Archive pour avril 2008

Des mots qu’on oublie

Des mots qu’on oublie

 
 L’escalier
dépliait délicatement ses marches, les unes après les autres à la fois dans un
grand soucis de praticité et d’esthétisme. Chacune avait été sculptée dans les
nuages les plus soyeux. Les coussins orientaux les plus moelleux avaient plutôt
du soucis à se faire. C’est bien simple, on aurait posé cet escalier dans une
de nos banlieue agitée et le calme serait venu. Il aurait pu apaiser n’importe
quel courroux et n’importe quelle fatigue, offrant au postérieur le plus usé un
repos, mérité ou non, des plus agréable.

 

Seulement
voilà, cet escalier ne trônait pas à Gennevilliers, ou Villiers-Le-Bel mais bel
et bien en plein cœur des cieux généreux. Seulement voilà, ces marches ne
servaient que rarement à propulser des êtres humains vers des hauteurs
inconnues. Il ne s’agirait pourtant pas de dire que cet escalier était
désincarné et ne pouvait faire parler de lui que par son inutilité. Il était
tout ce qu’il y a de plus vivant. Il était tout ce qu’il y a de plus vivifiant
même.  On pouvait sentir, à qui était
donné la chance de se promener dans les parages, une force indicible et
pourtant bien commune et connue. Il était d’ailleurs bien difficile de mettre
des mots sur ce qui pouvait l’habiter. Et pour cause, il s’agissait bien de mots
qui l’habitaient. Cet escalier n’était rien d’autre que l’escalier des mots
usagés, des mots dont les gens s’étaient délestés. Après en avoir fait un
usage, parfois bon, parfois méchant, tantôt utile tantôt superflu, tour à tour
indécent et précieux, ces mots s’évaporaient dans les nuages pour soit retomber
immédiatement dans l’oreille d’un autre – qui faisait alors le choix de le
conserver en son sein ou de le relâcher par le conduit auditif par lequel il
n’était pas venu – soit poursuivait sa terrible ascension, tombant alors dans
l’oubli des gens – tout du moins à l’instant où il avait été prononcé, puisque
rien ne l’empêchait de retomber quelques instants plus tard. Après une longue
ascension qui pouvait donc, à tout moment, se solder par une chute vers une
oreille attentive, ces mots de l’oubli se présentaient au portique de ce qu’on
pourrait appeler le purgatoire des mots. Pourtant il n’y avait ici ni jugement
dernier, ni pesée de l’âme, encore moins de péché ou de bonnes actions. Non les
mots arrivaient délestés de l’usage que leur ancien propriétaire en avait fait.
Le mot retrouvait toute sa neutralité. Cela aurait tout de même était indécent
de rendre responsable les mots de l’usage qu’on avait pu en faire, des
intentions qu’on avait pu lui faire porter. Ça aurait été comme juger un chien
domestique comme responsable de ses actes. Il s’agissait également d’un certain
tact : tous ces mots qui atteignaient les cieux s’étaient alourdis pendant
tout le trajet de remords et de regrets, ceux de n’avoir pu capter suffisamment
l’attention de l’interlocuteur vers lequel ils se destinaient. Ils regrettaient
d’avoir manqué leur cible, de n’avoir exploité soit tout leur potentiel de
persuasion soit toute leur capacité de compassion ou de bonté, leur propension comique
aussi parfois. j’en ai vu aussi certains qui regrettaient d’avoir été
instrumentalisés, transformant leur sens originel pour une visée politique plus
ou moins noble, même si bien souvent cette noblesse n’était pas bien grande. bref,
ils n’avaient beau naître que de la bouche de quelqu’un, ils n’avaient beau
n’être que passif instrument d’une volonté extérieur, ils ne pouvaient
s’empêcher d’ajouter à leur signifié propre celui du regret et du remords. Il
aurait alors était bien malvenu de réprimander ou bien d’émettre un simple
jugement sur ces mots ne quelques sortes 
innocents.

 

Malgré tout,
on ne pouvait laisser tous ces mots désorganisés, loin des règles terriennes de
la syntaxe ou de la grammaire. On ne pouvait pas plus les laisser désœuvrés. Il
ne s’agit de dire que le mot n’existe que par sa fonction sociale mais la peur
de le voir tomber dans l’inutilité et l’oubli généralisé était une
préoccupation essentielle dans ce monde des ombres qui, elles, avaient bien été
oubliées. Alors elles avaient décidé de les chouchouter. Parce qu’elles ne
pouvaient redescendre, mais qu’eux le pouvait, elles avaient décidé de ce
dévouement pour le moins exceptionnel. Dans ces ombres, on comptait
essentiellement de ce qu’on appelait six pieds plus bas, les immortels. Oui,
les académiciens en général déchantaient bien vite quand ils arrivaient au
pays des ombres. On leur avait promis une mémoire dans tous les cœurs, une
présence terrestre éternelle, la possibilité de hanter tous les esprits et tous
les écrits pendant des siècles et des siècles, d’inspirer plus d’un écrivain,
de meubler les discours politiques les plus divers qu’on démocratise, qu’on
totalitarise, qu’on libéralise ou qu’on autoritarise ils devaient être une
constante de notre société… depuis Richelieu, pas un n’avait ainsi atteint le
monde des ombres avec la moindre appréhension. C’était bien simple,
lorsque Saint-Pierre voyait arriver tous les nouveaux candidats qu’il faisait
asseoir dans la salle d’attente avant de pouvoir s’enquérir de leur sort, il croyait
que tous ces candidats n’étaient que des chrétiens croyant à la vie après la
mort. Quand il leur annonçait que ce n’était pas tout à fait ce à quoi on
pouvait s’attendre, tous tombaient affligés, les mains implorant le Seigneur –
signe que leur affliction était particulièrement grande… tous sauf certains qui
ne semblaient pas être accablés outre mesure par cette nouvelle qui normalement
faisait frémir plus d’un croyant – même Sainte Thérèse de Lisieux avait un
temps vu ses convictions s’ébranler suite à cette annonce pour le moins
désanchantante. Saint-Pierre avait alors cru à de faux croyants, de ces
conformistes qui croient pour être en accord avec les valeurs de leur temps et
qui n’avaient pas eu le temps de faire tomber leur conformisme en montant aux
Cieux. Il crut également un temps que son effet d’annonce manquait de mise en
scène et qu’il lui fallait changer d’intonation, de posture pour réellement
impressionner. Bref, élever sa prestation scénique au niveau de la mission de
désillusion dont il était chargé, se mettre en cène en quelque sorte. Mais un
jour qu’il était mal luné et qu’un de ces étranges ne réagissait qu’avec un
sourire béat à son annonce – qu’il avait pourtant décidé de faire ce jour avec
la nouvelle sono (avec l’effet d’écho inclus) pour impressionner – il demanda
ce qui se passait, savoir si c’était lui qui commençait à vieillir, si sur
Terre on avait cessé de croire, si on croyait éventuellement en autre chose –
même si il ne croyait pas vraiment à pareille hypothèse ( il avait bien eu vent
du développement de l’athéisme mais assimilait cela à une mode) – si il y avait
eu des fuites… Alphonse de Lamartine lui répondit alors «  non, non 
ne vous inquiétez pas, vraiment ce n’est rien, rien n’a changé, tout le
monde y croit encore, ça marche bien même je dirais. Tout le monde marche dans
le truc, je crois que ça a bien pris, normalement vous être tranquille pour un
bout de temps.. Mais c’est juste que pour certains, c’est un peu différent. On
est immortel
 ». «  comment
ça immortel ?
 » rétorqua Saint-Pierre un peu interloqué par ce
concurrent qui semblait lui donner le coup de grâce, alors que justement ce
matin même, il se demandait si il méritait vraiment bien cette éternité, lui
qui n’était finalement pas si indispensable que cela aux cieux.  «  on
vous a pas mis au courant ? bon c’est pas bien grave, vous inquiétez pas.
Rien ne change vraiment. C’est seulement que pour nous – mais rassurez vous on
est pas beaucoup et on est seulement français – ce n’est pas si grave que la
vie après la mort ce ne soit pas vraiment ce qu’on nous en disait, parce que si
le corps meurt, les écrits restent. Oui, il semblerait que nous soyons destinés
à rester dans le cœur des gens, dans leurs mémoires pour toujours.
 » Saint-Pierre
semblait rassuré et même esquissait un léger sourire sous-entendant qu’il ne
croyait pas vraiment à cette histoire d’immortalité. Ce sourire, qu’il se
surprit donc à agiter au nez et à la barbe de Lamartine, le rendit même
paisible. Il laissa même passer Lamartine sans l’interroger plus loin ne
voulant pas passer pour un rabat-joie auprès de Lamartine qui ne pouvait,
alors, pas comprendre la futilité de ses propos. « quelle naïveté… » pensa Saint-Pierre avec des points de
suspension dans la pensée qui en disaient long sur cette pensée filée qui se
terminait sur une pelote de fils où on lisait que finalement il avait
décidément sa place ici pour l’éternité et qu’aucun véritablement ne pouvait
lui succéder, pas même un de ces intellectuels – et surtout pas BHL, qui même
si à ce moment n’était pas mort – ni même né d’ailleurs – était déjà bien connu
de tous les instigateurs de la création…

 

Et
effectivement, il était bien vain de croire en cette nouvelle survivance
au-delà de la tombe. Bien souvent ces dits-immortels tombaient dans l’oubli
presqu’aussi rapidement que les autres. Même pire le 41ème fauteuil
les dépassait bien souvent en renommé, ce qui en agaçait plus d’un. Mais la
plupart se rappelait finalement à leur véritable fonction, celle de gardien de
la langue française. L’immortalité n’était donc pas tout à fait la leur mais
celle de leur langue dont il s’étaient servi pendant leur carrière terrestre et
qu’ils devaient à présent servir. Ils s’avéraient ainsi des employés zélés des
mots perdus, des mots oubliés, des mots exclus. Ils leur faisaient donc un
accueil des plus réconfortant au pied de cet escalier.

 

Chacun ici
avait même sa fonction. Etrange pour ces grandes figures des mots, bien souvent
touche à touche de l’art et du savoir que de se retrouver cantonné à une seule fonction.
L’un deux était notamment chargé du bas de l’escalier. Il ne s’agissait pas de
le nettoyer jusqu’à sa partie médiane mais bien simplement d’assurer l’accueil
des mots à ce point crucial qu’est la première marche à franchir. Car on
n’aurait pu construire un de ces banal escalier de bois ou de pierre avec une
simple possibilité de monter ou de descendre, un seul sens de croissance et de
décroissance. Les immortels qui avaient, d’ailleurs si souvent vanté dans leurs
connaissances architecturales l’escalier à double révolution de Chambord où
deux personnes ne pouvaient se croiser, s’extasiaient devant le génie d’un tel
ouvrage. Il n’aurait pas été question dans telle circonstance difficile pour
ces mots et toute la grandeur qu’ils véhiculent de croiser les lettres d’un
autre. Il fallait ainsi que chaque mot puisse ne pas croiser un seul congénère.
Il était aussi question d’éviter toute friction lexicale, dans l’état de
délabrement moral qu’était chacun de ces mots. Il eut suffit d’une marche
d’escalier lexicalement mal assortie pour que la tension monte alors que les
mots étaient justement en train de descendre. La susceptibilité des mots
maltraités n’étaient pas là pour arranger les choses. Qui plus est, ils étaient
fort nombreux ces mots oubliés, ces mots-dits sans sentiment, sans émotion ni
passion qui n’avaient donc plus de raison d’être. L’escalier se démultipliait
ainsi presque à l’infini, je dis bien « presque » pour ne pas faire
enrager Saint-Pierre qui rappellerait que seul lui, Dieu et la cohorte d’anges
à sa suite sont infini ou éternel, c’est selon. Les mots, même si on tentait de
les bichonner, de les rassurer ne durent pas toujours. Certains tombent
définitivement dans l’oubli, cette grande cave que les immortels tentaient tant
bien que mal de camoufler pour ne pas inquiéter les nouveaux arrivants. Mais
indéniablement, quelques jours par ans, des mots que l’on avait vu sonner
plusieurs fois au portillon étaient poussé vers l’oubli, discrètement, pour ne
pas apeurer les autres. Il s’agissait de tous ces mots que tous ne semblaient
plus entendre, semblaient refuser. Monter et descendre cet escalier n’était
plus de leur âge. Il n’était plus possible pour eux de faire peau neuve et
repartir à l’assaut des oreilles des humains.   

 

Mais le souci
principal et qui occupait la plupart des Immortels était de rassurer les mots,
de les calmer. Pour éviter donc toute interaction envenimée d’une langue par
trop piquante ou virulente, l’arbre se démultipliait à l’infini, enfin presque
parce que Saint-Pierre… vous connaissez la suite. Il s’agissait en fin de
compte pour ces mots en fin de vie d’un escalier arboricole, comme de ces
arbres-ressource qui donne de l’ombre et donne de la vitalité à tout à chacun.
Il se divisait ainsi en de multiples branches qui poussent, d’autres qui
tombent, certaines régénèrent, d’autres dégénèrent, certaines bourgeonnent,
d’autres pourrissent, certaines enfantent de nouveaux mots, créent de nouveaux
rameaux, un escalier vivant en définitif, qui puise sa propre vitalité dans les
mots qui le nourrissent et à leur tour se nourrissent de cet édifice, une sorte
d’écosystème lexical qui s’auto-alimente, qui s’auto-suffit grâce à de nouveaux
intrants extérieurs qui viennent fournir les ressources suffisantes à l’arbre à
chaque instant pour que rien n’y manque. Un véritable cycle
« naturel » s’était établi, cycle où rien n’était jamais perdu, des
mots pourris donnant les racines de jeunes pouces, des mots gâtés servaient
pour les anciens pour leur gaieté, des mots putrides étaient extraits des
substances pour des mots anti-ride, des mots décomposés on en faisait des
passés composés, des mots putrescents on créait des mots plus récents. Tous les
mots avaient ainsi leur mot à dire, ou plutôt leur mot à faire, même si il
était souvent affaire de plusieurs mots, car ils n’avaient aucun mal des mots,
ni même des lettres, et sans piper mot se laissaient aller pour en former de
nouveau sans hésiter à donner de leur personne et même s’étaient donner le mot,
selon l’expression consacrée, pour toujours rester intègre et jamais se payer
le mot.   

 

Comme tout
être vivant mais non à l’instar des arbres, cet escalier évoluait avec le temps
mais d’une manière bien irrégulière : il ne connaissait pas les saisons.
L’oubli des mots étant tout ce qu’il y a de plus irrégulier et d’inconstant, il
aurait paru étonnant que l’ecalier suive une de ces évolutions cycliques
marquées par une chute des mots à certaines périodes de l’année alors que
d’autres auraient vu la floraison de nouveaux mots. L’arbre était en quelque
sorte une semence à ce point optimisée qu’elle produisait des fruits très
régulièrement et bien souvent quotidiennement. La récolte était donc très
pratique pour les besoins du quotidien qui pouvaient donc facilement être
assouvis. Mais point de grandes et majestueuses récoltes, pas d’années
miraculeuses à ne plus savoir que faire de ces mots, qui, trop mûrs seraient
d’emblée relancés dans l’arbre étant dès lors oubliés car en avance sur leur
temps. Quoiqu’on puisse, dans les registres céleste, détecter quelques unes de
ces années à la fois très propice en fruits et très prolifique en pertes, les
deux par l’étrange symbiose de reconstitution des mots s’entretenant
mutuellement. Saint Pierre aimait de temps à autre à passer au près de
l’escalier et narrer à un de ces immortels une de ces fastueuses périodes où
l’escalier semblait être devenu un de ces animaux faisant régulièrement sa mue
pour mieux s’adapter à son environnement, à ses besoins, à son corps. Les
immortels ne pouvaient qu’être émerveillés par ces récits, dont ils mesuraient  la grandeur en les restituant dans leurs
connaissances terrestres. Saint-Pierre semblait notamment être un grand
nostalgique de la renaissance, quand Copernic et ses acolytes scientifiques
révolutionnaient les connaissances et inventaient de la sorte de nouveaux mots
tous les jours, en reléguant d’autres dans l’oubli quasi-complet – non total
puisqu’ils se recomposaient justement sous d’autres formes – et se traduisait
ici par un renouvellement constant de l’escalier. Alors que Copernic – et bien
d’autres – étaient officiellement blâmés par les officiels, par Saint-Pierre
lui-même devant les nouveaux arrivants, dans les conseils d’administration, il
aimait à venir secrètement admirer, comment tout leur travail mûrissait lexicalement.
Il prenait soin lui aussi de cet arbre de temps à autre, posant ici un tuteur
pour une jeune pousse, taillant là des rameaux séchés par le temps,
administrant aussi quelques « recettes miracles » – mais des miracles
bel et bien reconnu par le Saint Père – pour soigner les parties en danger. Il
semblait bien souvent énervé par ces scientifiques qui avaient, selon ses
propres mots  « remis à plat un
système universel qui avait un potentiel de séduction exceptionnel 
»
mais reconnaissait qu’il était peut-être aussi temps qu’ils sortent de ce
système, « si ils préfèrent comme
ça… c’est leur choix…
 ».  mais
il n’y avait pas que ces révolutions scientifiques qui pouvaient constituer des
changements rapides et tout autant durable : il y avait ces pollens aussi,
ceux issus de d’autres arbres, de d’autres vergers même parfois qui venaient se
poser ici et polleniser. En général les immortels se méfiaient de ces pollens
et tentaient d’empêcher qu’ils ne colonisent leur escalier, qu’ils ne
recouvrent ses marches, devenant un tapis gris d’un lichen dont on ne peut plus
se débarrasser, qui colonise le reste de l’escalier, l’asphyxiant finalement
pour qu’il finisse par pourrir. Mais cette conséquence apocalyptique semblait
bien plutôt une sorte de mythe idéologique et les risques concrets étaient
surtout que ces pollens n’ensevelissent les mots qui pouvaient, dans leur
susceptibilité, y être allergiques. 

 

La seule
constance, la seule absence de métamorphose ou de transformation était sans
doute l’anonymat des mots. Malgré tout, on aurait pu nuancer pareille position
orthodoxe : les mots arrivaient bien anonymes, des mots utilisés sans
aucune signification, indifféremment de leur destinataire, indifféremment de
leur contexte souvent, bref utilisés indifféremment les uns les autres. Chaque
mot qui franchissait le seuil de l’escalier était un de ceux qui n’avait pu
trouver la réception de l’autre, un de ceux qui s’était fait refoulé par
l’inattention quotidienne, par le mépris ambiant, par l’indifférence
généralisée, bref des mots perdus dans cette société complexe, dans cette
société de l’anonymat, cette société de l’instant, de la rapidité, de la
fugacité. Alors tout le monde vit au présent, tout le monde vit à toute
vitesse, il faut bien que certains mots en fassent les frais, que certains
passent à travers les mailles de ce filet du présent perpétuel. Pour certains
il s’avérait donc bien difficile de s’inscrire dans cette nouvelle temporalité
et surtout dans ces nouvelles pratiques des mots que l’on use, que l’on utilise
et que l’on jette, des mots jetables, à usage unique, des mots que l’on veut
pratique, prenant peu de place, ne dérangeant pas, faciles à porter hiver comme
été, des mots passe partout, des mots que l’on dit sans penser ou ressentir,
donc des mots bien anonymes qui ne véhiculent plus ni sens ni personnalité, ni
émotion ou transgression. Ils en ressortaient également anonymes, c’est
également vrai, mais un anonymat fondateur de toute langue, un anonymat qui
fait qu’un mot peut être utilisé par tout à chacun, que tout le monde peut
s’accorder sur le sens de celui-ci, bref, qu’une langue ne peut exister que si
le mot n’est que faiblement personnel ou subjectif, qu’il dispose d’une
certaine objectivité. Comme à la descente de l’escalier, tout mot avait été réhabilité,
qu’il pouvait descendre les marches fièrement et dignement, on espérait de lui,
dans sa réintégration sociale, une capacité à être utilisé par tous.
L’anonymat, la possibilité d’être utilisé par tous devenait le clé de cette
réinsertion et son absence bien souvent la cause d’une rechute, ou plus
précisément d’une remontée au seuil de cet escalier.

 

Heureusement
qu’au bas de cet escalier, personne n’a encore pensé à mettre des boîtiers
ultrason pour éviter tout attroupement…

 

 

mercredi
23 avril 2008

Hyvää Yötä

Cinq nuits

 

Cinq nuits,
cinq lits, cinq plafonds étoilés des rêves différents. Que c’est bon finalement
de passer d’un lieu à l’autre, d’un lit à l’autre. Non de passer d’une compagne
à l’autre mais simplement de se retrouver tour à tour chez sa copine, chez soi,
chez un oncle, chez des amis, chez ses parents ou ailleurs… pouvoir tirer la
couverture non à soi mais jusqu’aux oreilles pour justement bien dormir sur
elles… passer en si peu de temps en autant de lieux différents, dans autant de
plumards, toujours pour des raisons différentes, à savourer tout ce que la nuit
peut offrir de variété et de plaisirs divers. Cinq nuit pour se rappeler que la
nuit est diverse, qu’elle est plaisir charnel, qu’elle est songe sous une nuit
étoilée, qu’elle est passée au coin du feu (ou au moins avec les amis qui
doivent justement accompagner ce feu), qu’elle est longue soirée familiale à
faire le tour des histoires de famille, à roder autour des non-dits et autres
secrets, à éclairer la lanterne de l’un et de l’autre, à rallumer la sienne sur
un événement en son temps resté bien mystérieux qu’on avait justement enseveli
dans les profondeurs de la nuit noire.

 

La nuit peut
tout aussi être blanche comme une de ces nuits nordiques mais pas du nord de
l’hiver mais celui de l’été que la lune semble avoir déserté, elle peut être
rouge de la passion qu’elle nous insuffle et que l’on partage, elle peut donc
aussi bien être noire à justement le broyer, retourner de sombres pensées
destinées à nous hanter jusqu’au lever de rideau du lendemain pour se clôturer
en quelque sorte en nuit blanche, elle peut être émeraude comme cette souris
verte qui courrait dans l’herbe de nos rêves, les pieds nus à la suivre, pas à
pas, bien loin du trépas, à tout filmer sans trépied, à filmer comme les choses
viennent, comme un film automatique, instinctif à pousser un à un les brins
d’herbe qui petit à petit dévoile une prairie des possibles aussi large qu’on
ne peut l’imaginer, que l’on est pas gêner parce que ce serait bien dommage
d’être malaisé alors que rien ne nous empêche, alors que rien ne pêche tout
simplement, alors que tout mord à l’hameçon. Oui la nuit est aussi de la
partie, de la partie de pêche, d’une de ces parties comme celle de ce vieil
homme et sa mer qui ne connaît plus de limite et accomplit ce qu’il n’aurait
cru possible, accompli ce qu’il n’aurait du rendre possible, accompli ce qui va
finir dans l’impossible, quand on se dit que
« c’est pas possible
 », quand on se dit qu’on aurait mieux fait
de ne pas se lever aujourd’hui, que de tout ce qu’on avait rêvé la nuit (à
moins que ce ne fut la veille ou l’avant-veille ou que ce fut jamais mais qu’on
l’a tellement cru qu’on l’a finalement bien rêvé) ne pouvait et ne devait
s’accomplir, que tout cela n’était bon que pour rester sous les draps pour ne
pas finir dans de beaux draps…

 

De ces nuits
qui se terminent aussi dans le jour dans ce qu’il a de plus nocturne et
lugubre, de ces nuits qui se cauchemardisent le jour, de ces nuits qui diurnes
deviennent mister Hyde, de ces nuits qui durent même le jour à n’en plus finir,
à n’en plus honnir que soi, de ces nuits qui nous déconseille, de ces nuits
qu’on voudrait de l’oubli, qu’on voudrait repoussées vers les abysses des
profondeurs sans fond de la noirceur nocturne. Mais sur celles-là, il ne faudrait
s’éterniser sous peine de rentrer dans leurs cycles d’infinies répétitions et
de toute négation des alternances entre jour et nuit. Pourtant la nuit est bien
quelque chose d’éternel : elle est l’éternel instant, elle est le
perpétuel recommencement de la fraîcheur, elle est toujours un nouveau cycle
naissant, la nuit est cycle de recyclage sans cesse interrompu et recommencé,
recyclage de tous les temps – présent, passé et futur – recyclage de toutes les
impressions – couleur ou noir et blanc – recyclage de tous les supports – de
ces instants qu’on dirait « carton », de ceux que l’on veut mettre
sous verre, de ceux que l’on aurait voulu jeter comme un vulgaire bout de
plastique, de ceux fins et fragiles comme une simple feuille de papier ou épais
et robustes, conservant toutes les traces d’où qu’elles viennent et pour
longtemps comme une plaque métallique qui gardera toujours les cicatrices du
temps – recyclage de produits chimiques – comme cette douce alchimie des
sentiments en fusion – recyclage de produits radioactifs – comme un refrain de
chanson qui transforme un corps, le désintègre et le réintègre autrement. La
nuit ne laisse pas indifférente. Derrière son apparente naïveté, derrière son
visage biscornu mais plaisant (bien souvent aussi risible), que l’on croit tout
aussi bien en général anecdotique, elle transforme, elle marque, elle insuffle
aussi parfois, elle chuchote à l’oreille souvent, elle commente de temps à
autre, elle corrige à ses heures perdues, elle se tait en général mais nous sourit,
nous sourit comme un signe, si l’on veut y croire, comme un signe si on veut
trouver une raison, nous sourit pour nous réjouir évidemment, nous sourit pour
nous moquer, nous sourit pour nous réfléchir, nous sourit pour nous inspirer.

 

 

Mercredi
09 avril 2008
    

triste posture

Triste posture.

 

De tout construire en échafaudage

Avec pour certitude l’échafaud en adage

Sans s’échauder face à tous les mirages

On oublie les présages pour un meilleur âge.

 

De faire face à un enchevêtrement de changement

Ce n’est qu’avec mes sous-vêtements que je mens

Quand on se rappelle qu’on est tous du même gémissement

Pour tous suivre une même mission de vieillissement.

 

Quand on place l’élagage en égérie

Pour s’arrêter à la cime d’orage d’hémorragie

Des errements d’une vie qu’on régit

D’Ulysse qu’on lisse loin de l’élégie.

 

On en a développé un mythe du bonheur

Sur lit de velouté de bonne humeur

Assaisonné à des sonnets d’un semeur

Déglacé à la liqueur d’effluves de malheur.

 

Pour combler tous ces faux pleins

D’une route à faux-plat dont on se plaint

Les pieds dans le plat du destin

On pédale dans les dédales de la vie en dédain.

 

De la gomina pour mieux s’animer,

Se mimer sans anémie pour s’arrimer,

Se dérider loin de la Terre-Adélie décimée

Alors qu’on finit tous dans du velours à s’inhumer.

 

Triste terrestre désastre

D’errances pleines d’erreur sous les astres

D’ornements fugace que l’on encastre

Pour tout un plan de vie sous forme de cadastre.

 

jeudi 3 avril 2008 

mariage blanc

Mariage blanc.

C’est du pareil au même

Et même dépareillés ils s’aiment

De ses pas que l’on a souvent raillé

Depuis ces marches de l’église où l’on t’a marié.

 

On s’est longtemps rappelé que le blanc

Que même celui de ta robe laissait manquant

N’est pas celui dont on se pare

Quand de ses racines on se sépare.

 

C’est bien plutôt celui de la rumeur

Qui a tôt fait de s’insinuer dans les mœurs

Pour de toute sa noirceur jeter l’opprobre

Sur ce voile du bonheur le plus sobre

 

On en a vu quelques uns

Jamais seuls pour former quelqu’essaims

Pour ne rien dire et gommer les mots

Pour une conversation réduite aux « on-dit » des hameaux.

 

Sur ce qui existait évidemment

Ils ont instillé du blanc d’évidement

Pour combler leurs peurs viscérales

Ils se sont plongé dans cette mythification virale.

 

De ce qui ne serait qu’instrument

D’une passion et de sang qui ment

Parce qu’ils ne sont pas né du même côté

On a mis les sentiments sur le bas-côté.

 

Etant pourtant si frigide sur les origines,

Comme on en a jamais accepté tes fesses moulées d’un jean

Ils ont refusé de ton intégration

Celle qui se veut pourtant jusqu’aux passions sans concession.

 

Mercredi 26 mars 2008.