Archive pour novembre 2010

Le remaniement gouverne le mental

Le remaniement gouverne le mental

 

On m’avait parlé de grand chambardement

Qui allait changer la France jusque dans ses taxes

C’est peut-être une erreur de syntaxe

Mais on voit le même chambellan au gouvernement.

 

On avait attendu des grands revenants

Et ils ne sont pas sur la défense.

Un ministre d’Etat en intermittence

Malgré la promesse d’être permanent.

 

On a quand même fait la promotion des femmes.

Pour signifier que la Terre on l’aime,

On a ainsi fait revenir NKM 1,

Et sur le quai d’Orsay on a placé la MAM 2.

 

Si l’heure n’est plus à l’ouverture

Pour certains on en est presque au mariage 3.

A cet étage, ce n’est même plus du copinage

Tant cela se confond dans la tenture.

 

À la fonction publique on touche du bois

Pour respecter la continuité du service 4.

À l’éco numérique on connaitra les vices

De celui qui mettait la république aux abois.

 

Certains nous ont quitté,

A l’instar du ministre du travail,

Qui se défendait pourtant vaille que vaille,

Dans des histoires d’onéreuse promiscuité.

 

La grenouille qui voulait se faire boeuf

Est allée se faire cuire un oeuf au grand air

Histoire dans ses oeuvres, de faire l’inventaire

De tout ce qui n’avait été qu’effet boeuf.

 

Si le président a le sang chaud

Don Quichotte a le sang triste

Et dans cette mise en scène dramatiste

C’est le moulin qu’on met au cachot.

 

Si le médecin sans frontière a souffert

Il aura su mettre le doigt sur une limite

Celle de l’ouverture, ce joli mythe

D’un président en rupture des repères.

 

On avait annoncé un tournant social

Et dans le ciel des augures électorales

On voit chanter la même chorale

Sans même de réduction commerciale.

 



1 Nathalie Kosciusko-Morizet
2 Michèle Alliot-Marie
3 Michèle Alliot-Marie et Patrick Ollier, tous deux membres du gouvernement, également couple dans le civil.
4 Georges Tron reste ainsi secrétaire d’Etat à la fonction publique

vie brève, brèves de vie

Mercredi 10 novembre

On a supprimé le A au TnBA 7. La lettre A ne fait plus partie de l’alphabet du TnBA, le premier rang débutant à la lettre B. C’est donc un étrange alphabet que l’on a là. C’est même un alphabet qui n’a, à proprement parler, plus de sens. Un alphabet sans A n’est plus un alphabet, c’est bêta mais c’est comme ça. Sans le A, c’est pour l’impression que l’on s’est servi du A pour autre chose, que l’on s’est notamment servi du A privatif pour faire un alphabet particulier, pas celui de tout le monde, pas un alphabet public, mais un bien privé et bien particulier. L’alphabet n’est semble-t-il plus bien public ou bien commun. Comme le langage est Approprié par tout un chacun, on se permet de faire de même avec l’outil linguistique de base. On en voit d’ailleurs bien les fondations pour la société et le monde dans son ensemble : que l’on enlève une lettre et l’on change notre rapport au monde, et l’on se sent dérouté. On ne sait tout bonnement plus où se mettre. Si le A n’existe plus, c’est le B qui prend le relais, qui change de place et la mienne par la même occasion.
On a crée un rang A’ celui qui s’exprime : lui est directement sur scène. Ce sont les acteurs qui l’occupent. De toutes façons, on sait bien qu’eux ont leurs places réservés et ne se soucient guère de ces questions de A ou de B : leur alphabet est différent, il est cyrillique… Mais qu’importe leur alphabet, la grammaire du théâtre et de l’imaginaire est universelle. On ne se posera donc guère de question de vocabulaire ce soir. De toutes façons, « entre chien et loup » – c’est le titre du spectacle – on ne fait plus la distinction entre A et B.

 

7 Autrement dit, le Théâtre National de Bordeaux Aquitaine. Cette suppression du A n’a d’aileurs que peu à voir avec le A de la fin de cet acronyme. L’Aquitaine n’est pas menacée, en tout cas pas dans le TnBA.

voyage aux plats pays (14/14)

Jour 14 : Amsterdam-Bordeaux

L’expression du jour : tenir le haut du pavé.

Il fut un temps où toutes les rues et toutes les artères surlesquelles passent les animaux, les hommes et leurs inventions plus extraordinaires les unes que les autres n’étaient pas faites ni de bitûme ni même de pavés. Ce temps était celui du Moyen-Âge. A partir du moment où ce que l’on nomme désormais pavé fût employé pour ce que l’on appelle désormais paver les rues, des quartiers entiers furent petit à petit investi par ces morceaux de pierres taillées. Mais cela se fit bien progressivement et pendant plusieurs décennies, des pans entiers de ville – et notamment Paris – étaient laissés au sort de la terre et son corollaire semi-liquide : la boue. Les zones pavées étaient bien entendues celles de l’Aristocratie. Ce quartier – généralement bien minoritaire dans les villes tant l’iniquité sociale d’alors était criante – fût bien vite dénommé par la plèbe : «le pavé». Les quelques agitateurs de l’époque ne revait d’ailleurs que d’une chose : jeter le pavé dans la mare. Certains d’ailleurs voulurent mettre ce plan à exécution. Si «jeter un pavé dans la mare» n’était bien pour eux qu’une expression, des paroles qu’il ne fallait pas prendre au sens propre, elle avait une véritable signification : la révolution. Avant de prendre quelques siècles plus tard la Bastille, les parisiens enragés souhaitaient donc prendre le pavé. Une insurrection débuta donc en contrebas du pavé – car le pavé parisien s’était, pour des raisons de protection évidentes, bâti sur les hauteurs de la ville – afin en quelques sortes de le balancer un peu plus bas. L’insurrection se montra particulièrement efficace les premiers temps du fait de la surprise créée par cette force insurrectionnelle et du ralliement partiel du bas du pavé composé en grande majorité de bourgeois. Malheureusement, ils ne réussirent jamais à faire la décision : les aristocrates, l’armée et le clergé tenaient toujours le haut du pavé, conservant leur position avantageuse tant dans la société que dans l’espace urbain.

Après le coutumier remue-ménage nocturne inhérent aux auberges de jeunesse, c’était le dernier grand chambardement matinal, la dernière opération de chargement avant le départ en train. Je ne m’attendais pas à ce que tout roule – comme on dit dans le jargon cycliste – mais d’entrée de jeu les choses se corsaient : ce n’était plus un train direct Amsterdam-Bruxelles qui m’attendait mais deux trains régionaux, et ce, pour d’obscures raisons de travaux sur les voies. Je voulais bien vite me frotter au système cyclo-ferroviaire hollandais et j’allais être particulièrement servi, l’assiette en faïence blanche débordant d’aliments qui pourraient rassasier mon organisme curieux de toute forme de systèmes d’organisation qu’elle soit sociale, technique ou les deux à la fois. Entrant ainsi dans le petit compartiment réservé à la petite reine et à leurs rois du moment, je demandais comme si de rien n’était à la personne alors installée dans cet espace le fonctionnement en vigueur pour les vélos, manière quelque peu détournée de l’inviter à la station debout, histoire de l’envoyer ailleurs s’asseoir. Mais ne se dégonflant pas – et heureusement mes pneus faisaient de même – il resta impassible trônant sur son siège d’usager du réseau ferroviaire hollandais. Il m’indiquait bien que c’était là l’emplacement prévu pour les vélos sans en tirer la conséquence positionnelle logique, celle de son mouvement vers d’autres cieux ou tout du moins d’autres sièges. Une cycliste bien plus véhémente lui rentra tout simplement dans le lard tandis qu’elle rentrait dans le wagon. Néanmoins son cerveau semblait bien plus englué dans le lard qu’il n’y paraissait puisqu’aux récriminations alors prononcées à son encontre, il ne répondait que par quelques mots dont la mauvaise foi faisait la plus grande concurrence déloyale aux politiques les plus aguérris et surtout ne manifestant pas la moindre intention de commander à ses membres inférieures l’exercice d’un mouvement vif permettant le levage de tout le corps. Pourtant la cycliste était hollandaise donc digne de confiance pour ce qui est des usages à adopter avec un animal à deux roues. Une autre cycliste vint rappeler l’adage que ce n’est que dans les flammes que l’on se jette à l’eau. La situation ayant été rendue intenable – au sens le plus propre du terme – par son irruption dans le wagon faisant ainsi très difficilement cohabiter les trois vélos, les trois cyclistes qui vont avec et les cinq personnes non-cyclisées. Le droit de s’asseoir devint impossible à s’exercer par tous. Un mouvement de personnes fut alors entrepris avant que l’arrêt à l’aéroport ne résolve définitivement la question de surpopulation cyclo-ferroviaire.

Il ne me restait plus alors qu’à poursuivre cahin-caha – car ces trains régionaux ne sont jamais pressés – vers Rosendaal pour changer de train, train qui s’avéra encore bien moins commode pour les vélos, aucun véritable espace n’étant prévu, hormis les plate-formes entre voitures, certes bien plus larges que celles des TGV. Mais il s’ajoutait surtout à cela un problème de locomotive retardant le départ du train mais heureusement créateur d’un sourire partagé avec mon collègue de plate-forme lorsque la chef de train devait annoncer ce problème aux voyageurs dans les trois langues, hollandaise, anglaise et française et étant dans l’incapacité de traduire le mot locomotive en anglais, hésitant et hésitant encore avant de lâcher un «technical problem with a machine» (suivant ainsi à sa manière le fameux «the show must go on»). Cette partie de voyage fut sans embuche, avant l’intermède bruxellois me permettant de tester la formule belge du cyclisme ferroviaire. En l’absence de tout pictogramme, j’escaladais un wagon où un espace suffisant semblait exister et pouvant alors me permettre d’entreposer le vélo. Bien mal m’en pris car il ne fut pas possible de le faire tenir sur ses pattes tel un poulet tout juste né et titubant à chaque instabilité de l’environnement. La loi de la gravité associée à celle du train en mouvant rendait sa position particulièrement instable au point de chuter comme une merde sur le lino délavé du train. Le contrôleur qui vint à passer peu de temps après l’arrivée au sol du vélo proposa au prochain arrêt de faire passer ma mule dans le fourgon, place normalement réservée à cet effet, ce dont je pouvais pourtant douter par la suite. En effet l’accès à cet endroit nécessitait l’accomplissement d’une épreuve non homologuée par les instances sportives internationales, une sorte de saut d’obstacle version camp d’entrainement militaire, la montée dans le fourgon s’effectuant par une marche de plus d’un mètre de haut. Il ne me restait plus ensuite à Mouscron qu’à ramasser l’animal à la petite cuillère, ayant fait encore l’objet des tumultes du train en mouvement, pour le décharger afin de dépasser les escaliers de la gare – qui n’était donc pas dotée ni d’ascenseur ni de pente douce – pour enfin entreprendre l’ultime chevauchée vers Lille, qui fut sans encombre, malgré la morosité de la route, son insipidité (tant pour l’indigence du réseau cyclable que pour la banalité des paysages urbano-industrialo-commerciaux de type seconde moitié de XXème siècle bâclée matinée de XIXème pour les quelques maisons en brique subsistantes, rendant tout cela peu avenant).

Il me restait encore quelques heures d’attente à Lille, le temps de faire un petit tour dans la ville (mais point trop n’en faut avec les pavés et ce vélo qui n’y tient plus) avant de prendre le dernier train de la journée et le dernier système cyclo-ferroviaire, le made in France. Avec la SNCF, on a choisi le compartiment spécial, avec accroche pour les vélos et réservation obligatoire pour avoir sa place. C’est stricte mais efficace en fin de compte. Surtout sur long trajet. On est finalement très proche du système finlandais où un endroit est dévolu aux vélos dans le train et où l’on exige une réservation pour le vélo. On peut également, une fois le vélo déposé, passer à autre chose. On passe alors au passé, on se repasse le film, sous nos yeux les photos défilant. On avait rien regardé jusqu’à présent, car c’est au présent que l’on voyage. Le voyage se clôt, on rouvre alors la porte. Le sas n’est plus isolé. Ces quelques clichés – doux euphémisme tant il me semble avoir pris mes aises avec le déclencheur – et le défilé des gares rassemblent un peu les choses, retissent des liens, ramènent à la surface des choses oubliées. A repasser sur ce long pont précédant Dordrecht (qui aujourd’hui dans le train succédait au passage dans la ville), on s’avoue content d’y être passé à vélo quelques jours auparavant, avec le sentiment d’avoir accompli quelque chose, d’avoir vécu des choses. Revoir ces endroits rappelle bien entendu qu’on y est passé, cela relève du truisme, mais cela se comprend aussi avec l’idée que cela donne un caractère tangible à ce passage, en donne une attestation, en même temps que cela fortifie l’existence du-dit passage. J’avais notamment débuté ce voyage avec le passage Lillois – revu depuis en photo – passage franchi dans les deux sens comme il se doit. Refaire tout ce chemin à l’envers constitue l’envers du décor et un second franchissement du passage. Le premier révèle le passage, l’établit, lui donne sa constitution. Le second, le confirme et lui donne une durabilité. Si le passage du premier franchissement n’est que passage et éphémère, le second franchissement lui donne une véritable existence, une contenance. Il n’est plus seulement éphémère et fugace voire insaisisable. Il est aussi établi, bien réel même s’il n’en demeure pas moins distant de la réalité de par sa fugacité, comme écrit au dessus du papier.

Comme on clot un voyage, on le fait passer au rang des expériences passées, devenant alors de l’ordre du comparable avec ses homologues. Je faisais le constat à la fin du voyage à vélo en Laponie, celui de ne pas avoir accompli tout ce que je souhaitais. Aujourd’hui, certes la frustration de ne pas avoir pu rallier Copenhague est là, mais surtout, surnage le contentement de l’expérience. Il n’en reste pas moins qu’il faudra un jour faire en sorte que le rêve et la réalité s’accordent mieux, comme ce décalage entre Lille et Amsterdam, comme cette dissonance entre le lillois torse-nu, le bide à l’air devant sa fenêtre parée de rideaux de velour rouge et le red-light district et ses filles dénudées. Le retour à la réalité est parfois cinglant…

Voyage aux plats pays (13/14)

13ème Jour : Haarlem-Amsterdam

Expression du Jour : chercher des crosses

Une fois n’est pas coutume, nous irons chercher l’explication de cette expresion dans un pays étranger. Il s’agit en l’occurence d’un maigrelet comté d’Angleterre dirigé par une main de fer et par un petit garnement de 11 ans se trouvant aux affaires au temps où il aurait du être à l’école mais que la mort brutale de son père – le pauvre fût écrasé par une immense meule de fromage – du Comté donc – qui trainait malencontreusement sur le rebord d’une porte qu’il ouvrit un jour à regret et à une main – qui avait donc conduit sur le trône où il faisait passer ses caprices d’enfants pour des prérogatives de puissance publique. S’il tentait de porter quelqu’intérêt aux affaires du comté et aux relations de voisinage avec les autres puissances, il préférait vaquer à des occupations bien plus bénines pour le sort de ses congénères britanniques – car l’inexpérience cumulée à la direction des affaires à la manière d’un jeu de société est souvent une politique létale – et ainsi en était-il du croquet. Malgrès tout, sa posture de jeune souverain carabinée avec son tempérament capricieux en faisait un très mauvais perdant qui ne pouvait souffrir de perdre une partie face à son vieux et grabataire premier ministre. Commençant à voir poindre la défaite – car malgré son mauvais caractère, cet enfant était doté d’une certaine perspicacité – il débutait alors la querelle avec son sénile et sinistre ministre. Sa perspicacité n’étant pourtant que de peu d’effet sur le long terme et les défaites s’accumulant tellement pour le souverain, que le simple ordre donné à son principal serviteur «va me chercher mes crosses», désignant par là les maillets dont il se servait pour pousser les boules entre les arches comme il est de coutume de faire au croquet, était devenu synonyme dans l’esprit de tous qu’il y allait avoir dispute et querelle incessamment sous peu.

Etrange journée que celle-ci, une de celle qui fait douter de ce voyage, de son intérêt, de son sens. Peut-être au contraire, cela renforce-t-il l’idée même de voyage. Retournant à Amsterdam – qui plus est dans la même auberge de jeunesse – un parfum de déjà-vu a bien vite empli mon cerveau en pénétrant dans le parc adjacent à l’auberge de jeunesse. A priori, rien de bien inquiétant, tout au plus cela est ici une sensation bien rationnelle et aucune justification ne serait ici être invoquée pour un début d’inquiétude. Je passerais sur la désillusion de devoir abonder inutilement les caisses de l’auberge de jeunesse en devant me délester de quelques euros pour pouvoir stocker tout mon bardas. Le stockage gratuit de la semaine dernière avait été un passe-droit – ce que j’ignorais alors – généreusement accordé par l’employé qui m’avait alors accueilli (ce stockage est en fait normalement réservé aux seuls groupes et il n’est pas possible de me considérer comme un groupe  à moi tout seul). Passons l’engueulade initiée avec un autre hôte de l’auberge puisqu’il était tout simplement en train de me passer devant pour les casiers, lui balbutiant quelques reproches dans un anglais rendu approximatif par le trouble de la situation 30. Je crois également avoir été tout particulièrement déçu par cette exposition dont je me faisais tout une joie de découvrir. Celle-ci – dont j’avais eu vent en récupérant une carte postale arborant le pictogramme d’un vélo barré d’un grand et magistral trait rouge – s’intitulait « Sur Place», en français dans le texte. Elle se voulait réflexion sur l’usage du vélo et notamment la culture urbaine du vélo. Il s’avérait finalement que l’exposition était un hommage au vélo à pignon fixe sur roue arrière – «fixed gear bicycle» en anglais dans le texte – habituellement utilisé par les cyclistes sur piste. Ce système de vélo oblige à poursuivre le pédalage jusqu’à l’arrêt du vélo, la roue arrière n’étant pas une «roue libre». Cela permet par ailleurs, puisque la roue arrière est en prise directe sur le pignon – ou le contraire – de rouler en arrière lorsque l’on pratique le rétro-pédalage 31. Il est à noter que cette nouvelle discipline cycliste se pratique généralement sur des vélos sans freins. Cela aboutit à un mélange entre le vélo de course et le bmx – permettant de très nombreuses figures. La concentration quasi-exclusive sur cette conception du vélo urbain – plus que minoritaire il faut bien le rappeler – m’a laissé sur ma fin. Certes, les vélos ainsi conçus sont particulièrement élégants – formes très épurées, absence de superflu -, certes de nombreuses possibilités artistiques sont permises – s’inspirant ainsi des disciplines urbaines traditionnelles que sont skate et bmx – mais cela se limite à un champ restreint la culture urbaine du vélo.
De la même manière, je n’ai pas été conquis par le musée historique, ni même par celui de la photographie. Si le musée historique est particulièrement exhaustif, il se focalise sans doute bien trop sur l’anecdotique et oublie tant le contexte plus général que celui d’Amsterdam et ne considère pas les évolutions historiques en période longue. Le musée de la photographie, quant à lui, présentait avant tout une exposition consacrée à Inez Van Lamsweerde et Vinoodh Matadin, deux photographes officiant notamment pour la mode et un certain nombre de revues à grand tirage. Même si leur approche est souvent en marge avec les autres adeptes de ce milieu – tant par l’usage iconoclaste de la retouche numérique que pour le goût du décalage et du dérisoire dans la manière de prendre des photos de «stars» – ce n’est pas forcément le champ photographique qui me passionne particulièrement.
Mais je crois surtout que le mal était ailleurs. La question était véritablement celle du sens de ce voyage et de ce que cette double étape signifiait dans celui-ci. Si je n’avais fait, ici comme ailleurs, que passer, le malaise d’aujourd’hui n’aurait sans doute pas existé. Certes matériellement, il n’aurait pas existé parce que le «aujourd’hui» tel qu’il fut vécu n’aurait pas existé, mais surtout, plus profondément, il n’y aurait pas eu ce sentiment d’installation, ce sentiment de durabilité et de persistance, d’établissement dans un lieu. Ce voyage en solitaire finalement ne pouvait vraiment que se concevoir sous forme de voyage, dans le continuum d’un mouvement perpétuel. Il n’était pas  dans l’intention de ce voyage de visiter ni des villes, ni à plus forte raison les pays traversés, mais seulement d’y voyager. Le voyage peut se concevoir dans la solitude car la mouvance des paysages, le défilé des personnages, les changements récurrents établissent de l’occupation dans l’esprit et mobilise une forme de sociabilité. On peut certes tout à fait visiter une ville (voire même un pays) seul mais ce ne sera pas une visite qui mobilisera l’autre. Une visite véritable nécessite l’autre (on peut bien en anglais «visiter quelqu’un») qui soit avec nous et avec qui les choses se partagent. Ces quelques rencontres fugaces n’y changeront rien, il faut pouvoir partager à la visite de certains lieux. On peut certes dans un bar d’Haarlem, seul, sentir l’esprit du lieu, on se refusera de rentrer dans certains cafés d’Amsterdam car il serait fort regrettable de s’y trouver seul 32.
Cela ne remet finalement pas tant en cause ce périple, cela le ramène au contraire à l’essentiel : il s’agissait d’un voyage. Il se termine désormais bientôt, en attendant, le temps de poursuivre ces lignes, je profite de cette «wieckse rosé» 33 au 7ème étage de la très élégante bibliothèque centrale avec vue imprenable sur tout Amsterdam. Voilà bien un plaisir solitaire. Il est en tout cas bon de contempler ainsi la ville, d’en jouir sans y prendre part. La position de spectateur est parfois très enviable. Après ces jours passés le nez dans le guidon, très terre-à-terre, il était temps de prendre de la hauteur, de prendre l’air et ses aises au 7ème ciel, le recul avec la tête dans les nuages.

 

30 Le simple fait de débuter une dispute constituant pour moi une circonstance aggravante et du fait de son caractère plus qu’exceptionnel, le trouble n’était que plus grand pour moi.
31 J’avoue n’avoir eu connaissance de ces éléments qu’après mon retour en France… Pour ceux que la discipline intéresse, un site explicatif relativement explicite : http://romk.fr/blog/sport/fixie-a-la-mode
32 je suis pourtant un fervent partisan de l’onanisme gastronomique.
33 autrement dit, une bière blanche rosée.

voyage aux plats pays (12/14)

12ème Jour : Nordwijk an Zee – Haarlem

Expression du jour : à bâtons rompus.

Je voudrais ici me distinguer de l’ensemble des dogmes concernant cette expression. Effectivement, il est communément défendu l’idée selon laquelle cette expression, qui ne concerne désormais plus que le langage, incluait jadis de nombreuses autres possibilités d’emploi. Pour ma part, je suis d’avis qu’elle n’a jamais été utilisé que pour concerner une discussion, un dialogue, mais qu’on la doit à une forme de dialogue bien particulière. En effet, cette expression remonte aux heures les plus troubles de la guerre de cent ans. Durant cet épisode meurtrier majeur de l’histoire de l’humanité occidentale – car un chinois ne saurait se soucier du fait que cette guerre n’a en réalité pas duré cent ans mais quelques années de plus et qu’elle fit finalement bien peu de victimes comparées à la concomitante Grande Peste – les éclaireurs, en amont des batailles, communiquaient par l’intermédiaire d’un code très précis et bien cadencé, le code des éclaireurs, qui était composé d’une série de sons produits par l’entrechoquement de bouts de bois. Or compte-tenu de la durée de cet épisode militaire et des conséquences de la peste notamment en termes d’accès aux vivres ou à toute forme de matériel, il était parfois bien difficile aux éclaireurs de trouver leurs morceaux de bois de prédilection : des morceaux de 10 pouces de chêne vert, d’un diamètre minimal de 10mm, sans aspérités ni traces de maladie. Ils devaient alors se contenter soit de bouleau, de mélèze et parfois même de simples et frêles branches bien loin de la dimension réglementaire. Il arrivait alors à l’usage de ces morceaux de bois, qu’un de ceux-ci casse pendant la conversation initiée avec un autre éclaireur. La conversation était alors interrompue pour laisser le temps de retrouver d’autres morceaux de bois. Dans certaines circonstances particulièrement difficiles, ces ruptures ligneuses aboutissaient à des conversations morcelées, sans cesse interrompues pour être reprises au beau milieu d’une phrase quelques instants plus tard, des conversations à bâtons rompus.

Le nomadisme paradoxalement – même si à mieux y repenser c’est tout ce qu’il y a de plus logique – fait mieux s’attacher aux lieux. En tout cas, ceux-ci prennent une importance accrue, acquierrent une nouvelle dimension. Ayant rompu avec le voyage de non-lieu en non-lieu (ceux des aéroports par exemple ou des stations balnéaires indifférenciées), en voyageant à vélo, outre que le terme de voyage reprend tout son sens, c’est celui du lieu que l’on retrouve également. Chaque étape est importante finalement et l’on se retrouve vite à chaque fois à vouloir trouver des repères. Passer du temps à regarder des cartes, c’est bien étymologiquement prendre des repères topographiques. Mais à une plus petite échelle, chaque lieu de villégiature devient vite une chasse au lieu, à l’endroit qui marque, comme un besoin de retrouver des repères dans un monde que l’on a fait mouvant pour quelques instants, ceux du voyage.
A Haarlem, après une journée de pluie (et cela continue encore à l’heure qu’il est est, c’est à dire, un peu plus de 18h), après avoir pesté toute la matinée contre le système de signalétique pour vélo en hollande, nous laissant bien trop souvent dans une grande perplexité sur sa rigueur, j’ai trouvé mon lieu. Je suis passé devant une fois et me suis dit qu’effectivement cela méritait une parenthèse temporelle. J’ai poursuivi ma promenade dans l’humidité de la ville, pestant – oui, c’était un peu la journée de la peste aujourd’hui – contre ces hollandais qui ferment boutique à 17h – musées compris – avant de revenir laisser trainer mes guêtres du côté du lieu. On est juste en face de l’église principale, à deux pas de la Grote Markt Platz. De l’extérieur, cela semble être un vieux bar, à priori fort agréable. Mais ce serait faire injure à l’endroit que de se limiter à cela. L’endroit est tout particulièrement chaleureux et j’en viendrais même à le qualifier d’émouvant. J’y suis rentré à l’invitation d’une dame, qui je crois, presque pour sûr, m’a bien dit «entrez» – en français dans le texte – et suis alors tombé sur ce brouhaha phénoménal, sur ce lieu en forme de bric-à-brac, en plein milieu de l’agitation des gens de service, commençant alors à doucement entendre la musique monter, alors tout à fait ébahi. Je ne savais plus tout à fait où me mettre et pas seulement parce que le lieu était bondé, ne laissant aucune place pour s’asseoir. Il serait bien difficile de décrire le lieu tant il faut y être pour véritablement en ressentir tous les bienfaits sur le corps et l’esprit – ce bar devrait être remboursé par la Sécurité Sociale. On peut néanmoins dire qu’il est tout fait de boiseries, des cadres représentants des avions tant sous forme de dessins, de photos que de cartes postales, des maquettes de ces mêmes machines volantes sont suspendues au plafond. Dans un coin trône un vaissellier fébrilement éclairé, une salle – à priori destinée à la restauration – est séparée par une paroi de vitraux. De vieux ventilateurs brassent l’air comme on fait de la bière, des porte-manteaux de bois se laissent faire sans jamais croûler sous le poids des tissus qu’on leur impose de porter, les tabourets exhibent le même souci de la matière ancienne en magnifiant les rainures du bois. Il y fait chaud et c’est bon. Surtout, il y a le piano. Quand j’ai pénétré dans le lieu, c’est un air de Manhattan de Woody Allen (si ce n’est pas Manhattan, il s’agissait à coup sûr d’un autre air de ses films 28). Interprété en direct, c’est je dois le dire, tout particulièrement émouvant, à plus forte raison dans ce lieu, qu’on pourrait croire sorti soit d’un de ses films, soit des années 30, une sorte de café d’intellectuels, un potentiel bastion de résistants pour les périodes sombres de l’histoire, un lieu de liberté semi-clandestin.
Plus tard, au piano, ce sera une reprise de Piaf et bien d’autres airs souvent pour moi inconnus mais donnant toute la saveur à ce café-bar. On resterait ainsi des heures dans cet endroit, à boire, lire, écrire, discuter, même s’engueuler. Je crois que j’aimerais tout particulièrement avoir une engueulade ici, avec le piano en fond, une de ces prises de bec amicale, où trop exténués par la joûte verbale, trop oublieux du véritable prétexte de la première invective, on se laisse tomber dans les bras de l’autre pour mettre un terme à la dispute, dont les derniers stigmates disparaitront dès la première gorgée de bière prise en suivant. Bref, c’est un lieu pour vivre. Je ne sais si l’atmosphère Allennienne et l’entrée musicale dans le lieu ont fait que j’ai pu ressentir ce lieu de la sorte, mais dorénavant, il se présente comme un refuge dans cette journée maussade, un lieu hors du temps, un lieu hors de la géographie calamiteuse de ma journée. Un lieu peut ainsi sauver une journée, la géographie, l’histoire. Peut-être est-ce aussi la Jopen qui m’a rendu les choses plus aisée. Cette bière, qui en «stout» a l’allure d’une guinness et en «koyt» est plus épicée, était sans nul doute le breuvage le plus adapté aux circonstances et au lieu. Grâce à elles – car je me suis resservi – j’ai encore un peu plus l’impression qu’ici est un lieu où l’on aimerait s’ennuyer, où il faudrait laisser l’esprit divaguer, imaginer notamment toute son histoire, songer à ce qu’il a pu être et espérer qu’il demeure.
Haarlem pour moi, ce sera donc ça. On oubliera sans doute les belles demeures, les cours qui font en partie la réputation de la ville, le moulin d’Adrien, le musée historique – finalement pas visité – le musée national de la psychiatrie – que j’aurais aimé visiter – pour se concentrer sur ce seul lieu. Un lieu doit être restreint et se limiter à quelques dizaines de mètres carrés. Ce ne peut-être une ville entière. Admettons donc que Haarlem, dans mon esprit, soit ce seul bar. C’est certes réducteur mais très plaisant.
Mais après toute cette rêverie, il va bien falloir retourner au camping pour déguster mes raviolis. Car si ce n’est pas lundi (j’en réfère au fameux «lundi, c’est Ravioli» de La vie est un long fleuve tranquille), en souvenir d’Abribus, je me devais d’en passer par là. Abribus, l’association d’aide aux sans-domicile fixe strasbourgeoise de laquelle je fus membre pendant plusieurs années, effectuait dans la ville, trois fois par semaine des arrêts afin de venir proposer des repas chauds et un peu de parole – pas nécessairement la bonne, juste du temps de parole et parfois même juste d’écoute – aux personnes soit vivantes dans la rue soit plus généralement «dans le besoin». Oeuvrant le dimanche, nous étions la dernière tournée de la semaine et de ce fait moins bien dotés en termes alimentaires, que nos collègues des jours précédents. De ce fait, quand les produits frais venaient tout particulièrement à manquer, nous devions piocher dans les réserves de boites de conserve, et notamment dans celles de raviolis, parmi les moins mauvaises de toutes29. C’est donc dans ces situations d’extrême nécessité que l’on se ressent l’envie d’une boite de ravioli. Je ne pus néanmoins m’empêcher de les agrémenter d’un bon fromage dont je fis l’acquisition sur un espèce de marché de petits producteurs locaux sur la grande place jouxtant l’église principale de Haarlem.

 

28 il s’agissait en fait d’une chanson de Manhattan Murder Mystery, chanson intitulée «I’m in the mood for a love» et composée par Erroll Garner

Voyage aux plats pays (11/14)

11ème jour : Alkmaar-Nordwijk an Zee

Expression du jour : casser sa pipe.

On doit cette expression à des traditions vaudous attestées en différentes contrées du monde. Son origine ne peut être détachée d’une autre expression «tête de pipe», expression désignant aujourd’hui, de manière familière, une personne lors d’un décompte – un repas par tête de pipe par exemple. Mais à l’origine, «tête de pipe» désignait un visage aux traits grossiers comme les figurines représentées sur les pipes 27. Or il s’est trouvé dans de nombreuses tribus pratiquant le vaudou un usage tout particulier des pipes. À défaut de fabriquer des poupées dans lesquelles on pratique de l’acupuncture malfaisante, on se saisissait tout simplement de la pipe de quelqu’un sur laquelle le visage sculpté représentait à gros trait celui de son propriétaire. Par cette figuration, la machination vaudou pouvait opérer. Si le vaudou vise souvent à des blessures ou des contrôles de l’âme bénin, il peut arriver qu’il serve des desseins bien plus radicaux, ainsi de certains, qui, souhaitant la mort d’un tel en venait à casser la tête de pipe, entraînant ainsi la mort du propriétaire de la-dite pipe.

Aujourd’hui, ce sera camping grand luxe, autrement dit avec piscine, ce qui n’est finalement pas désagréable quand on un peu plus de 80 kilomètres dans les pattes. Alors après m’être assuré que l’accès était bien libre, j’ai accepté le ticket du mec de la réception. Cela a beau n’être qu’un bassin extérieur (sans compter le bassin intérieur trusté par les gamins) de quinze mètres, quand on y est seul (car à 19h passé, quand tout le monde se rue sur le repas, il n’y avait pas un chat dans l’eau), c’est fort sympathique. Cela donne finalement une certaine idée du luxe, un aperçu de ce que cela doit être que d’avoir sa propre piscine, de pouvoir faire librement ses deux cents logueurs (il faut bien ça pour faire une distance décente).

En en ressortant, entendant une techno sortie de derrière les fagots, je me suis rendu compte que se préparait la boom du vendredi soir, réalisant ainsi que l’on était effectivement vendredi. Outre que cela me rappelait à quel point j’étais temporellement déphasé (mais peut-on être déphasé vis-à-vis d’autre chose que le temps ?), cela me faisait penser que la plupart des gens partaient en vacances sur des périodes hebdomadaires – même si la crise est passée par là, même si les habitudes de tourisme changent – investissant ainsi leurs lieux de villégiature selon le même rythme. Cela commençait généralement le samedi pour s’achever le vendredi. Ce soir donc au camping de Konningshof (ce qui n’est pas sans me faire penser à Koenigshofen en lisière de Strasbourg), ce sera pour certains la fin des vacances, le retour prochain au quotidien et puis la fin des relations nouées entre quelques uns de ces être humains de type adolescents, la fin d’improbables couples alors formés sous le coup du Soleil et de la futilité des vacances. Ce soir, on oscillera donc entre l’envie de profiter de ces derniers instants et l’amertume de se dire que ce n’est presque pour rien que l’on vit ces instants, qu’ils ne seront suivis de rien, que ce ne sera finalement qu’une parenthèse, qu’un moment de passé – certes agréable – mais pour le moment encore totalement délié des autres maillons de la chaîne. Pour bien apprécier ces moments, il faut alors soit être un hédoniste convaincu et pratiquant soit persuadé de l’absurdité générale de la vie, se rappelant de la sorte que nous-même nous ne sommes qu’une parenthèse dans ce grand tout qu’est l’univers. Parti de ce postulat-là, il ne reste qu’à faire de la vie quelque chose de particulièrement dense et éventuellement long tout en tentant de conserver le plus possible de cohérence avec l’ensemble du texte. Pensant de la sorte à ces jeunes amours éphémères, parenthèse estivale pour certains à la vie sentimentale annuelle plus terne, je me dis que ce voyage suit le même mode de fonctionnement et est aussi une parenthèse pour moi, un moment suspendu dans le temps que j’ai tenté, autant que faire se peut, de relier au reste du temps de ma vie, invoquant l’héritage et l’expérience du voyage en Laponie, comme si le présent voyage constituait une suite, s’imbriquait dans un tout logique et cohérent, suivait une même démarche (ou crève), même si dans les faits, cela ne peut en rien être une suite.
Le caractère plus spontané du voyage, bien moins préparé (tout ayant été calé en une semaine ou presque), le caractère soudain ne l’ont pas inscrit dans le continuum temporel de ma vie. Il est arrivé, sans plus de raisons qu’on eut pu donner à un songe. J’ai rêvé un voyage, il s’est fait dans la même instantanéité et dans la même fugacité. Cela donne un caractère étrange au voyage même si pour l’instant cela doit se comprendre dans un sens positif. A mon sens, un voyage se prépare, se vit avant d’être vécu, un voyage est une projection de l’être dans l’altérité et comme toute projection, elle implique un état duquel partir. Ce voyage n’a pas eu de vécu préalable, ou quelques  lapidaires balbutiements. L’absence de temps de vie ex ante, de réflexion préalable fait-elle sombrer le voyage dans le plus pur consumérisme, dans l’acte soudain et irréfléchi de consommation ? Je ne pense que ce puisse être le cas dans le présent voyage du fait de la part active prise dans le fait de voyager, de trouver un hébergement, ne me laissant en aucune manière dans la passivité consumériste de celui qui achète par simple impulsion, qui ne fait que céder à des désirs qu’il ne peut réprimer.
Mais je divague car mon point initialement était celui de rappeler la vertu du changement topographique quotidien, celle du changement de rythme. Ces soirées de vendredi se rallient au rythme hebdomadaire annuel tandis que le changement quotidien de lieu redonne de la force à chaque jour et l’isole de ses semblables. C’est véritablement un dérèglement temporel (exacerbé la journée par le fait que je ne consulte jamais l’heure). En tout cas, je n’irais pas au bal ce soir, surtout au vu de la forme qu’il s’apprête à prendre !

C’est une question lancinante que j’ai entendu à occurence régulière ces derniers temps : est-il bon de s’ennuyer ? Etant parti seul pour accomplir ce voyage, je voulais me permettre une immixtion dans le débat car en effet la solitude est nécessaire à l’ennui (on peut certes s’ennuyer en compagnie d’autres personnes mais il s’agit alors soit d’une erreur d’accompagnement soit d’une erreur dans le tempo : on aurait alors dû être seul à ce moment-là, non le partager avec d’autres). Mais si la solitude est une condition nécessaire à l’ennui, elle n’est en pas pour autant suffisante. Car on peut tout à fait être seul et vaquer à mille et une occupations, ne laissant ainsi pas le temps à l’ennui de venir s’installer à sa table. Même si je dois avouer que la majeure partie du temps je me trouve bien trop occupé pour ressentir une once d’embruns d’ennui mais de temps à autre, on sent juste que le temps passe sans que l’on veuille faire partie de ce mouvement. Il peut aussi arriver que certaines activités disposent de cette ubiquité fonctionnelle permettant qu’en même temps que l’accomplissement de l’activité, on puisse jouir de l’ennui. Il en est ainsi du vélo où en même temps que l’on pédale et que les kilomètres défilent, la pensée fasse de même, sans que cela soit d’ailleurs dans la même direction. On peut ainsi imaginer de très nombreuses choses qui vraisemblablement ne se traduiront jamais en quoi que ce soit de concret. Mais peut-être au détour d’une histoire, ce sera une réminiscence d’une personne croisée en voyage en souvenir d’une situation, avec un paysage dévisagé en tête. En ce sens l’ennui est constructif : il construit un imaginaire, il rallie des situations et des personnages, fait des connections qu’un degré d’activité trop important n’aurait pu permettre. L’ennui est cette forme de liberté qui laisse le temps extérieur filer pour que notre intérieur se développe. L’ennui est cette liberté, dans une logique plus contestataire, gagnée sur la société utilitariste. Car bien entendu, l’ennui ne produit rien de tangible, l’ennui ne se vend pas même s’il construit en profondeur et jamais ne contraint. Certes la situation d’ennui n’est pas toujours choisie mais quand elle existe et qu’on l’accepte, elle ne peut que permettre à chacun d’user de son libre arbitre d’autant plus que l’ennui ne s’assorti pas d’obligation de résultat. L’ennui est temporellement vital. Il est une rupture dans le rythme de vie, quel qu’il soit. Il permet de faire le point même si cela ne se traduit, encore une fois, pas par quelque chose de concret. On ne peut en tout cas pas filer à toute allure le long du fil de la vie. L’ennui est ce pieu dont se serve les funambules pour traverser le fil, leur servant de balancier pour trouver le bon équilibre. Il tangue tantôt à droite, tantôt à gauche mais nous aide à reposer le pied sur le fil. Il flotte au milieu des cieux mais permet souvent de reprendre pied. Pesant et léger tout en même temps, il rééquilibre l’esprit. Car l’ennui n’est pas nécessairement rêverie et ainsi s’ancre bien souvent dans la réalité.

27 l’origine de cette expression est, celle-ci, belle et bien telle qu’ici présentée.

Voyage aux plats pays (10/14)

10ème Jour : De Koog – Alkmaar.

Expression du jour : voir midi à sa porte.

Dans un petit village du Nord de la France, un jour au début du XXème siècle, un homme retraité reçu un courrier l’informant d’une nouvelle tout à la fois heureuse et triste. Son grand-oncle venait de passer l’arme à gauche, ne laissant aucune progéniture pour dilapider les considérables sommes d’argent qu’il avait accumulé durant toute sa vie de rentier avare. Roger, car le petit-neveu s’appelait Roger, se retrouvait désormais assis sur une chaise et une fortune considérable. De basse extraction, il ne savait que faire d’un pareil argent qu’il n’avait pas gagné à la sueur de son front et Dieu sait pourtant qu’il suait habituellement à grosses gouttes – ce qui expliquait peut-être pourquoi il avait toujours vécu seul. Il demanda alors conseil à la banque locale et fit ainsi venir à lui – car il n’aimait pas sortir de chez lui – un conseiller, qui, régulièrement venait pour l’aider à réfléchir au sort qu’il pourrait faire subir à cet or. Le conseiller vint ainsi tous les mardis à midi, afin de discuter placements et investissements, dividendes et intérêts. Les voisins, naturellement jaloux – car c’est là une des caractéristique principale des voisins – raillaient cette visite hebdomadaire de celui qui avait trouvé un nouveau filon. Dans leurs conversations, cela était devenu le «rendez-vous de midi» de Roger. Un jour, voyant au loin arriver l’homme d’intérêt – au propre comme au figuré – un des voisin – le plus médisant – dit à son acolyte : « tiens c’est le rendez-vous de midi» ce à quoi lui répondit son épouse – qui, pour contrecarrer les principes, était bien moins commère que son mari mais bien plus cupide – «j’aimerais qu’un jour je puisse voir midi à ma porte».

 

De Dune en Digue:

Quand on part ainsi en vadrouille
C’est par quatre chemins que l’on navigue
Mais de temps à autre pour ne pas avoir de rouille
On choisit le sens unique de la digue.

On peut, en route, pour retrouver la variété
Se laisser embarquer sous la lune
Mais si le soleil est là, pour se désorienter,
On choisit la voie des dunes.

Quand on a la nostalgie du temps qui mouille,
Que l’on se dit que les canaux qui irriguent
Ne donnent pas l’humidité des vagues qui s’embrouillent
On choisit le sens unique de la digue.

On peut aussi fuir l’éternité
Et préférer l’esprit de la lune,
Pour sous forme de cycles, s’assurer une pérénité
En dévalant une à une toutes les dunes.

Quoi qu’il en soit, ce fut une belle journée marquée comme chaque matin par la frayeur matinale à caractère météorologique, l’angoisse de se réveiller avec la pluie, l’anxiété de partir sous les cordes. Après une brève averse, le paquetage prêt, je pouvais enfin ficher le camp 25. N’escomptant pas être à temps pour attraper mon bateau de 10h au vu de mon heure tardive de lever, je m’attendais à doucement poireauter sur le quai d’embarquement à attendre que les 11 coups de l’horloge se mettent à résonner. Mais pareil à un film d’action, j’arrivais juste à l’heure, les portes du bateau se refermant la seconde après que j’eus dépassé les grilles d’entrée. Je quittais donc Texel et ses nombreux lieux de résidence pour touristes hollandais. En retraversant une partie de l’île, il m’était véritablement donné de revoir tout le panel offert à ces chers touristes. Et le panel est très large. Cela va du camping pour tente aux résidences cinq étoiles dans des cottages typiquement hollandais – ou reconstitué de telle manière qu’ils donnent l’apparence du typique – en passant par le camping-caravaning, le motel miteux, la résidence hôtelière pour classe moyenne un peu fortunée et l’hôtel cinq étoile plus traditionnel. Il est du coup peut-être rassurant de voir que le tourisme peut permettre une forme de mixité sociale. En ayant une telle variété d’hébergement on  peut supposer que toutes les classes sociales viennent à Texel et peuvent ici s’y mélanger. Il resterait à effectuer une analyse sociologique plus fine afin de savoir si la mixité existe aussi sur la plage ou si celle-ci se trouve segmentée en différents secteurs selon l’orgine sociale des uns et des autres.

À l’arrivée à Den Helder, évitant soigneusement le chemin le plus court et le plus accessible météorologiquement parlant, je m’engageais dans la route des dunes et des digue, avec d’un côté un agréable cross-country avec vélo Laposte chargé comme un baudet et de l’autre une route quasi-lunaire – il s’agit bien entendu-là d’une hypothèse de travail qui mériterait d’être discutée plus longuement, priant à ce titre M. Armstrong de venir apporter des éléments permettant de réfuter l’hypothèse de routes sur l’astre de la nuit 26 – avec la mer d’un côté et de l’autre, du même gris anthracite, des blocs de bétons permettant de rendre la digue digne de ce nom. Cette journée se terminait par une jolie promenade forestière, ce qui permettait de finir la ballade cycliste non les pneus à plat, mais sur des platitudes touristico-philosophiques pouvant se résumer à l’idée que décidément le pays batave recelait des trésors cachés, des ressources inexplorées, se montrant d’une bien plus grande complexité et variété qu’aucun guide de voyage ou prospectus affichant sur la première page un champ de tulipe, des moulins et des canaux ne pourraient jamais pleinement exprimer et donc faire partager, me rassérénant ainsi dans ma démarche de voyage cycliste. Cette variété paysagère était tellement important que je crus déceler un peu de Normandie dans ces espaces dunaires, la Normandie que l’on doit trouver, il me semble, au niveau des plages du débarquement.

Je fais donc aujourd’hui halte à Alkmaar, semble-t-il coeur névralgique du fromage, puisque la ville propose un marché du fromage tous les vendredis de la saison du fromage, à savoir l’été. La ville, afin de parfaire sa répution en matière de nourriture à rongeur, s’est dotée d’un musée célébrant tout à la fois les pates molles et les pates dures, les champignons micro-bactériens et les caves d’affinage, vantant les bienfaits tout à la fois du reblochon, de l’edam et de la vache qui rit ! C’est en tout cas ce que j’attendrais d’un pareil musée, n’ayant pu le visiter puisqu’il fermait avant même que nos amis anglais ne prennent leur traditionnel thé. Alkmaar, afin de diversifier ses activités sans toutefois changer d’image de marque, s’est également équipée d’un musée de la bière, c’est donc tout dire s’il devrait s’agir d’une ville où il fait bon vivre. Mais il m’a surtout semblé qu’il s’agissait d’une ville dont on a vite fait le tour.

25 je vous propose à tous ici un bonus track des expressions du jour en donnant la genèse de cette expression «ficher le camp». En bonus track seulement car c’est en quelque sorte la genèse de ces péripéties lexicales, l’origine de cette idée saugrenue. Au détour d’une conversation téléphonique scripturale – autrement dit par texto – il me fut demandé si je connaissais l’origine de cette expression. N’en ayant pas la moindre idée, mais ne voulant pas directement l’avouer, je proposais à mon interlocutrice l’origine suivante : Cette expression nous provient des colons britanniques dans leur nouvel Eldorado qui sera ultérieurement nommé Etats-Unis d’Amérique. Le Sir Hampton, fraîchement débarqué dans ces nouvelles contrées avait pour tâche de recenser tous les campements indiens. Comme ils étaient fort nombreux et qu’il avait lui, de son côté, fort peu de temps pour mener à bien cette mission, il avait pour coutume de partir précipitamment après chaque étude de terrain afin de pouvoir ensuite établir une fiche du camp visité alors qu’il devait rejoindre le suivant. Ce travail minutieux de fichage – à ne pas confondre avec celui qu’effectue des ministres de l’intérieur très consciencieux et que l’on pourrait alors qualifier de nauséabond – des camps, conjugué à la rapidité à laquelle il était contraint donna naissance à cette expression «ficher le camp» devenant synonyme dans l’esprit des interlocuteurs de Sir Hampton d’un départ soudain.
26 Il s’agit en tout cas d’une large plate-bande bitumée d’un même gris indolore donnant à la vue de l’ensemble une griserie psychédélique mais à laquelle je ne pouvais vraiment me consacrer, le vent me soufflant dans les nasaux à plein poumon, venant ainsi me ramener à des considérations plus prosaïques : celle d’avancer et de ne pas trop faiblir face aux éléments en pleine force de l’âge (même si les éléments n’ont pas d’âge).