Archive pour février 2012

mieux vaut court que jamais #72

Sur l’écran se projettent les figures animées dont tous raffolent. Il n’est que les moustiques pour s’en désintéresser totalement, lui préférant le faisceau lumineux émanant de la cabine de projection.

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Sous la lanterne de feu du phare, créant pour les navires le fil d’Ariane qui les tire vers le port, le gardien ébloui, ne voyant guère plus loin que le bout de son nez, se figure le ciel et ses étoiles filantes, toile lointaine et inatteignable.

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Fugaces comme le vent, il n’est qu’un filet à papillons pour saisir les chimères.

mieux vaut court que jamais #71

La mandibule mâchouilleuse de murs de la pelleteuse avait calé sur les carreaux blancs. Encore un instant le fer crissa sur la faïence, puis, plus aucun mouvement, ni son. Au fond la baignoire restait intacte.

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A l’étage du dessous, de la tranche de mur découpée des dents acérées de la machine, se détache un fin liseré bleuté. Le papier peint azur survivait encore à la destruction en cours. L’horizon, qu’il dessinait pour le petit chérubin qui habitait la pièce, semblait pourtant se rétrécir dans l’immeuble ouvert aux quatre vents.

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La vieillotte tapisserie vert-bouteille du salon en rez-de-chaussée ne jurait plus que timidement avec les environs. Jouxtant désormais les fougères et autres végétations sombres l’absence de cloison avait su créer un élégant camaïeu de verts.

fables modernes #35 : le coléoptère et l’hélicoptère

S’était un jour posé esseulé, sur une branche,
Un coléoptère pris d’une hésitation franche.
La coccinelle, car il s’agissait précisément d’elle,
N’avait, semble-t-il, pas connu de ses ailes
La moindre notice, le moindre mode d’emploi,
Evitant que dans les airs sous son corps elle ne ploie.
Balbutiant quelques vagues mouvements,
Elle semblait prise dans une plaque de ciment,
Incapable d’élever son corps menu,
Jusqu’aux plus hautes et sombres nues. 
La malheureuse était orpheline,
D’aucun n’obtiendrait-elle l’adrénaline,
Pour déployer ses ailes dans les airs
Et butiner quelques beaux asters.
Par terre à deux encablures d’ailes,
Assistait-elle au balai sempiternel
Des hélicoptères hospitaliers,
Revenant se poser au même râtelier.
Car sur le parking de l’hôpital,
Nul tergiversation, nul instinct vital,
Les vols s’enchainaient à vive allure,
Impressionnant la coccinelle et sa frêle armure.   
Cela ne put que l’inciter à prendre modèle
Au risque de croiser la route de l’hirondelle.
Par chance la dynamique de décollage, 
Quoique divergent le gabarit et le fuselage,
Se trouvait en tout point similaire,
Permettant un envol exemplaire.
Contre la gravité, prit-elle ainsi un malin plaisir
Sans se soucier le moins du monde de son devenir.
 
 
Il suffit pour prendre son pied
De ne pas être estropié
Il suffit pour s’envoyer en l’air
D’avoir des ailes fussent-elles imaginaires. 

fables modernes #34 : le pauvre chat blanc et le pot d’échappement

Il était dans un quartier devenu huppé,
Un chat qui se vit être durement dupé.
Dans le quartier, aux mœurs dites modernes,
Avait-on mis fin aux pratiques bien ternes,
Du souricide par empoisonnement létal,
Quand ce n’était pas piège au résultat tout aussi fatal.
On avait ainsi employé les bons et loyaux services
Du félin aguerri et jouasse d’accomplir pareils sévices.
Mais une fois que la chose fut faite,
Mais une fois que la place fut nette,
On envoya valdinguer dans les sombres rues
Le journalier greffier, jeté comme un malotru.
Les bourgeois, comble de la méprise, eurent bientôt
Quelques minets, de quoi accommoder leur repos,
Et qui, sans proies à capturer, n’auraient du chasseur l’instinct,
Pour préférer qu’avec le canapé se tisse un étroit destin.  
Vulgaire vagabond que l’on avait invité à vaquer au dehors,
Le pauvre chat blanc ne pouvait même se fondre dans le décor.
Lui qui n’était pas même chat de gouttière,
A fréquenter les trottoirs pour s’en faire litière,
Lui que l’ascenseur social, pour les chats aussi en panne,
N’avait conduit au septième ciel du toit et ses lucarnes,
Passait le plus clair de son temps à l’ombre d’une voiture,
Où, subissant les affres d’une fuite, il changeait de peinture.
De la fuite d’huile, recevait-il l’humidité sur laquelle les échappements
Venaient s’imprimer sur son poil ainsi atteint durablement. 
Bientôt alors se fit il aussi sombre que la nuit,
Bientôt n’y avait il plus que son regard qui reluit.
Il cessa alors de se terrer sous le véhicule de pacotille,
Il cessa de se calfeutrer derrière ses quatre béquilles,
Reprenant son existence et la rue à son compte,
Chat noir, il devint la terreur de ces pontes.
 
 
Il n’est dans certaines circonstances de véritable remède
Et mieux vaut alors se satisfaire d’une misérable aide.
Ainsi du mercurochrome sur une jambe de bois
Fait-on cri bienvenu tel du Capitole sa troupe d’oie.   

mieux vaut court que jamais #70

Elle avait cette bouche généreuse que seuls les authentiques croissants pâtissiers radieux sous les rayons de la vitrine peuvent offrir à nos papilles. Dans sa pupille brillait la perle de noisette marron que la lumière tamisée de l’étal du chocolatier sait si bien effleurer. Son nez, fin et menu, se détachait du visage, comme sort, de la crème jaunâtre de la tarte au citron, la pointe de meringue. Bref, elle était à croquer.

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Elle avait ces lèvres pulpeuses que seules les affiches de film tapissant la devanture de boutiques éclairées d’un carmin puissant peuvent offrir à notre vue. De sa pupille jaillissait l’ardeur que la lumière discrète posée sur le rayon des magazines de hardeurs ne peut que vainement tempérer. Son nez, fin et mutin s’extrayait du visage avec ce soupçon d’espièglerie qui rend la face sexy.  Bref, elle était aguichante.

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Elle avait une bouche avec deux grosses lèvres. Deux pupilles perçaient en leurs milieux ses deux yeux. Son maigre nez, comme à l’accoutumée, pointait au milieu de la figure. Bref, elle était normalement constituée.

mieux vaut court que jamais #69

Il faisait grise mine le triste timide au teint livide. Face aux figures chamarrées et bariolées du carnaval de Dunkerque, il ne savait où trouver sa place.

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Dans la foule des grandes manifestations populaires, pressé contre les autres, mon organisme se sent oppressé. Ballonné, dans cet agglomérat de populations, mon esprit se racornit. J’ai des troubles collectifs comme on a des troubles digestifs.

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La timidité est cette peur de l’autre qui ne se comprend pas sous la formule « l’enfer c’est les autres » mais sous celle « l’enfer, c’est moi ».

mieux vaut court que jamais #68

Il paraît que cela a la saveur des sous-bois, la senteur des brindilles humides de la récente pluie, le délicat arrière-goût de la tourbe, la subtilité de la mousse poussant – à son insu – sur le dos du merisier commun. Les œufs d’escargots, l’or blanc de Bourgogne, auraient donc ce fumet, maelström de saveurs telluriques. Saisissant entre deux doigts délicats l’emballage de bâtons d’encens et dépassant du regard son appellation au lyrisme bucolique digne de Maurice Genevoix – « sous-bois aux senteurs de la fraîche averse » – un descriptif détaillant le programme olfactif se présente à mes yeux avides de nouvelles lectures. A cette brève lecture, il n’est qu’à constater que l’encens n’a décidément rien à envier aux œufs d’escargot.

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Après les poulets en batterie, on voit naitre les bœufs dans les boîtes de Petri. Bientôt pourra-t-on ainsi déguster le premier hamburger fait à partir de cellules souches de bœuf. Progrès technologique et solution aux émissions méthanées des bovins de chair et de sang certes, mais quid des bas-côtés des voies ferrées où nulle vache ne viendra alors plus ruminer au passage des trains, avec ce regard vide et aussi inimitable que le sourire de la Joconde ?

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La conversion progressive de l’alimentation humaine vers les alicaments ne sera pas sans conséquence pour nombres de secteurs économiques. Il n’est qu’à prendre l’industrie de l’ameublement qui devrait subir une véritable révolution. Quel sens, dans cette future société, accorder au concept de cuisine équipée, quand un simple semainier d’apothicaire peut faire l’affaire ?

mieux vaut court que jamais #67

Les roumains, algériens et autres nationalités peu désirées en France seraient, selon certaines sources policières, responsables de plus en plus de délits. Il est dommage que l’on n’ait pas fait de statistiques sur des critères plus significatifs : qu’en est-il des personnes ne portant pas de lunettes ? Ou des personnes vêtues de jeans ?

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Un jour, l’homme est descendu de l’arbre. Aujourd’hui l’immigré descend du bateau. Entre les deux, Noé nous mis tous dans le même bateau.

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Se détache sur l’horizon des flots tumultueux une frêle embarcation où s’entassent une dizaine d’hommes décharnés, presque cadavérique pour certains. Affaiblis et face aux éléments, l’espoir de les voir toucher terre est mince. Sont-ce les progrès technologiques qui rendent ce radeau de la méduse si vivant et si récurrent ?

fables modernes #33 : le drap et le sparadrap

Quand aux heures sombres de la vie,
Il n’est plus aucune sorte d’envie,
L’homme qui jadis se réfugiait en caverne,
Aujourd’hui, sous les couvertures, hiberne.
Tel serait ainsi le monde que se figurait
Cet amant éploré que rien ne revigorait.
C’était la triste vérité de cet homme
Qui s’était amouraché, en somme,
D’une céleste créature dont les charmes,
Faisant jusqu’à l’Olympe résonner terrible vacarme,
L’avait conduit sur un leste nuage à nager,
Avant de l’éconduire sans le ménager.
Ses délicates ailes qui l’avait d’abord transporté
Dans l’amour et dans les airs ne pouvaient le supporter,
Le laissant conséquemment à la merci des éléments,
Qui se gardèrent cependant de le lâcher violemment.
L’épargnant dans une chute qui put être mortelle,
Les ailes s’étaient muées sur ses bretelles
En parachute, venant rendre son retour sur terre
Et l’abrupte chute, similaires à ceux du coléoptère.
Il n’était pour autant sans compter sur ses yeux,
Qui, de l’endroit où ils étaient, ne fixaient que les cieux
Où, à défaut d’y apprécier les rayons de soleil radieux,
Ne se mouillaient que du grain de remords odieux.
Il n’était alors plus pour lui qu’à trouver lieu où choir,
Lieu où couvrir ce visage qu’il ne saurait voir.
Afin de demeurer à l’abri de la lumière,
Et de rendre le moelleux à ses prières,
Nul autre endroit que le délicat de ses draps
N’eut put faire office au cœur de sparadrap.
 
 
Sans même faire de longue psychanalyse,
Il n’est qu’à voir dans le lit qui paralyse,  
L’exorcisme de l’autre lit qui électrise,
Rendant alors la mine triste et grise. 

fables modernes #32 : la sainte et le satellite

Il vivait, dans une lointaine paroisse,   
Un curé pris d’une étrange angoisse.
Non qu’il ne vint à douter de Dieu,
Il vint à trouver son service fastidieux.
Sa foi n’était en cela en rien en cause,
Bien plutôt celle de croyants si moroses,
Que déjà bien contents de déserter les églises,
Ils enrôlaient leur progéniture dans la crise,
Celle de la profession des ecclésiastiques,
Mettant en péril l’adoration christique.
Le curé avec vitalité et de fiers mollets,
Parcourait sa paroisse qui s’étiolait.
Multipliant dans toutes les églises les offices,
Baptisant ici ou là ses nouveaux fils,
Depuis le départ des autres curés,
Tous les services avaient perdurés.
Seule la lassitude de lui s’était emparée,
Agrémentant la solitude qui le désemparait.
Il eut ouï un jour que le souverain pontife,
Songeant pour cette crise à un palliatif,
Se mit, comme le veut l’appellation consacrée,  
A gazouiller là où les jeunes sont ancrés,
Sur les réseaux que l’on dénomme sociaux,
Venant à rompre tout contacts spatiaux.
Le curé, de cette alliance de la foi et du numérique,
Vit pour lui une solution toute pragmatique.
Si l’on célébrait un Christ bel et bien absent,
Si sa seule présence se décelait dans le vin de sang,
Si son prêche de prêtre ravivait les paroles d’autrefois,
Il devait pouvoir se contenter de ne les prononcer qu’une fois.
Dans ses églises, célébrant la fin de l’ère cathodique,
Dut faire quelques sacrifices le prêtre catholique,
Qui, installant ses écrans, ne trouva pour le satellite,
Que la place de la statue d’une sainte carmélite. 
 
 
Il fut un temps où n’étaient les paraboles
Que paroles abstraites et ontologiques symboles.
Les nouveaux oracles en tous lieux s’affichent sur les écrans
Qui partout nous entourent et remplacent même les révérends.