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histoire d’homophonie #3 : l’été rapplique

« Ni le doux, ni l’amer n’existent mais seulement les atomes et le vide entre les atomes[1] » écrivit avec une craie, sa main gauche et des guillemets le professeur Moody avant d’ajouter en gros caractères quelques centimètres plus bas et à droite, en guise de signature « HERACLITE ». Le grand amphi de la Sorbonne était bondé. Pour un examen c’était chose rare. Mais il faudrait bien conserver à l’esprit qu’il s’agissait de l’examen final du cours « Chapiteaux Ioniques, Jeux Olympiques et Philosophie Antique », le fameux cours dispensé par le non moins fameux Professeur et helléniste Monsieur Moody, doyen de la faculté de civilisation grecque. Monsieur Moody avait toujours eu cette démarche un peu désinvolte, quelque peu lunatique qui lui donnait cet air rêveur, d’homme la tête ailleurs, comme absorbé par une pensée absconse dont il ne pouvait se défaire. Ce sujet laconique qui ne respectait en rien les canons universitaires des enseignements transversaux qui font la part belle à l’interdisciplinarité, semblait être le fruit de cet esprit distrait qui oublie les consignes par lui-même élaborées. Mais s’il fallait escompter qu’il se fût levé du bon pied lorsque l’on mettait les pieds dans son exigu bureau dont même un cafard n’aurait voulu, on pouvait être sûr de ses oracles quand venait la saison des examens. A côté, l’énigme du Sphinx se boit comme du petit lait, de brebis de préférence. Il fallait ainsi prendre gare quand venait la saison des évaluations, véritable saison de mousson où les mauvaises notes tombaient à verse. Il faut l’admettre, sa notation avait toujours été sèche et austère mais sans que cela ne remette en cause la validité du jugement émis. Vénéré et respecté, le Professeur Moody faisait office d’institution et pouvait ainsi se permettre de décerner les satisfecit comme bon l’entendait, à faire la pluie et le beau temps, sans même avoir recours à la moindre danse ridicule.

Dans l’amphi, se serrant les uns contre les autres, les candidats arboraient déjà les tenues d’été. Les garçons en bras de chemise laissaient ainsi s’exposer aux premières lueurs véritablement intenses du soleil leurs bras blêmes que les pâles rayons d’hiver n’avaient pu atteindre par l’insignifiante lucarne qui ornait pourtant le plafond de leur chambre de bonne. Les filles, exhibaient leurs épaules dénudées laissant saillir les bras frêles que le port régulier des livres d’hellénistes ne suffisait pas à revigorer. Ces organismes affaiblis étaient tous avachis sur leurs tables, lâchant leurs dernières forces dans la bataille qui les opposait au papier d’examen. Car il est de notoriété publique que le papier fourni aux candidats de toute forme d’épreuve académique est d’une rugosité sans commune mesure. Tous les inspecteurs des ministères de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche réunis se sont toujours refusés à plancher sur le sujet afin de corriger, qui un grammage excédentaire, qui un grain de papier trop rude pour la plume qui trébuche à chaque lettre déposée.

Il était pourtant deux têtes, qui, dans cet alignement, dépassaient. Mais comme le disait lors de la présentation de la loi interdisant le voile intégral à la tribune de l’Assemblée Nationale Jean-François Copé, « il ne faudrait pas se voiler la face » : c’était surtout le sujet qui les dépassait. Avant de découvrir l’intitulé, ces deux tourtereaux n’avaient d’ailleurs qu’une envie, celle de mettre les voiles. Le sujet était tout ce qu’il y a de plus évocateur pour ces deux êtres que le hasard alphabétique avait conduit à un éloignement géographique qui ne leur était plus familier depuis ces dernières semaines d’amour fou. Le vide, ils en faisaient effectivement l’amère expérience, eux qui avaient été poussés si loin l’un de l’autre, loin des doux bras de leur tendre moitié, comme deux être esseulés dans l’immensité des océans. Le garçon, en proie à des questionnements sans fins, seul face à sa feuille vierge, songe à ce hollandais volant et filant seul sur son navire pour l’éternité pour n’avoir pas obtempéré aux éléments déchaînés, mais qui, contraint et forcé, poursuit son labeur d’existence. La moitié masculine de ce juvénile couple, escomptant que sa proposition de vacances à canoter et à Cannes recueille tous les suffrages du couple, dans cette solitude retrouvée, fût pris d’une angoisse sans fin. Ni l’eau douce, ni la mer n’existent se lamentent le capitaine du vaisseau fantôme.


[1] S’inspirant d’un jeu de l’émission de France Culture « des Papous dans la tête », la contrainte est de débuter une histoire à partir d’un morceau de phrase et de clore l’histoire sur une homophonie – approximative – tout en se ménageant la possibilité d’une homophonie intermédiaire.

histoire d’homophonie #2 : la merveilleuse journée


saut de dune © Pierre Miglioretti

La merveilleuse journée[1] avait débuté sous un soleil radieux et sous les draps encore tout réchauffé par le soleil matinal et automnal. Les rais de l’astre du jour, que les persiennes mi-closes laissaient venir caresser mes paupières tout aussi mi-closes, profitaient des stries des opercules de bois et de la chambre pour réaliser une sommaire imitation de zèbre à même le matelas. Répugnant à cet animal qui n’a jamais su opérer
de choix entre le Noir et le Blanc, prenant de la graine du kangourou, je me levais d’un bond pour laisser le champ libre au soleil. Ma mie, que la brutalité de la lumière agace, me lança un regard de glace. Il m’eut suffit de coutume que je l’enlace, pour briser la glace et que la pointe émergée de sa colère d’iceberg retourne dans les bas-fonds, où les courants froids, comme les conduits d’un réfrigérateur, viennent insuffler un petit air de Sibérie. Mais si Berry, ma mie aux yeux myrtille, n’a pas froid aux yeux, c’est bien pour son tempérament de feu, la rendant folâtre pour un rien. Un brin d’air, un rien de frais et elle devient de glace à en refroidir les Enfers et sitôt les premières fièvres de l’été, ses sangs s’échauffent à sécher les chérubins. Bref, elle souffle le chaud et le froid. Or ce matin-là, rien n’y fit, des caresses véritable coup d’épée dans le glaçon jusqu’au thé qui devint glacé, une fois que son souffle de zéphyr s’y fit bise. Il n’y eut d’autre alternative que de faire revenir le zèbre, qui, malgré son évident prosélytisme pour la société de consommation, eut le mérite d’apaiser Berry, la ramenant à plus de sérénité. L’incendie était maitrisé et l’incident clos. De nouveau notre amour éclot, pendant que sous l’effet d’un nuage, le zèbre referme ses jambes.

            Entre les rayons des roues du tandem, viennent s’intercaler ceux du soleil. La plage est encore à quelques encablures tandis que l’on carbure sur notre monture commune. Bientôt, à l’approche des dunes nous stoppons le chameau pour mettre pied à terre. A l’approche de la plage, quelques bosquets d’arbrisseaux nous accueillent avant que l’on rejoigne les bambins et leurs seaux. La cocasserie de lilas s’humidifiant dans quelques centimètres d’eau jetés au fond d’un château de plastique en déshérence nous invite à passer notre chemin et ainsi passer notre journée quelques centaines de mètres plus loin. L’abandon de la zone nous rend zen. Quelques moutons de coton blanchâtre font leur arrivée dans le ciel en surplomb de la mer. Mais l’habit ne fait pas le moine et bien vite moutons blancs se font noirs. La mer veille, rieuse, les troubles nuées. Pas amer pour deux sous, l’océan s’ingénie à correspondre à toutes les humeurs du ciel. Sur l’océan, tout ciel est fort séant.

            Répugnants à toute baignade, à moins qu’il ne s’agisse de venir aux premières heures du jour se jeter dans la vague et doucement susurrer une aubade à l’océan, nous lui faisons face, sans mot dire, sans bruit faire. Seules les mouettes tournoient au-dessus de la surface où, de temps à autre, quelques poissons font surface. Les hyènes de la mer, de leur cri sournois, guettent leurs proies, sans jamais passer à l’attaque. Le froid doucement nous attaque et Berry, dans mes bras se blottit. Elle plisse les yeux et semble contempler l’écume qui se tisse au fil de chaque vague. Le léger mouvement transversal de son regard laisse quoiqu’il en soit supposer qu’elle balaye du regard l’immensité de la mer.

Bientôt, le ciel sombre avec le jour. La nuit dans quelques instants viendra prendre place dans le ciel. Mais encore sur les terres luit une lueur, qui, asphyxiée par les lourds nuages, se fait timidement une place dans notre dos. Se faufilant entre nos deux corps, elle se reflète dans l’océan qui réverbère cette lumière inattendue. Dans l’inversion lumineuse que nous constatons, entre chien et loup, dans cette atmosphère tamisée, on eut dit la mer en veilleuse retournée.


[1] S’inspirant d’un jeu de l’émission de France Culture « des Papous dans la tête », la contrainte est de débuter une histoire à partir d’un morceau de phrase et de clore l’histoire sur une homophonie – approximative – tout en se ménageant la possibilité d’une homophonie intermédiaire.

histoire d’homophonie #1: gâteau de famille

Le gâteau de mamie[1] était posé au milieu de la table. Il trônait magistralement, les fraises dressées et fièrement alignées comme un régiment d’infanterie au garde à vous lors d’une revue d’effectif. Il n’en manquait pas une à l’appel, elle, qui, en contrebas, attendait pourtant les ordres supérieurs pour venir ôter la vie à ces radis en sucre. Sur la crème pâtissière, la tension était palpable. Les fraises se tenaient à carreau et en dessous la table pouvait en dire autant, nappée de carreau qu’elle était. Ecossaise qu’elle était et pourtant personne autour ne causait. Silence de plomb, même si les plombs n’avaient pas sauté. Mais ce furent les bouchons des bouteilles, exultant quelques instants plus tôt. Entre temps, son irruption avait coupé court à l’éruption de joie que tous manifestaient alors. Lui-même l’avait accueillie impassible, impossible qu’elle était à toujours vouloir s’imposer à tout prix au mépris de plus d’un. Certes, ce n’était pas pour lui du mépris en ces circonstances, mais les repas de famille étaient quelque chose que l’on ne prenait pas à la légère dans ma famille. Arrivant avec ses mœurs légères, sa nouvelle femme ne pouvait espérer mieux qu’un silence unanime. A titre préventif, Louis avait préféré ne pas la convier à l’anniversaire. Certes sur Anne ils ne versèrent pas de larmes, elle qu’ils aimaient tant et qu’Agathe viendrait désormais remplacer pour les agapes dominicales. Mais Louis avait songé qu’il n’était pas encore venu son heure à elle, tant que l’autre aurait l’auréole. Louvoyant la veille, Louis avait tenté de dissuader sa venue. Mais vivace qu’elle était, elle était venue.

Elle entra donc et le silence fût. Froid et glacial comme un ciel de glace, elle enlaça son Louis. Sans lui, ici elle n’était rien, alors mieux valait lui que rien.  Pas vaurien, il la fit asseoir, mais toujours avec cette mine déconfite des grandes défaites. Tout le monde n’avait d’yeux que pour elle, des yeux de vipère auxquels elle répliquait par ses yeux révolver, espérant ainsi vaincre leurs armures. Mais seuls quelques murmurent se firent entendre, plongeant Agathe dans la torpeur. Le temps se gâte se disait Louis à côté.

Il fallut attendre le bécot de ma mie pour la dérider. Saisissant cette marque d’affection que je portais à ma fiancée portant ainsi mes lèvres aux siennes, elle espéra que l’atmosphère puritaine s’éteigne. Bénéficiant de nouveau de toutes les attentions, et rappelant en actes, que cet anniversaire était le prétexte aux réjouissances de mes futures fiançailles, les langues recommencèrent à se délier pendant que les nôtres une nouvelle fois encore se lièrent. Agathe sentait bien que la catastrophe était sans nul doute derrière elle, qu’un pas en avant venait d’être franchi, qu’elle pourrait bientôt quitter son costume d’affranchie. Il lui faudrait certes encore attendre pour que l’humeur en sa seule présence se détende. Peut-être enfin de compte, était-ce un bon calcul que celui de l’intrusion au cœur d’effusions de joie, celle de la joaillerie passée à la main de ma fiancée. Faisant ainsi son irruption dans la famille, elle filait au milieu des lignes que traçait l’événement prévu. Elle pouvait peut-être même désormais espérer passer entre les mailles du filet, évitant d’avoir maille à partir avec la famille. Elle filait en douce, faisait le dos rond tout en demeurant en notre compagnie. En douceur, elle se faisait une place, elle nous habituait à sa présence parmi nous. Consciente du fil sur lequel elle marchait, cherchant à ne pas provoquer sa chute, elle tenait le silence aussi serré qu’un enfant son nounours de peur de périr en son absence.

Cependant, pendant que les conversations allaient bon train quant aux préparatifs des réjouissances à venir, un œil interrogatif se posa sur le silence. La grand-mère, se détourna de mon regard tandis que ma cousine en faisait de même avec la conversation qu’elle orientait sur les réseaux sociaux pour lesquels ma grand-mère n’avait aucune appétence. Elle fixa Agathe. Délibérément, elle ne libérait en rien l’étreinte de son regard assassin. Il est des outrages que ne pouvait accepter la catho décatie.


[1] S’inspirant d’un jeu de l’émission de France Culture « des Papous dans la tête », la contrainte est de débuter une histoire à partir d’un morceau de phrase et de clore l’histoire sur une homophonie – approximative – tout en se ménageant la possibilité d’une homophonie intermédiaire.