Archive pour janvier 2012

mieux vaut court que jamais #56

Au coin de la rue tapinait son sourire en coin, délicatement maquillé, comme une rue douteuse au premier abord mais qui bien vite s’avérerait prometteuse.

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L’ouverture de l’angle aigu du sourire est inversement proportionnelle au caractère obtus de la personne l’abordant.

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Il est des sourires indéfinissables que l’on vénère et conserve précieusement au creux de notre cœur ou au cœur d’un musée. Qu’est-ce à dire d’un sourire de Claude Guéant ? D’un décret, il s’aiguise sur les cœurs serrés et leurs sourires mis au cercueil.

mieux vaut court que jamais #55

La neige met le réel à distance. Comme un trou noir elle l’absorbe, mais sans la brutalité que l’on prête aux trous noirs. Doucement, elle ingère les éléments. Entre ses particules, elle les laisse couler tandis que les sons s’y lovent, puis s’y enfoncent. Seule la lumière et son satané albédo nous reflètent le réel en pleine face.

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La véritable origine de la théorie freudienne du complexe d’Œdipe est souvent méconnue. Cette hypothèse quant au fonctionnement d’une part du psychisme humain lui vint précisément à l’esprit un beau matin hivernal et viennois. Alors qu’il attendait des patients dont le retard devenait intolérable, Sigmund Freud se posta à sa fenêtre. En contrebas, deux petits garçons bâtissaient un solide et fier gaillard de neige. L’un d’eux, se saisissant de la carotte en position de proéminence nasale, la planta-t-il à l’endroit que la morale réprouve. Bientôt le camarade du premier, dans un geste inexpliqué, agrippa la carotte avant de la briser en deux.

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Nul ne sait ce qu’il adviendra du Yéti avec le réchauffement climatique. La crainte qu’il nous inspire sera-t-elle la même, quand sans le blanc manteau népalais, on le confondra avec un banal ours mal dégrossi ?

sur le vif #47 : le silence des neiges

         Je me penche sur le rebord de la fenêtre. Elle avance, délicatement, un pas après l’autre. La neige est fragile et à la voir, on la croirait directement émanation de blancs d’œufs. Seulement, le pied nu sur la surface gelée ralentit le rythme de la marche. La fumée qui jaillit de ses pieds chauds au contact de la neige rend, de mon point d’observation, l’allure plus aléatoire et hasardeuse. Nimbé dans le halo de vapeur, on ne saurait dire si le pied pose réellement terre. Le silence ambiant, la vitre qui sépare, la nuit que vient à peine perturber la fluette lumière du perron atténue le réel. Tout semble si proche comme si cela n’était qu’à portée de main, comme si elle n’était plus qu’à tendre pour la saisir et l’avoir à ses côtés. Mais cette silhouette, dans ce climat, pourtant s’éloigne. Déjà son sourire n’est plus. Quelques instants plus tôt, je le voyais encore. Il est sorti par la porte, est demeuré en place quelques moments encore. Seulement le temps en fait que je vois encore sa face. Puis sans même faire volte-face, simplement en poursuivant sa marche, en continuant le chemin qu’elle envisageait alors d’emprunter, je ne l’ai plus vu. Elle avait mis son dos entre nous, sa nuque et ses cheveux posés sur ses épaules desquels tombaient des gouttes de sueur du sauna suffoquant qu’elle venait de quitter.

         La neige, dans une période d’instinct grégaire, tombait au sol en gros paquets, remplissant recoins et anfractuosités du sol. Elena s’en allait lentement. Dénudée, elle se dirigeait vers le lac, où l’étroit trou d’eau que nous avions fait l’après-midi-même était déjà pris d’assaut par une glace assoiffée. La pellicule était plus que fine et elle n’eut besoin que de quelques coups de talon retenus pour briser la glace. Elle fit descendre son corps, verticalement, sans guère plisser un seul membre, comme un automate, sans un mouvement de recul comme le contact de l’eau froide s’exerçait traditionnellement sur son corps, cambrant ses jambes, raidissant ses bras et roidissant ses seins. Impossible de les voir, mais assurément, étaient-ils, comme en leur habituelle posture, petites poires au pédoncule courbé vers l’avant. Si l’eau glacée ne pouvait agir sur elle, qu’eussé-je fait pour qu’elle m’agrippe et ne me prenne en grippe ? Au moins avons-nous pour nous la neige qui adoucit les mœurs. Paraît-il cela adoucit aussi les meurtres, ou tout du moins les rendrait plus cotonneux et phoniquement atténués. Rien pour réverbérer des cris, des sanglots ou les moindres mots. Tout se pose sur la neige et s’y enfonce, lentement. Absorbé, infiltré par la neige, à moins que cela ne soit enseveli par la tournée de neige suivante. A l’intérieur, le silence m’assiège. Le silence des neiges me dresse face au temps, il s’adresse à mon sens du temps qu’il met à l’épreuve. Tout s’étale, tout se lisse, comme si les choses ici se liaient mieux, comme si immanquablement leurs molécules se fondaient ensemble pour se recomposer. Le tapis blanc du dehors ne se tasse que lentement, le maquis de mon esprit s’efface tranquillement.

Regardant par la fenêtre, nulle neige, nulle nymphe. A Bordeaux, le cœur débordant, le corps abordé ne se décèle pas de prime abord. La figure s’est figée dans le lointain. L’élan du mouvement qui l’enlace s’achève bien trop tôt dans ces êtres qui jamais ne se délestent. Si souvent, elles passent, filant et ne laissant subsister qu’un profil. Sur le pavé claque le son sourd de leurs talons, comme deux boules de pétanque aimant à se frapper l’une contre l’autre. S’échappant du champ de vision, le son s’insinue encore quelques instants dans nos sens, puis s’effritant, s’effusant en tout sens, s’échappe de nous. Seul l’instant nous happe.

fables modernes #27 : l’abbé et l’abeille

Jadis dans l’abbaye vénérait-on tant l’abeille,
De son miel sang du christ qui émerveille,
Ou de sa piqure telle le Christ-juge,
Que de son culte, on l’aurait faite démiurge.
Dans une de ces ecclésiastes forteresses,
S’était longtemps exercée une tendresse
Pour l’abeille et son doux produit doré
Venant des ruches juchées à l’orée.
Si le moyen-âge avait uni les communautés,
Entre clergé reclus et ruches en solidarité,
La modernité avait tendu les relations
Entre le moine et l’ouvrière de la pollinisation.
Pour ces êtres vivants dans la crainte de Dieu,
L’arrivée de l’abeille tueuse sous leurs cieux,
Symptomatique de manipulations diaboliques,
Faisait aussi courir le risque d’une mort dramatique.
Souvent l’une d’entre elles s’égarait,
Laissant les moines dans l’abbaye s’effarer.
Craignant, hommes vertueux, la sentence du dard,
Ils fuyaient alors dans leur cellule dare-dare. 
Il en arriva une plus courageuse et déterminée,
Sans doute la reine, d’une autre force animée.
Elle fila dans les couloirs et tomba sur l’abbé,
Qui, dans la lumière du coucher qui le nimbait,  
Bayait aux corneilles dans le réfectoire désert,
S’octroyant une pause au cœur de son rosaire.
Sans tergiverser une seule seconde,
Sachant l’endroit où la piqure est féconde,
L’abeille s’engouffra dans le gosier grand ouvert
Et n’eut-elle pas besoin d’aller au diable vauvert,
Pour que le pauvre homme du maléfique venin,
Soit convié au dernier et funeste festin du divin.

 

 

Il est une sombre et détestable époque
Celle où la mort sévit jusque sous le froc.
Mais en fût-il vraiment une où la dévotion
Mit à l’abri de l’aiguillon et sa fatale sanction ?    
Tous ceux qui à ce jour ont trouvé la mort,
N’ont pu l’arrêter et lui faire reconnaître ses torts. 

fables modernes #26 : le crapaud et le crépuscule

Langoureux crapaud au crépuscule
Dorait aux dernières raies ses pustules.
Coassant nonchalamment de plaisir,
Pour la lune il vibrait de désir.
L’ayant observée moult fois,
Avait-il trouvé en elle la foi,
Constatant sa surface bosselée
Comme l’était sa peau craquelée. 
Neil Armstrong dans une nuit d’ivresse
Aurait pu, de confusion, dans ses fesses,
Planter de joie le drapeau US,
Se croyant sur la nocturne déesse.
Avant de sombrer dans le sommeil,
De rejoindre dans les rêves vermeils,
La chienne Laïka mise en orbite,
Espérant, lui, rejoindre sa pépite,
Il fixait et observait l’astre longuement,
Espérant-là y trouver quelque enseignement.    
Pendant que chassent ses congénères,
Se garde-t-il de toute activité délétère,
Fut-ce-t-il agi de mouches ou tout autre volatile,
Conservant au fond du gosier sa langue protractile.
Immobile et les yeux exorbités,
Il avait pris des airs de gravité.
Le cœur à graviter autour d’une chimère,
Doucement rendait son âme amère.
Il fut un soir où de malchance,
De son dos s’ouvra une pestilence.
D’un coup de pate mal ajusté,
Son venin venait-il à déguster.
De son suc se troublant alors la vision,
Devant la mare tomba-t-il en pamoison.
La lune lui chantant macabre oraison,
D’amour dans la mare il sombra d’illusion.

 

 

Même depuis les plus hautes dunes,
Nul ne peut décrocher la lune.
Dans la multitude de la toile,
Nul ne décomptera les étoiles.
Seul l’artifice de nos propres mirages
Nous donnera pour notre vie la rage. 

mieux vaut court que jamais #54

Ce n’est que le jour où les pommes d’or du jardin des Hespérides se sont oxydées d’avoir trop mûries, que l’on put tranquillement et sans se casser de dents croquer dans une Golden en attendant la mort.

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Afin de rendre le discours d’Eva Joly plus audible de citoyens révulsés par ses idées révolutionnaires, une réédition des contes de Grimm est envisagée. S’attelant dans un premier temps à Blanche-neige, les thématiques écologiques se décèlent avec une troublante transparence : tandis que la référence aux catastrophes nucléaires est patentes à travers les personnages des nains, victimes de l’atome, atteint dans leur intégrité physique et psychique (rappelons cette enthousiasme au travail peu commun chez un individu normalement constitué)  tandis que l’attaque contre l’agriculture intensive n’est que trop évidente dans cet empoisonnement à la pomme, fruit parmi les plus riches en pesticides. Cible première du récit, le personnage de la marâtre s’épanouit dans cette fable en incarnation à peine déguisée de l’industrie pétrolière, dont l’impact sur le réchauffement climatique vise à faire disparaître l’hiver, la blanche-neige du conte.

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Mûrir les idées

L’idée est excellente

J’ai bien failli mourir

De la voir pourrir.

mieux vaut court que jamais #53

Le jaune nez de la dune rit dans la barbe des oyats. Le vent fait froncer ses sourcils de brindilles. La pastille du soleil sombrant dans le lointain fait rougir les pommettes des pleines pentes, pendant que les baïnes, baies sensibles se vident de leurs dernières eaux.

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Dépassant le monticule sableux, se dégage la vaste étendue déserte. L’océan s’etend sans fin, tandis que croyant braver l’éternel, des signes s’étallent dans le sable, des traces laissées à la hâtes, celles d’enfants qui ont mal vieillis, gravant dans le sable “casse toi pov’con”.

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La succession aléatoire sur l’entièreté de la zone de baignade entre sacs plastiques et méduses rendait la pratique du tri sélectif délicate et dermatologiquement peu conseillée.

mieux vaut court que jamais #52

Le poète, tête en l’air, les yeux au ciel ne réussit jamais à garder les pieds sur le plancher des vaches. A tel point qu’en lisant ses textes, le nez en l’air, incapable de fixer la feuille, il trébuche souvent sur les pieds de ses vers.

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Tapis dans le fouillis de son texte, fourmillant de formules fécondes en confusion, les mots défilent sous son regard hagard, incapable de l’arrêter un seul instant sur quelque chose qui fasse sens. Tapis au seuil de son texte, il s’est pris les pieds dans le tapis.

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Les mots me délassent, leur molesse me délie le cerveau, me servir de leurs eaux, goûter à leur fruit, m’a ravi au monde. Dans l’éclipse d’un son s’y glisse un nouveau sens, dans l’essence de leurs plis s’y fixe ma patience.

mieux vaut court que jamais #51

Le chef d’orchestre assis, a l’allure lourde et pataude. Les gestes manquent de l’envergure de la station debout. Les mouvements sont étriqués, repliés. Ils sont incapables de laisser s’envoler les notes. Bien au contraire, cela les retient. Pour peu qu’il lève les jambes et cela relève alors de la pantomime, du pantin gourd et désarticulé. Sa baguette à la main, le chef d’orchestre mourra avec, servant sans nul doute pour ausculter sa gorge, une fois ses derniers mots prononcés.

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Le ministère de la culture a publié avec fortes précautions les résultats de la dernière enquête des pratiques musicales amateurs des français. La recrudescence, dépassant l’entendement (200% de croissance en 5 ans) de la pratique des instruments à vent fait peser un soupçon quant au sens attribué à cette catégorie par les nouvelles générations. Il faudrait pourtant se montrer indulgent et reconnaître qu’il s’agissait bien là de la seule famille d’instruments pouvant accueillir en son sein l’Air Guitar.

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Sur l’écran, une reconstitution biblique imbibe ses yeux. Dans son casque, elle écoute les chœurs de l’armée, pendant que l’armée goûte l’écueil de la mer rouge.

sur le vif #46 : Damnation

Je le guettais depuis quelques heures déjà. Enfin, il avait pressé le pas et se retrouvait presque au seuil de la porte. Bien avant d’y arriver, il s’attarda pourtant au milieu de la chaussée détrempée. La pluie qui continuait de s’abattre sur lui, au point que ce qui n’étaient quelques instants plus tôt qu’auréoles discrètes sur son imperméable, étaient devenues vastes zones aussi humides et moites que la forêt congolaise. L’imperméable n’avait jamais aussi bien porté son nom. Etonnamment, lui, portait bien l’imperméable humidifié. Cela lui donnait une prestance qu’il n’avait coutume d’avoir par temps sec. Surtout, le connaissant, la sérénité qu’il conservait en pareille situation, détonnait avec son impétuosité habituelle et qu’il manifestait sans retenue à la moindre contrariété. Combien se seraient offusqués de ce temps de chien qui venait lui pisser dessus en plein mois d’août ? Impassible, pas même à froncer les épaules, il savourait la pluie, comme s’il en était lui-même responsable. Surtout, le halo de lumière provenant du bar et nageant dans les flots tombés au sol et que le mauvais état du tout à l’égout de cette rue délabrée ne parvenait à évacuer, venait donner une grâce sans commune mesure au macadam inondé. Les formes se dessinaient au sol, des profondeurs se créaient dans les chaos de la route, tandis que, ici ou là, des monticules de goudrons surnageaient au-dessus des eaux du déluge.

         Etait-ce l’humidité qui faisait des siennes en venant mettre hors-service le lettrage de néon de l’enseigne du bar ? Il faudrait en douter. Je ne me rappelle pas avoir vu une journée le texte intégral du Titanik Bar. Ce soir-là, les trois premières lettres semblaient scintiller de feux nouveaux. Les seins ressortaient pour ainsi dire. Quelques mètres plus bas, la coccinelle du patron n’avait pas bougé d’un poil. La pluie ne l’avait pas fait frémir, malgré la toile du toit devenue avec le temps aussi étanche que du coton. Il n’y avait, quoiqu’il en soit, pas grand chose à faire, ces épisodes pluvieux ne prennent pas de forfait à la journée. On en avait pour la semaine, pour sûr. Et ce n’était là que le début. Bientôt de toute façon, l’homme à l’imper, allait entrer. Le grabuge et tout ce qui s’en suit, de quoi oublier la météorologie capricieuse des Carpates. Pourtant, il n’avait l’air de rien, planté au milieu de la rue. Presque perdu, aurait-on pu penser. Un étranger se serait-on même dit. Etranger, certes l’était-il pour certains, ceux qui ont préféré l’oublier, ceux qui l’ont fait étranger. On n’est l’étranger de quelqu’un que s’il le veut bien.

         Le retour aux sources, le flot de la pluie tombant drue, les flaques se formant et se rejoignant sous ses yeux, cela le revigorait. Les gouttes qui coulaient sur son visage, celles qui déjà, sous l’imperméable avaient rejoint ses bras et son torse lui fournissaient les conditions idéales pour revenir. Sous le soleil, la chair se racornit et se froisse. Sous la pluie, elle frissonne et résonne. Le cœur palpitant, le corps encore patientant, la contradiction devenait intenable. La tête fixée sur le sol rendu mouvant et incertain par l’étendue d’eau, il se décida finalement à avancer en direction de l’entrée. Ce soir dans la perdition de la première, une seconde vie naitrait. Laissant échouer son corps dans ce bastringue, pour sa dernière tournée, dans les derniers effluves, qui seraient à coup sûr virulents, il laisserait déjà filer un souffle nouveau.

         Et pourtant trois ans que jour après jour, se trouve-t-il là, rongé par le même flot de pensées, rongé par le même flot d’alcool.

D’après l’affiche du film éponyme, de Béla Tarr.