les jeter sur des chasseurs dans des manifs (parce que des bon bouquins ça fait mal quand même), soit je me pose ici, en Finlande, au bord d’un lac, au milieu des bois, où je planterais des arbres spécialement pour faire mes propres bouquins ou bien enfin je pose mes bouquins dans une étagère qui sera derrière mon bureau face auquel siéront des bureaucrates à qui je remettrais de la paperasse pour éviter qu’à terme cette même bureaucratie utilise moins de papier… que de projets plus ou moins tentants…mais bon j’en suis pas là, j’aime pas encore écrit l’intro de ce texte dont vous allez commencer à vous demander de quoi donc je vais parler ( si ça peut vous rassurer, je ne sais pas encore).

 

Donc voilà, c’était, il y a 15 jours ( donc je vais essayer de retranscrire les choses comme je les ai vécu et pas comme je les vois à présent. Je vais donc essayer volontairement de devenir schizophrène, de dédoubler ma personnalité entre celle d’aujourd’hui et celle d’il y a 15 jours mais je ne garantis absolument pas que celle d’aujourd’hui ne fasse pas quelque intrusion dans celle d’avant). Dans ma folie naturalesque, j’avais décidé de repartir au milieu de nul part, dans un parc naturel, loin de tout, enfin plutôt loin du monde moderne, parce que je ne fus ni loin de la vie, ni de la beauté éternelle des forêts et de leurs calmes apaisant. Du tranquille, je crois que j’en ai eu ma dose, vraiment. Ça l’était d’ailleurs peut-être trop tranquille, trop « tout le monde il est beau… ». du coup je m’attendais à chaque instant qu’une tuile me tombe sur la tête, mais pas de risque, y a jamais de tuile en Finlande, tout est en bois, alors je touche du bois… Mais c’est vrai que cette absence totale d’obstacle, rendait peut-être cette journée ennuyeuse. Peut-être seulement parce qu’il me restait en mémoire ma précédente sortie, fort mouvementée. Du coup après le syndrome de Stockholm qui fait qu’un otage à posteriori se trouve avoir de l’affection pour ses ravisseurs, je propose le Syndrome Seitsemisen ( du nom du parc national de cette journée particulière) qui veut tout simplement qu’à posteriori, on aime bien avoir des emmerdes…c’est vrai qu’après cet enchaînement sans fin de merdouille, je m’étais décidé à vraiment peaufiner la sortie suivante. Du coup tout était aussi huilé que des frites Mac do. Je connaissais les horaires des bus (des 2 parce qu’une fois n’est pas coutume, il faut plus d’un bus pour voyager en Finlande), les horaires du centre d’information du parc, je connaissais les horaires du cinéma le plus proche (on sait jamais…), j’avais déjà acheté à manger, je connaissais les prix du kilo de renne ( si je tombe sur un renne dans la forêt et que j’ai plus d’argent pour rentrer, que je sache à combien le négocier pour prendre mon bus). Bon la seule chose que j’avais pas, c’était les prix (et pour cause, je crois pas que je puisse les avoir sur Internet), et j’aurais peut-être du le savoir avant…parce que le 2ème bus devait faire du 35cts le kilomètre…( bon y en avait que 20 quand même).     

 

            Mais bon trêve de considérations matérialistes, j’étais justement parti de Tampere pour fuir ce monde ultra-moderne et urbanisé pour retrouver nos racines naturelles. Mais il ne faudrait pas non plus voir à trop critiqué cette société, parce que de temps en temps, on peut assister à des scènes assez cocasses ou tout du moins inattendues. Par exemple je viens d’être témoin d’un événement assez particulier. Vous ne connaissez sans doute pas Stockmann. Non Stockmann n’est pas un pote allemand à moi ni un mignon sobriquet attribué à un de mes co-résident sous-prétexte qu’il stocke un max de bouffe. En fait Stockmann, c’est « les galeries Lafayette » locales. Et aujourd’hui ( de même qu’hier en fait), ils faisaient des soldes. Grand amateur de solde, je m’y suis rendu. En fait je déteste les soldes, y a toujours plein de monde, des vendeurs qui essayeraient même de vendre les nouvelles jumelles dernier cri à un aveugle, des conneries positionnées expressément pour créer de nouveaux besoins chez le consommateur alors que ce sont des choses dont il n’a justement pas besoin ( c’est d’ailleurs une des condition de survie essentielle du capitalisme : créer continuellement de nouveau besoin pour faire tourner la machine). Donc je hais les soldes. Mais des impératifs matériels ( pour résumer, j’ai pas de tune…pas mal comme résumé, après qu’on aille pas dire que je ne peux pas faire court, si j’écris autant c’est seulement parce que ça me fait plaisir, pas par défaut) m’y font m’y rendre de temps à autre. Je suis donc allé voir comment sont les soldes finlandaises, au passage en regardant pour des chaussures et des gants ( mais ça c’est pas essentiel pour la suite de l’histoire et pas essentiel tout court). Pour ce qui est des soldes, c’est un peu pareil sauf qu’ils ne laissent pas le prix normal, alors va savoir combien tu fais d’économie, si jamais t’en fais. Mais c’était pas ça, le rayon de soleil dans la grisaille ultra moderne et stressante de la ville. Non chose surprenante, entre deux escalators, il y avait des musiciens. Les pauvres…coincés entre deux colonnes de bipèdes surexcités par le café en promo ( du coup, ils achetaient le paquet et prenaient du café sur le champ, sans même prendre le temps de faire chauffer de l’eau), poussant machinalement leur chariot ou soulevant dans un ultime effort couronné d’un râle de satisfaction consumériste leur panier remplit de victuailles qu’ils n’ont pas pillées dans le village d’à côté dans un raid sanglant égorgeant femmes, enfants (et moutons pour les musulmans), mais qu’ils ont simplement acheté avec leur propre argent. Ils sont tous là, boursouflés de consuméristes ambition, à se pousser, se presser, se pousser vers la presse, se presser vers les pousses…et bien au milieu de ce carnaval des horreurs, de ces phénomènes de foire qui ferait faire pâle figure à la femme-tronc, au nain extralucide ( il brille dans la nuit, ça peut servir je pense), ils étaient là, assis bien sagement à jouer de leur musique. Une sorte d’orchestre, avec leur chef tout en bas. C’était plutôt agréable comme musique. C’était plutôt agréable d’entendre de la musique. Pour eux, je sais pas trop où était l’intérêt ( à part financier, parce que je suppose qu’ils sont payés et j’espère pour eux, parce que c’est pas le genre de chose que je ferais bénévolement… ). Personne ne les écoutait vraiment, le speaker occupé à annoncer les nouvelles découvertes dans ce pays des merveilles moderne, semblait monopoliser toute leur attention. Alors vous pensez bien de la musique, c’est pas ça qui remplacera le splendide vase de Chine ( y a marqué « made in China » alors c’est que c’est un vase de Chine…)alternant entre le rose, le bleu et le vert et qui est en super promotion et dont il ne reste plus que 10 pièces ( cela veut dire qu’un paquet de gens ont du se faire arnaquer avant…bien sûr ce vase n’existe pas…en tout cas j’en ai pas vu, mais il serait capable d’en vendre des pareils).

 

            Mais je crois que je m’égare et en parlant de gare, je ne vous ai pas parlé de la gare routière de Forssa : ce pauvre bled tout paumé ( comme tout bled digne de ce nom finalement), possède une gare routière avec 9 quais de bus…même à Tours, je pense qu’on arrive difficilement à un tel chiffre…mais Forssa a aussi une belle église, mais ça n’a pas grande importance, à part celle de situer les photos d’église que vous pouvez voir à propos de cette journée.

 

            Donc après m’être fait arnaqué dans le bus ( mais pas chez Stockmann, on peut quand même pas se faire arnaquer partout…on gagne pas à tous les coups ), je descends de ce bus sur une grande route avec pour seule vision cette même route bordée de forêt des 2 côtés. Comme j’aime ça : ce plaisir de descendre d’un bus, tout ce qu’il y a de plus urbain, au milieu de nul part, en pleine campagne, penser aux gens qui sont dans le bus qui doivent se demander ce qui peut bien se passer dans la tête de quelqu’un pour descendre dans un endroit pareil…douce sensation que celle de se dire que les autres te croient fou tandis que de ton côté, tout cela te semble bien normal que t’en viendrait à penser que ce sont eux les fous. Normalité/folie, question d’appréciation personnelle à manier avec précaution. Je sais désormais que cette route risque d’être un des derniers élément de civilisation que je peux contempler avant ma longue immersion au plus  près de Gaia et ses racines ( parce qu’il y a beaucoup d’arbres, c’est une forêt quand même,…). C’est donc parti, je suis enfin parti. Ce matin en quittant Tampere, je n’étais pas encore parti, tout simplement j’étais dans un état transitoire, une sorte de purgatoire entre l’enfer urbain et le paradis campagnard ( faudrait que je fasse attention quand même, je pourrais finir Agrarien, Gaulliste en fait : notre prof de politique nordique considère plus ou moins De Gaulle comme un agrarien…), dans l’attente du jugement dernier qui allait décider de mon sort, savoir si je pourrais me reposer après une longue existence terrestre faite de stress et d’angoisse ou si je devrais continuer à endurer ce genre de souffrance dans l’enfer urbain. Désormais j’étais arrivé aux portes du Paradis finlandais ( je dois vraiment être obsédé par le paradis, c’est la 3ème fois que je le trouve ici, je sais pas quelle mouche m’a piqué mais désormais, je suis atteint du « paradisme »[1]) où la contrôleuse du bus faisait office de Saint-Pierre. Après avoir lourdement pesée mon âme ( je ne vous rappelle pas combien j’ai payé pour ce bout de trajet ridicule), elle m’absout de mes pêchés d’homme moderne et me considère assez pur pour découvrir le Paradis. Mais ici, c’est pas tout à fait comme dans la Bible : ce n’est pas la vie éternelle qui m’attend mais le bus de 18h41 qui m’attend. Il ne me reste plus qu’à faire que cette courte journée ait l’air d’une éternité.

 

            Pour cela, rien de bien compliqué : marcher, admirer tout ce qui peut se présenter à mes yeux, laisser dérouler ma pensée jusqu’où elle le souhaite ( tant qu’elle arrive à se ré-enrouler ensuite ça va). C’est ce que j’ai du faire. J’ai donc accumulé les kilomètres ( une trentaine au total je pense), les clichés de choses merveilleuses ou insolites ( encore j’ai pas pris en photo les finlandais que se faisaient tranquillement le petit barbecue du dimanche avec de belles « Makara » ( les saucisses finlandaises dont j’ai pu tester quelques exemplaires lors des barbecues d’août, mais je n’ose tenter la « musta makara » ou saucisse noire qui ne fait vraiment pas envie…et vous me connaissez question bouffe, je peux avoir rapidement envie de manger, mais là…)), les pensées plus ou moins romantiques, plus ou moins tordues, plus ou moins philosophiques. Dans les pensées tordues, j’ai bien sûr eu toute cette métaphore intérieure sur une partie de la forêt qui à mon avis aurait pu servir pour un film d’horreur : elle était assez flippante et bon dans un film d’horreur, ça aide énormément parce que à part une base d’horreur, le reste c’est pas compliqué : en fait les films d’horreurs, c’est comme les bonnes pizzas : l’essentiel, c’est la pâte et la sauce tomate, ensuite ce n’est qu’une variation de cette base. Pour moi, l’horreur a commencé par une guêpe complètement bourrée : normalement la guêpe n’est pas réputé pour sa clairvoyance et son intellect. Mais celle-là dépassait toutes les statistiques. Du coup, moi, déjà en général effarouché par les guêpes, j’ai décidé d’accélérer le pas pour fuir cette bestiole. Mais ce fut pire ensuite : les grincements, les cris, les hululements…tout y était au niveau sonore. Mais sans le visuel, c’est ridicule. Donc c’était ridicule : j’ai bien entendu des bruits mais la bête la plus féroce que j’ai croisé ce jour fut un chien…par contre je ne peux expliquer ces sons. Seul les grincements me furent compréhensibles : il s’agissait de la cime des arbres, qui se dandinant sur leurs frêles troncs, touchaient leurs voisins. Mais ce bruit, quand on a pas encore réussi à l’analyser, fait assez peur quand même…  parmi les bruits entendus j’ai bien cru reconnaître celui du brame du renne mais cela ne devait être que pure imagination. D’ailleurs je me suis mainte fois demandé ce que je ferais si jamais je me retrouvais nez à nez avec ce genre de grosse bestiole à corne. La fuite me paraissait vaine tant mes capacités de course de vitesse face à ce genre d’animal me paraissaient dérisoire ( surtout en pleine forêt). Alors bon peut-être devrais-je grimper, mais où pour être en sécurité et comment ? voilà des questions qui restèrent sans réponse, d’autant plus que je n’en eu pas besoin de ces réponses…

 

            Après avoir bien marché dans cette forêt de la mort, j’arrive finalement où je voulais aller, autrement dit à un point indiqué sur une carte dont je ne connaissais rien, même pas le nom parce que c’est bien évidemment en finnois et donc je ne l’ai pas retenu. Mais en y arrivant, tout me revint en mémoire :l’incendie, les souterrains, les alertes, les bombes qui tombent, des bruits dont on ne peut déterminer la provenance,…le pire, c’est les cris des enfants, l’innocence même victime de la Culpabilité des hommes. Qu’Il nous aide à surmonter tout cela… Pas que les autres mérite cette situation mais, vraiment eux, je peux encore moins accepter. Comment peut-on en tant qu’homme demander de faire exécuter un ordre pareil : TUER. Mais c’est vrai que dès que je pense à l’endroit où vont tomber ces engins de métal et de mort, je ne peux penser qu’ils sont charriés par des hommes. Une sorte de cannibalisme moderne où l’on tue ses semblables pour …pour…pourquoi au fait ? pour certains ce serait la survie, pour les autres la liberté des peuples…je dois pas comprendre ce que c’est la liberté, je croyais que c’était doux comme un nuage de plume… on dit souvent que l’on doit soi-même chercher à être libre, qu’il s’agit d’un effort sur soi pour se libérer de ses pulsions, de tout ce qui nous gêne. En fait, la liberté, elle tombe du ciel, de forteresses volantes …et la liberté, elle fait mal, j’aurais pas cru vraiment…  Pardon je crois que je me suis trompé de récit, ça, c’était le récit d’un rescapé du bombardement américain de Dresde en 1944, enfin ce que je pense qu’un rescapé à peu près humain aurait pu penser. Moi enfin, ce qui m’est revenu en tête, c’est juste ce que j’avais lu sur Internet à propos de ce parc national : ils notifiaient qu’il y avait une vieille ferme. Donc j’étais là, dans cette vieille ferme. Malheureusement, je n’eus que peu de temps pour en faire le tour, mon temps au paradis m’était compté…

 

             Du coup, j’ai du faire des prouesses avec mes pieds et mes jambes pour revenir. Parce que bon, j’avais suffisamment de temps mais tenant compte de mes précédentes mésaventures ( en fait mésaventure a eu connotation négative que je ne souhaite utiliser ici, alors, veuillez s’il vous plait enlever cette connotation négative), je préférais changer de braquet comme on dit dans le cyclisme pour éviter de devoir rentrer je ne sais comment dans ma ville industrielle ( Tampere est souvent dénommé la Manchester du Nord). Dépassant des petites douleurs aux jambes, j’ai pris mes jambes à mon cou( ce qui finalement ne fit qu’augmenter les douleurs, forcément) et j’ai marché. Mais j’y suis arrivé à ce satané arrêt de bus. Fatigué mais heureux. Je me suis assis sur le macadam et j’ai prié. Non je plaisante, je me suis bien assis mais j’ai pas prié, faut pas pousser non plus…et puis pourquoi Le remercier ? j’y suis arrivé tout seul, il m’ a pas aidé. De toute façon je commence à me demander qui Il aide. Ce qui me fait assez souvent venir à la conclusion que Dieu ne peut pas être à la fois bienfaisant et tout puissant ( cette idée n’est pas de moi, mais je sais plus d’où ça vient). Ce à quoi Dan Brown ( auteur du Da Vinci code et d’angel and demons que je suis en train de me farcir, entre deux livres sur l’environnement… en anglais, s’il vous plait) répond, par la voix du Chamberlain du Pape ( c’est fictif, quand même), qu’Il l’est mais, comme un père laisse son enfant faire des conneries pour le laisser évaluer, Dieu laisse les hommes commettre des erreurs pour qu’ensuite ils évoluent…du coup je trouve que ça commence à aller loin : si on commence à chercher des circonstances atténuantes au comportement de Dieu, on pourra ensuite chercher des circonstances aggravantes au diable… Que diable, au nom de Dieu, que Bouddha cesse ou Yahvé faire un malheur à moins que Mahomet ( « MAM omette » si vous préférez…) ne fasse tout exploser.

 

            J’étais donc de retour vers mon ultra moderne solitude comme dirait Souchon. Le premier signe de ce retour vers l’enfer de la modernité, fut ma halte à Forssa. J’étais tiraillé par la faim. Un Hessburger ( équivalent du Mac Do, pour ceux qui aurait pas suivi le début de ces textes) ? je ne vais quand pas retourner dans un truc pareil…non c’est bon, y a un Kebab, ça tombe bien je voulais voir ce que donnait les Kebab finlandais. Le serveur sympa, il me fait payer ma boisson moins cher que prévu. Dans ma misanthropie profonde, j’aurais pu me dire que cela n’était qu’un geste commercial, mais non, c’était de la sincère gentillesse, puisque je lui avait que j’étais de Tampere. Je m’assois alors à ma table pour attendre quelque chose pour remplir mon estomac qui crie famine (d’ailleurs je n’aime pas cette expression, ou en tout cas, elle n’est pas adapté à notre monde d’opulence occidentale : je pense pas que le sentiment de faim en cas de famine doit être le même que celui d’un ventre d’occidental régulièrement alimenté). On m’apporte donc ce Kebab. Il est bien rempli. Beaucoup de légume. Viande sans trop de goût ( constante en Finlande ou cas exceptionnel ? la réponse au prochain épisode, je veux dire au prochain Kebab, pas au prochain texte, je suis pas sûr d’avoir re-testé ça entre temps ). Sauce bizarre, un peu genre Hamburger. En fait j’aurais peut-être du aller au Hessburger…quand même pas… En tout cas, c’est une nouvelle leçon sur la mondialisation (leçon que je connaissais déjà mais dont je vis une des illustration) : les produits s’exportent partout : le Kebab par exemple est en train de devenir le plat européen par excellence : partout on en trouve. Mais partout le Kebab est différent. La standardisation des modes de vie ( et de consommation en l’occurrence) n’est pas totale : une adaptation est toujours nécessaire. De même que Mac Do en Inde a du adapter ses menus, les Kebab s’adaptent aussi avec une sorte d’échange entre deux cultures, celle qui s’implante et celle dans laquelle elle s’implante. Mais je ne deviendrais pas pour autant un apologue de la mondialisation actuelle qui détruit plus souvent les cultures qu’elle ne les enrichit… et puis la mondialisation c’est aussi une chance pour les forêts finlandaises : l’occasion de les reposer un peu  pendant qu’on exploite celles du sud désormais plus convoitées…on appelle ça la mise en compétition des territoires…joli non ?…mais pas aussi qu’une forêt en vie…

             

Jeudi 12 octobre 2006

 

P.S : ce texte n’est pas écrit pour faire mon Pétain de base à mythifier la campagne, son rapport à la terre en opposition avec ces viles villes où l’on ne respecte plus les traditions ni rien. Cette opposition ville/campagne était avant tout une licence poétique, même si c’est vrai que ça fait vraiment du bien de retrouver la nature … donc excusez la caricature…


[1] Nouvelle maladie que je viens de créer sur le modèle du paludisme : le moustique est remplacé par la mouche et la fièvre par la sérénité.