ami mot
Rencontre
Quand rencontre rime avec l’encontre, autrement dit quand elle arrive alors que tout semblait à notre encontre se liguer et qu’enfin un gué nous approche pour traverser le cours du fleuve, de celui des décombres de la vie que l’on subit. Comme il est doux d’y penser à ces rencontres salvatrices alors qu’elles n’avaient à priori rien de dévastatrice pour faire table rase de tout ce qui nous encombre. Mais pourtant, elle l’a fait, insidieusement, délicatement, parce qu’elle n’était pas prévue. Et pourtant on l’attendait. Pas forcément celle-ci en particulier, mais une de son espèce, de son genre, de sa race pour reprendre le « parler banlieue ». « on a pas calculé » comme il faudrait poursuivre dans cette même dynamique langagière. Et c’est là qu’est le charme et ce qui nous désarme. Pas de temps de réfléchir, de se poser de questions, encore moins celui de répondre, alors celles que l’on fourni à notre interlocuteur n’en sont pas de vraies, seulement des réflexes, des idées connexes, des idées qu’on extrait de soi, sans sentir la douleur, qu’on donne dans l’heure, même bien plus rapidement que l’éclair, chocolat ou café, qu’importe on ne se connaît plus de limites gustatives, toutes les phrases ont le goût de la communication, toutes les phrases nous font subir cette mutation qu’est le passage du mutisme sans attention à quoi que ce soit au mutualisme des sensations. On se sent en pleine fraternité avec l’autre, avec soi, bref en fraternité avec la vie donc en éternité. Plus rien n’existe alors, pas un zeste de nuage parasite, pas un zut de neige en parachute ni même un ersatz de nage en paraphrase. Elle revigore cette rencontre, elle nous dévore. Et pourtant on l’attendait. On aurait alors pu penser qu’on aurait pu créer soi-même les conditions propices à son émergence mais ce ne serait ici que voir la partie émergée de l’iceberg, ce serait oublié que celui qui croisa la route du Titanic – à moins que ce ne soit le contraire – ne la croisa qu’au dernier moment. Evidemment il ne pouvait s’agir que du « dernier moment » rétrospectivement pour le Titanic qui vivait ici ses derniers instants. Mais si on se replace dans la temporalité du temps passé, la rencontre avait toujours indéniablement lieu « au dernier moment ». Intrinséquement cette rencontre s’est faite au « dernier moment », à un autre moment, elle n’aurait été faite, les mesures à prendre pour l’éviter auraient justement été mises en œuvre, si la temporalité avait été autre que ce « dernier moment ».
Alors je n’ai pas croisé un iceberg qui m’aurait brisé le flanc et les côtes en deux, laissant sortir de son bord sombrant sans sonde dans les plus noires abysses de l’océan urbain les esprits et les raisons les plus agitées par la circonstances, perdant toute contenance et tout sang-froid pour se laisser envahir par la panique environnante. Non, un iceberg n’a pas détourné ma route provoquant la manœuvre de trop, provoquant la manœuvre de la perte, de la chute inénarrable. Ni un iceberg, ni même un glaçon, pas plus qu’un gascon. Je ne me suis pas non plus contre mon gré retrouvé enfoui dans une crevasse alpine, un sérac, un glacier, une glacière, un congélateur[1] ou même une chambre froide. Une banale rencontre, mais pas de celle qui nous retient meurtrie par le froid sur le trottoir ou bien souffrant des rayons solaires sur le bitume alors qu’on voudrait que le dialogue cesse, celle qui nous rappelle combien une existence humaine non-vieille peut aussi être pesante. Non une rencontre que l’on attendait, que l’on espérait mais que l’on ne pouvait réellement provoquer, que l’on se devait d’une manière ou d’une autre donc d’attendre. Une force supérieure, une providence divine ou non se devait de montrer son existence et ses desseins, une main invisible communicationnelle devait tendre ses doigts crochus[2] et les poser sur le temps pour le retenir le temps d’un instant, le temps de l’instant. Car la rencontre se construit toujours dans l’instant, dans le temporaire. C’est à ce titre que les agences matrimoniales chargées des rencontres devraient être reclassées en agence de travail temporaire. Alors certaines sont bien destinées à durer, il ne faut pas traiter de tous les temps en même temps. Mais celle-ci était de celles qui seront toujours fugaces, qui arrivent en fuite et repartent en fugue, qui arrivent pleines d’audace et repartent sans postface, qui à un autre temps se conjuguent et à la fin nous subjuguent, qui arrivent si vivaces et repartent sans qu’elles ne s’effacent. Un intermède, un pont, une transition, un devoir de droit sans introduction[3], un développement sans explication, une phrase de R. Domenech sortie de son contexte – ou pas – bref, une petite réjouissance inattendue, une injonction inopinée de rentrée au poste au cours d’un contrôle du même nom de papiers d’identité de deux à-priori clandestins, un ballon de baudruche à l’effigie de Y. Araffat flottant au dessus de la frontière entre Cisjordanie et Israël dévisageant des militaires et douaniers placides[4] ou comme un drapeau tibétain hissé dans un lieu public au milieu de jeux, bref, parce que le précédent ne l’a pas été, je me devais de réintroduire la brièveté dans mon propos, bref une rencontre d’une parcelle de vie, mais une belle parcelle, pas une de celle qui fait florès dans le middwest américain monopolisant des espaces immenses bien souvent sans la moindre fleur justement, pas non plus une de celle que l’on drogue, que l’on gave de médicament alors que ce n’est pas elle qui est malade[5], non une parcelle bien plus rare et pourtant de laquelle les plus beaux fruits fleurissent, des fruits souvent discrets, dont on ne sait pas toujours le moment où il faudra les cueillir, si tant est si bien que nous les cueillons nous-même, puisque sans doute, sommes nous bien aussi cueillis par ces délicats et pulpeux fruits…
dimanche 21 septembre 2008
[1] Ce qui n’est d’aucun intérêt, puisque généralement les congélateurs ne sont pas équipés de lumière à la différence des réfrigérateurs. L’enfermement dans ce second lieu, outre les gains évidents en termes de températures sont donc ceux de pouvoir élucider le mystère de la lumière intérieure.
[2] Oui, je garde de la main invisible de l’économie classique cet attribut que je lui accorde généralement dans mon esprit, attribut qui me semble par ailleurs tout à fait justifié dans le sens où cette main invisible, lorsqu’elle nous agrippe est bien difficile à décramponner de notre épaule.
[3] Un devoir de droit n’ayant, pour ceux qui ne le sauraient pas, aucune conclusion, ni intermédiaire, ni définitive.
[4] Comme le montrait le très beau « intervention divine » dont le nom du réalisateur m’échappe.
[5] Etrange maladie tout de même que cette agriculture intensive qui donne des médicaments au corps sein (notamment porcin mais pas que) alors que elle ne subit aucunement l’ingestion d’un quelconque toxique.