je donne ma langue au chat
Lost in translation.
Quelle douce expérience que celle d’être perdu au milieu d’une langue. Non je ne parlerais pas ici de baiser langoureux où celle que l’on donne au chat combat celle de l’autre au milieu de cette arène dentaire, où toutes les papilles excitées redemandent du spectacle, du mouvement, de l’animation au point de tout oublier ce qui nous entoure ( et pas seulement de taille[1]). Non, je parlerais ici plutôt de langage, de communication ( quoique la scène précédemment décrite est elle aussi une forme de communication, communication de sentiments, de sensations). Pour évoquer cette épineuse question[2], j’ai décidé de revenir à mes anciens amours. Non je ne parlerais vraiment pas de relations rapprochées avec une personne de sexe opposé. Seulement de cinéma. Car après une longue absence dans cet antre magique, je commence petit à petit à traîner de nouveau mes guêtres dans les salles obscures. En fait cette absence n’était pas ma faute : seulement une vraie carence de bons films…Mais l’occasion m’était enfin donnée de me rattraper avec un film de Jim Jarmush. Mais un vieux de 91. Pour l’occasion, j’avais même décidé de reprendre une vieille habitude qui consiste à aller voir le film sans savoir de quoi il en retourne. Juger au titre. Peut-être réducteur ? peut-être un peu délit de sale titre ? ouais mais bon, ça reste un film et pas un bougnoule, donc c’est pas bien grave… Le film, pour ceux que ça intéresse, s’appelait (et s’appelle toujours d’ailleurs) « Night on the Earth ». Bon, ce titre prometteur et les relents du dernier Jarmush que j’ai vu ( en fait le seul[3]…)m’ont donc inciter à déplacer mon postérieur vers les cinémas au risque de faire souffrir mon visage qui allait devoir faire face aux assauts du vent frais finlandais[4].
Bon je vais quand même passer sur les détails pratiques de l’installation dans mon fauteuil face à l’écran qui n’attendait que de pouvoir prendre vie. Parce que vous dire que j’étais au 5ème rang, place 6 après avoir payé ma place avec un billet de 5 euros ( surlequel on m’a rendu 2,50 parce que c’était pas cher) et que je suis arrivé à 16H41 précisément, ne vous intéresse sûrement que faiblement[5]. Le moment fatidique arrive enfin. La caissière ferme le rideau, les lumières s’éteignent et l’appareil se met en route. « tour de contrôle à pilote : vos réacteurs sont-ils bien en marche pour ce voyage ? » « pilote à tour de contrôle :tout est Ok de mon côté. Comment est le ciel ? » « tour de contrôle à pilote : pour l’instant une masse nuageuse occupe une bonne partie de la stratosphère. Mais il est prévu qu’elle se dissipe très rapidement. A priori, après les premières minutes de vol, tout devrait rentrer dans l’ordre à ce niveau. Avez-vous notez une quelconque anomalie technique durant votre contrôle ? » « pilote à tour de contrôle : négatif. Aucun problème de ce point de vue. Tous les instruments de bord sont en parfait état de marche. Moi-même suis en parfait état de forme et me sens fin prêt pour ce voyage interstellaire ». et oui, aller voir un film, c’est parfois comme faire un voyage dans l’espace, être transporté dans un autre monde, une autre dimension, ou tout simplement la possibilité de voir les choses autrement, comme ce doit être le cas du spationaute[6] lorsqu’il voit la terre vue de l’espace et j’espère que ce con se dit : « putain ce que c’est beau, c’est bête que dans quelques décennies[7], tout cela sera mort à cause de nous[8]… ». Mais pas besoin d’aller aussi haut et loin pour rêver et changer d’air : comme disait Renaud (quand il chantait encore des trucs bien[9]) « L’essentiel à nous apprendre /C’est l’amour des livres qui fait/ Qu’tu peux voyager d’ta chambre/ Autour de l’humanité » Alors bon, un film, c’est un peu pareil. Mais je crois que je m’égare (et pas seulement d’Austerlitz[10]) et je ne suis pas sensé vous faire ici un éloge du cinéma mais seulement vous parler d’une expérience cinématographique que j’ai vécu il y a fort peu de temps.
Donc revenons à mes taxis car il est hautement question de taxis dans ce film. Donc toute la machinerie se met en branle et les images apparaissent. Générique sur fond de planisphère de la Terre et puis les noms des acteurs qui commencent à apparaître. Roberto Benigni. Tiens je savais pas qu’il jouait dedans. Chouette. Mais en même que ce « chouette » raisonne dans ma tête, y a aussi un « oups » qui commence à ronronner doucement : Roberto Benigni est italien et pauvre de moi qui ne parle pas italien…et puis des noms finlandais aussi…mais bon, les sous-titrages existent. La première scène du film, qui sera en fait amenée à se répéter : plan large sur un mur sur lequel des pendules à des heures différentes sont accrochées. Sous chacune d’elle, Los Angeles, New York, Paris, Rome, Helsinki. Ainsi tout devient plus clair : le film va retracer des évènements se passant au même instant, dans différentes villes du monde. Et tout cela semble donc se confirmer avec un gros plan sur la première pendule, celle de Los Angeles qui n’est que l’introduction pour l’action qui va suivre, se déroulant donc à Los Angeles. Je ne vous raconterais pas ici ce qu’il s’y passe, je n’écris pas pour Télérama. Pour tout ceux qui ne sont pas encore au courant du principe des critiques de film de Télérama je résume rapidement : le principe est assez simple : il s’agit de ne jamais lire leurs critiques avant d’aller voir le film en question, la critique étant composée pour une bonne moitié d’un résumé du film (même la fin est parfois révélée)…
L’on passait donc ensuite à New York avec donc, comme précédemment des acteurs américains parlant en anglais et des sous-titrages en finnois. Durant ce court-métrage ( puisque finalement ce film est un assemblage de cinq court-métrage décrivant une scène se déroulant dans cinq villes différentes et dont le thème (s’il s’était agit d’un concours de court-métrage) aurait pu être : « taxis dans la nuit »), une première cocasserie linguistique avec les deux personnages principaux qui par moment se prennent à parler allemand ( l’un des deux étant originaire d’Allemagne). Heureusement pour moi, ces dialogues germaniques était fort rares et compréhensibles. Mais ne voyant aucun sous-titrage en anglais le doute pour la suite des événements commençait sérieusement à monter.
Troisième partie : Taxi à Paris, l’heure de vérité pour moi. Les acteurs sont français et parlent en français. Parfait, un petit peu de français. Mais, il n’y a aucun sous-titrage…la suite( les deux autres parties) va être d’enfer…Alors en attendant le calvaire de voir deux films en langue étrangère que je ne parle pas et dont aucun sous-titrage dans une langue connue ne m’est fourni, j’essaye de profiter du film. Pour résumer, c’est l’histoire d’une aveugle et d’un ivoirien et c’est assez bien écrit.
Mais comme toutes les bonnes choses ont une fin, ce petit segment de film s’achève alors que mon angoisse linguistique ne fait que naître. Et voilà donc, notre Roberto Benigni au volant de son taxi. Il parle, il parle. C’est dingue comme il peut parler et vite en plus. C’est dingue comment on comprend pas lorsque l’on ne parle pas la langue…Visiblement ce qu’il raconte est hilarant : tout le monde se marre, des éclats de rire envahissent la salle. Tous rigolent à leur manière. Sauf moi. Je me demande ce que les gens ont pensé de ce mec ( autrement dit, moi-même) qui reste là sans broncher face à un Benigni qui fait le clown. Ils ont du se dire que ce mec doit être sacrément chiant pour pas essayer, ne serait-ce qu’un peu, de détendre ses muscles zygomatiques pour montrer son amusement. Ou sinon, ils devaient se dire que j’étais tellement outré par les propos de Benigni qui dissertait sur l’amour ( et pas seulement platonique) avec un curé, que j’avais décidé de me taire. Parce que oui, j’ai tout de même compris quelques éléments par-ci, par-là. J’ai réussi à grappiller quelques mots, de ces mots transparents qui se disent pareil dans nos deux langues latines. Mais il ne faudrait trop dramatiser et exagérer : Bénigni est un grand acteur et sait jouer de son corps pour prêter à rire. Bénigni sait maîtriser le burlesque. Bénigni a en lui-même quelque chose de drôle. Il m’est donc arriver tout de même par moment de me laisser aller à des sourires voire même des extraits de rire.
Bien, oui, parler n’est pas le seul vecteur d’amusement et de communication d’une manière générale. Ainsi, au risque plagier La Fontaine ( qui a lui-même plagié Esope, alors du coup c’est pas bien grave de le plagier de nouveau, c’est pas comme si il avait écrit quelque chose de nouveau) je dirais que rien ne sert de parler il faut communiquer à point. Ainsi en est-il de beaucoup de domaines. Je brûle de ce fait de vous narrer une de ces nombreuses anecdotes qui fait le quotidien d’une année erasmus en compagnie d’étudiants venus des quatre coin du monde[11]. Ainsi de cette matinée ( à moins que ce n’était déjà l’après-midi, mais tout cela n’a pas tellement d’importance) où j’errais dans la cuisine du 3ème étage ( sans doute pour cuisiner quelque chose). Mon ordinateur ( et donc ma musique) m’accompagnait. Lecture aléatoire comme d’habitude. Après quelques chansons, Renaud fait son apparition. Je sais plus si c’était « l’aquarium », « c’est quand qu’on va où ? » ou « le sirop de la rue » mais c’était une chanson aussi bien écrit que celles-ci. Or, j’avais oublié de le préciser, mais je ne suis pas le seul protagoniste de cette histoire. Paul, l’américain traînait aussi dans les parages. Et comme je ne m’y attendais pas le moins du monde, il me déclare tout d’un coup, qu’il connaît cette chanson. Paul ? américain ne parlant pas français ? connaître Renaud ? comment est-ce possible ? Bon je passe sur les détails qui expliquent cette connaissance (un copain américain qui écoute des trucs français comme Renaud ou Tryo, d’où cette autre matinée où Paul d’un seul coup me demande « is it Tryo ? » et bien oui, Paul c’était bien Tryo. Ca fait plaisir de voir que la musique française pour les étrangers ne se résume pas ni à Alizée ( si, si une fois on m’a demandé si je l’avais…)ou à Amélie Poulain ( parce que c’est même pas Yann Tiersen, non c’est Amélie Poulain : les gens connaissent les chansons mais soit ne savent pas qui les écrit soit ne savent pas qu’elles ont été écrites bien avant par Tiersen et seulement réutilisées pour le film. Mais Paul, encore lui, connaît Yann Tiersen lui-même, c’est-à-dire auteur, compositeur, interprète de génie bien distinct d’Amélie Poulain) pour parler de la suite des évènements : en fait le détail des événements est bien flou dans ma tête mais toujours est-il que la conclusion de cette anecdote musicale fut que Paul appréciait Renaud, sans rien comprendre aux textes alors que Renaud est tout ce qu’il y a de plus « chanteur à texte », dénomination qui peut toujours paraître stupide à première vue, mais il faut bien reconnaître que tous les chanteurs classés en dehors de cette catégorie ne chantent pas des textes mais bien autre chose, un mélange de mots sans réel consistance. J’aurais jamais pensé que Renaud puisse être apprécié par des non-francophone. Comme quoi, la communication, ce ne sont pas seulement des mots disposés les uns à la suite des autres mais des tas de choses comme une belle mélodie de Renaud qui fait que l’on peut ressentir toute la beauté ou la justesse du texte par son intermédiaire.
Bénigni est capable de la même prouesse à certains instants, capable de faire rire sans qu’aucun son ne sorte de sa bouche, sans qu’un son ne puisse être entendu. Et quand bien même il parle, sa gestuelle, ses expressions font le reste pour que finalement n’importe qui puisse comprendre la situation. Alors au diable, la compréhension de l’italien et savourons ! être perdu au milieu de la langue dans de telles circonstances devient un vrai bonheur. On essaye de saisir tout l’humour de la situation d’une autre manière, on essaye de se rattacher à autre chose qu’aux mots, qu’à cette tangibilité verbale. Ma pensée va également vers les VRP, ce groupe mythique du début des 90’s, et leur tournée en Pologne : comment réussir à amuser (ce qui est l’un des but principaux de leurs chansons) alors que leurs paroles sont en français ? et bien ils ont des atouts les VRP : leurs costumes, leurs maquillages, leurs instruments bricolés et leur jeu ( parce qu’il ne faut pas oublier que les VRP ont débuté dans la rue). A cela, on peut seulement ajouter des carnets écrits en polonais. Et avec tout ça, ils ont donc réussi à conquérir la Pologne et par la suite d’autres pays aux langues, toutes les unes plus étranges que les autres ( parmi lesquelles japonais et ukrainien). Les VRP avaient donc réussi ce tour de force de s’imposer à l’étranger avec des chansons reposant en bonne partie sur leurs textes en français. Je pense donc à ces polonais qui assistaient aux concerts des VRP sans rien comprendre aux paroles mais saisissant tout de même le comique de la situation.
Alors pas besoin de regretter ces premiers temps de la construction de la tour de Babel où tout le monde parlait la même langue et se comprenait. Les diverses langues aujourd’hui révèle une véritable richesse et une diversité hors du commun. Derrière une langue, il s’en cache une autre, si il s’agit de deux amoureux en pleine action de partage des sens. Mais plus sérieusement, derrière une langue, se trouve une culture, une vision du monde, une manière de voir les choses. Alors maîtriser plusieurs langue, c’est pouvoir appréhender plusieurs cultures et les mélanger entre elles pour un résultat détonnant. Ne pas parler toutes les langues, c’est pas non plus bien grave et j’en reviens au propos de ce texte : la communication est bien plus qu’orale. On peut partager au-delà de la langue (et spécialement de l’orale[12]), on peut coopérer au delà de la langue : c’est pour ça que je pense que les mecs qui construisaient la tour de Babel était de sacrés fainéants parce qu’après la décision de Dieu de créer des centaines de langue pour entraver la construction, ils auraient pu achever l’édifice en communiquant autrement. Je n’irais tout de même pas jusqu’à faire échos à cette idée qui veut que les mathématiques (essentielles en architecture) sont la langue universelle, mais en la matière, cela semble contrecarrer l’impossibilité d’achever la tour en question. Alors continuons à construire cette tour, pour atteindre non pas le ciel mais une plus grande harmonie entre les hommes sur Terre, continuons à construire cette tour malgré les différences mais surtout grâce aux différences pour une fois pour toute tordre le cou aux idées frontistes qui voudraient que la mixité, que la diversité serait un facteur d’affaiblissement, alors continuons à monter cette tour, cette tour des différences qui fait qu’elle en devient plus riche et que jamais la diversité n’a appauvrit qui ou quoique ce soit, n’en déplaise à Jean-Marie ou De Villiers…
Samedi 24 février 2007.
[1] Jeu de mot à la Desproges…
[2] si quelqu’un sait, en quoi elle est épineuse, je lui offre un kilo de langue de bœuf.
[3] Broken Flowers, si vous cherchez à le voir…
[4] qui a dit que le bon air frais faisait du bien ? allez en Finlande en hiver et on en reparlera…
[5] attention, il est possible que des informations erronées se soient glissées dans cette phrase. Mais tout cela bien entendu, à l’insu de mon plein grès.
[6] Un peu de patriotisme lexical : oui, si vous ne le savez pas, on ne nomme pas les gens qui vont dans l’espace de la même manière selon leur nationalité : ainsi les français sont spationautes, les américains astronautes, les russes cosmonautes et les chinois taïkonautes. Si par hasard, j’ai fait une erreur j’attends que l’on vienne me corriger.
[7] Visiblement on est tombé sur un spationaute pessimiste.
[8] Le « nous » ne concerne pas seulement les spationautes mais toute l’espèce humaine. Les spationautes ne sont pas responsables à eux-seuls des merdes qu’on est en train de laisser à nos enfants, quoique… si les crédits utilisés pour envoyer des gugusses sur la lune étaient utilisés pour améliorer la production de bio-carburant avec des micro-algues, on pourrait peut-être s’en sortir plus facilement…
[9] c’est-à-dire avant son dernier album où il ose par exemple chanter : « commence à me bassiner sérieux toutes ces histoires sur les blondes/ comme si il était tellement mieux d’être brune comme la joconde/ toutes ces vannes qui volent bas/ ne viennent bien sûr que des mecs/ qu’ils aillent avec leur cheveux gras/ se faire voir chez les grecs/ refrain : j’aime une blonde/ et alors ?/ j’aime ses cheveux d’or/ comme un soleil/ je vous laisse vos brunasses/ rouquines un peu fadasses/ qui m’indiffèrent/ blonde comme le blé en gerbe/ elle a inventé l’eau tiède/ et vous emmerde »
[10] Blague de Desproges.
[11] J’aimerais bien savoir si cette expression remonte aux temps où l’on pensait que la Terre était plate, parce que si c’est après, plus d’un devrait être choqué…
[12] ça c’est juste pour moi, pour me rassurer de ne parler si peu tout en écrivant autant, une manière de me dire que même si je parle pas, je communique…