Sans nul doute est-ce en raison de son caractère rebondi et de sa localisation idéale, en position médiane de notre organisme, que la fesse – même si elle marche généralement par paire – est indéniablement un morceau de choix de notre anatomie. Balayons vite d’un revers de la main ses références antiques éculées, ses Vénus charnues et Callipyges et autres Pénélope dont on ne parle que bien rarement de son cul, tant sa fidélité légendaire a fait omettre dans nos mémoires cette partie de son corps, qui, à n’en pas douter, égalait sans contestation possible celui de Calypso, qu’Ulysse se refusa pourtant à tâter. De ces corps mythologiques nous en avons conservés ces statues qui se gèlent les fesses à longueur d’année mais qui ne disent mot dès qu’on les reluque. Il n’est que des divinités – ou apparentées et ainsi que quelques beautés froides des marches Cannoises – pour ainsi rester de marbre devant tant d’agitations, pour ainsi ne rien pouvoir dégager d’autre qu’une éventualité d’amour platonique, que leur douteuse corporalité véritable ne pourra jamais plus convertir en amour physique. Tout au plus certaines encore, de leurs fesses fermes, s’incarnent au creux de nos fantasmes.
Il ne faut se méprendre sur la fonction de la fesse dans notre société. C’est bien évidemment un rôle éminemment social qu’elle joue. A travers cette partie du corps, c’est un langage qui s’exprime, ce sont des multiples actes de communication répétés quotidiennement, presque innocemment, mais toujours significativement. Passons ainsi en revue ces quelques circonstances où l’on les sollicite pour exprimer des ressentis de manière parfois bien plus idoine que n’importe quel langage verbal.
Si l’on tenait, dans ce bref inventaire à la Prévert de la fesse dans la société contemporaine, à suivre la chronologie des expériences communicationnelles de la fesse dans nos vies personnelles, nous ne pouvons manquer de débuter par la fessée. Certes, il est bien avant que ces tapes ne viennent s’abattre sur nos popotins quelques occasions de référer à ce derrière, dont certains psychanalystes ont bien vite volontiers fait un stade de l’évolution. Cependant, dans l’inconscience qui nimbe l’enfant de ces premiers temps, mieux vaut considérer ces premières immixtions dans le monde du postérieur comme relevant du mode mineur. La fessée, elle, est d’une toute autre importance. Je laisse ici de côté l’épineuse question de la vertu pédagogue ou non de la fessée et de son éventuel bannissement. Seule une étude longitudinale effectuée sur l’enfance des différents dictateurs qui ont un jour foulé le sol de notre planète et leur réceptivité à la fessée pourrait peut-être démêler l’écheveau de cette problématique, à condition, bien évidemment, de considérer qu’un phénomène comme celui-ci puisse avoir eu des répercussions dans leurs carrières politiques respectives. Quoiqu’il en soit, il s’agit bien là du premier acte communicationnel transitant de la main à la fesse, précurseur du message rediffusé en cela que la trace qu’il laisse, que la douleur qu’il imprime au corps demeurent bien après avoir été perçus par le récepteur.
Le rapport suivant entre la main et la fesse s’établit également lors de l’enfance. Bravant cette relation de sévérité, elle se transforme en acte de félicitation, la forme s’adaptant sur le fond, elle s’adoucit et n’est plus que petite tape sur les fesses, parfois répétée plusieurs fois dans un temps très resserré (on pourrait alors ici parler de tapotement des fesses). Il est intéressant ici de noter que ce comportement se retrouve généralement un emploi dans le milieu fermé des sportifs de haut niveau – notamment dans la relation coach/sportif – où la tape sur les fesses fait office soit de félicitation soit d’incitation à la félicité visant à donner une motivation supplémentaire avant ou durant la compétition du champion en question. La tape sur les fesses, sémiotiquement parlant, se fait alors sœur de l’accolade et cousine de l’embrassade.
Il faudrait ensuite en venir à l’âge adulte, bien que ce comportement débute de plus en plus précocement et se note dès l’adolescence et parfois dès l’enfance quand la précocité perd toute limite et donc tout sens. Nous devons bien évidement ici évoquer la main posée sur la ou les fesses de l’amante. La position précise dépendra en premier ressort de la superficie à la fois de la dite-main et de la dite-fesse pouvant nécessiter l’usage d’une seconde fesse. Il demeure important de noter que même en cas de déficit structurel lourd au détriment de la main vis-à-vis de la fesse, il ne sera jamais utilisé de seconde main, et ce, pour des raisons à la fois pratique – ce comportement se manifestant souvent dans la position de deux amants marchant côte à côte – et morale – car comme le rappelle le proverbe « Masser une fesse se fond dans la masse, masser deux fesses fronde la messe ». Il est à souligner une attitude déviante – sans jugement moral aucun – qu’est celui non de caresser les fesses voire d’y poser une main pour ceux qui ne savent quoi en faire, mais celui d’empoigner les fesses. Cette conduite s’explique soit quand le désir monte par le besoin de comprimer, de pétrir quelque chose de ses mains, à l’instar du donneur de sang qui presse sa poire en caoutchouc pour supporter la douleur, soit par manque de tact quand l’acte est accompli en pleine rue aux yeux de tous, manque de tact qui ne peut que signifier que le possesseur des dites-mains est un gros balourd de type ours mal léché, visiblement et ostensiblement réfractaire à toute forme de bienséance.
Bien entendu, la fesse est un organe essentiel des relations intimes. Cela devrait faire l’objet d’une communication particulière tant le sujet mérite de développements profonds. Arrêtons nous seulement ici sur cette pratique rejaillie de l’enfance qu’est celle de la claque sur les fesses lors de l’acte sexuel ou en prélude à celui-ci, manifestant une intéressante inversion sémiotique du signifiant. La fessée enfantine n’est plus blâme ou punition voire répression et pour ainsi dire castration mais bel et bien excitation. Cette inversion est chose commune et déjà maintes fois rabâchée. Cependant, il est d’importance de noter que cela s’accompagne d’un processus de distanciation et de jeu référentiel. Car non contents d’inverser les fonctions de l’acte de l’enfance, les amants adultes jouent des références et retrouvent, généralement sous forme verbale – mais aussi parfois sous forme d’accessoires divers qu’il serait vain de répertorier ici tant l’imaginaire collectif s’en est déjà saisi – ce rapport à la sentence et la punition. La fesse ici est donc tout sauf galvaudée. A travers elle se développe tout un processus intellectuel très puissant, traduisant notamment une mise à distance sociale du corps. Elle ne saurait être confondue avec un comportement grossier voire vulgaire comme on le laisse souvent entendre. Elle est une des manifestations les plus élaborées de l’usage social de la fesse, dans cette relativisation du continuum social qui la constitue.
Si, comme nous allons le développer dans quelques instants, cela ne constitue pas à proprement parler un processus communicationnel, une attitude regardant la fesse doit être évoquée, tant elle est devenue aussi courante que l’eau du robinet. Il est ainsi certains hommes, dans une méprise totale quant à la fonction sociale de la fesse, qui croient encore que l’acte de reluquer les fesses des femmes quand elles passent dans la rue est une marque de reconnaissance sociale. Bien entendu il n’en est rien et il ne faudrait vouloir sur-interpréter la langue des fesses. Si l’on voulait instiller ici quelques éléments rigoureux, il ne serait pas vain de rappeler que le processus communicationnel, que le dialogue ou le langage ne se constituent que dans le triptyque émetteur-message-récepteur. Or si le regard exprime très certainement un message de la part du mateur, il n’est possible de considérer un quelconque répondant de la part de la matée. Il est temps de mettre fin à la légendaire présence d’yeux dans le dos chez certaines femmes supposément dotées de ce sixième sens et rappeler par ce biais, que sans échange, il ne peut y avoir communication.
Comme évoqué en guise de préliminaires à cette succincte présentation, la fesse suscite une attirance croissante en tant que vecteur communicationnel, ce que nous nous devons de saluer dans notre société sans repères et où la communication entre les êtres tend à n’être plus que paroles d’évangile. Pour le dire de manière lapidaire, nous pourrions faire nôtre la fameuse maxime « parles à mon cul, ma tête est malade », sans qu’il ne soit, ne nous méprenons pas quant au sens de cette référence, pour autant question de dénigrer ce nouveau paradigme communicationnel. La diversité sémiotique qu’incarne la langue des fesses est un atout pour notre société numérique et désincarnée. Voilà de quoi, pour user des formules rebattues, nous donner un bon coup de pied aux fesses et ainsi retrouver la sérénité nécessaire avec notre derrière.