Archive pour Mai 2012

mieux vaut court que jamais #126

Dans le lointain, à n’en pas douter, derrière le vrombissement du ventilateur en plafonnier et la respiration régulière de la soufflerie du restaurant du dessous, se décèle le véritable souffle de la mer.

***

Il est évident que la mise en commun des conduites d’eau par leur passage dans tous les appartements successifs d’un même immeuble, contribue au sens du partage de la vie d’un immeuble. Il n’est pas meilleure manière de faire pénétrer discrètement son intimité dans la vie des autres.

***

La stridence du cri de la guitare électrique martyrisée par les doigts gourds du locataire du dessus, étouffée par les couches cumulées de moquettes, béton et autres matériaux de construction constituant, lui, son plancher, moi, mon plafond, s’harmonisait étrangement avec le hululement du tambour de ma machine à laver.

mieux vaut court que jamais #125

« Tu sais où j’en suis ? là quand la meuf, elle désespère… ». Ce fut la seule parole que je pus saisir au vol de cette conversation entre deux midinettes se rendant pomponnées à leur visite hebdomadaire du centre commercial. Il est cependant fort à parier qu’il était fait là référence à l’instant crucial d’Anna Karénine où Kitty éconduite par Vronski sombre dans la neurasthénie.

***

«- elle était bonne, la meuf là-bas.

– ouais bien fichue, y a pas à dire. Des belles fesses, les seins bien formés. Et puis tranquille, la meuf, cause pas, rien, juste là.

– il y manque que les bras, c’est tout.»

Il est bien vrai que la Vénus de Milo, avec deux bras en plus, ce serait la femme parfaite.

***

Va je ne te hais point,

Dit-il le bouquet au poing.

Hâtes seulement le retour en ta demeure,

Car déjà je vois ces roses qui se meurent.

mieux vaut court que jamais #124

Et la coiffeuse d’être interloquée par ma sortie soudaine du salon, le cuir chevelu encore imbibé de shampoing. Si elle n’avait noyé mon oreille sous le flot du jet du bac de lavage, nul doute que la mémoire de ma noyade enfantine eut pu demeurer enclose dans mon cerveau.

***

L’œil fixé sur la faïence blanche, il ne fit qu’un tour, entrainant tout mon corps dans un vacillement irrémédiable. Avant de tomber inanimé sur le carreau, j’eus le temps de voir ce bambin que je fus, projeté la tête en avant sur le carrelage par un frère malencontreux qui me fit à jamais honnir ces pavements.

***

Dans la respiration saccadée, le souffle court concomitamment à quelques haut-le-cœur, surgissaient de mes entrailles, assaillies par un sombre mal, quelques relents d’une douloureuse quarantaine du temps jadis.

mieux vaut court que jamais #123

La mort n’a aucun intérêt si l’on ne peut, ensuite, savoir ce que l’on dit de nous.

 ***

Le sommeil n’a aucun intérêt si l’on ne peut, après s’être éveillé, ensuite se rendormir.

***

L’amour n’a aucun intérêt si l’on ne peut après l’avoir instillé, s’en trouver chaviré.

sur le vif #59 : petite sociologie de la fesse

         Sans nul doute est-ce en raison de son caractère rebondi et de sa localisation idéale, en position médiane de notre organisme, que la fesse – même si elle marche généralement par paire – est indéniablement un morceau de choix de notre anatomie. Balayons vite d’un revers de la main ses références antiques éculées, ses Vénus charnues et Callipyges et autres Pénélope dont on ne parle que bien rarement de son cul, tant sa fidélité légendaire a fait omettre dans nos mémoires cette partie de son corps, qui, à n’en pas douter, égalait sans contestation possible celui de Calypso, qu’Ulysse se refusa pourtant à tâter. De ces corps mythologiques nous en avons conservés ces statues qui se gèlent les fesses à longueur d’année mais qui ne disent mot dès qu’on les reluque. Il n’est que des divinités – ou apparentées et ainsi que quelques beautés froides des marches Cannoises – pour ainsi rester de marbre devant tant d’agitations, pour ainsi ne rien pouvoir dégager d’autre qu’une éventualité d’amour platonique, que leur douteuse corporalité véritable ne pourra jamais plus convertir en amour physique. Tout au plus certaines encore, de leurs fesses fermes, s’incarnent au creux de nos fantasmes.

         Il ne faut se méprendre sur la fonction de la fesse dans notre société. C’est bien évidemment un rôle éminemment social qu’elle joue. A travers cette partie du corps, c’est un langage qui s’exprime, ce sont des multiples actes de communication répétés quotidiennement, presque innocemment, mais toujours significativement. Passons ainsi en revue ces quelques circonstances où l’on les sollicite pour exprimer des ressentis de manière parfois bien plus idoine que n’importe quel langage verbal.

          Si l’on tenait, dans ce bref inventaire à la Prévert de la fesse dans la société contemporaine, à suivre la chronologie des expériences communicationnelles de la fesse dans nos vies personnelles, nous ne pouvons manquer de débuter par la fessée. Certes, il est bien avant que ces tapes ne viennent s’abattre sur nos popotins quelques occasions de référer à ce derrière, dont certains psychanalystes ont bien vite volontiers fait un stade de l’évolution. Cependant, dans l’inconscience qui nimbe l’enfant de ces premiers temps, mieux vaut considérer ces premières immixtions dans le monde du postérieur comme relevant du mode mineur. La fessée, elle, est d’une toute autre importance. Je laisse ici de côté l’épineuse question de la vertu pédagogue ou non de la fessée et de son éventuel bannissement. Seule une étude longitudinale effectuée sur l’enfance des différents dictateurs qui ont un jour foulé le sol de notre planète et leur réceptivité à la fessée pourrait peut-être démêler l’écheveau de cette problématique, à condition, bien évidemment, de considérer qu’un phénomène comme celui-ci puisse avoir eu des répercussions dans leurs carrières politiques respectives. Quoiqu’il en soit, il s’agit bien là du premier acte communicationnel transitant de la main à la fesse, précurseur du message rediffusé en cela que la trace qu’il laisse, que la douleur qu’il imprime au corps demeurent bien après avoir été perçus par le récepteur.

         Le rapport suivant entre la main et la fesse s’établit également lors de l’enfance. Bravant cette relation de sévérité, elle se transforme en acte de félicitation, la forme s’adaptant sur le fond, elle s’adoucit et n’est plus que petite tape sur les fesses, parfois répétée plusieurs fois dans un temps très resserré (on pourrait alors ici parler de tapotement des fesses). Il est intéressant ici de noter que ce comportement se retrouve généralement un emploi dans le milieu fermé des sportifs de haut niveau – notamment dans la relation coach/sportif – où la tape sur les fesses fait office soit de félicitation soit d’incitation à la félicité visant à donner une motivation supplémentaire avant ou durant la compétition du champion en question. La tape sur les fesses, sémiotiquement parlant, se fait alors sœur de l’accolade et cousine de l’embrassade.

         Il faudrait ensuite en venir à l’âge adulte, bien que ce comportement débute de plus en plus précocement et se note dès l’adolescence et parfois dès l’enfance quand la précocité perd toute limite et donc tout sens. Nous devons bien évidement ici évoquer la main posée sur la ou les fesses de l’amante. La position précise dépendra en premier ressort de la superficie à la fois de la dite-main et de la dite-fesse pouvant nécessiter l’usage d’une seconde fesse. Il demeure important de noter que même en cas de déficit structurel lourd au détriment de la main vis-à-vis de la fesse, il ne sera jamais utilisé de seconde main, et ce, pour des raisons à la fois pratique – ce comportement se manifestant souvent dans la position de deux amants marchant côte à côte – et morale – car comme le rappelle le proverbe « Masser une fesse se fond dans la masse, masser deux fesses fronde la messe ». Il est à souligner une attitude déviante – sans jugement moral aucun – qu’est celui non de caresser les fesses voire d’y poser une main pour ceux qui ne savent quoi en faire, mais celui d’empoigner les fesses. Cette conduite s’explique soit quand le désir monte par le besoin de comprimer, de pétrir quelque chose de ses mains, à l’instar du donneur de sang qui presse sa poire en caoutchouc pour supporter la douleur, soit par manque de tact quand l’acte est accompli en pleine rue aux yeux de tous, manque de tact qui ne peut que signifier que le possesseur des dites-mains est un gros balourd de type ours mal léché, visiblement et ostensiblement réfractaire à toute forme de bienséance.

         Bien entendu, la fesse est un organe essentiel des relations intimes. Cela devrait faire l’objet d’une communication particulière tant le sujet mérite de développements profonds. Arrêtons nous seulement ici sur cette pratique rejaillie de l’enfance qu’est celle de la claque sur les fesses lors de l’acte sexuel ou en prélude à celui-ci, manifestant une intéressante inversion sémiotique du signifiant. La fessée enfantine n’est plus blâme ou punition voire répression et pour ainsi dire castration mais bel et bien excitation. Cette inversion est chose commune et déjà maintes fois rabâchée. Cependant, il est d’importance de noter que cela s’accompagne d’un processus de distanciation et de jeu référentiel. Car non contents d’inverser les fonctions de l’acte de l’enfance, les amants adultes jouent des références et retrouvent, généralement sous forme verbale – mais aussi parfois sous forme d’accessoires divers qu’il serait vain de répertorier ici tant l’imaginaire collectif s’en est déjà saisi – ce rapport à la sentence et la punition. La fesse ici est donc tout sauf galvaudée. A travers elle se développe tout un processus intellectuel très puissant, traduisant notamment une mise à distance sociale du corps. Elle ne saurait être confondue avec un comportement grossier voire vulgaire comme on le laisse souvent entendre. Elle est une des manifestations les plus élaborées de l’usage social de la fesse, dans cette relativisation du continuum social qui la constitue.

         Si, comme nous allons le développer dans quelques instants, cela ne constitue pas à proprement parler un processus communicationnel, une attitude regardant la fesse doit être évoquée, tant elle est devenue aussi courante que l’eau du robinet. Il est ainsi certains hommes, dans une méprise totale quant à la fonction sociale de la fesse, qui croient encore que l’acte de reluquer les fesses des femmes quand elles passent dans la rue est une marque de reconnaissance sociale. Bien entendu il n’en est rien et il ne faudrait vouloir sur-interpréter la langue des fesses. Si l’on voulait instiller ici quelques éléments rigoureux, il ne serait pas vain de rappeler que le processus communicationnel, que le dialogue ou le langage ne se constituent que dans le triptyque émetteur-message-récepteur. Or si le regard exprime très certainement un message de la part du mateur, il n’est possible de considérer un quelconque répondant de la part de la matée. Il est temps de mettre fin à la légendaire présence d’yeux dans le dos chez certaines femmes supposément dotées de ce sixième sens et rappeler par ce biais, que sans échange, il ne peut y avoir communication.

         Comme évoqué en guise de préliminaires à cette succincte présentation, la fesse suscite une attirance croissante en tant que vecteur communicationnel, ce que nous nous devons de saluer dans notre société sans repères et où la communication entre les êtres tend à n’être plus que paroles d’évangile. Pour le dire de manière lapidaire, nous pourrions faire nôtre la fameuse maxime « parles à mon cul, ma tête est malade », sans qu’il ne soit, ne nous méprenons pas quant au sens de cette référence, pour autant question de dénigrer ce nouveau paradigme communicationnel. La diversité sémiotique qu’incarne la langue des fesses est un atout pour notre société numérique et désincarnée. Voilà de quoi, pour user des formules rebattues, nous donner un bon coup de pied aux fesses et ainsi retrouver la sérénité nécessaire avec notre derrière.

fables modernes #61 : la soeur et l’encensoir

Dans son culte voué à l’éternel,
Comme une sorte de ritournelle,
Une sœur, à chaque soir,
Se saisissait de l’encensoir,
Faisant ainsi frétiller du Divin les narines,
Rougissant ses pupilles devenant purpurines.
Il n’était pas une cérémonie
Où de son ustensile muni,
Elle n’arpentait la discrète chapelle,
De ses oscillations comme battant le rappel,
Exhortant ses sœurs à la communion  
Et dans un état vaporeux à la simple fusion.
Car, disait-elle que se trouvait dans ces fragrances,
Quelques parfums de nos âmes en errance,
Qui depuis le néant terrestre se frayaient une voie
Vers le paradis céleste dans un fumeux convoi.
Il ne lui apparaissait que seule cette forme vaporeuse
Menait les hommes vers une destinée heureuse.
Ainsi clamait-elle dans les allées du transept,
Que de la crémation il fallait être adepte,
Que l’état solide n’était qu’une imperfection,
Que l’état gazeux devait venir en substitution.     
Car chaque jour que Dieu bâtit de ses mains
Elle, de ces fumées faisant ses yeux carmins,
S’enfouit chaque fois un peu plus dans la démence,
Droguée de ces effluves qui l’encensent,
Se faisant tour à tour pythie,
Extralucide ou catho décatie.
On ne pouvait pour autant la bannir,
Tant sa foi s’exhibait sans faillir.
Espérait-on seulement,
Qu’un jour innocemment,
Surviennent le malheureux incident,
Qui exauce son prêche si ardent.    
 
 
Quand les grenouilles de bénitiers
S’imbibent d’eau bénite à satiété,
Il est quelques liturgiques nones
Qui, dans l’encens, trouvent leur opium,
Ainsi prises dans un même souffle d’aveuglement.  
Qu’importe le rituel, pourvu qu’elles aient le firmament. 

les chandeliers de la chapelle © Pierre Miglioretti

fables modernes #60 : le chiffre et le dépressif

Il n’est qu’un seul nombre
Auquel on songe dans la pénombre,
Celui qui nos espoirs à néant
Réduit sans tourment.
 
 
De cet être taciturne au regard morne,
N’affichant nul sourire sur sa trogne,
Il n’était à espérer rémission du mélancolique,
Qui assurément embrassait la carrière alcoolique. 
Le salut lui vint pourtant étrangement
De ce chiffre parfois considéré si déplaisamment.
L’observant un jour avec circonspection,
Son cerveau sombrant en circonvolutions,
Lui souffla les fins mots de la divine adoration,
L’objet devant lequel il tomba en pamoison.
Il fut alors, pour ce dépressif,
Rien qui ne soit plus jouissif,
Que cet infini mis sur le carreau
Qu’incarne souvent le zéro.
Car dans le chaos du monde,
Il n’était pour lui qu’une onde,
Dans ce chiffre qui fait osciller les têtes,
Que certains sans cesse quêtent
Et que d’autres fuient les jambes au cou.
De cette girouette que tous secouent,
Il la contemplait béat et sereinement,
Comme un étrange enchantement,
Une déité qu’il ne pouvait infléchir,
Et qui seulement pouvait le faire réfléchir.
Conscient de cette impuissance,
Se sachant démuni de tout sens,
Il ne pouvait plus détourner son regard,
De ce chiffre qu’il fixait toujours, hagard,
Hypnotisé comme pas un mathématicien,
Moderne Marie-Madeleine du Titien.       
Son thérapeute eut beau tout lui prescrire,
A nul autre que le zéro put-il souscrire. 
 
 
De s’accommoder de menus tracas,
Il n’est qu’une manière de les faire voler en éclat :
En ne se figurant que l’insondable univers,
On s’évite ces quelques quotidiens calvaires. 

mieux vaut court que jamais #122

Les jambes fumantes par la sueur et par l’alcool, confrontées au brin d’air frais qui envahissait la pièce, s’évaporaient dans les airs, entrainant le corps à l’avenant, fuyant dans les sombres vapeurs du sommeil de plomb.

***

Il se dégageait dans son regard d’alcoolique chevronné  un air de maestria que l’on ne retrouve guère que chez l’aficionado du sauna, comme un flegme du corps torturé, une placidité de l’organisme mis à rude épreuve.

***

Seul Dieu saurait dire si, la balance de Roberval, calée sur les 21 grammes réglementaires de la pesée de l’âme, oscille vers le gramme inférieur à la venue de l’ivrogne. Ainsi est-il le seul à savoir si l’alcool déleste véritablement de l’épée de Damoclès qui si souvent la moleste.

mieux vaut court que jamais #121

Dans son sombre futal, alanguie sur le plumard, en position fœtale, elle dort. De dos, semble-t-elle paisible, comme apaisée dans cette posture originelle, cherchant une énergie nouvelle à se revigorer. Pourtant ainsi recroquevillée, elle n’est qu’à fuir l’éclat du soleil.

***

Dans ses habits de pingouin, en pleine nuit, le molosse paraissait épanoui. Affichant sur son visage deux balafres symétriques sur ses joues mates, son triple sourire scintillait sous le néon de la boite de nuit dont il contrôle les entrées.

***

Sous les pins, la petite trépigne. Elle s’agite et s’excite. Si proche et si loin, la mer la soulève. Derrière les dunes, la mer, elle, aujourd’hui se renfrogne. Neurasthénique, elle en demeure inerte. Ainsi immobile, elle se dote de ses apparats presque hiératiques. Mais pour la petite,  guère de quoi fouetter un chat.

mieux vaut court que jamais #120

Le beau ténébreux, se rendant à la rencontre de sa douce que les réseaux sociaux lui servaient sur un plateau n’eut pas fait deux pas dans le lieu de rendez-vous avant de tourner les talons. Jouant la carte du romantisme, vêtu d’un costume à la Werther, il craint la veste au bar des supporters.

***

Au bord de la rivière, à la pêche à la carpe, il se vêtait de son imperméable cape, de quoi braver les éléments et abriter son amie qui l’accompagnait ainsi incognito et sans mot dire dans ses plaisirs de pêcheur.

***

Le costume sombre lui tombait sur le corps avec la grâce et la stature d’un Apollon des temps modernes soulignant son corps avec élégance. Tout eut pu être parfait, si ce pingouin n’était pas en charge, en pleine chaleur, de la surveillance d’une grâce étoilée.