histoire d’homophonie #1: gâteau de famille
Le gâteau de mamie[1] était posé au milieu de la table. Il trônait magistralement, les fraises dressées et fièrement alignées comme un régiment d’infanterie au garde à vous lors d’une revue d’effectif. Il n’en manquait pas une à l’appel, elle, qui, en contrebas, attendait pourtant les ordres supérieurs pour venir ôter la vie à ces radis en sucre. Sur la crème pâtissière, la tension était palpable. Les fraises se tenaient à carreau et en dessous la table pouvait en dire autant, nappée de carreau qu’elle était. Ecossaise qu’elle était et pourtant personne autour ne causait. Silence de plomb, même si les plombs n’avaient pas sauté. Mais ce furent les bouchons des bouteilles, exultant quelques instants plus tôt. Entre temps, son irruption avait coupé court à l’éruption de joie que tous manifestaient alors. Lui-même l’avait accueillie impassible, impossible qu’elle était à toujours vouloir s’imposer à tout prix au mépris de plus d’un. Certes, ce n’était pas pour lui du mépris en ces circonstances, mais les repas de famille étaient quelque chose que l’on ne prenait pas à la légère dans ma famille. Arrivant avec ses mœurs légères, sa nouvelle femme ne pouvait espérer mieux qu’un silence unanime. A titre préventif, Louis avait préféré ne pas la convier à l’anniversaire. Certes sur Anne ils ne versèrent pas de larmes, elle qu’ils aimaient tant et qu’Agathe viendrait désormais remplacer pour les agapes dominicales. Mais Louis avait songé qu’il n’était pas encore venu son heure à elle, tant que l’autre aurait l’auréole. Louvoyant la veille, Louis avait tenté de dissuader sa venue. Mais vivace qu’elle était, elle était venue.
Elle entra donc et le silence fût. Froid et glacial comme un ciel de glace, elle enlaça son Louis. Sans lui, ici elle n’était rien, alors mieux valait lui que rien. Pas vaurien, il la fit asseoir, mais toujours avec cette mine déconfite des grandes défaites. Tout le monde n’avait d’yeux que pour elle, des yeux de vipère auxquels elle répliquait par ses yeux révolver, espérant ainsi vaincre leurs armures. Mais seuls quelques murmurent se firent entendre, plongeant Agathe dans la torpeur. Le temps se gâte se disait Louis à côté.
Il fallut attendre le bécot de ma mie pour la dérider. Saisissant cette marque d’affection que je portais à ma fiancée portant ainsi mes lèvres aux siennes, elle espéra que l’atmosphère puritaine s’éteigne. Bénéficiant de nouveau de toutes les attentions, et rappelant en actes, que cet anniversaire était le prétexte aux réjouissances de mes futures fiançailles, les langues recommencèrent à se délier pendant que les nôtres une nouvelle fois encore se lièrent. Agathe sentait bien que la catastrophe était sans nul doute derrière elle, qu’un pas en avant venait d’être franchi, qu’elle pourrait bientôt quitter son costume d’affranchie. Il lui faudrait certes encore attendre pour que l’humeur en sa seule présence se détende. Peut-être enfin de compte, était-ce un bon calcul que celui de l’intrusion au cœur d’effusions de joie, celle de la joaillerie passée à la main de ma fiancée. Faisant ainsi son irruption dans la famille, elle filait au milieu des lignes que traçait l’événement prévu. Elle pouvait peut-être même désormais espérer passer entre les mailles du filet, évitant d’avoir maille à partir avec la famille. Elle filait en douce, faisait le dos rond tout en demeurant en notre compagnie. En douceur, elle se faisait une place, elle nous habituait à sa présence parmi nous. Consciente du fil sur lequel elle marchait, cherchant à ne pas provoquer sa chute, elle tenait le silence aussi serré qu’un enfant son nounours de peur de périr en son absence.
Cependant, pendant que les conversations allaient bon train quant aux préparatifs des réjouissances à venir, un œil interrogatif se posa sur le silence. La grand-mère, se détourna de mon regard tandis que ma cousine en faisait de même avec la conversation qu’elle orientait sur les réseaux sociaux pour lesquels ma grand-mère n’avait aucune appétence. Elle fixa Agathe. Délibérément, elle ne libérait en rien l’étreinte de son regard assassin. Il est des outrages que ne pouvait accepter la catho décatie.
[1] S’inspirant d’un jeu de l’émission de France Culture « des Papous dans la tête », la contrainte est de débuter une histoire à partir d’un morceau de phrase et de clore l’histoire sur une homophonie – approximative – tout en se ménageant la possibilité d’une homophonie intermédiaire.