Archive pour juin 2012
Face au choix à effectuer, il ne pouvait que se défiler. Incapable d’agir, de rendre son incommensurable intelligence pratique et concrète. Dans la boucherie des spécimens humains, il était le morceau de choix que personne ne s’arrachait.
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Le neurasthénique à mesure qu’il enfonce sa tête dans la terre, en mimétisme de l’autruche cherchant à se préserver d’on ne sait quel danger, avale ces grains de sable qui communément enraye la machine.
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Le regard fixement posé sur la tapisserie des waters, faite d’un délicat relief répété à l’infini ou presque, il n’est plus guère possibilité pour lui de reculer. Posté sur le siège, si sa conviction ne l’y incite guère, il est désormais temps de prendre congé des lieux et d’enfin achever sa lecture réconfortante et intermittente.
« C’qui me fait marrer tu sais…
Interruption de conversation
C’qui me fait marrer c’est…
Le fil du dialogue s’emmêle.
C’qui me fait marrer avec…
Elle lui coupe alors la parole. Le discours s’emplit de discorde et n’a-t-elle plus même envie d’évoquer son souvenir d’amusement.
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Dans son esprit anticlérical primaire, Jeanne d’Arc grava de son glaive sur la table qui lui tenait lieu de pupitre pour ses révisions de latin, « qui brûle un cierge, brûle une vierge ».
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Voulant l’épater et la surprendre sur son balcon, il monta sur son escabeau pour tenter de décrocher la lune. Dans sa chute il se décrocha la clavicule.
Choisir sa caisse en fonction de la joliesse de l’hôtesse est bien souvent hâtivement taxé de sexisme tandis que le choix sur le critère de vitesse du flux s’assimile à de l’utilitarisme. Il n’est plus qu’à tirer aux dés le tapis divin.
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Au contact soudain, sur le tapis de caisse, de la délicate peau d’une pomme de terre Agata, il sursauta. Son isolement sensoriel le rendait désormais ému au moindre touché.
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La caissière, par obligation contractuelle, lui tendit le ticket. Par obligation sensorielle, ses muscles buccaux se tendirent, résultant en un gracieux sourire, lui faisant oublier l’usage de la main afin de réceptionner le précieux papier. Pressée, la vieille qui le suivait, installait déjà son cabas, le poussant déjà vers la sortie, mais lui rappelant, négligemment « vous avez un ticket monsieur ».
Il est paraît-il, chez ce bonhomme, attablé devant son bock de bistro, un inadapté qui sommeille. Souvent, il bougonne et marmonne. Souvent, de quelques mots, ils molestent les gens. Il a la parole leste lui reproche-t-on, à n’en savoir qu’en faire, à l’en l’user à tout bout de champ. Il blesse parfois, même si l’on omet que souvent il amuse aussi. Il n’en ignore rien et concède ce tempérament, qu’il met à l’abri des passants, en occupant cette place à laquelle désormais personne ne touche, à quelques distances de la rue. Les habitués se sont, pour la plupart, fait une raison face à cet atrabilaire impétueux duquel ils ne prennent plus guère ombrage. Certains mettent cela sur le compte de son caractère et n’aiment guère à le fréquenter. D’autres considèrent pudiquement, que ce sont des accidents de la vie qui l’ont aigri et s’attardent à échéances irrégulières à sa table pour quelques brefs échanges où l’emportement cède à l’apaisement.
Posté entre le fromage et les desserts, armé de son accordéon, il presse les touches avec passion. Il pousse la voix, tout aussi fort qu’habituellement. Dans les hauteurs des rayons, le son se diffuse et s’évapore. Nulle réverbération, nulle contenance du son qui prend ses aises et s’enfile vite dans les airs, rejoignant bientôt les conduites d’aération. Il est même une cliente de la grande surface, esquissant quelques pas de danse, pour attester de l’intérêt que sa présence représente. Le morceau achevé, quelques clameurs s’élèvent, pauvres en quantité, elles le sont plus en qualité. Ils sont ainsi quatre ou cinq tout au plus à accompagner le mouvement, mais à s’en donner à cœur joie, à accompagner vivement le musicien de leur enthousiasme. Ces seuls clients et les quelques articles présents devant lui qui s’écoulent plus qu’à l’accoutumée font sa présence acceptée, voire même normale. Il aurait pu animer le bal du dimanche, à faire guincher quelques âmes vieillies, le pas vacillant, mais les yeux pétillant du bonheur nécessairement communicatif de l’accordéon musette. Au lieu de cela, il glisse doucement sur le carrelage esquinté de la grande surface, tentant d’oublier dans cette esquisse d’accompagnement du corps dansant son incongruité à proximité des bleus d’Auvergne et autres tommes de Savoie. Pourtant entre deux fromages aux facultés olfactives indéniables, l’accordéoniste diatonique ne détonne pas. Vêtu de son gilet de laine et de son béret, affichant fièrement son épaisse moustache négligemment brossée, il ne pourrait être plus à sa place, en effigie grandeur nature d’une forme de folklore dont s’éprennent vite les citadins qui n’ont guère plus vu ce à quoi ressemble l’original. Ils préfèrent désormais la copie. Que celui qui n’a jamais rit à une de ces mascottes zonant sur les bords des terrains de sport lui jette la première pierre.
Il y a quelques encablures dans le temps, sous mes yeux, un orchestre entier s’était trouvé piégé dans un magasin d’état finlandais. Dans l’entre-deux de la montée et de la descente des escalators, ils étaient tous là, étriqués, serrés, recroquevillés. Dans l’ambiance de soldes, les clients s’envoyaient en l’air leurs derniers salaires, montant et descendant, pour certains, ayant l’oreille distraite et glanant quelques notes. Pas déroutés, les musiciens enchainaient sans fausse note, certains mêmes, plus à l’aise avec leur instrument ou dans un silence, observaient ces allées et venues d’hommes et de femmes chargés de sacs et autres paquets. Tous, ou presque, masquant leur naturel finlandais, oubliant les circonstances, conservent sur leurs faces le sourire radieux d’un contentement dont je peine pourtant encore à trouver l’origine. L’espace bien trop étroit, l’acoustique déplorable entre les deux rambardes d’escalator, les esprits orientés vers les emplettes à peu de frais ne pourraient être de plus propices conditions pour un quelconque concerto. Ils avaient pris place dans le décor du magasin, encastré dans un espace vacant, car le mercantilisme a horreur du vide. Il n’est qu’à voir les zélés employés de supermarchés dont une des missions consiste à donnant l’apparence de rayonnages sans cesses pleins à craquer. L’orchestre, dans sa hiérarchie spatiale – entre les cordes au premier rang, les cuivres venant en suivant avec les bois – n’est, à ce titre, rien de moins que bien agencé dans cet espace exigu. Il est adapté à l’ordre du monde.
La parcelle, le paysan et sa famille ; à côté, une autre parcelle, un autre paysan et une autre famille. Un certain nombre de ces familles fondent un village et un certain nombre de villages un département. Ainsi, la grande masse de la nation française est constituée par une simple addition de grandeurs de même nom, à peu près de la même façon qu’un sac rempli de pommes de terre forme un sac de pommes de terre, Karl Marx, le 18 Brumaire de Louis-Napoléon Bonaparte.
Face au mannequin de plastique, en guise de glace, il enchainait les mimiques mystifiant sa mine naturelle et espérant ainsi trouver la juste figure de l’homme de marbre.
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A condition de lui ôter son bec de lièvre, son œil crevé, son pied bot et son cheveu hirsute, on eut pu le considérer comme un homme élégant.
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Son mac la maquilla de telle sorte qu’elle manquait du bagout nécessaire, la convertissant en délicate madone qui faisait craindre pour son crédit sur le pavé du trottoir.