Archive pour décembre 2012

mieux vaut court que jamais #247

Il patiente au feu, puis à la caisse du grand magasin avant que de marquer un temps d’arrêt devant le distributeur de billet. Plus tard, il attendra de longues heures durant devant sa fenêtre, observant les passants, piétons ou automobilistes, ne s’arrêtant cependant guère sur ceux, immobiles, qui demeurent constamment dans la rue. Sous la pluie battante, il ne sera que le seul instant, où, enfin, pressera-t-il le pas, son visage giflé par les rafales de pluie, ravivant chez lui quelques sentiments, quelques sensations.

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Hésiter devant deux produits dont la teneur en rejet de plomb est sensiblement identique et dont la contenance calorique s’égalise presque est bien l’indécision à laquelle nous confronte l’opulence de la société de consommation et devant laquelle si souvent nous pestons. Pourtant, il ne serait qu’à envisager le produit unique pour chaque catégorie d’article pour que certains ne revendiquent alors de nouveau leur liberté de choisir. J’ai pourtant bon espoir qu’un jour, un homme indécis, âne de Buridan esseulé dans un rayon de supermarché, ne trépasse d’une crise cardiaque de n’avoir su que choisir entre deux produits à la différence douteuse.

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Il mesurait la longueur de ses journées sur ce mur qui faisait face à sa seule fenêtre. Face au seul temps libre, celui-ci se transforme en totale vacuité, un horizon infini de possibilités dont il est bien difficile de saisir toute l’étendue, source à la fois de salvation pour l’esprit enfin débarrassé de toute contingence et de toute occupation précise et de totale déperdition tant cela semble bien infini. S’il égrenait son mur de traits, il n’était pas question de tenir un compte du temps, seulement de meubler l’espace-temps.

fables modernes #95 : la valise et la lettre à Elise

Demeurant longuement dans le wagon,
Le jeune homme quêtait le calme,
De patience n’étant guère Harpagon,
Il attendait que cesse le vacarme.
Car la descente du train est toujours,
Quelques soient les circonstances,
Des instants pour certains de bravoure,
Où prédomine la magnificence ;
De ceux qui déjà pressent le pas,
Alors que le train ne réduit l’allure,
De ceux qui déjà écrasent les pieds,
La porte à peine à pleine ouverture.
Ne s’engageant alors dans la descente,
Que le train de ses occupants vidé, 
Fit-il alors découverte stupéfiante
De quoi, après ce voyage, le dérider.
Extrayant son bagage de son rangement,
Il constate que ce dernier est accompagné,
Malgré, des autres passagers, son isolement,
Se résignant alors à fermement l’empoigner.
Découvrant de la valise la propriétaire,
De cette Elise qu’indiquait l’étiquette,
Ne voulut-il pas sa curiosité taire,
Initiant ainsi une curieuse quête.
En connaissant jusqu’à son adresse,
Aurait-il pu simplement s’y rendre,
Mais c’était-là, de l’esprit, triste paresse,
Et refuser de la vie ses doux méandres.
Ainsi donc s’équipant de ces deux bagages,
Hâte-t-il donc son retour en sa demeure,
Pour, de quelques lestes badinages,
Rédiger une lettre de bonne humeur.
De cette missive trouvera-t-il réponse,
Et invite à rencontrer sa mie oublieuse,
Attestant que de cette démarche absconse
Pouvait sortir une issue très heureuse.
 
 
Si l’on peut, d’une valise oubliée,
Faire rencontre prometteuse,
Qu’eusse-t-il été d’une liasse de billet,
En guise de découverte hasardeuse ?

mieux vaut court que jamais #246

Suivant les pratiques de sa caste, il avait longtemps arboré cette longue mèche – que d’aucuns diraient rebelle – balafre capillaire sur son front de plus en plus dégarni dont il s’évitait régulièrement la présence d’un revers nonchalant de la main, avant qu’elle ne revienne mécaniquement en place. Sautant les transitions, quand le sel l’emporta sur le poivre, il coupa dans le vif, se séparant à la fois de cette mèche à l’allure décrépite et des restants de cheveux sommitaux pour rejoindre sans plus attendre le stade du collier capillaire, ultime étape de la coiffure de sa caste.

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L’invasion fait de nouveau rage. Les hordes ennemies ont de nouveau fait irruption sur le front. Il tanne de nouveau le cuir. Mais nos forces ne battront pas de nouveau en retraite. Nous ne reculerons pas d’un poil. Nous sommes véritablement prêts à tout cette fois-ci et s’il le faut nous ne lésinerons pas sur les produits chimiques. Ils peuvent se faire des cheveux, je peux garantir que cela ne sera pas du coton. Et si nous avons laissé les troupes se reformer suite à nos précédentes offensives car nous les croyions définitivement hors d’état de nuire, nous serons cette fois-ci intraitable, harassant jusqu’à leur dernier  troufion.

Ce matin, je suis allé chez le coiffeur et ai acheté un nouveau shampoing antipelliculaire. Cela va être une boucherie capillicole.

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Sa tonsure enfin assumée et revendiquée comme telle – sans pour autant contrevenir aux principes de laïcité – détachée de toute référence sportive usurpée – car seul un crâne chauve doit en l’occurrence faire référence – il retrouvait tout son éclat et la fierté qui avait fait de lui, dans sa jeunesse, un dragueur invétéré, prenant appui sur une esthétique d’Apollon. Il n’avait seulement pas songé aux reflets peu enjôleurs qui accompagnait désormais ses sorties en boite de nuit. La vieillesse parfois, insidieusement, se confesse.

mieux vaut court que jamais #245

Il n’est rien de plus beau que l’influence concrète des œuvres de fictions dans nos petites vies quotidiennes. Ainsi en est-il de cet homme tout dégingandé, posté sur son toit, aux prises avec les tiges et les palles de l’antenne télévisée, luttant comme un beau diable et faisant montre de ses lectures concomitantes de Don Quichotte de la Mancha, du Hussard sur le toit et de Télécâble Sat. Hebdo n°21 décembre au 28 décembre 2012.

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De cette feuille recourbée, de cette feuille brunâtre et flétrie, reposant quiètement sur le muret de pierre au derrière de la maison, se figure-t-il déjà la chauve-souris qui hantait son écran la veille dans un de ces vieux films d’épouvante où l’apparente impassibilité des choses de la nature n’est qu’apparence. On omet souvent l’influence essentielle de ce cinéma dans la constitution d’herbiers et autres collections de végétaux.

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En revanche, la marche de l’empereur ne m’inspire guère dans le quotidien des choses. Pas même devant quelques assemblées de notables vêtus à l’identique dans leurs smokings austères. Se mettraient-ils tous en marche à la suite les uns des autres que cela ne m’inciterait pas plus à songer au volatile antarctique.

mieux vaut court que jamais #244

Allongé sur son transat de plastique en plein cœur de l’hiver, presqu’en pleine nuit, son corps frissonne de voir cette feuille frémissante. Bientôt, entendant les gouttes de la dernière pluie tomber depuis le toit de métal, qui presque le surplombe, et se trouve-t-il pris d’angoisse et d’inquiétude. Cette fréquente chute le paralyse comme le supplicié que l’on torture à la goutte. Nul n’est besoin de viser juste, la proximité suffit à créer l’effet.

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Il avait œuvré tout le mois durant. Arpentant les nombreux stands de préparation de paquets cadeaux de grands magasins, offrant son corps à la charité publique, alternant les œuvres de bienfaisance. Il avait ainsi découpé et déchiré des feuilles en grand nombre, chacune s’imprimant un peu plus dans son corps, chacune le meurtrissant un peu plus jusqu’au fond de son âme. Ces froissements et déchirement tristement le renvoyaient à son ostéogenèse imparfaite, sa maladie des os de verre, ces os risquant de se briser au moindre choc et guère plus résistants à l’assaut de ciseaux que ces feuilles de papier, tant et si bien qu’à l’achèvement de sa mission, ce n’était que coups de ciseaux acérés qu’il donnait esquintant et torturant le papier. Cela faisait un partout.

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Régulièrement, pour ne pas dire constamment, il palpait les platanes. Il leur prenait le pouls comme on oscule le cœur d’un enfant, précautionneusement et avec une forte attention. Pas un dans son rayon d’action n’échappait à sa manie. Pour autant, lui qui en avait vu tant mourir quand, enfant, dans la grande allée de la demeure familiale, les chauffards allaient s’encastrer dans leurs écorces, ne pouvait guère agir face à ces morts brutales que l’auscultation ne parvenait à prévenir.

mieux vaut court que jamais #243

Si l’on souhaite définitivement résorber les embouteillages et autres transports surchargés à l’occasion des fêtes de fin d’année, il n’est qu’à instaurer un noël à la carte, que chacun pourra célébrer à la date voulue. Cela ne serait par ailleurs pas pour déplaire à notre laïcité, permettant définitivement de délier Noël de la supposée naissance christique.

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L’exemple mériterait d’être généralisé pour la nouvelle année, que chacun pourrait faire débuter à sa guise, le jour qui aurait sa préférence. Si bon nombre d’entre nous choisiraient par facilité des jours d’ores et déjà consacrés comme tels – à commencer par le nouvel an chinois – il est fort à parier que cela donnerait une allure plus variée à notre calendrier qu’il n’y paraît.

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Il n’est pas même jusqu’aux célébrations nationales que l’on ne pourrait voir adaptées. Si la prise de la Bastille a pu marquer les esprits et le peuple français au point, l’an suivant, d’instaurer la fête de la fédération, il n’est à douter que d’autres préfèreraient célébrer la prise de Constantinople en 1492, la prise de Rome en 1870 marquant la fin des Etats pontificaux ou bien même la prise de pouvoir de Mitterrand pour les plus progressistes d’entre nous, voire pour les adorateurs de controverse, la prise de l’UMP par Jean-François Copé, une victoire à la Pyrrhus qui ne sauraient d’ailleurs pas déplaire à la précédente catégorie.

fables modernes #94 : le vieillard et la vanité

Esseulé et sans aucune activité,
Tapi sous quelques couvertures,
Ainsi demeuré longtemps alité,
Le vieillard changea de posture.
D’être resté là comme prostré,
En avait-il le souffle coupé,
D’années ainsi écoulées en retrait,
Pour sa vie, triste dernier souper.
Il n’est alors plus guère que le corps
Pour énoncer sèchement ses quatre vérités
A l’homme impétueux qui conjure le sort
Offrant à la mort une franche hilarité.
Car se figurant intact son organisme
Le voilà qui s’exerce et qui s’agite,
Faisant montre d’un fort dynamisme,
Usant à la corde le corps dont il hérite.
Poursuivant sans la moindre panique,
Malgré les alertes se faisant nombreuses,
Accroissant fiévreusement ses pratiques,
Les impressions étaient pourtant élogieuses.
Qu’on le croise à la course ou à la marche,
Qu’il se pâme pour quelques étirements,
Toujours vantait-on sa noble démarche
De celui qui se refusait au renoncement.
Il fut pourtant un de ces petits matins,
Où le pieds de faiblesse dérapant,
Finit-il sa course en piteux clampin,
Jusqu’à chez lui presque rampant. 
Harassé et sans force, comme vidé,
Il s’étale dans la salle de bain, 
Sur le carrelage désormais dénudé,
Perdu comme un pauvre bambin.
Plongeant son regard dans le miroir,
Se confrontant à ses craquelures,
Le temps n’était pas là à le décevoir,
Et l’atteignait dans sa chair sans fioriture.
 
 
Il n’est encore que certains vieillards coquets
Qui dans leur vanité se reluquent,
Leurs corps dans les vêtements du temps croqués
Par un perfide souffle dans la nuque. 

mieux vaut court que jamais #242

Si cela n’en altérait pas la qualité de son service professionnel, si cela ne venait pas même la gêner dans l’accomplissement de celui-ci, se déplaçant à travers les couloirs, poussant ici et là son chariot arborant bac à serpillière, balais et autres produits à vitre, la femme de ménage présentait, à l’approche de Noël, un couvre-chef de circonstance, mais de faible intérêt et d’une originalité douteuse.

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Au-dessus de la porte, sans doute sous l’emprise d’un serial cisailleur, la banderole dorée « joyeuses fêtes » se trouvait être toute élimée, en lambeaux, se présentant sous la forme d’une suite de fines lamelles, morceaux de banderole. A moins qu’il ne s’agisse d’un produit de décoration normalement vendu comme tel.

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Les deux rênes trônant à l’avant de leur traineau de carton-pâte, défraichi par les averses qui l’atteignaient jusqu’au cœur de la matière, ne semblaient en prendre ombrage. Comme de marbre, stoïques comme un finlandais dans un sauna surchauffé, ils ne bronchaient guère de se trouver, eux construits en une matière imputrescible, seuls rescapés de cet attelage délaissé sur le trottoir.

mieux vaut court que jamais #241

 

Amertume supplémentaire

Quand sa colère éclata

Au sol, le vase gisait déjà.

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Toujours l’esprit en doute,

L’opération étant faite,

Le malheur est bien ailleurs.

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S’il n’avait aucune rancœur

D’assister à son succès

Eut raison de sa superbe.

 

mieux vaut court que jamais #240

La première avait inscrit son amour au cœur du béton, profitant de ses premiers instants de fraîcheur. La seconde avait écrit son amour à la craie, à la surface des choses. Il ne restait plus que des miettes à la troisième, qui, se contentant d’un quignon de pain, vit son amour vite s’envoler.

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Son cœur se pâme devant le baume de sa peau, il s’emballe dans ce joyeux ramdam qui rend leste l’âme. Il n’est cependant que quelques maigrelettes craquelures et engelures de l’épiderme pour que boite le poème de sa peau.

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Le post-it que chaque jour il lui destine, posté en solitaire sur cette majestueuse commode Louis XVI, singulièrement et ainsi amour miniature, se signale à sa mie. Nul ne se méfie de la mine réjouie du mot minime, fût-ce-t-il fade mime d’un amour amoindri.