Archive pour janvier 2013

mieux vaut court que jamais #266

Poireautant la tête dans le bac, je la sens se dandiner derrière mon dos. Jetant un œil dans le miroir qui me fait face, je la vois se recoiffer longuement, et reconnaissons-le, gracieusement. Cependant je crains que cette apprentie coiffeuse n’ait guère saisi le sens du salon de coiffure, n’étant point le lieu où l’on attend d’elle qu’elle se pavane et fasse salon à exhiber sa crinière vermeille.

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L’été revenu, il est un phénomène biologique généralement peu considéré, qu’est celui d’étranges migrations de moustiques. En effet, attirés par le vrombissement assourdissant du rasoir électrique du salon de coiffure, il arrive que des nuées entières se pressent à la porte, croyant là trouver une femelle hors-norme.

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La lame vengeresse,

De la coiffeuse jalouse,

Cisaille la mèche rivale.

mieux vaut court que jamais #265

Alors qu’il ne m’a jamais été donné l’opportunité de connaître le nom de ma guichetière des PTT, pas même à l’aide d’un badge inélégant et impersonnel, ce distributeur automatique de timbre arbore fièrement sur son flanc droit une étiquette où s’inscrit un nom féminin aguicheur, sans doute fantasme du réparateur de ladite machine.

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Les CV en candidature spontanée, bouteille à la mer des flots tumultueux du marché du travail moderne sur lesquels on ne cesse de compter les naufragés et les radeaux de la Méduse, ne font guère recette chez les ouvreurs compulsifs de courriers. Ils leur préfèrent les lettres d’amours torrides et enflammées ou les chèques adressés au trésor public.

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La désuétude de l’usage des bottins n’est pas seulement à regretter dans la capacité incroyable qu’ils recelaient pour caler une armoire Normande en très vilain déséquilibre. Il n’est, avec l’usage de la version numérique, guère évident, sans créer le moindre biais, d’adresser une lettre d’amour à la plus parfaite inconnue.

mieux vaut court que jamais #264

– tu l’aimes mon asphalte ?

– oui, très.

– tu le trouves comment mon cédez-le-passage ?

– très joli.

– tu le chéris mon anneau ?

– oui fortement.

– et mon sens obligatoire, tu le trouves comment ?

– je l’aime beaucoup.

– donc tu l’aimes totalement mon carrefour giratoire ?

– je l’aime rondement, circulairement, tendrement.

Sur un air de Georges Delerue.

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Décarrant de sa lointaine cambrousse, ânonnant quelques belles paroles entendues dans son village, il avait filé lestement par monts et par vaux, n’ayant cure des chemins de traverses et peu carrossables. Ce n’est que sur l’asphalte, que débuta sa souffrance. Le corps pas même éprouvé pour les nids-de-poule, il dédaigna les dos d’âne.

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Les passages piétons ne servent pas uniquement à concevoir que des belles pochettes de disques. Ils sont aussi un très bon outil pédagogique pour les tout-petits en leur donnant quelques rudiments de géométrie élémentaire.

mieux vaut court que jamais #263

Recevant un appel téléphonique dont il se serait bien passé, mon ami ne semblait savoir comment s’en dépêtrer afin d’y mettre fin au plus vite. Cette proposition gracieuse d’un buffet à volonté ne savait véritablement le séduire et ses indisponibilités régulières dans la semaine à venir n’étaient en mesure de démotiver son interlocutrice. Son inaptitude généralisée au mensonge lui faisait, en ces circonstances, grandement défaut. Il faut pourtant savoir parfaitement mentir face aux bonimenteurs télématiques.

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L’art divinatoire a su s’adapter aux évolutions technologiques et sociétales, depuis les Pythies grecques et leurs brumes hallucinogènes jusqu’aux adaptes de la lecture dans le tabac froid. Il n’est pourtant pas rare que l’usage des technologies vienne rendre ces beaux développements plus exigeants qu’il n’y paraît. La voyance téléphonique n’est ainsi pas exempte de tout reproche et l’on peut aisément imaginer le désintérêt total que peut porter la voyante pour son client à plusieurs centaines de kilomètres et sans la moindre vision réciproque. Cependant, il n’est pour elle qu’à provoquer quelques fritures sur la ligne pour recréer les conditions de trouble qui font la voyance si nébuleuse, se drapant alors dans les atours de la véracité surnaturelle.

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L’ancien employé des PTT, dont sa vie fut remplie d’indicatifs téléphoniques, demeurant longtemps dans son esprit, manifestant une haute forme de vacuité dans cette déconnexion au réel qu’instille le temps, peut vite, en cas de doutes sur son existence, se réfugier dans quelques formes de spiritisme ou de croyances douteuses, d’ailleurs à l’instar de nombreuses autres professions. Seulement, la propension à la numérologie se trouve-t-elle plus importante dans les rangs des retraités des PTT.

fables modernes #99 : le coquillage et le coquelicot

Un coquillage, égaré dans un champ,
Prospectait du regard en tous sens,
S’enquérant surtout du sort méchant
Qui l’avait rendu à sa pleine démence.
Car de n’être dans le sable enseveli,
En devenait-il de raison dépourvu,
Le cœur et l’âme, pour ainsi dire, démoli
De n’être à son rôle pleinement dévolu.
N’étant ainsi quêté par aucune âme,
Délesté du collectionneur littoral,
Littéralement empli de vague à l’âme, 
Il ne pouvait étouffer le moindre râle.
De ce son sourd sorti de sa coquille,
Le coquelicot esseulé s’enquit-il,
Sentant que souvent nul ne maquille,
Son esprit et ses errements versatiles.
Lui se sachant à l’existence éphémère,
Disparaissant à peine a-t-il éclot,
Surgissant souple et fier en toute terre,
Pour à la mort vite payer son écot,
S’il enviait la consistance de la coque,
Sa durabilité face aux éléments,
Il plaignait celle-ci ici sans défroque,
En proie à tous les tourments.
Car éloignée de l’océan et de ses rochers,
La coque n’avait pour moyen de subsistance,
Que quelques plantes auxquelles s’accrocher,
Ce qui était bien loin d’être à sa convenance.
Suppliant d’enfin retrouver sa raison d’être,
En rejoignant sable et serviettes de plage,
Le coquelicot voulant aussi y trainer ses guêtres,
Conçut, en mémoire de Morphée et ses mirages,
Un chimérique voyage en bord de mer,
Y conviant la coque et ses lointains souvenirs,
Lui apportant une rémission passagère,
A défaut de lui offrir un véritable devenir.
 
 
Si le coquelicot en tout lieu trouve pitance,
Glanant sans peine le moindre champ,
C’est qu’il ne conçoit son existence,  
Qu’en l’enchainement de suaves chants. 

mieux vaut court que jamais #262

Le secret-défense n’est pas ce que l’on croit. Il n’est, derrière cette expression, pas question de cacher quelques armes ou bottes secrètes à teneur militaire. D’ailleurs comme toute forme de secret, il n’est fait que pour être divulgué, certes discrètement, dans le creux de l’oreille. Cependant, entre les bérets et les casques, l’oreille est, chez le militaire, plus difficilement accessible. Ainsi, préfère-t-on alors taire l’information.

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Dans notre culte moderne de l’intime dont quelques désormais rares journaux intimes laissent encore quelques traces, le plus souvent se confinent-elles aux lieux plus frigides de notre société. Si ce n’est pas dans quelques magazines de papier glacé, l’intime s’étale de longues heures durant dans des entretiens donnés avec le conseiller des grâces.

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Il lui avait toute sa vie voué un amour secret dont personne n’aurait dû rien en savoir, si elle n’avait décidé, dans son ultime révélation, d’avouer sa flamme sur sa tombe. Ainsi se déclarant, divulguant ces sentiments que personne ne lui connaissait, son comportement à lui envers elle, se révéla sous un jour nouveau, signant toutes les actions de sa vie sous le signe de cet amour.

mieux vaut court que jamais #261

Son usage récurrent du mordillement dans ses étreintes charnelles n’était pas sans le surprendre lui-même. Si sa compagne s’était intriguée de cette pratique, il fut bien en peine d’en trouver l’origine avant de l’attribuer à la frustration de son adolescence, où suivant des soins d’orthodontie, il devait faire l’usage le plus modéré qu’il soit de ses dents afin de les remettre dans le droit chemin.

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Il avait trimballé, toute sa vie durant, son habitude, au premier abord décontenançant, de vérifier par trois fois la fermeture exacte de son véhicule automobile, en en faisant un triple tour. Bien vite il fut taxé de trouble obsessionnel compulsif, ce qui ne s’avérait guère explicatif. Ayant pris l’habitude, enfant, de remonter sa petite voiture mécanique d’un triple tour de clé, avait-il songé qu’il se devait également avec sa véritable voiture, d’en faire le tour à plusieurs reprises afin de la remonter avant son prochain usage.

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De ses études de sémiologie et de sémantique, il avait pris cette marotte, dans toute discussion, de décortiquer les expressions, le sens des mots et les manières de communiquer. Il n’était pas même un instant, où, dans les magasins, il ne pouvait se retenir de fournir quelques explications sur les visuels et logos utilisés par quelques marques dont on pouvait pourtant, au premier abord, apprécier le design.

mieux vaut court que jamais #260

Il pourrait semblé nécessaire, à des fins de compréhension de l’humanité et d’amélioration des circulations humaines, d’effectuer une typologie des consommateurs de supermarché. Ainsi leurs comportements pourraient être analysés et éventuellement compris. Cependant, je me refuse à donner servilement du grain à moudre à ma misanthropie latente.

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Disposer de la taxinomie des ovins n’est d’aucun secours lorsque, cherchant le sommeil, on dénombre les moutons.

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Si la confusion des temporalités se fait de plus en plus récurrente avec l’accélération des vitesses de vie liée à nos technologies modernes, il ne faudrait pas nier qu’elle était d’ores et déjà présente dans de nombreux esprits. Le romantique transi, grisé par sa présence au monde en gracieuse compagnie, décrit à l’aune du ciel étoilé, ses plans sur la comète ne songe qu’il se plonge pourtant dans la voute céleste dans un lointain passé.

mieux vaut court que jamais #259

Le scintillement de l’esseulée guirlande de Noël sur cet axe de circulation secondaire n’a rien à envier aux sapins électrisés de décembre ou aux rues encombrées de boules et autres ornements festifs installés en quantités astronomiques. En janvier, ainsi seule, dispose-t-elle de l’effet de surprise qui charme le cœur, et pour certains, effectue un salutaire rappel nostalgique au mois à peine écoulé.

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Posée lamentablement sur le muret d’entrée du parc municipal, la cannette de soda peut, au premier abord, appeler un regard de pitié. Il ne faudrait pour autant pas s’apitoyer sur un tel sort, qui, au demeurant, est tout à fait à envier. Au moins, n’est-elle pas congestionnée au milieu d’un amas de métal d’une soirée arrosée. Ainsi seule, se présente-t-elle en petit autel à la gloire d’une firme multinationale qui n’en a pas besoin. Mais seule l’inutilité est le signe d’une authentique révération.

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Cette pince à cheveux qu’elle avait jadis égarée refit ce jour surface. Ne s’étant, du temps de sa perte, pas empressée de la chercher en tout lieu, se fiant au principe qu’il s’agit de chercher une aiguille dans une botte de foin, sa découverte n’en fut que plus joyeuse, joignant l’utile de n’avoir pas gaspillé son temps dans une quête insensée à l’agréable du retour de la pince chérie.

fables modernes #98 : le Styx et le sticker

Il était dans un cimetière,
Apposé sans le moindre leurre,
Sur le granit d’une pierre,
Un flamboyant et vif sticker.
Il arborait une telle brillance,
Qu’on ne pouvait pas à la tombe
Faire remonter sa présence,
Lui, tombé de la dernière trombe.   
Sa fraicheur et sa vivacité,
Avait instillé dans les mornes allées,
Une revigorante attractivité,
Comme une dragée sur le palais.
Si la stèle marquait déjà les années,
Cet insigne venait la rajeunir,
Evitant les croix et crucifix surannés,
Qui font la mémoire jaunir.
Sans que les couches s’accumulent,
Régulièrement était gratté le sticker,
Pour ainsi renouveler la formule
Et rompre avec toute forme d’aigreur.
Il est assuré que celui qui gisait là,
Ne voyait guère la différence,
Et que le triste regard des gens las,
N’avait la moindre importance.
Cependant se trouvait ici son souvenir
Prendre une toute autre tournure,
Se remémorant ainsi quelques sourires,
Détournant du temps et ses morsures.
Il n’était ainsi pas une semaine,
Où le visage fardé de la pierre
Incarnait la même fade rengaine,
Répétition d’un monolithe hier. 
 
 
La mémoire se passe des conventions
Et se montre ainsi parfois peu catholique,
Se nourrissant souvent des inventions
Qu’initient les fulgurances d’excentriques.