Archive pour juin 2011

histoire d’homophonie #1: gâteau de famille

Le gâteau de mamie[1] était posé au milieu de la table. Il trônait magistralement, les fraises dressées et fièrement alignées comme un régiment d’infanterie au garde à vous lors d’une revue d’effectif. Il n’en manquait pas une à l’appel, elle, qui, en contrebas, attendait pourtant les ordres supérieurs pour venir ôter la vie à ces radis en sucre. Sur la crème pâtissière, la tension était palpable. Les fraises se tenaient à carreau et en dessous la table pouvait en dire autant, nappée de carreau qu’elle était. Ecossaise qu’elle était et pourtant personne autour ne causait. Silence de plomb, même si les plombs n’avaient pas sauté. Mais ce furent les bouchons des bouteilles, exultant quelques instants plus tôt. Entre temps, son irruption avait coupé court à l’éruption de joie que tous manifestaient alors. Lui-même l’avait accueillie impassible, impossible qu’elle était à toujours vouloir s’imposer à tout prix au mépris de plus d’un. Certes, ce n’était pas pour lui du mépris en ces circonstances, mais les repas de famille étaient quelque chose que l’on ne prenait pas à la légère dans ma famille. Arrivant avec ses mœurs légères, sa nouvelle femme ne pouvait espérer mieux qu’un silence unanime. A titre préventif, Louis avait préféré ne pas la convier à l’anniversaire. Certes sur Anne ils ne versèrent pas de larmes, elle qu’ils aimaient tant et qu’Agathe viendrait désormais remplacer pour les agapes dominicales. Mais Louis avait songé qu’il n’était pas encore venu son heure à elle, tant que l’autre aurait l’auréole. Louvoyant la veille, Louis avait tenté de dissuader sa venue. Mais vivace qu’elle était, elle était venue.

Elle entra donc et le silence fût. Froid et glacial comme un ciel de glace, elle enlaça son Louis. Sans lui, ici elle n’était rien, alors mieux valait lui que rien.  Pas vaurien, il la fit asseoir, mais toujours avec cette mine déconfite des grandes défaites. Tout le monde n’avait d’yeux que pour elle, des yeux de vipère auxquels elle répliquait par ses yeux révolver, espérant ainsi vaincre leurs armures. Mais seuls quelques murmurent se firent entendre, plongeant Agathe dans la torpeur. Le temps se gâte se disait Louis à côté.

Il fallut attendre le bécot de ma mie pour la dérider. Saisissant cette marque d’affection que je portais à ma fiancée portant ainsi mes lèvres aux siennes, elle espéra que l’atmosphère puritaine s’éteigne. Bénéficiant de nouveau de toutes les attentions, et rappelant en actes, que cet anniversaire était le prétexte aux réjouissances de mes futures fiançailles, les langues recommencèrent à se délier pendant que les nôtres une nouvelle fois encore se lièrent. Agathe sentait bien que la catastrophe était sans nul doute derrière elle, qu’un pas en avant venait d’être franchi, qu’elle pourrait bientôt quitter son costume d’affranchie. Il lui faudrait certes encore attendre pour que l’humeur en sa seule présence se détende. Peut-être enfin de compte, était-ce un bon calcul que celui de l’intrusion au cœur d’effusions de joie, celle de la joaillerie passée à la main de ma fiancée. Faisant ainsi son irruption dans la famille, elle filait au milieu des lignes que traçait l’événement prévu. Elle pouvait peut-être même désormais espérer passer entre les mailles du filet, évitant d’avoir maille à partir avec la famille. Elle filait en douce, faisait le dos rond tout en demeurant en notre compagnie. En douceur, elle se faisait une place, elle nous habituait à sa présence parmi nous. Consciente du fil sur lequel elle marchait, cherchant à ne pas provoquer sa chute, elle tenait le silence aussi serré qu’un enfant son nounours de peur de périr en son absence.

Cependant, pendant que les conversations allaient bon train quant aux préparatifs des réjouissances à venir, un œil interrogatif se posa sur le silence. La grand-mère, se détourna de mon regard tandis que ma cousine en faisait de même avec la conversation qu’elle orientait sur les réseaux sociaux pour lesquels ma grand-mère n’avait aucune appétence. Elle fixa Agathe. Délibérément, elle ne libérait en rien l’étreinte de son regard assassin. Il est des outrages que ne pouvait accepter la catho décatie.


[1] S’inspirant d’un jeu de l’émission de France Culture « des Papous dans la tête », la contrainte est de débuter une histoire à partir d’un morceau de phrase et de clore l’histoire sur une homophonie – approximative – tout en se ménageant la possibilité d’une homophonie intermédiaire.

sur le vif #15: ivresse livresque ?

Au lieu de me féliciter pour la nouvelle révolution calendaire que venait d’effectuer ce jour mon humble et encore réduite existence, ce bougre vint me féliciter pour ma lecture. Notre lecture devrais-je dire car il félicitait tout autant mon voisin que moi-même de cet acte quasiment citoyen à ses yeux, celui de lire dans le tramway. Je ne connaissais ce voisin de banquette ni de Trèves ni d’Edam car il avait tout d’une tête de français amendée seulement par ces yeux en amande. Mais, quoi qu’il en soit, il avait surtout lui aussi un livre ouvert à une page dont le numéro m’échappe sans que je souhaite pourtant faire le moindre effort pour m’en remémorer. Louant la rareté de cette pratique – chevaucher un âne borgne sur les Champs-Elysées est une chose bien plus rare mais dont la vertu est pourtant discutable – et fustigeant ces gens – sous-entendant les jeunes gens – s’étant dotés d’extensions caoutchouteuses et isolantes positionnés au plus près des tympans mais ayant pour effet plus notable de rendre leur regard un peu plus hagard que de coutume. Cette découverte d’une pratique selon lui enfouie et remontant à des temps immémoriaux semblait le réjouir au plus haut point et, s’il avait eut les attributions nécessaires, il nous aurait remis sur le champs une légion d’honneur eut égard à la préhension de ce livre qu’il croyait déjà mort au champs d’honneur.

Pourtant, s’il se félicitait de notre lecture, il ne s’agissait pas d’un de ces happenings poético-urbanistique consistant en la déclamation intempestive de textes partout où les foules se trouvent et cherchant à prouver par cette intervention-même qu’il n’est de lieu qui ne puisse se construire sous les voûtes courbes et lestes de la poésie, qu’il n’est d’endroit où les mots n’ont pas droit de cité. Notre lecture était des plus silencieuses, si l’on excluait le doux frottement d’une page sur l’autre, lorsqu’une achevée, elle venait rejoindre ses congénères au rang du papier qui avait su livrer ses secrets. Rien de quoi concurrencer le bruit d’une mouche qui vole.

Mais qu’eut-il pensé s’il s’était avéré qu’une de nos deux lectures n’était autre que celle de Barbara Cartland, l’incontinente écrivaine aux excréments toujours parfumés à l’eau de rose ? Aurait-il eut l’audace de s’extasier s’il avait découvert qu’un de nos deux livres était un de ces blocs de papier imprimé d’aussi mauvais goût que le produit servant à déboucher les canalisations obstruées à l’instar de ceux de la collection « Brigades mondaines » ? Quant aux autres, leurs oreilles bouchées ne méritent en rien cette hostilité et l’envie dans son for intérieur de leur déverser le contenu entier de la bouteille du produite à soude susnommé. Comment se permettre de trancher si péremptoirement, en même temps qu’à pas feutrés, cette lancinante question du rapport au monde de l’individu dans les transports en commun ? Pourquoi le lecteur devrait nécessairement se retrouver du bon côté de la lame, celui, qui miroir luisant, où qu’il soit sera à même de l’éclairer sur le monde et les autres même si, la tête sombre et enfouie dans les pages, le coupe des moindres parages ? La lecture peut absorber le lecteur au point qu’il se liquéfie comme un sorbet au soleil suivant l’intrigue de son roman dans les moindres détails. Même si le livre s’avère d’une plus grande austérité, l’attention pieuse qu’il pourra recueillir plongera le lecteur dans la béatitude des quelques écritures posées sous ses yeux, n’osant sous aucun prétexte les relever, croyant qu’il n’est que dans les livres que les pensées s’élèvent. Qu’importe même que cette dualité entre le lettré aux grandes oreilles et les grandes oreilles électrifiées tant il serait même vain de vouloir débuter une recension des incalculables occupations que l’on peut, avec ou sans ostentation, avoir entre deux stations.

Il importe peu l’activité que l’on pourra exercer, dans sa vie ou dans un tramway – les deux se confondant parfois lorsque l’on est conducteur de tramway. Le sens que chacun investit dans une activité, quel qu’elle soit, constitue l’existence même de cette activité. Ce n’est pas l’activité qui importe, c’est ce en quoi elle fait sens pour un individu. De cette manière, on retrouve une forme de complexité et il n’est d’activité à sens unique. Toutes peuvent se prendre en différents sens, oscillant sur un large spectre allant de la félicité religieuse à l’extase sensuelle en passant par le dégoût ou l’indifférence. Qu’en était-il du sens placé dans l’action de zyeuter des mots ? Réel épanouissement de l’être à la lecture de belles lettres ? Divertissement ou passe-temps de transport en commun ? Paravent de pensées intimes ?

Qu’importe demain, il fera moins chaud, je reprends le vélo, mes tympans sous écouteurs…

sur le vif #14: piscine love

L’été est là et, contrairement à ce que bon nombre de personnes de mon entourage pourraient penser, il est agréable de pouvoir rester enfermé les fenêtres du bureau et de l’ordinateur ouvertes. Les travaux dans la maison à côté semblent toucher à leur fin, même si le rugissement d’une perceuse, le cri strident d’une scie sauteuse ou le gloussement hyéniforme d’une visseuse se font encore entendre parfois. Les dérangements des bricoleurs du dimanche se sont substitués au remue-ménage quotidien des professionnels des travaux. Le bricolage des meubles en kit est la nouvelle planche de salut de la société contemporaine. Pourvu pour eux, qu’ils ne scient pas la planche sur laquelle ils sont assis. Mais qu’importe, ces quelques nuisances ne sont pas d’une ampleur acoustique trop importante. Néanmoins, une autre semble s’être fait jour – et parfois nuit : celle de la piscine/jacuzzi qui compte parmi les aménagements réalisés. Je ne saurais déterminé, depuis ma fenêtre, la nature exact de l’habitacle aquatique artificiel, seuls les sons me sont perceptibles. Cependant, compte-tenu de la concurrence d’espace qui sévit dans le centre de la ville, je mettrais ma main à couper qu’il ne peut s’agir d’un bassin olympique. Quelle qu’en soit sa taille, je peux attester des bruits qui dépasseraient sans nul doute la fureur de certains supporters de curling aux mornes olympiades hivernales.

Le petit dernier, Timo, ne semble pas souffrir plus que de raisons de ces débuts de chaleur. Je préfère me montrer prudent néanmoins, je ne sens aucunes prédispositions de sa part pour les climats méditerranéens et encore moins tropicaux ou équatoriaux. Il serait même des jours où j’en viendrais à m’interroger sur ma responsabilité dans son futur avenir dans ce monde surchauffé dans lequel il s’apprête à vivre. Qu’importe pour l’instant, l’été est là et ce n’est que saisonnier. Nous avons néanmoins tenté de nous montrer, avec mon épouse, à l’écoute des préoccupations environnementales actuelles en nous intéressant plus particulièrement à la saisonnalité des produits. Ainsi le concernant, nous ne lui servons le soir que des contes estivaux. Les contes de Noël ne sont plus de rigueur après les Saints de glaces.  Finis les contes nordiques ou flamands pour l’été – il avait pourtant tant apprécié l’histoire du hollandais volant au printemps dernier même si je doute qu’il accepte de monter de sitôt sur un rafiot. Il nous faut piocher dans les mille et une nuits, dans les contes africains ou les contes inventés où les promenades dominicales en forêt deviennent sujettes à interventions féériques par l’entremise des rayons solaires se frayant délicatement un chemin parmi les troncs d’arbre.

L’adaptation à la nouvelle saison des contes semble bien se faire pour lui. Néanmoins, l’histoire d’avant-hier où la baleine échouée sur la côte Atlantique, au lieu de tristement se laisser dépérir sur le sable blond, attirait un petit blondinet dans les flots pour bientôt l’y emmener dessous, le conduisant dans la république baleinière, semble avoir eu quelques séquelles sur sa vessie, se remettant durant la nuit à la pratique de l’énurésie, lui pourtant maintenant âgé de 7 ans et ayant arrêté l’humidification intempestive de sa literie depuis bien 4 ans. Il ne doit s’agir là que de quelques réflexes primaires sans grandes conséquences à l’été revenu, le linge ne lambinant pas pour retrouver une composition chimique exsangue de molécule d’H2O.

Aujourd’hui, posté devant l’ordinateur à aligner quelques mots comme la pervenche qui sillonne le quartier aligne les voitures au stationnement irrégulier, les gratifiant d’un petit papillon pillant les fortunes des riverains, c’étaient les enfants qui piaillaient. Le printemps est la saison des oiseaux, construisant petit à petit leurs nids, couvant les œufs avant qu’ils n’éclosent et ne laissent les oisillons, qui naissent à leur tour, casser le silence du ciel à coup de timides mais stridents cris tout juste sortis du bec. L’été est la saison des enfants, prenant le relais acoustique des oiseaux, qui, outre le fait que, désoeuvrés en cette saison, ils cassent les pieds de leurs parents, ils cassent les tympans des autres, brimés qu’ils doivent être le reste de l’année. De la rencontre entre les enfants et l’eau domestique naissent l’excitation et l’hystérie. La rencontre des enfants avec l’eau sauvage peut être plus anxiogène notamment s’il s’agit d’un océan ou d’une mer démontée qui leur montera au cerveau et ne sera pas sans créer quelques craintes ou angoisses. Mais en l’occurrence il ne s’agit que d’une piscine urbaine, rien qui puisse actionner la machine à peur des enfants, seulement celle des adultes environnants.

En début de soirée, Françoise et moi avons mis le petit dernier au lit, littérateurs oblige, ce fût avec une nouvelle histoire. Nous avons dû interrompre celle de la veille, le vingt mille lieues sous les mers croisé avec le Manifeste du Parti Communiste dans sa traduction pour mammifères marins, compte-tenu de l’accident de parcours vers l’inéluctable propreté corporelle de Timo. On l’a mis au sec dans un sauna où naquit, dans un conte nordique, un petit enfant qui bientôt, fort de sa naissance dans un lieu si chaud, fût en mesure de venir secourir une petite fille au cœur faible et frileux. Le cœur chaud, il fondit un foyer avec elle qui fondait devant sa générosité. En ces temps pré-caniculaire, nous n’avions d’autre recours que de faire appel à un conte d’hiver afin de réguler l’atmosphère onirique de Timo. Le laissant les yeux mi-clos, nous en faisions de même avec ses fenêtres afin qu’il pusse bénéficier des quelques souffles frais du soir.

Hélas, alors que de notre côté, nous trouvions à peine le sommeil après avoir trouvé quelques réjouissances pour l’âme dans un de nos livres de chevet judicieusement placés à proximité du lit, Timo débaroula dans notre chambre, l’air confus et le pyjama humide. Branle-bas de combat pendant qu’il se dévêtit de ses bas de nuit pour redonner une fraîcheur à sa chambre à son visage embué et humide de honte. Enfin revenu dans de beaux draps et retrouvant la sérénité nécessaire à l’assoupissement, Timo détourne néanmoins son regard de celui posé par sa mère pour s’orienter vers l’extérieur. Par mimétisme protecteur du père sur sa progéniture, je tourne mon attention dans cette même direction. Si les volets en grande partie fermés cachent la vue, l’ouïe outrepasse sans vergogne cette barrière. Ce qu’elle signale, ce sont d’abord, clairs, flagrants, éclatants, les cris d’amusement de quelques jeunes dans l’eau ludique de la piscine en contrebas. C’est ensuite le bruit, plus sourd et sournois, de la pompe régulant à la fois le niveau de l’eau et ses propriétés chimiques. Ce faisant, elle remue l’eau, entrant par un orifice avant de ressortir par un autre. L’eau en mouvement me chauffe le corps et surtout fait bien vite naître en moi une envie de me délester de quelques excédents liquides de mon corps. Une terrible envie d’aller uriner me prend.

C’est décidé, demain, je lance une procédure au civil contre mes voisins, à coup-sûr responsable de la reprise de l’énurésie de mon fils. Je viens d’en avoir la preuve. Si j’ai pu réprimer quelques instants mon envie, ce n’est qu’au prix de longues années de maîtrise de mon corps et de son système urinaire. Comment peut-on décemment demander un tel effort à un gamin de 7 ans ? Cette installation de piscine est criminelle et je m’en vais leur faire payer le traumatisme d’enfance qu’ils sont en train de faire naître chez mon fils, et qui ressortira si tout se passe bien à l’âge de 17 ans quand il rencontrera, dans une piscine municipale banlieusarde, son premier grand amour, pour lequel il ne pourra retenir l’envie de déclarer sa flamme alors qu’il eut été bon de laisser refroidir encore quelques instants les sentiments, résultant alors en la fuite de l’être aimé, effrayé par ces sentiments que pourtant elle partage.

sur le vif #13 : l’amour est dans le pré

vestiges d'Icare © Pierre Miglioretti

Enfin, il trouvait la douceur du sentiment de l’été, du sentiment parce qu’enfin il pouvait sentir l’été, car l’été ne se décrète pas, il n’est pas une date, tout autant que le printemps. On le sent venir, il nous enserre les bras et les projette en l’air, dans un mimétisme des formes avec les attributs de légèreté dont on dote ces saisons calorifères. L’hiver et l’automne ne sont pas plus des dates. Mais étrangement, pour lui, ces deux autres saisons se subissent alors que le printemps et l’été se choisissent, un état d’esprit en quelques sortes qui suivait sans nul doute ce mépris généralisé pour tout ce qui s’apparente de près ou de loin à de la grisaille ou du froid.

Dans une douce griserie, se sentant saoul comme une grive, le cœur en dérive, il suivait le courant des sentiments, calme, sans vague à l’âme, car s’il le guidait bien au large, il retrouvait celle dont il était l’otage. S’attardant quelques instants, il sentait le gazon, l’herbe verte fraîchement tondue, la fraicheur de l’air du soir, le soleil pointant encore le bout de son nez même si celui de Finlande – chaque pays a son soleil – dépasse dans la démesure[1] toute autre atmosphère estivale. Il n’avait fallu qu’un rien, qu’un grain de sable qui avait déréglé la monotone machine de sa vie, un grain blond, un grain de beauté, celui qui lui en a justement donné un, celui qui anime sa folie pour ce même grain, un grain pour en prendre de la graine, un grain pour joyeusement égrener les années, un grain de maïs sans OGM qu’on peut planter quand on le souhaite, un grain d’amour en bref, celui qui fait germer la vie. Mais un air de grain malgré tout pour rester discret tout en se laisser la latitude à s’exprimer quand il le faut.

Sous ce ciel dans lequel les nuages avaient battu en retraite, poussés qu’ils avaient été par les hordes de Zéphire, il attendait son grain de ciel bleu. Le bleu limpide sans impureté ne peut rien engendrer. Mais il n’était pas de ceux qui attendent le bus, encore une de ces attentes qu’il nous faut subir, lui préférait l’oublier en l’évitant et en s’en prémunissant par l’usage d’un autre moyen de locomotion. Ses pieds avaient bien l’affaire en main dans ce désert. Il allait retrouver sa belle des champs, lui offrir sa nouvelle mélopée, qu’il entonnerait à tout bout de champs, la faisant sombrer dans la volupté. Semant de sa vision les dernières habitations, il avait bientôt atteint les premières plantations. Les pins landais alanguis sous ces premières vigueurs solaires, l’avaient fixé bien droits, avec leurs mats surplombés de la vigie des branches hautes et leurs aiguilles captant les flux de l’air. Dans leur alignement, ils lui faisaient une haie d’honneur. La nature dominante dominée dans son regard condescendant pourtant bien ascendant par la force des choses. Comme son ascendance, face aux arbres, il restait condescendant.

Bientôt une prairie lui avait ouvert ses bras câlins, cercle de désirs de douceur, fantasme de maison utérine, où l’homme sans cesse croît pouvoir retrouver un état originel d’ordonnancement du monde, d’oubli de soi dans une éternité sans à-coups, comme un voyage sans escale, un trajet d’une seule traite et sans encombre. L’herbe tondue exhalait une douce odeur de nature apprivoisée, un environnement maitrisé, domestiqué. Un retour vers une mère-nature que l’on aurait soit même désigné, une mère-nature d’adoption, une mère-nature non naturelle.  Il la humait à pleins poumons, gorgés qu’ils  étaient encore d’un mélange explosif d’hydrocarbures gazeux, de nicotine et de géranium en pots. Sous la pression exercée par la nouvelle senteur, ils se vidaient des substances de la civilisation avant que de se remplir de cet ersatz naturel. Picotant sa peau nue, l’herbe dans le fond du bec lui bécotait l’âme. Lame de fond odorante, elle le submergeait sous les parfums, défunt qu’il se croyait revenu à la vie. Illusoire quête de l’identité dans une quelconque forme d’extériorité. Il était désormais là, affalé et esseulé, le derrière dans le vert, les yeux dans le bleu, l’égo dans l’indigo. Il eut aimé voir quelques cotonneuses formes se balader dans le ciel, quelques animaux méconnaissables mais que l’on se figure, se dessinant également en esprit sa princesse sise à ses côtés témoignant bien là, qu’il n’avait foncièrement que faire des cumulus tant qu’il avait le cul de Vénus à contempler.

Il abandonna sa prairie de paradis, dit adieu au dédale herbeux pour fourmis en mal d’aventure, pour aller un peu plus loin, picorer ce qui aurait la saveur de l’authentique. Il Délaissait son plaisir bourgeois des brins d’herbe qui se plient et ploient sous le poids de son corps pour aller s’avachir dans le foin. Les brins d’herbe, la tête au carré, sont au garde-à-vous, mais cèdent à la première incursion. Le foin éparse et folâtre ne tient pas en place. C’est d’ailleurs pour cela qu’on lui botte l’arrière-train. Compact, il se dote de quelques caractères civilisés, rentrant dans le rang, tout en conservant son âme pleinement rebelle et revêche. Des dormeurs compulsifs s’y sont frottés et s’en sont frottés les yeux de n’avoir pu trouver Morphée sur la paille.

Cédant aux fantasmes d’un autre âge, elle l’avait attendu dans la grange et dans une de ces robes longues et épaisses qui faisait concurrence à une célèbre madone de produits laitiers, substituant sur ses lèvres, au rouge à lèvre carmin qui en dit déjà bien trop, la feinte naïveté de l’ingénue paysanne. Sa réaction fût immédiate bien qu’inattendue. Eternuement sur éternuement, l’atmosphère devint vite pour lui irrespirable. Les foins, la poussière qui s’amassait certainement dans la grange et le chat qui devait à coup sûr laisser trainer des moutons de poils sans nettoyer après son passage, lui coupèrent presque le souffle. Bégnines allergies isolées, cumulées, elles étaient carabinées. Il ne pouvait rester une seconde de plus. Adieu veaux, vaches, cochons et surtout le cul de la fermière, ce n’était pas une atmosphère pour un rat des villes.


[1] Grande curiosité que la démesure au pays des effacés finnois

les mots du chemin

Les mots molletonnés

Me tenaient la route

Coussins à desseins,

On y couche des idées tendres.

Pour s’y détendre,

On les allonge sur les linges.

Dans leurs bras,

J’ai disparu sous les draps.

Sparadrap pour tous les maux

Ils me pansent.

La panse et l’estomac

Flottent dans le hamac,

Le filet défie la pesanteur du corps plein,

Des corbeilles qu’un corps

Baille sans les corneilles.

Il se déracine

Et dessine les cimes

Que la nuit en lui sème.

Les phrases les essaiment

Dans des textes qu’il pollinise,

Polémiques ou analyses,

La saveur d’Anis

L’électrise

Et baise la brise.

Les foutaises

Lui baisent les orteils,

La délicatesse n’est jamais d’un délice d’aise.

Si l’œil cligne

Les plis du lit sous la vigne

L’enivre de cinétique.

Le tic s’émousse

Pendant qu’il amasse

Les clips sous la tignasse

Qui veille au grain.

Ils flottent et trottent

Le galop serait de trop

Un rythme qui efface les traces

Soulève la leste poussière,

Zeste du suave d’hier,

Il fait oublier ce que cela veut dire.

Les mots marchent au pas,

Le pas chaloupé du chat chahuteur,

Chuchotant ses charmeuses plaintes

Lancées à qui voudra y répondre.

Ils offrent leurs chemins

Qu’il nous faut chercher

Sans connaître leurs fins

Le chas de l’aiguille nous guide.

Ils ne sont jamais là pour nous

Nous les confondons toujours dans l’entrelacs

Où nous les plongeons d’un geste.

Leur peau cesse d’être,

Flétrie, elle s’étiole,

Son fruit s’étire en corolles

Il regorge jusqu’à renaître.

sur le vif #12 : à quai

croiser le fer © Pierre Miglioretti

         Entre les trames de fer rectilignes, tout aussi longilignes, les quais de gare s’étendent démesurément. Si on ne retient généralement que quelques lettres de l’alphabet ferroviaire de celui des repères des voitures, nous limitant généralement aux quelques caractères qui nous concernent – comme un de ces rares langages où l’on pourrait se permettre de ne pas tout connaitre – la distance à parcourir semble tout aussi interminable que l’apprentissage du grec ancien. Si jamais il nous arrive de prendre le train dans une gare à l’exiguïté toute campagnarde, une de ces gares champêtres à voie unique et à la longueur limitée à des trains d’envergure généralement restreinte, l’impression d’éternité ne s’estompe pas, se transférant sur la voie même, où si le passage est bien interdit, le regard doucement se pose. Profitant de la vue dégagée de ces stations bucoliques, on fixe les rails étincelant en regard d’alcoolique, s’empêtrant la vue dans le fer que l’on voit déjà filer au loin, comme une vis sans fin, aveuglé par l’horizon que l’on imagine, les rêves qu’il dessine, des perspectives nous portant au-delà des cimes.

            Le quai même de la gare, s’il se fait plus long, transporte cette même perspective floue vers l’infini, celui des gens qui le peuplent. Mais les quais des gares ne sont pas habités par des sédentaires. On ferme d’ailleurs les gares tous les soirs – ou toutes les nuits pour les plus noctambules d’entre elles – pour éviter qu’un amoureux du voyage sur place s’y sédentarise ou ne s’y égare, s’il n’avait pris gare à l’endroit dans lequel il avait pénétré. Les sans domiciles fixes, à défaut de trouver véritablement à se loger, tentent ainsi souvent d’y élire domicile – comme sur la scène politique actuelle, cela semble relever pour eux d’une élection par défaut – un lieu où personne ne se fixe, un lieu d’où tout le monde part. Comment trouver une place dans un lieu dont le slogan est désormais celui de “gare en mouvement” ? Alors, en attendant qu’on les fasse déguerpir des quais, qu’on leur demande d’aller laisser trainer leurs guêtres ailleurs – un ailleurs qui se trouve bien souvent être juste à côté d’ailleurs, à savoir devant la gare – on les guette, s’assurer qu’ils ne feront pas de grabuges et qu’ils ne viendront pas déranger ceux qui choisissent de ne pas tenir en place. Alors les vagabonds des wagons se font rares, à défaut de trouver leur place dans la société autant trouver un autre emplacement.

            Sur les quais de la gare, certains ont les bras ballants. Ils voyagent à vide, leur vie est sans cesse en voyage. Hommes d’affaires, sans affaires, ils s’affairent toujours en tout sens et ce n’est pas qu’ils ont la tête en l’air à perdre leurs effets personnels, c’est que n’ayant pas le temps de les défaire, ils préfèrent démultiplier leurs affaires. Ni valise, ni sac, rien qu’ils n’empaquettent à chaque passage sur les quais, dans toutes leurs villes de passage, ils ont fait suffisamment d’emplettes. A moins que l’ampleur de leur voyage ne mérite tout simplement pas de transbahuter leur maison. C’est souvent d’ailleurs cette raison. Alors quand le train vient à tarder, ils auraient presque l’air attardés, l’air vide et vague, à divaguer dans leur tête ne sachant pas où la donner du fait qu’ils n’ont rien ou presque pour l’occuper. Ils sont bien souvent équipés de toutes les technologies du moment, mais sur le quai ce n’est pas toujours le moment, d’autant que le train pourrait venir rompre l’instant à tout moment. Ils brassent de l’air tandis que le retard le leur pompe. Bras ballants et nonchalants certes, mais foncièrement les bras leur en tombe de, ce temps, qui, perdu, sonne pour eux comme le cynique tic-tac clairement audible de l’inextinguible bombe.

            Si les voyageurs réguliers sont plutôt limaces, certains seraient du type escargot, transportant leur maison sur leur dos, les bras plus gros que le ventre, les valises, sac et cabas en dépassent de partout. Incarnation vivante d’un célèbre baroudeur aux conseils toujours avisés – pour  ceux qui veulent s’y fier –, ils semblent néanmoins dans le concret des choses bien moins à l’aise que leur homologue le sac de globe sur le dos. Eux en ont visiblement plein le dos. Tellement qu’ils n’osent poser le barda de leur dos sur le sol, de peur d’un effet culbuto qui les empêcherait, le moment venu, de reprendre leur envol et en l’occurrence d’attraper leur train, ballots qu’ils seraient restés sur leur arrière train. Alors ils prennent leur mal au dos en patience. Sortes de dodo qui ne peuvent pas voler tant leurs poids les cloue sur place, leur physiologie n’a rien d’adaptée pour la mobilité.

            Un peu plus loin, si un s’en va, sur le quai ils s’en vont encore par deux, les bras sens dessus dessous. L’un dans l’autre, les bras et les bouchent se croisent. Ainsi ils toisent l’infini. Qu’importe le voyage, les paysages à traverser, ils seront un jour de nouveau ensemble. S’ils ne pourront s’étreindre avant quelques temps, sur le quai de Saint-Pierre-Des-Corps, ce n’est plus un brin d’air qui pourrait passer entre leurs deux corps. Prenant l’air l’un de l’autre, il n’en reste plus aux alentours, force centripète qui attire les airs de rien des autres, qui, sans donner l’air, observent cette scène que, dans leurs vies, ils se sont figurée avant que de la vivre puis de s’en souvenir. Lieu commun dans un lieu public, mais pour l’instant, dans leur histoire, ce n’est pas un non lieu. Il est un des lieux de leur histoire. L’histoire des lieux avant qu’ils ne deviennent communs est celle de la subjectivité. De même avant que des noms propres deviennent communs, il faut que leur singularité ait été éprouvée par un certain nombre afin de passer à la postérité générale. La postérité est une pose prolongée pour cause d’aspérités.

            Le temps d’attendre le train, le train de vie à vitesse lente s’installe sur le quai. Lui, plus loin, impassible, pose un regard de goût sur la gare. Où que l’on soit, il est toujours un soupirail, qui donne sur un quai, il est toujours un soupir qui laisse le cerveau sans laisse s’évader, à s’insinuer dans celui des autres. Lui, ouvre l’œil au rail, les oreilles aux aguets écoutent les murmures du quai. Dans son soupir, le soufisme est fait empire. Il respire le calme et la quiétude, comme si, sur le quai, il s’attendait à voir surgir tout autre chose qu’un train, quelque chose de transcendantal bien sûrement. En contemplation, devant quelques vulgaires formes de l’infini, celles de ces lignes de fer dont on ne sait où elles prennent fin, il se plonge dans une autre forme d’éternité, celle du divin. Mais les voies du seigneur sont impénétrables. Même s’il s’agit de voies ferrées, il est désormais interdit de traverser les voies, veuillez empruntez le passage souterrain.

lettre ouverte à M. le Premier Ministre

Bordeaux, le 12 Juin 2011

Monsieur le Premier Ministre,

Suite à la récente affaire Luc Ferry, je me permets de vous adresser ce courrier. Je ne parle bien entendu pas de l’affaire médiatique sur de prétendues accusations de pédophilie ministérielle dont le microcosme médiatique se charge bien assez actuellement. Non, je fais ici référence à l’affaire universitaire Luc Ferry, car ne l’oublions pas avant d’être un homme de médias Luc Ferry est enseignant-chercheur. Parlant d’affaire, il semblerait justement que les étudiants n’aient pas eu affaire à lui cette année, comme les années précédentes d’ailleurs. Si une dispense de cours avait été prévue les années passées afin de laisser le soin au philosophe de disserter librement sur les grands problèmes de ce monde, afin d’éclairer le gouvernement de sa lanterne de grand sage, la dispense prenait fin le 30 septembre 2010. Pour preuve, le président de Paris VII s’est permis, avant un dernier courrier le 30 mai dernier, deux missives en octobre et novembre 2010 afin de rappeler l’obligation de service de l’enseignement qui lui incombait comme tout enseignant-chercheur.

Je me réjouis que vous soyez venu à son secours en venant régler la note de son salaire indûment perçu cette année, car un philosophe afin de bien philosopher se doit d’avoir l’esprit libre et ne pas se soucier de questions aussi matérielles que celles de son salaire. De la même manière, il vaudrait mieux désormais arrêter cet acharnement médiatique sur l’affaire de mœurs sexuels réprouvés et condamnables, ce serait sans nul doute nuire aux réflexions de notre grand philosophe national et je crains personnellement qu’il ne soit alors pas en mesure d’indiquer les voies que la France doit suivre dans cette période de crise économique larvée. Luc Ferry, en bon philosophe qu’il est, ne faisait ici qu’appliquer le précepte de son lointain ancêtre Socrate : « tout ce que je sais, c’est que je ne sais rien ». Malheureusement, il avait visiblement quelques éléments en main, commençant à en faire étalage dans les médias.

Mais je m’égare et je préfère en revenir à mon sujet. Satisfait de l’heureux dénouement de cet imbroglio impliquant Monsieur Luc Ferry, potentiellement futur collègue au sein du même ministère, je viens m’enquérir de mon propre sort, souhaitant également devenir enseignant-chercheur. Je ne viendrais pas colporter ici des rumeurs subodorant que Monsieur Luc Ferry percevait également de la part du Conseil d’Analyse de la société une rémunération, car comme le dit l’intéressé « quand on ne sait rien on ferme sa gueule ». Néanmoins me rendant compte que les services de Matignon prennent en charge la rémunération d’enseignants-chercheurs, je souhaitais connaître les conditions afin d’obtenir un tel soutien financier, qui ne figure d’ailleurs pas, à mon grand regret, parmi les aides envisageables pour un doctorant sur le site du Ministère de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche.

Effectivement, actuellement titulaire du diplôme de l’Institut d’Etudes Politiques de Strasbourg ainsi que d’un master d’Ingénierie de Projets Culturels et candidat au doctorat, je suis à la recherche d’un financement pour démarrer une thèse consacrée aux politiques culturelles métropolitaines. Si je dispose désormais d’un directeur de thèse (à l’Institut d’Etudes Politiques de Grenoble), je peine à trouver la manière adéquate de financer ce projet de recherche me laissant la liberté – pas nécessairement celle de Monsieur Luc Ferry qui peut aller à sa guise sur les plateaux télévisés répandre quelques rumeurs – liberté me permettant de mener à bien cette recherche, sans comme mon confrère Luc Ferry, avoir à me soucier de vulgaires questions de finances et surtout sans avoir l’obligation de débuter en parallèle une carrière dans la restauration rapide. Depuis un an et demi que le projet a germé dans mon esprit, j’ai été confronté à de nombreuses difficultés (déboires administratifs d’inscription en doctorat masquant tant bien que mal des querelles de chapelles, absence de financements universitaires, refus d’un contrat de Recherche – CIFRE – demandé auprès d’une Collectivité Territoriale pourtant intéressée par le projet,…). Il me semblait donc important de vous faire part de cette situation et espérer un soutien financier de votre part, d’autant que, comme mentionné plus haut, les financements universitaires me semblent, à l’heure actuelle, faire grandement défauts. Grenoble n’étant pas mon université d’origine, compte-tenu de la rareté du nombre de contrats doctoraux, je ne peux y prétendre.

Comme je suppose que vous lisez les rapports produits par Monsieur Luc Ferry pour le compte du Conseil d’Analyse de la Société et que vous lui indiquez même sans aucun doute les thématiques à aborder, je ne pourrais vous demander de contribuer financièrement à ce projet de thèse sans que vous sachiez de quoi il ressort. Ce projet consiste en une étude comparative de plusieurs Communautés Urbaines françaises – ainsi que l’éclairage d’une ou plusieurs villes européennes – et interrogera la manière dont une politique culturelle développée à ce niveau d’administration peut participer au renouvèlement de la conception des politiques culturelles. Parfaitement en lien avec la réforme des Collectivités Territoriales, cette recherche s’attachera tout particulièrement à analyser le changement que pourrait produire le passage des Communautés Urbaines au statut de Métropole. Bien conscient qu’en tant que Chef du Gouvernement, des circonlocutions métaphysiques ne sauraient vous être opportunes, ce projet de recherche se veut particulièrement ancré dans la réalité et semble correspondre à la ligne éditoriale des études et notes produites par le Conseil d’Analyse de la Société, même si l’accent est ici plutôt mis sur des dynamiques locales que nationales.

Compte-tenu de la situation délicate des Finances Publiques, je ne saurais espérer une rémunération pantagruélique. Je ne saurais donc rivaliser avec les 4 499 euros qui garantissent le travail de qualité de Monsieur Luc Ferry (en ne tenant pas compte des éventuelles rémunérations annexes en tant que président délégué du Conseil d’Analyse de Société). Je préfère vous suggérer la rémunération envisagée par les contrats doctoraux qu’il s’agisse de la rémunération minimale de 1684,93 euros brut (n’exigeant pas de service d’enseignement) ou celle de 2024,70 euros bruts obligeant à effectuer des activités annexes qui peuvent être celles d’enseignement. Je peux d’ores et déjà m’engager à assurer ces enseignements avec assiduité et plaisir si vous décidiez de m’attribuer la rémunération prévue dans ce cas de figure.

Je me tiens quoiqu’il en soit à votre disposition afin de vous fournir des éléments plus détaillés quant au projet de recherche. Si, à défaut d’obtenir une quelconque aide de votre part, cela pouvait venir nourrir les réflexions du Conseil d’Analyse de la Société se penchant actuellement sur la vaste thématique des « jeunes », cela serait un moindre mal.

Je vous prie, d’agréer Monsieur le Premier Ministre, l’expression de mes salutations distinguées.

Pierre Miglioretti

Les enfants de la balle – mythologie du tennis contemporain

Le tennis est un sport de gentleman, d’êtres distingués et nobles. Jamais esprit révolutionnaire de naitra à l’ombre d’une balle jaune, pas plus qu’il n’en germa de son ancêtre le jeu de Paume, et si l’on fait référence au serment du même nom, on le doit surtout aux commodités offertes par le lieu, car le jeu de paume était tout ce qu’il y a de populaire dans la France d’ancien régime. Si Clint Eastwood, dans son film Invictus, a voulu faire croire à tout le monde que le changement social post-apartheid passa en Afrique du Sud par la pratique du rugby, personne n’oserait même concevoir en esprit pareille fantaisie avec le Tennis.

Sport civilisé par excellence, il prend sa quintessence à Roland Garros, stade mythique des Mousquetaires alors que nul ne songerait à une comparaison romanesque ou culturelle pour un quelconque autre sport. Si le tennis comme tout sport magnifie la force de l’homme, il est surtout célébré pour le raffinement, la délicatesse des gestes, l’élégance de l’allure du tennisman. Avec le Tennis, le sport est fait art.

Le stade de Roland Garros, c’est la civilisation des corps au milieu du décor urbain, loin des vices de la ville, la civilisation des corps à deux pas du bois de Boulogne où l’on parque les corps que l’on ne maîtrise pas, ceux de la pulsion, ceux de la vraie chair, le corps libre renvoyé au primitif des forêts. Ce tennis est une des marques de la civilisation des moeurs décrite par Norbert Elias. Seuls les services laissent des traces sur la terre battue, une terre pourtant civilisée elle aussi, une terre de Pétain qui a toujours raison – la preuve en est bien l’arbitre venant, en cas de doute, vérifier la marque de la balle – mais une terre aussi de De Gaulle, civilisée et maîtrisée, délimitée de ces lignes blanches qu’il ne faut pas franchir. Ce n’est pas une terre que l’on martyrise de sillons ou dont on se serre de ses entrailles, quelques victuailles que l’on échappe à coup de violentes entailles. C’est une fine pellicule de terre que l’on entretien. Voltaire incitait à cultiver son jardin, le tennis rappelle qu’il faut entretenir sa terre, la passer au tamis de la culture. Celle de Roland Garros, on la passerait presque au peigne fin. En fin de set, c’est le filet que l’on passe alors que, comme un boxeur ayant vu pleuvoir les coups, on l’asperge régulièrement d’eau pour la revitaliser.

Dans le tennis contemporain, trois figures se détachent nettement : Roger Federer, Rafael Nadal et Novak Djokovic. Si le tennis est donc bien ce sport de gentleman et si ces trois hommes semblent pleinement remplir cette condition en manifestant régulièrement un respect mutuel confinant à la politesse naïve de l’amoureux transi, Roger Federer semble revêtir tout particulièrement le costume de l’archétype du tennisman gentleman. Plusieurs éléments semblent concourir à cette image laudative du Suisse.

Il y a bien entendu l’âge, qui, dans le Tennis, sans doute plus que dans d’autres sports, confère cette aura de sagesse et de stratège. Les commentateurs s’accordent à lui attribuer cette supériorité stratégique compensant la suprématie physique de ses deux cadets. Au fil des ans, de l’expérience, des succès et des désillusions, il s’est également forgé une figure de stoïcisme, ne se laissant pas emporter par les circonstances et les événements, manifestant toujours une joie retenue comme une déception limitée, loin de la fougue et de la rage de vaincre d’un Rafael Nadal par exemple. Roger Federer est cette force tranquille des courts, ne cédant pas aux passions. Une fois encore, c’est le corps maitrisé, la raison l’emportant sur l’instinct du corps dont on doit calmer les ardeurs.

Federer, à la différence de Nadal, est aussi celui qui bien plus manifestement mérite ses victoires, qui les obtient à force de risques pris. Il est capitaine d’industrie, chef d’entreprise audacieux et innovant, entrepreneur dont les résultats ne doivent qu’à des prises de risque qui ont payé, ont donné leurs fruits. Ses victoires ne doivent rien au hasard, mais bien à une stratégie d’entreprise élaborée en amont et mis en pratique au moment le plus judicieux. Il est homme d’affaire qui fait fortune aux Etats-Unis en ayant pris les risques mesurés qu’il se devait de prendre. Si l’on reconnait une force physique incroyable à Nadal, le caractère moins spectaculaire de son jeu, son attentisme, en fait plus un opportuniste. Toujours en comparaison avec Rafael Nadal, Federer apparait comme celui qui a construit son jeu et son succès progressivement, au fil des années, faisant fructifier ses gains chaque année après chaque exercice achevé sur de bons résultats. Il n’est pas dans cette fulgurance du talent de Nadal. Dans la société capitaliste, le génie est toujours douteux et l’on préfèrera le long labeur des années dont on saisit plus directement l’origine. Par ailleurs, si ce même capitalisme dans la suite des écrits de Smith et Ricardo a promu la spécialisation des économie, celle de Nadal sur la terre battue semble moins valorisante. On reconnait au contraire la complétude du jeu de Federer, un jeu considéré comme plus technique que physique – ce qu’est en négatif celui de Nadal. Federer n’a pas construit son jeu sur la force pure. Bref, Federer est assimilé à un orfèvre du tennis, il est un joueur doté d’un savoir-faire indéniable, se rapprochant même parfois de l’artiste, de celui qui invente et créé, de celui qui, usant de sa raison, réussit à donner un sens nouveau à des gestes purement physique. En ce sens, il se rapproche de ce que disait John Dewey de l’art : « l’art n’est pas synonyme de nature, mais de nature transformée, en ce qu’il établit de nouvelles relations, avec pour effet de susciter une nouvelle réaction émotionnelle».

Si Nadal semble incarner la modernité d’un Achille, valeureux et héroïque, sans égal en force et si Djokovic prend la place d’Ajax presque aussi puissant qu’Achille, Federer est sans nul doute l’Ulysse du Tennis, inventif et ingénieux, calme et tempéré. Il est, Suisse, calme et serein comme on s’imagine les helvètes, horloger de la balle dont les montées à contre-temps prennent de vitesse les adversaires y compris le sanguin espagnol ou l’explosif serbe. Si le Tennis connut quelques hommes fantasques ne correspondant pas à l’habitus du tennisman, ceux-là se font de plus en plus rares.

Les caractériels (MacEnroe pour les anciennes générations, Marat Safin pour les plus jeunes) semblent définitivement être mis à l’écart. Normalisant les attitudes et les comportements, le modèle de la bienséance sur les courts s’impose très clairement. Le sport est un processus de civilisation et participe de cette compétition entre les hommes dans un cadre précis et déterminé où, dans les apparences justement, la compétition s’efface derrière le jeu et les règles qui l’encadrent. Dans la Société du spectacle, le sport est une vitrine de la société. Face aux dérives de certains sportifs – et l’on ne peut là pas détourner nos regards du ballon rond – le caractère exemplaire de ces nouveaux héros grecs ne peut qu’apparaitre plus clairement.

Folies vespérales

au bal des bulles © Pierre Miglioretti

Sur mon lit de solitude,
Habitude de sépulture,
Dans ma turne d’hébétude,
S’ourdissent des envies de stupre.

Le lit délie les désirs,
Désidérata dans le désert,
Des dires du plaisir,
Sortis d’aucun hémisphère.

Au-dessus des yeux,
Cerclant les cils flous,
Dans le sens des cieux,
Un flot fugace et doux.

Ce sont des effluves suaves.
Elles s’envolent au lointain havre,
Braves fragrances de l’être qui bave
Étriqué dans ce corps qui navre.

L’esprit s’extrait d’un trait,
Se tire des ailes pour saisir le vrai,
D’en haut contemple le portrait
Tout frais tiré d’un être désoeuvré.

Il sonde ce qui encore panse
L’âme meurtrie et sans aise,
Recluse dans la nasse de l’errance,
De la démence et du malaise.

Va et vient du vêpre fantasmatique,
Ferment de filantes folies intimes,
Où virevoltent les pulsions lunatiques,
Qui s’évident des conventions qu’on s’intime.

L’âme n’attend pas le trépas,
Frivole elle se dérobe,
Depuis les falaises d’Etretat,
C’est l’horizon qu’elle enrobe.

Le corps sans esprit est désarmé.
Il déboucle désormais son armure,
Elle s’effrite en pièces clairsemées.
Le corps n’est plus claquemuré.

20 Mai 2011

sur le vif #10 : philosophie du jongleur

Il les voit flotter devant ses yeux. Elles prennent chacune une direction, une trajectoire différente, qu’il tente de maîtriser. Toutes ensemble constituent un schéma cohérent, se positionnent les unes par rapport aux autres. Néanmoins, elles ne sont en rien dotées d’une autonomie, c’est bien entendu lui qui les guide pour qu’elles prennent leurs places dans l’espace aérien qu’il a devant ses yeux, parfois celui derrière lui quand il veut donner au schéma une orientation nouvelle, quand il préfère qu’une d’entre elles lui tourne le dos. Mais leurs interactions, leurs distances relatives, leurs mouvements propres font que jamais tout il ne contrôle. Une place à l’aléa est toujours là, dès que les balles quittent ses doigts. Quel que soit son doigté, son adresse, le résultat est inconnu à cette adresse. Parfois, sérendipité oblige, loin de le dépiter, il se réjouit d’un résultat qu’il n’avait escompté, d’une nouvelle combinaison, une nouvelle inclinaison des trajectoires. Avec une inclination pour la nouveauté, elle sera testée et répétée quelques temps, celui d’apprivoiser ce nouveau jouet, cette nouvelle facétie qui illumine sa face. Elle efface tout ce qui avait laissé trace auparavant et s’inscrit dorénavant dans son firmament, celui des figures imposées, celles sur lesquelles il peut reposer ses lauriers, celles stars non-filantes auxquelles il pourra toujours se fier, astres repères dans la voûte céleste qu’il pourra illuminer de figures satellites. Construisant ainsi son jeu de balle, en balbutiement des gestes, le baladin des balles se ballade sur un chemin qu’il construit lui-même, balle après balle. Il balaie d’un revers de la main les mauvais gestes, les balles perdues n’ont qu’à bien se tenir, le jongleur veille au grain et saura vite séparer le bon grain de l’ivraie. Il est vrai qu’il doit souvent vite corriger le tir, avec ces objets qui filent à tire d’aile, s’ébrouant dans les airs à bride rabattue. De sa tour de contrôle, il ne pourra avoir l’oeil sur chacune d’entre elles profitant de quelques instants d’inattention pour sortir de la zone de radar. Les pauvres inconscientes ne savent alors à quel danger elles s’exposent loin des deux aiguilleurs du ciel et des contrôleurs aériens. Dans quasiment tous les cas, elles finissent par s’écraser lamentablement, bien trop loin d’une piste d’atterrissage pour espérer pouvoir reprendre leur envol dans les instants qui viennent. Afin d’assurer la sécurité de tous, on préfère fermer l’espace aérien et interdire tous les vols avant que tous les engins n’aient été récupérés et remis d’aplomb. N’ayant que rarement du plomb dans l’aile, ils reprennent vite leur élan pour une nouvelle oeuvre qu’on espèrera cette fois-ci élégiaque.

     Mais il est surtout un apprentissage qu’est celui de l’échec de l’atterrissage. Sagesse que conquiert le jongleur qu’est celle d’accepter la chute. Il ne peut ni la taire ni l’exorciser dans un discret « chut ». Elle est toujours présente avec lui, au creux de ses mains, même si ce creux fait justement en l’occurrence défaut. Il ne peut suffire de s’en accommoder, ni de se psalmodier quelques promesses de raccommoder la figure à la prochaine performance. Elle sera toujours là. La chute est inhérente au mouvement. Si elle n’avait été synonyme d’absence, tant elle est présente, on aurait pu construire une rente dessus. On eut construit une baronnie sur une telle fréquence de réalisation. Pas de gravité pour autant dans cette conséquence de la gravitation. La station aérienne n’est pas de ce monde. Il faut alors faire preuve d’irénisme pour éviter d’atteindre l’ire plus souvent que les balles voient leurs courses en l’air s’éteindre. À l’impossible, nul n’est tenu. Le jongleur ne peut être tenu pour responsable de ces balles qui ne peuvent tenir en l’air à défaut de ne pas tenir en place. Qu’à cela ne tienne, s’il perd ses balles, il persévère. De certaines qui cèdent à l’appel du sol, il tentera d’y substituer l’appel du pied, pour les remettre sur pied, au fond de sa pogne. De la chute de certaines au dynamisme affirmé, il tentera de rebondir. De d’autres, il devra se résigner à les voir joncher le sol, esseulées comme un soleil qui s’éteint. D’une main vigoureuse, il s’en saisira pour se ressaisir. Jamais rassasié, il ne peut sécher devant la perfection. Si elle n’est pas de ce monde, elle l’est encore moins de celui de ces micro-sondes que le jongleur envoie en l’air afin d’explorer les possibilités du mouvement des corps en circulation par simple projection.

     Ce seront toujours des projections sans divination, des lancers qui ne sont pas des plans sur la comète, trop instable pour que l’on table dessus, même si à table, le jongleur est servi, faisant feu de tout bois, tout se métamorphose en objet de jonglerie. À découvert, il joue du couteau ; végétarien, il exhibe les rondeurs de certains fruits et légumes qui, déridés sous ses mains expertes, s’envoient en l’air ; parfois prenant de la bouteille, il se grise à voir virevolter le verre, cylindre du zinc qu’il ne voudrait voir se dézinguer dans le fracas du verre brisé dans sa rencontre inopportune avec le plancher des vaches. Pour agile qu’il soit, il n’usera du fragile qu’avec parcimonie et éventuel renfort moelleux au sol, histoire de rendre la sanction de la violation de la loi gravitationnelle plus acceptable. Le jongleur, ainsi, s’il se joue des objets comme un jet d’eau, s’en remet toujours aux objections du ciel. Modeste face aux éléments, il s’incline face à l’aimant qui les cloue au sol. Modeste, il n’a plus que quelques mots pour prendre la gravitation avec philosophie.