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Lettre ouverte à M. Bergé

Lettre ouverte à M. Bergé, en date du 29 Mai 2011 (qui lui est également adressée par courrier postal).

Bordeaux, le 29 Mai 2011

       Monsieur Bergé,

Faisant suite au récent courrier que vous avez adressé à M. Erik Izraelewicz, directeur du Monde, et faisant état d’un profond désaccord dans le traitement éditorial consacré à la présidence de la République de François Mitterrand, je me permets de vous adresser ce courrier.

Comprenant l’intérêt que vous portez à certaines activités intellectuelles comme l’illustre votre investissement financier dans le sauvetage d’un de ces grands titres de la presse qu’est le journal Le Monde, je souhaitais vous proposer une alternative à l’expression de votre générosité. Faisant montre de votre désarroi idéologique face à la prise de position d’un des journalistes, je suis en mesure de vous proposer un investissement dans lequel aucune dissension politique ne saurait naitre.

Vous n’êtes pas sans savoir qu’à l’instar du journalisme écrit, la recherche universitaire peine à trouver des financements suffisants. La recherche publique est en crise et les appels du pied aux capitaux privés, quand les chercheurs ne rechignent pas à ce mélange des genres entre public et privé, se limitent aux secteurs les plus « rentables » de la recherche. Heureusement la recherche en sciences humaines n’est pas rentable. Aucun retour sur investissement n’est possible dans un tel domaine. Le soutien d’acteurs privés ne peut être que l’affaire de quelques philanthropes parmi lesquels vous faites bien entendu partie. Vos propos en atteste très clairement en concédant « Payer sans avoir de pouvoirs est une drôle de formule à laquelle j’aurais dû réfléchir ! ». De cette phrase je ne conserverais que la première partie car elle affirme bel et bien, que durant un instant, cet investissement fût clairement désintéressé. Certes la réflexion vint plus tard vous rappelant qu’il n’est pas toujours raisonnable de s’intéresser à autrui de manière désintéressée. Il ne faut pas nécessairement se fier à la raison dans ce genre de circonstances. Comme le rappelait Tolstoï dans Anna Karénine « La raison ne pouvait découvrir qu’il convient d’aimer son prochain, parce que cela est déraisonnable ». Par ailleurs, la réflexion étant mon champ de compétence, je préfère m’attribuer cette activité. Répartissons-nous ainsi les termes de la phrase : je vous concède les finances – que je n’ai d’ailleurs pas – et je conserve la science – même si elle peut parfois aussi me faire défaut.

Mais je ne saurais exiger de votre part un financement sans que vous sachiez de quoi il ressort. Candidat au doctorat, je suis actuellement à la recherche d’un financement pour démarrer une thèse consacrée aux politiques culturelles métropolitaines. Si je dispose désormais d’un directeur de thèse (directeur de laboratoire à l’Institut d’Etudes Politiques de Grenoble), je peine à trouver la manière adéquate de financer ce projet de recherche me laissant la liberté – pas nécessairement de ton, il ne peut s’agir de revendications identiques à celles des journalistes du Monde – me permettant de mener à bien cette recherche. Depuis un an et demi que le projet a germé dans mon esprit, j’ai été confronté à de nombreuses difficultés (déboires administratifs d’inscription en doctorat masquant tant bien que mal des querelles de chapelles, absence de financements universitaires, refus d’un contrat de Recherche demandé auprès d’une Collectivité Territoriale pourtant intéressée par le projet,…). Je m’adresse donc désormais au « Grand Capital », si possible de gauche.

Ce projet consistera en une étude comparative de plusieurs Communautés Urbaines françaises – ainsi que l’éclairage d’une ville européenne – et interrogera la manière dont une politique culturelle développée à ce niveau d’administration peut participer au renouvèlement de la conception des politiques culturelles. Cette recherche s’ancre nécessairement dans le développement exponentiel des politiques culturelles tant locales que nationales que l’on doit au Parti Socialiste (à partir des élections municipales de 1977 puis confirmé avec l’arrivée à la Présidence de François Mitterrand symbolisé par l’objectif – qui sera atteint – du 1% du budget consacré à la Culture). Par ailleurs, elle s’inscrit également en faux avec l’idéologie libérale qui veut qu’une politique ne peut être menée qu’à un seul et unique niveau d’administration sous peine d’être considérée comme redondante et inutile. Voilà quelques postures idéologiques générales sous-tendues par ce projet. Je ne peux pour le reste pas me permettre d’autres considérations politiques, la posture du chercheur m’astreint à la neutralité axiologique et m’interdit dans le cadre d’une thèse d’en faire état. Néanmoins, comme on ne peut totalement faire abstraction de ses penchants politiques, je ne peux totalement me défaire de ces postulats, que je ne doute d’ailleurs pas que vous puissiez partager. Quoiqu’il en soit aucune virulence dans mes propos universitaires ne sera à déplorer, cela n’étant pas une pratique commune de la profession.

Je ne pourrais néanmoins ensuite vous garantir aucune forme de contrôle sur le cours de la recherche, ma seule tutelle étant universitaire et exercée par mon directeur de thèse. Je ne refuserais malgré tout aucune suggestion, piste de réflexion, que seuls mon directeur de thèse et moi-même serions ensuite en mesure de juger compte-tenu de leur pertinence relativement au sujet traité. Bien entendu si le projet était mené à son terme, vous seriez très aimablement convié à la soutenance de la-dite thèse où nous aurions alors tout loisir de discuter des conclusions tirées par cette recherche et des éventuels griefs que vous pourriez formuler. Si le projet ne venait à aboutir, le financement que vous y auriez apporté, vous serait reversé, cette aide étant liée à la concrétisation de ce projet.

Connaissant votre très grand intérêt pour l’art et la culture, je ne doute pas que cette proposition saura retenir votre attention. Je me tiens de ce fait à votre disposition afin de vous fournir des éléments plus détaillés quant au projet de recherche.

Je vous prie, d’agréer Monsieur Bergé, l’expression de mes salutations distinguées.

Pierre Miglioretti