Archive pour septembre 2008

ami mot

Rencontre

 

Quand rencontre rime avec l’encontre, autrement dit quand elle arrive alors que tout semblait à notre encontre se liguer et qu’enfin un gué nous approche pour traverser le cours du fleuve, de celui des décombres de la vie que l’on subit. Comme il est doux d’y penser à ces rencontres salvatrices alors qu’elles n’avaient à priori rien de dévastatrice pour faire table rase de tout ce qui nous encombre. Mais pourtant, elle l’a fait, insidieusement, délicatement, parce qu’elle n’était pas prévue. Et pourtant on l’attendait. Pas forcément celle-ci en particulier, mais une de son espèce, de son genre, de sa race pour reprendre le « parler banlieue ». « on a pas calculé » comme il faudrait poursuivre dans cette même dynamique langagière. Et c’est là qu’est le charme et ce qui nous désarme. Pas de temps de réfléchir, de se poser de questions, encore moins celui de répondre, alors celles que l’on fourni à notre interlocuteur n’en sont pas de vraies, seulement des réflexes, des idées connexes, des idées qu’on extrait de soi, sans sentir la douleur, qu’on donne dans l’heure, même bien plus rapidement que l’éclair, chocolat ou café, qu’importe on ne se connaît plus de limites gustatives, toutes les phrases ont le goût de la communication, toutes les phrases nous font subir cette mutation qu’est le passage du mutisme sans attention à quoi que ce soit au mutualisme des sensations. On se sent en pleine fraternité avec l’autre, avec soi, bref en fraternité avec la vie donc en éternité. Plus rien n’existe alors, pas un zeste de nuage parasite, pas un zut de neige en parachute ni même un ersatz de nage en paraphrase.  Elle revigore cette rencontre, elle nous dévore. Et pourtant on l’attendait. On aurait alors pu penser qu’on aurait pu créer soi-même les conditions propices à son émergence mais ce ne serait ici que voir la partie émergée de l’iceberg, ce serait oublié que celui qui croisa la route du Titanic – à moins que ce ne soit le contraire – ne la croisa qu’au dernier moment. Evidemment il ne pouvait s’agir que du « dernier moment » rétrospectivement pour le Titanic qui vivait ici ses derniers instants. Mais si on se replace dans la temporalité du temps passé, la rencontre avait toujours indéniablement lieu « au dernier moment ». Intrinséquement cette rencontre s’est faite au « dernier moment », à un autre moment, elle n’aurait été faite, les mesures à prendre pour l’éviter auraient justement été mises en œuvre, si la temporalité avait été autre que ce « dernier moment ».

 

Alors je n’ai pas croisé un iceberg qui m’aurait brisé le flanc et les côtes en deux, laissant sortir de son bord sombrant sans sonde dans les plus noires abysses de l’océan urbain les esprits et les raisons les plus agitées par la circonstances, perdant toute contenance et tout sang-froid pour se laisser envahir par la panique environnante. Non, un iceberg n’a pas détourné ma route provoquant la manœuvre de trop, provoquant la manœuvre de la perte, de la chute inénarrable. Ni un iceberg, ni même un glaçon, pas plus qu’un gascon. Je ne me suis pas non plus contre mon gré retrouvé enfoui dans une crevasse alpine, un sérac, un glacier, une glacière, un congélateur[1] ou même une chambre froide. Une banale rencontre, mais pas de celle qui nous retient meurtrie par le froid sur le trottoir ou bien souffrant des rayons solaires sur le bitume alors qu’on voudrait que le dialogue cesse, celle qui nous rappelle combien une existence humaine non-vieille peut aussi être pesante. Non une rencontre que l’on attendait, que l’on espérait mais que l’on ne pouvait réellement provoquer, que l’on se devait d’une manière ou d’une autre donc d’attendre. Une force supérieure, une providence divine ou non se devait de montrer son existence et ses desseins, une main invisible communicationnelle devait tendre ses doigts crochus[2] et les poser sur le temps pour le retenir le temps d’un instant, le temps de l’instant. Car la rencontre se construit toujours dans l’instant, dans le temporaire. C’est à ce titre que les agences matrimoniales chargées des rencontres devraient être reclassées en agence de travail temporaire. Alors certaines sont bien destinées à durer, il ne faut pas traiter de tous les temps en même temps. Mais celle-ci était de celles qui seront toujours fugaces, qui arrivent en fuite et repartent en fugue, qui arrivent pleines d’audace et repartent sans postface, qui à un autre temps se conjuguent et à la fin nous subjuguent, qui arrivent si vivaces et repartent sans qu’elles ne s’effacent. Un intermède, un pont, une transition, un devoir de droit sans introduction[3], un développement sans explication, une phrase de R. Domenech sortie de son contexte – ou pas – bref, une petite réjouissance inattendue, une injonction inopinée de rentrée au poste au cours d’un contrôle du même nom de papiers d’identité de deux à-priori clandestins, un ballon de baudruche à l’effigie de Y. Araffat flottant au dessus de la frontière entre Cisjordanie et Israël dévisageant des militaires et douaniers placides[4] ou comme un drapeau tibétain hissé dans un lieu public au milieu de jeux, bref, parce que le précédent ne l’a pas été, je me devais de réintroduire la brièveté dans mon propos, bref une rencontre d’une parcelle de vie, mais une belle parcelle, pas une de celle qui fait florès dans le middwest américain monopolisant des espaces immenses bien souvent sans la moindre fleur justement, pas non plus une de celle que l’on drogue, que l’on gave de médicament alors que ce n’est pas elle qui est malade[5], non une parcelle bien plus rare et pourtant de laquelle les plus beaux fruits fleurissent, des fruits souvent discrets, dont on ne sait pas toujours le moment où il faudra les cueillir, si tant est si bien que nous les cueillons nous-même, puisque sans doute, sommes nous bien aussi cueillis par ces délicats et pulpeux fruits…   

 

 

dimanche 21 septembre 2008


[1] Ce qui n’est d’aucun intérêt, puisque généralement les congélateurs ne sont pas équipés de lumière à la différence des réfrigérateurs. L’enfermement dans ce second lieu, outre les gains évidents en termes de températures sont donc ceux de pouvoir élucider le mystère de la lumière intérieure. 

[2] Oui, je garde de la main invisible de l’économie classique cet attribut que je lui accorde généralement dans mon esprit, attribut qui me semble par ailleurs tout à fait justifié dans le sens où cette main invisible, lorsqu’elle nous agrippe est  bien difficile à décramponner de notre épaule.

[3] Un devoir de droit n’ayant, pour ceux qui ne le sauraient pas, aucune conclusion, ni intermédiaire, ni définitive.

[4] Comme le montrait le très beau « intervention divine » dont le nom du réalisateur m’échappe.

[5] Etrange maladie tout de même que cette agriculture intensive qui donne des médicaments au corps sein (notamment porcin mais pas que) alors que elle ne subit aucunement l’ingestion d’un quelconque toxique.

à mi-mot

Tout à re-frère.

 

Quand dissertation rime avec frustration, on se dit que le devoir n’était pas complet, qu’il pêchait bien souvent par manque de précision, par sur-existence de flou, certes bien souvent artistique mais bien toujours flou. Alors moi de mon côté je me suis bien senti floué et justement mis de côté. Si il avait tant mis en scène l’évasif, n’étais-ce pas pour choisir l’évasion ? si il avait tant axé son travail sur l’ambigu, n’étais-ce pas révélateur d’une crise d’envie aiguë ?  mais il ne s’agit pas d’une dissertation[1] comme une autre, heureusement pour lui, tant il s’est montré peu disert, il serait agi de crier dans le désert. Ici, ni pédagogue, ni élève. Pas un pour mener l’autre, pas même un pour rattraper l’autre. pas même de dialectique du maître et de l’esclave chère à Hegel. Pas même travail théorique, travail psychologique indirectement certainement, mais surtout travail de terrain. Mais le terrain est glissant, surtout nous marchons en terrain inconnu. La terra incognita pour deux être incognito l’un pour l’autre. Alors on craint. On craint pour un rien et pourtant on se dit qu’il suffit justement d’un rien pour que le temps change, qu’il se découvre et du coup, nous aussi, sans s’enticher de la pensée que le ciel ou l’autre de l’un de nous pourrait nous tomber sur la tête.

 

Mais cette dissertation a bien eu lieue, ou plutôt a lieu. A quelques lieues de distance, on se tance de dix mots par dix mots, sans non plus se maudire mais permettre de pouvoir mot dire. Et à dire vrai, la méthode peut être séduisante. Pas besoin de discours sur la méthode, car elle est elle-même faite d’un long et je l’espère intarissable discours, celui que la bouche de d’autres a accepté d’accueillir. Il n’est pas question ici de mère porteuse se voyant dans l’obligation de balayer devant sa porte. Non, il faut qu’une porte soit ouverte ou fermée, et ce n’est pas à elle de l’ouvrir. Pas non plus question de famille d’accueil pour recueillir les saints sacrements de notre fratrie. On a ouvert la cage aux oiseaux, qui se sont envolés, vers ailleurs. Ailleurs, c’est cet endroit où tout peut se réaliser, non où les rêves ou les souhaits peuvent concrètement se réaliser, mais ou tous les lignes de papiers et leurs ratures ne sont plus de simples peintures. L’ailleurs peut donc être malheur ou bien bonheur. L’ailleurs est seulement le ferment gouailleur qui rend riche de parole le plus pauvre des orpailleurs de la langue. Notre ailleurs, il est donc aussi ailleurs de nous-même, tout autant qu’il nous y intègre. On pourrait se croire en pleine science-fiction, ou en psychologie-fiction, mais il n’est que question d’intermédiaire imaginaire, intermédiaire fictif comme ferment actif de la gestation de notre fratrie. Oui, celle-ci est en train de naître, en train, à toute allure, mais sur une voie qui n’existe pas. Ni première, ni seconde ou encore moins troisième voie, celle-ci est aussi un de nos ailleurs que l’on n’a pas emprunté à nos aïeuls, que l’on a pas tiré d’un botte de glaïeuls qui traînait là. Oui, le temps de gestation de la fratrie est bien plus long que celui de la progéniture humaine unique. Temps qu’il faudrait sans nul doute multiplier par le nombre de rejeton en question, mais tout ceci sans aucune considération de caractère, de tempéraments, de comportements et de choix de vie.

 

Ainsi aucun scientifique n’a pu pour le moment déterminer un temps, un tant soit peu fixe, pour la gestation d’une fratrie, sans compter les nombreux cas de fausse couche d’une fratrie. Les scientifiques ont ainsi pu déceler un nombre jamais rencontré dans aucune autre espèce de fausses couches de fratrie ou même de fratries morts-nées. Mais ce que les scientifiques ne peuvent affirmer par souci d’objectivité et pour éviter dans une subjectivité qui serait tout à fait a-scientifique, ce sont les très nombreuses situations de fausses fratries, de ces fratries qui semblent exister tout en étant bien au contraire inexistantes. Les sujets observés dans ces situations de faux-semblant sont caractérisées par des rapports au demeurant tout à fait normaux, des liens réguliers, parfois même qui semblent proches du fait de certaines connivences voire même une certaine complicité. Mais cette façade fraternelle peut bien souvent cacher un profond mal-être, parfois même des non-dits, des mots absents et sans excuses, des mots bavards sans rapport avec le cours du cours, des mots doux dans des moments forts, des momies qui se cachent à mi-mot, des mots tard quand il se fait tôt, bref des mots en décalage, des mots en balades, des mots en vadrouilles, des mots qui prennent la rouille sous l’effet de l’eau du temps qui suit son cours.

 

Alors le cours doit être interrompu, un doigt levé, une question, une correction, une remarque, un « j’ai pas compris, M’sieur », voire même une boule puante nécessitant l’évacuation immédiate de la salle pour des raisons de sécurité et de bon déroulement de l’enseignement primaire dispensé par un fonctionnaire habilité par l’IUFM à diffuser son savoir à toute la population sans discrimination de sexe, de nationalité, d’ethnie, de taille, de poids, de couleurs de yeux, de vêtements moches, de lunettes cassés, de dentition défectueuse, de coupe de cheveux trop assimilée à celle d’un journaliste belge fictif,… bref, toute méthode est bonne à prendre pour interrompre le cours et se mettre à la rédaction de cette dissertation à quatre mains, corrigée en temps réel par les mêmes quatre mains…

 

 

lundi 15 septembre 2008


[1] En fait, une dissertation à la Pennac, comme de celle de « Messieurs les enfants », dissertation qui se veut aussi réaliste que possible, au point de la faire vivre, cette réalité.