Archive pour mars 2012

fables modernes #45 : le champion et le shampoing

Il était un bel et fort gaillard,
Dont l’or poussait au bout des panards,
Si bien qu’on l’incita à pousser la balle,
Dans l’espoir qu’il accumule le capital,
Que le faisant circuler sur tout le terrain,
De tous il se fasse le bienfaisant parrain.  
Si nul ne niait sa force sans commune mesure,
Nombreux s’intriguait sur l’origine de sa démesure.
Multipliant les performances et les exploits,
Bientôt avec la plus grande bravoure il s’emploie,
Se faisant sauveur de toute une nation,
Lui faisant sentir les plus grandes sensations.
Il circula bien vite une étrange rumeur,
Déclarant sa chevelure fruit même du Seigneur.
On conclut vite que la force du sportif,
Venait effectivement de la magie de ses tifs.
Il ne fut donc rien d’étonnant,
A ce que, la fatigue venant,
Et raccrochant les crampons,
Il se fut agit pour l’ancien champion,
Pour maintenir la forme de ses finances,
Et conserver à ses cheveux toute leur décence,
De se convertir en commercial du shampoing
Lui permettant de n’être jamais dans le besoin.
Il n’est pour certains de temps où l’argent ne s’amasse
Et pour eux tombe en masse quoi qu’ils fassent.
Quand ils achèvent leurs glorieuses carrières,
C’est une autre récoltant les mêmes ors dans la panière.  
Distribuant leurs produits dans la petite lucarne,
Ceux qui avant distillaient les ballons en pleine lucarne,
Ont trouvé à leur portefeuille une belle reconversion,
De quoi, ensuite, la misère conserver en aversion.
 
 
Il n’est ainsi parfois pour trouver la prospérité  
Qu’à exploiter quelques belles boucles dorées.
Il n’est qu’à faire fructifier une belle gueule,
Pour s’offrir du beau temps jusqu’au linceul.

fables modernes #44 : Gérard et les géraniums

Que vient enfin le printemps renaissant
Et se postent au balcon les géraniums fleurissant.
Il est cependant quelques années,
Où les balcons semblent surannés.  
Il est en effet à quelques régulières occurrences,
Le besoin de placer auprès de quelques êtres de prestance,
De quoi donner l’image d’un harmonieux décorum,
De quoi faire donner aux paroles un meilleur arôme.
Il vient ainsi lors de grandes échéances,
Le besoin de quelques soutiens d’apparence.
Il est dans ces curieuses circonstances
De bon aloi, pour des adversaires, garder distance,
De disposer de rangées de plantes en pots,
Qui, si elles n’apportent de fructueux propos,
Donnent quelques belles images d’apparat,
Quitte à sortir quelques cadavres du débarras.
Ainsi dans un de ces banals hangars banlieusards,
Avait-on rameuté la populace dare-dare,
Pour affirmer l’indéfectible soutien populaire
De qui pourtant n’en avait plus guère pour plaire.
Mais il est de coutume pour affirmer suprématie,
De garnir de ces kermesses les premiers rangs assis,
De faire de ces bancs de messe un élégant parterre,  
D’y aligner une belle brochette exerçant paratonnerre.
Ainsi le bon Gérard trônait entre d’autres géraniums,
Ainsi avait-on déposé-là le ventripotent bonhomme.
Le pauvre homme dans la rangée de plantes en pots
Ayant au préalable des grands vins bu plein pot,
N’avait désormais plus aucune échappatoire
Que de rester au premier rang de l’auditoire.
 
 
Mieux vaut en tout temps conserver au balcon
Les végétaux qui y demeurent toujours fécond.
Il n’est qu’à déplacer l’un de ses fétiches
Pour qu’il se métamorphose en potiche. 

Partout géranium est décorum © Pierre Miglioretti

mieux vaut court que jamais #90

A sa suite, dans l’escalier, mes yeux hésitaient. La bienséance exigeait-elle qu’ils se fixent en un point défini ? Oscillant entre la

l'escalier dévisse © Pierre Miglioretti

pointe de l’aiguille du talon, le fin mollet se dessinant sous le bas-résille, le tulle de sa jupe ne masquant que partiellement la chair de ses cuisses ? Mes yeux en mouvement d’ascenseur sillonnaient ainsi ses membres inférieurs. Quand, décelant un ingrat chewing-gum incongrument collé sur le haut de sa cuisse, les yeux trouvèrent là de quoi désérotiser la progression dans la cage d’escalier.

***

Le curieux manège du ménage du troisième étage eut raison du sage du deuxième. Dans la pause de l’escalier, au pallier du deuxième étage, leur torride amour se plaquait à la porte. Il fût une fois de trop, où, celle-ci fût comme morte. Passant à travers porte, ils virent à quoi menait l’amour de bas-étage.

***

Ulysse de son retour au palais d’Ithaque, concluant le massacre de ceux qui voulaient l’évincer, voulant rejoindre la chambre conjugale et croisant dans la vis de l’escalier de service sa Pénélope, de l’adrénaline qui excite, transforma l’hélice en escalier de ses vices.

mieux vaut court que jamais #89

Certes le kilt présente la double commodité d’offrir la chaleur de la laine et la fraîcheur du vêtement coupé aux genoux. Du fait de son plissé postérieur, il est par ailleurs d’une praticité incontestable, permettant notamment une grande amplitude dans les mouvements des membres inférieurs de l’homme. Mais était-ce cependant nécessaire d’adopter le motif à carreau ?

***

Débraillée, se soulevant de sa chemise à carreau et de son pantalon taille basse à motif de trèfle, ressortait sa culotte à gros cœurs. Seule la reine d’Angleterre peut faire de l’excentricité un art de vivre. Les autres ont vite fait de se trouver attifées comme l’as de pique.

***

Nul homme ne songera jamais à l’angoisse de la femme faisant l’acquisition de son premier Carré Hermès, ne sachant comment s’en vêtir. Pourtant, un jour il connut cette même appréhension, lorsqu’enfant, il fut confronté à ce jouet exigeant de sa part de tenir compte des formes des pièces de bois à faire coïncider avec les cavités correspondantes. La perplexité devant l’impossibilité de marier le carré et le rond n’est guère différente.

mieux vaut court que jamais #88

Jetant un œil dans la glace, il s’aperçut qu’un homme allégrement se saisissait de sa bicyclette déverrouillée. Le temps de se retourner et de faire face aux autres miroirs du palais des glaces de fête foraine dans lequel il avait pris place et le voleur avait mis le cap sur une direction indéterminable. Le miroir aux alouettes avait eu raison de sa tête de linotte.

***

La reconnaissance oculaire sembla lui plaire. Savoir que tous les matins la machine lui ferait de l’œil lui rasséréna le cœur. L’amour de droïde n’a décidément rien de torride.

***

Avoir un œil de verre n’est pas une sinécure. Le verre à œil, à l’instar de son grand frère, le verre à pied, subit, au fil de son existence et de manière répétée, les assauts de l’eau, nécessitant une attention de tous les instants. On a vite fait de se retrouver avec de vilaines traces faisant mauvais genre lors de grandes réceptions. Comme pour le verre de vaisselle, un torchon bien sec fera l’affaire.

mieux vaut court que jamais #87

Nous ne sommes parfois pas suffisamment vigilants lorsque nous procréons à-tout-va. Il est en ainsi certains qui ne songent que le mélange des genres professionnels dans le couple peut avoir quelques conséquences fâcheuses. Marier un ingénieur et une poète n’est par exemple pas l’idée matrimoniale la plus sensée qu’il soit. Si certains y avaient songés plus tôt, nous n’aurions sans doute pas hérité du casse-tête cubiste d’Erno Rubik.

***

Si les sirènes font l’objet de toutes les convoitises et de tous les fantasmes, il n’est pour autant réellement que peu d’entre elles qui ont trouvé chaussures à leurs pieds. Si les contraintes techniques d’une vie en concubinage avec une sirène expliquent en partie le choix des récalcitrants, c’est avant tout le manque de compréhension mutuelle qui doit être mis en cause. Il n’est bien qu’un écailleur pour ravir son cœur.

***

Caquetant à tout vent, tout en encerclant le champ de la terre craquelée, le coq caracolait devant les miracles de la botanique. Seule sa crête dépassant, se frayant un passage entre les têtes des coquelicots, au cœur du champ, comme avec ses congénères, il demeurait incognito. Il suffit d’un rien pour fondre dans la masse le frondeur gallinacée.

sur le vif #52 : bancs publics

Aussi étrangement que l’on pût le penser, il s’était frayé un passage pour prendre place sur le banc. Il avait bravé les arceaux que l’on avait justement disposés à son usage, pour l’en rendre peu commode et confortable, pour s’allonger sur toute la longueur et ainsi à sa fatigue, tenter d’apporter une courte trêve. Avant de s’assoupir, il eut une brève pensée pour cet ingénieur qui dût se sentir empli de fierté venant présenter son dessin à son chef de bureau. Son idée et son carton à dessin sous le bras, il sifflotait fièrement dans les couloirs blancs et aseptisés de cette boite montée en Placoplatre que l’on avait pas même pris le temps au choix de tapisser ou de peindre, ni même de placarder de quelques affiches d’architectures modernes, de buildings New Yorkais, d’objets au design peu inspirant. Il serait d’autant plus acclamé que cette proposition n’émanait d’aucune commande, ne répondait pas aux projets sur lesquels on l’avait chargé d’œuvrer. « Ma propre initiative » se disait-il intérieurement, répétant ces mots qui figureraient dans sa phrase d’accroche. «L’invention dont tous les aménageurs rêvaient sans qu’ils pussent penser qu’un jour elle existerait vraiment » poursuivrait-il, se répétant, dans ce couloir qui n’en finissait donc pas, une à une les phrases-clés de son laïus qu’il avait tant ressassé le jour d’avant ainsi que tous ceux qui avaient précédé dans la semaine, qu’il en connaissait désormais les forces et les faiblesses. Car à force de se l’être marmonné, il en avait décelé quelques éléments peu convaincants, mais trop enthousiaste sur son œuvre, il ne souhaitait modifier sa présentation d’un iota.

         Après cette introduction quelque peu ronflante – ce dont il avait bien conscience mais ce qui lui semblait nécessaire afin de mettre l’eau à la bouche de son chef – il rentrerait dans le concret de la chose, présentant le dessin, l’illustrant de détails sur les matériaux à envisager, fournissant toutes précisions utiles quant aux dimensions des montants, des arceaux, des lattes de bois – issu de forêts gérées durablement, il y tenait ! –, abordant même la question de l’éventuel surcoût pour laquelle il avait une réponse toute trouvée : le surcoût immédiat serait amorti par le gain en termes de longévité du mobilier urbain, ce qui ne serait d’ailleurs pas compliqué à prouver à un décideur public, en lui présentant quelques études d’usures de ces éléments du mobilier public. Il avait même réfléchi, en cas d’élus récalcitrants, à un second gain en termes de persistance du mobilier, celui représenté par la réduction des détériorations causés par les rollers et autres skateurs dont l’usage du banc était traditionnellement monnaie courante. S’il se sentait en affinité avec l’élu, si par chance celui-ci présentait un fier visage conservateur, il n’hésiterait sans doute pas à lui glisser le gain en termes électoral représenté par de tels changements dans le mobilier urbain : dans la concurrence d’usage des bancs publics, outre les jeunes couples d’amoureux, dont l’usage du banc se fait de plus en plus rare préférant en venir directement au canapé ou au lit, la compétition met avant tout aux prises les personnes âgées et les sans-domiciles fixes. Le constat, par la première catégorie de personnes, d’une disponibilité accrue de places de banc en centre-ville ne pourra qu’être mis au crédit de l’équipe municipale, renforçant par la même occasion la forte impression déjà faite par la décision courageuse de prendre un arrêté anti-mendicité.

         Il allait lui dire tout ça à son chef de bureau. Si ce dernier lui posait la question de l’utilité réelle du « banc anti-pauvreté » – il aimait dans son esprit à le dénommer ainsi même s’il ne saurait être là l’intitulé à adopter lors de sa commercialisation, il faudrait se montrer diplomate dans la terminologie à employer – il lui raconterait sans doute cette anecdote, celle qui avait fondé sa conviction de la nécessité de l’objet, celle qui avait marqué sa genèse, qui avait déclenché chez lui l’imagination créatrice de l’objet révolutionnaire, faisant de lui un digne héritier des entrepreneurs-innovants vantés par Joseph Aloïs Schumpeter. Oui, il lui raconterait cette frustration intériorisée – mais finalement ô combien salutaire – ce froid soir de décembre, où ayant manqué de quelques instants son train à grande vitesse, il avait tenté vainement de trouver place sur une des banquettes de bois de la gare toutes occupées par quelques loqueteux dont pas un ne fit un mouvement pour lui céder ne serait-ce qu’une portion de banc. Quand, installé quiètement dans son wagon de première, la colère remisée au vestiaire, il repensa à l’événement, l’idée lui vint simplement, comme naturellement. Assis dans ce train sur un siège, séparé de son voisin par un accoudoir certes molletonné et aux couleurs bariolées, il n’était qu’à reproduire le schéma et faire que du banc on s’éloigne et de la chaise on se rapproche. Nul doute d’ailleurs que ses concitoyens ne pourront qu’approuver ce retour vers des sièges individualisés.

         Si son patron montrait un certain enthousiasme pour sa création – ce dont il ne doutait absolument pas – il lui parlerait vraisemblablement des autres innovations auxquelles il avait d’ores et déjà songé. Il n’était sûrement pas hors de l’esprit de son chef cette épineuse question des bouches d’aération devenues lieu commun de stationnement des personnes sans abris. Il n’était qu’à réétudier les conduites d’aération afin de faire un usage plus écologique de cette chaleur, afin de chauffer certains bâtiments publics par exemple. Quant aux originaux qui s’arment de guitares, violons et autres instruments, il n’était qu’à prévoir l’équipement généralisé des centres-ville en haut-parleur permettant aux commerçant de diffuser une harmonieuse musique d’ambiance, dont le volume délicatement contrôlé rendrait vite inaudible le crincrin des crasseux. La journée s’annonçait radieuse.Le génial ingénieur avait su sentir l’esprit du temps et le retraduire dans quelques réalisations.

         Il ne fut pas longtemps avant que l’homme se réveille. Il était certes rare que son sommeil soit de plomb en pleine journée.

tant qu'il y aura des bancs © Pierre Miglioretti

Néanmoins il avait connu des jours meilleurs pour effectuer sa sieste quotidienne avant de reprendre sa marche à travers la ville en quête de quelque pitance et en recherche d’un lieu sûr pour la nuit. Pour sûr, les arceaux ne facilitaient pas la tâche.

         Il se souvint de ce temps ancien de sa jeunesse, où il entendit pour la première fois cette chanson de Brassens célébrant le petit bonheur des amoureux des bancs publics, se faisant alors pour la première fois la réflexion que cela ne devait désormais plus être bien commode de se bécoter confortablement sur des bancs publics…

fables modernes #43 : le mac et l’almanach

Le vieil homme, sur sa modeste chaise,
Se croyait pleinement à son aise.
Modeste et fier artisan qu’il était,
Demeurait-il devant sa table hébété.
La veille avait-il cessé toute activité,
Sans qu’il soit là question de salubrité,
Mais seulement application de la législation,
Lui octroyant, par la même occasion, ses prestations.
Sa main, enserrant mollement un verre,
Qu’il aurait pu tout aussi bien faire,
Le buste avachi s’appuyant sur l’établi,
Disaient combien il était affaibli.
Son cœur, comme au premier jour, le pomponnait
Et dans la poitrine toujours le tocsin sonnait.
Le trouble venait bel et bien de son crâne,  
De voir ainsi la vacuité en filigrane,
D’apercevoir au lointain le débarcadère du Styx,
Voyait-il au loin, impuissant, le fier Phénix.     
Devant la table et face au calendrier des postes,
Sa tragique ressemblance prochaine avec le compost  
Ne le laissait plus même entrevoir ce qui, sur l’almanach,
Avait toujours su lui enlever de la mort cet étrange trac.  
Ces mignons petits chatons des PTT
N’étaient certes qu’une leste gaité,
Mais de celles, qui du temps divertissent,
Qui des Parques et des fils qu’elles tissent,   
Font oublier que nous courrons funambules
A notre perte jusqu’au dernier crépuscule.
Il fut une sonnette pour le sortir de sa torpeur,
Il fut un facteur pour le rendre de nouveau happeur.
Déballant sur le champ le paquet du porteur,  
Il sortit un à un les composants de l’ordinateur.
Bientôt pianotait-il déjà comme un apprenti,
Oubliant là la peine sur laquelle il s’était appesanti.
 
 
Il n’est d’instruments pour tromper la mort  
Seulement l’ennui qui, à ses côtés, dort.
De son autre nom de mémoire du temps qui passe,
Contentons-nous des miettes des instants fugaces. 

Fables modernes #42 : Electre et le néon

Electre erre dans sa sordide banlieue,
Malheureuse dans ce triste milieu,
Ruminant la scabreuse mort de son père,
Par sa femme volage envoyé au cimetière.
Non contente de l’avoir cocufié,
L’avait-elle également momifié.
Fuyant ces lieux en tout point mortifères,
Ne revint-elle que bien plus tard tâter des Enfers,
Accompagnée de son frère, pour de leur engeance,
Par le goût du sang enfin obtenir vengeance.
Les deux rejetons longuement endeuillés,
Se retrouvant sur la tombe fleurie d’œillets,
Actèrent, dans l’élaboration d’un plan d’action 
Pour leur funeste réparation, leur détermination.
Dans ces espaces clos de grands ensembles, 
Il n’est pas rare que lorsqu’un corps tremble,
Par solidarité, les autres, en couvertures,
Se constituent en instrument de suture.
Ce sont de ces lieux qui conservent actes et paroles,
Que chacun écoute telle la pythie et ses fumeroles.
La discrétion de l’acte n’est qu’apparente
Et ici, des caves jusqu’aux dernières charpentes,
Les murs exhibent leurs fines oreilles ;
Les murs, sur tous les sommeils, veillent.
Accomplir le crime tant attendu en silence
N’était pour autant complication immense :
Il n’était qu’à envelopper le terme de son existence
Comme la conséquence de fâcheuses circonstances.
Pénétrant dans le modeste appartement maternel,
Oreste et sa sœur, dans le placard à flanelles,
Finalisèrent sous la pâle lueur d’un néon blanc
Les dernières actions de leur plan.
Saisissant là l’idée comme le néon,
Songeant que de la lumière naitrait le néant,
Ainsi armés de leur bâton luminescent,
Ils acculèrent la mère dans le bain moussant,
Et lui donnèrent le coup de grâce, lui confiant
De force la lampe, logiquement, l’électrocutant.
 
 
Si la vengeance est un plat qui se mange froid,
Mieux vaut, pour créer le plus grand effroi,
En pleine lumière accomplir le plus sombre des gestes.
Les yeux de la conscience verront aussi l’âme qui se leste. 

mieux vaut court que jamais #86

Les montreurs de monstruosités des cirques d’antan nous ont abandonnés. De leurs boniments à nous vendre quelques êtres disgracieux, il nous reste dans la bouche le goût de la mise en scène. Derrière ces paroles de bateleurs, avait-on néanmoins la possibilité de se faire une idée de la monstruosité, lorsque, soulevant le rideau de la cage, le monstre apparaissait. Traqués jusqu’en leur tanière, les monstres d’aujourd’hui ne sont plus mêmes vus.

***

L’équilibre économique de la monstruosité relevait du numéro d’équilibriste qui consistait à trouver la position médiane où le monstre émeut et répugne tant le public convié que le camelot, se devant un certain respect pour « sa bête », elle qui le faisait vivre. Charité chrétienne, le monstre donnait souvent dans la pitié, dont on partageait la douleur. L’abjection du monstre moderne a eu raison de l’empathie.

***

Jamais vu, jamais rencontré, construit dans une logorrhée d’images montées en boucles et montrées sur tous les écrans, le monstre d’aujourd’hui, à l’instar de ceux d’Homère ou quel qu’autres, meuble nos récits mythologiques, marque de son empreinte nauséabonde notre imaginaire collectif.