Archive pour août 2012

mieux vaut court que jamais #178

Dans son amabilité et sa bonhommie de commerçant bedonnant, le pharmacien fait une fâcheuse concurrence aux petits commerces du quartier. Déjà le primeur se voit être déserté, les clients, suivant les conseils avisés de l’apothicaire, se consolent des oranges peu juteuses dans d’éclatantes boîtes de vitamine C, tandis que l’on boude les épinards, non pour exprimer un quelconque dégoût, mais pour leur préférer quelques gélules ferreuses.

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Inlassablement, il braille, il vitupère sans relâche. Du moins, entre 20h et 21h. Le reste du temps, impossible de savoir s’il s’exprime tout autant sous cette forme de râle long et guttural que l’on peine à comprendre, n’errant nullement dans le quartier. Habitant du quartier par intermittence, le sans-domicile-fixe marque le temps comme l’espace.

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Du tapin, elle n’en connaît de proxénète. De proximité comme le commerce, l’habituée du trottoir tape la causette avec le quidam, arpentant comme une madone le macadam.

mieux vaut court que jamais #177

Poussé par le courant d’air, le voile de la fenêtre se gonflait à travers l’ouverture de la fenêtre, débordant, ici ou là, où cela était possible. De cet amas informe de draperie, se figurait-on l’être fantastique né de quelque glaise et ne faisant que grossir et grandir à n’en plus rentrer dans aucun lieu.

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Immanquablement, la caverne d’Ali-baba du garde-meuble s’étendait en tout point de l’appartement. Déjà voyait-on fleurir au balcon quelques étagères tout droit dressées et présentant leur ramage aux piétons de passage.

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De l’amoncellement de cheveux qui s’étaient massés à la sortie de la baignoire, pas un ne réussissait à s’extraire. De gestes vifs et répétés, l’homme tentait de créer les remous nécessaires à leur évacuation par le mouvement, se refusant à tout contact manuel avec ce qui avait été la couronne capillaire de son crâne, désormais réduite presque à néant.

mieux vaut court que jamais #176

Il n’avait pas fait trois pas dans l’appartement que déjà le téléphone retentissait. S’il avait certes fait le choix de ne pas se doter d’un téléphone portable pour n’être dérangé en tout lieu, il n’avait pensé que, passant le plus clair de son temps dans son appartement, le harcèlement téléphonique de sa belle-mère prendrait un tour encore plus oppressant.

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Passons sur les chaussettes, le lot de caleçons neufs et le pyjama. Mais cette fois l’ouverture du paquet cadeau d’anniversaire de la belle-mère se soldant par un élégant coffret de déodorant pour chaussure ne le laissa pas indifférent. Enfin avait-elle trouvé son talon d’Achille.

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Pour une fois s’était-elle décidée à mettre les petits plats dans les grands. A tomber sur mon regard doucement réprobateur que je tâchais pourtant de masquer derrière un usage intempestif de ma serviette de table, elle ne put que comprendre mon dégoût le plus profond pour le maniérisme que cela induisait, se conformant en tout point à l’archétype du repas de famille pesant et ampoulé pour lequel je n’avais pourtant cessé, les fois précédentes, d’afficher la plus profonde détestation.

mieux vaut court que jamais #175

Epatant les quelques nénettes qui font cercle autour de lui, le skater arbore le sourire de rigueur. J’aimerais seulement le voir accomplir pareille pirouette non avec sa planche de glisse miniature mais avec une brique à roulette.

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Parti glaner quelques fleurs champêtres dans la terre qui les aura vu naitre, j’errais longuement dans le champ dont aucune tige ne présentait d’aboutissement floral. Lassé et désemparé, je prenais le temps de l’observation, seul recours dont je devais me contenter afin d’escompter déceler le moindre pistil. Fut-il long cet intermède d’observation, je ne saurais le dire, mais il fit porter délicatement mon regard sur une tâche florale en plein cœur du champ. Courant à en perdre haleine, j’effrayai bien logiquement la demoiselle à la robe à fleur, se sauvant de cet ahuri qui la prenait pour un bouquet de pivoines.

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Il se doutait bien qu’il ne ferait très longtemps illusion. Bientôt découvriraient-ils tous la supercherie et alors sa honte et sa médiocrité éclateraient à la face du monde. Mais pour l’instant, sagement assis dans le tramway, vêtu en sportif estival, nul n’imaginait que sa housse de raquette ne contenait qu’une vulgaire poêle à frire.

mieux vaut court que jamais #174

Le bri de glace, en plein cœur de la fenêtre laissait saillir une lumière étoilée, suivant la forme prise par la cassure du verre. S’il est coutume de dire que lorsque nous observons les étoiles, nous regardons dans le passé, je ne saurais en l’occurrence dire à quand remonte cet acte de vandalisme, le vandalisme, n’étant, qui plus est, qu’une hypothèse.

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Comme il se vend encore de ces étoiles en plastique, babioles diffusant quelques pâles lumières qui vite dans la nuit s’étiolent mais qui marquèrent mes nuits d’adolescent et d’insomnies, je m’empressais d’en acheter pour les quatre ans de la petite, en guise de talisman de notre société de plastoc. Vainement, par cet acte d’exorcisme, j’espérais bien enrayer les antécédents familiaux et lui offrir la possibilité d’un sommeil de plomb. Depuis lors, elle passe ses nuits avec le rouleau vide d’essuie-tout à dévisager les astres un à un, s’extasiant sur son pouvoir à scruter, si bien que les étoiles s’éteignent.

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Naviguant dans les eaux du Sud, le ciel dégagé, sa main délicatement posée dans la mienne, je profite d’en avoir une seconde de libre pour lui indiquer deux points dans le ciel, deux étoiles.

– tu vois ces deux étoiles, c’est le burin… la constellation du burin, je veux dire, tentais-je d’ajouter afin de ne pas troubler son esprit.

Interloquée, elle me fixa béatement comme s’interrogeant sur sa présence à mes côtés.

mieux vaut court que jamais #173

Entre deux plages de sommeil, le réveil ne me satisfit guère. Nullement qu’il tombait à un moment inopportun de la réalité, mais plutôt qu’il était messéant au vu de mon déroulement onirique. En plein cœur d’une histoire de meurtre dont j’étais potentiellement l’auteur, je ne pus, dans mon réveil, me faire une idée sur ma culpabilité réelle. Ma compagne n’eut d’autres expédients que d’appeler un avocat pour me prouver mon innocence.

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Nullement inquiet par l’odeur d’iode qui insufflait mes narines dans mon cocon onirique, j’en oubliais que les rêves, comme l’argent, n’ont pas d’odeur, ne songeant à me réveiller à cette exhalaison qui émanait de la mer en belle saison dont je ne profitais ainsi guère.

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Poussant l’art de la procrastination à son paroxysme, j’ai décidé de repousser au lendemain les rêves que je pouvais tout à fait accomplir le surlendemain sans que mon équilibre interne n’en soit perturbé. Je n’ai seulement eu qu’à attendre une nuit supplémentaire pour effectuer mon émouvante croisière pleine de confidences avec Joseph Staline comme compagnon de tablée à bord du Costa Concordia, tandis que Michel Pollac assurait tous les matins le service du petit-déjeuner, distillant ici ou là quelques critiques assassines comme un vulgaire pilier de comptoir.

mieux vaut court que jamais #172

De sa carte de visite distribuée à tout-va dans toutes les boite-aux-lettres du quartier, voire au-delà, M. Diabi fait étalage d’un vaste éventail de compétences, offrant services de voyance, médium, envoûteur, astrologue, conseiller familial, médecin à la petite semaine. Il est certes important de diversifier son activité et d’offrir un vaste panel, mais il est regrettable qu’il ne se soit pas ouvert à des activités plus porteuses comme celles de l’assurance/prévoyance ou du courtage.

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Ne pouvant plus me contenter de ces ânonnements inaudibles et catastrophistes, je pris le temps de mettre les choses au clair avec cette voyante qui a le don de me pomper une quantité pharaonique de blé.

– je comprends votre inquiétude, mais j’ai la voyance mauvaise. J’ai été élevée à l’école de Cassandre et ai donc fait spécialité des mauvaises nouvelles.

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« Plus tard, je serais voyante » me déclare ingénument mais fermement ma petite dernière, du haut de ses quatre ans.

« Pour quelle raison penses-tu te tourner vers cette profession ? » le ai-je alors demandé sur le même ton de naïveté en y ôtant la pointe de vigueur qu’elle avait pu, elle, glisser dans sa déclaration, car il n’est guère recommandé de briser trop brutalement tout rêve d’enfant.

« Bah parce que je l’ai vu », m’affirme-t-elle presque narquoise et se retournant vers sa balle de ping-pong qui lui sert de boule de cristal, en attendant de pouvoir s’équiper plus convenablement afin d’exercer sa profession.

mieux vaut court que jamais #171

Outre les bienfaits de la lumière sur notre organisme dont la luminothérapie dans un souci philanthropo-mercantile s’est saisis, force est de reconnaître la bienfaisance de l’été sur la sociabilité de l’homme. Car, si l’hiver et sa grisaille, aisément rend l’homme irascible, l’été l’égaye et le rapproche de ses semblables. Sans l’été et ses fenêtres ouvertes aux quatre vents, je ne sentirais cette osmose avec le bonheur conjugal que me fait partager à pleine puissance mon voisinage le plus proche.

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Dans la chaleur au zénith

Grillant dans ma piaule d’ermite,

S’achève le vol d’une mite.

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Il est certes tentant dans la chaleur suffocante incitant à l’ouverture exclusivement vespérale des persiennes créant la concomitance avec l’usage de l’éclairage artificiel de faire de l’opulence des moustiques une opportunité d’étude entomologiste. Je m’y refuse pourtant catégoriquement. L’éthique de la recherche veut que l’on ne se saisisse pas du premier sujet qui nous tombe sous la main.

mieux vaut court que jamais #170

Si la vertu pédagogique à apporter au premier visionnage d’un film en trois dimensions sur les poissons de nos océans n’est pas à mettre en doute, les conséquences peuvent parfois en être fâcheuses. Ce n’est en tout cas qu’à l’usage de cette nouvelle technologie que j’attribue le passe-temps nouveau de mon enfant à se saisir de notre poisson rouge d’appartement pour le lancer dans les airs et, cette fois, le saisir dans cette main, les lunettes trois-dimensions encore juchées sur le nez.

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La maniaquerie du cinéphile peut l’emporter bien loin. S’il est des symptômes bénins comme les quelques minutes d’attente à la fin du film afin de voir défiler l’intégralité du générique, des manifestations plus dérangeantes peuvent se rencontrer. Ma compagne, après s’être convertie tardivement au cinéma de Godard, se refuse désormais à tout contact sensuel sans la fameuse musique de George Delerue composée pour Le Mépris.

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Le temps réduit du film ne m’avait qu’à peine laissé le temps d’entrevoir pleinement l’étendue de sa beauté. Je n’avais surtout, dans mon rendez-vous cinéphilique, songé qu’une histoire d’hommes enfermés sous terre afin de faire face à l’apocalypse nucléaire, outre le rebutant du sujet, avait une influence non négligeable en termes de colorimétrie du film, avec le risque lié de ne pouvoir profiter d’une quelconque lumière en provenance de l’écran pour un tant soit peu la dévisager.

mieux vaut court que jamais #169

De mon corps brûlé par les rayons solaires, mon fils ne peut s’empêcher de collecter les copeaux de la peau que j’arrache comme on enlève du papier peint défraichi. Les explications de l’évolution épidermique du serpent du musée zoologique, visiblement, n’ont guère souligné qu’il ne s’agissait là que d’une spécificité des reptiles, que la mue n’était pas commune à toutes les espèces.

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Le serpent se muant le ventre au sol ne s’en meurt pas pour autant sur le dos. De sa mue, nul ne s’en émeut, il ne simule ses mouvements dont les marques sur le sol oscillent après son passage.

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Il est souvent considéré l’origine ovine ou porcine du préservatif. Mais cela serait oublier la véritable genèse de cet instrument contraceptif. Si l’on en revient justement à la Genèse, il n’est qu’une explication à envisager concernant la naissance du préservatif. Lors des nombreux écrits bibliques, la tentation et le désir entre Adam et Eve sont transmis par le désormais fameux serpent. Or s’il n’a jamais été trouvé trace exacte de ce susnommé serpent ni même été déterminé sa précise appartenance taxinomique, les mues qu’il laissa atteste bel et bien de cette provenance reptilienne du désir et déjà de la protection qui fut prise, dans ce paradis terrestre qui n’aurait, raisonnablement, pas pu accueillir le moindre marmot.