Archive pour juin 2012

fables modernes #71 : la ride et l’éphéméride

« A la sainte Ursule,
Observe la pendule. »
Proclame le proverbe sans âge
Qui invite à contempler l’ouvrage,
L’œuvre d’une vie presque achevée,
Fuyante sous les assauts du vent mauvais.
Ainsi dans la reflet du l’horloge
La ride seule l’interroge.
La coquette poule qui jadis caquetait
Ecarquille ses délicats yeux fardés,
Plissant ses paupières verdâtres,
Rendant sa peau blanche grisâtre,
Révélant du visage cette déliquescence,
Soulignant du temps son essence,
Elle découvrait surtout cette première ride,
Balafre zébrant silencieusement sa joue aride,   
Engageant le combat avec la peau et ses cellules,
D’un épiderme qui ne connaissait pas même de ridules,
Lisse et immaculé, comme encore juvénile
Il n’avait pas les traces des méfaits séniles.
Alors cette première incursion,
Du temps et ses persécutions,
N’était point là pour la réjouir,
La voyant dans la lumière reluire,
Comme une évidence qu’elle se cachait,
D’une croyance à laquelle elle s’attachait.
 
 
Si nul n’ignore les affres du temps,
D’une aiguille lentement y trottant,
Marquant chaque étape du chemin,
Où porter la croix de ses propres mains,
Se balise ainsi une certitude,
Faisant taire les inquiétudes. 

fables modernes #70 : la carotte et le bâton

Au milieu d’un champs de patates,
Une carotte qui n’avait aucune hâte,
De sortir la tête de dessous terre,
Inquiétait le pourtant débonnaire,
Paysan qui l’avait au printemps semée,
Afin, parmi d’autres, d’alimenter l’armée.
Car non-mobilisé en temps de guerre,
Il se devait de fournir les rations alimentaires,
Qui devraient nourrir la chair à canon,
Ne pouvant se présenter en avorton,
Devant l’ennemi mis en appétit,
Par on ne sait quelle soif de patrie.
Le paysan devint vite soucieux,
De ne voir croitre la carotte sous les cieux,
Risquant par les généraux de se voir dénoncé, 
Eux-mêmes dans la hiérarchie engoncés,
Se devant d’alimenter l’ennemi au front,
Avec de vivifiants nouveaux hameçons.
Ainsi subissant cette sombre marotte,
Attendait-on de la pauvre carotte,
Premier maillon de cette chaîne,
D’enfin jaillir sans la moindre peine.
Alimentée et gavée de produits chimiques,
Espérait-on voir sa croissance mécanique,
Comme au-delà des tranchés quelques gaz,
Qui d’un coup l’adversaire écrase,
Une incitation pour l’apiacée,
Croyant déjà là avoir la panacée,
Pour faire croitre tous les légumes,
Voire même assister les agrumes.
Mais rien ne faisait dresser la chevelure,
Rien ne faisait exhiber cette touffe de verdure,
Qui parsème le sommet de son être,
Et dont on la saisit quand elle est prête.
Même, par le paysan, titillée du bâton,
Ne voulait-elle sortir de son cocon.
 
 
Il n’est dans circonstances troubles
D’incitations, faisant la motivation double.
Quand viennent les plus sombres désolations,
Seule demeure la posture de l’hibernation.

mieux vaut court que jamais #142

Face au choix à effectuer, il ne pouvait que se défiler. Incapable d’agir, de rendre son incommensurable intelligence pratique et concrète. Dans la boucherie des spécimens humains, il était le morceau de choix que personne ne s’arrachait.

***

Le neurasthénique à mesure qu’il enfonce sa tête dans la terre, en mimétisme de l’autruche cherchant à se préserver d’on ne sait quel danger, avale ces grains de sable qui communément enraye la machine.

***

Le regard fixement posé sur la tapisserie des waters, faite d’un délicat relief répété à l’infini ou presque, il n’est plus guère possibilité pour lui de reculer. Posté sur le siège, si sa conviction ne l’y incite guère, il est désormais temps de prendre congé des lieux et d’enfin achever sa lecture réconfortante et intermittente.

mieux vaut court que jamais #141

« C’qui me fait marrer tu sais…

Interruption de conversation

C’qui me fait marrer c’est…

Le fil du dialogue s’emmêle.

C’qui me fait marrer avec…

Elle lui coupe alors la parole. Le discours s’emplit de discorde et n’a-t-elle plus même envie d’évoquer son souvenir d’amusement.

***

Dans son esprit anticlérical primaire, Jeanne d’Arc grava de son glaive sur la table qui lui tenait lieu de pupitre pour ses révisions de latin, « qui brûle un cierge, brûle une vierge ».

***

Voulant l’épater et la surprendre sur son balcon, il monta sur son escabeau pour tenter de décrocher la lune. Dans sa chute il se décrocha la clavicule.

mieux vaut court que jamais #140

Choisir sa caisse en fonction de la joliesse de l’hôtesse est bien souvent hâtivement taxé de sexisme tandis que le choix sur le critère de vitesse du flux s’assimile à de l’utilitarisme. Il n’est plus qu’à tirer aux dés le tapis divin.

***

Au contact soudain, sur le tapis de caisse, de la délicate peau d’une pomme de terre Agata, il sursauta. Son isolement sensoriel le rendait désormais ému au moindre touché.

***

La caissière, par obligation contractuelle, lui tendit le ticket. Par obligation sensorielle, ses muscles buccaux se tendirent, résultant en un gracieux sourire, lui faisant oublier l’usage de la main afin de réceptionner le précieux papier. Pressée, la vieille qui le suivait, installait déjà son cabas, le poussant déjà vers la sortie, mais lui rappelant, négligemment « vous avez un ticket monsieur ».

mieux vaut court que jamais #139

Après avoir posé sur le papier les mesures exactes des deux pièces atteintes par le dégât des eaux à destination de l’assurance, les avoir redonnées à l’organisme de l’expertise puis à l’expert lui-même, le peintre pénétrant chez moi demanda à prendre les mesures. Une telle débauche d’énergie pour des tâches de plafond d’à peine 1m2 cumulées et tant de personnes mobilisées font une fâcheuse concurrence à l’économie soviétique.

***

La quête du trèfle à quatre feuilles n’avait pas débuté depuis plus d’une heure qu’il trouva son bonheur sous la forme d’une marguerite pourtant légion dans le champ.

***

Dans sa démarche scientifique, il ne put se contenter d’un exemplaire unique. Etablissant un échantillon statistique représentatif tant en quantité qu’en qualité, il dut se saisir de 216 marguerites issues de 200 parcelles représentants 123 champs différents dans un large panel de climats avant de les émietter une à une afin de savoir si effectivement sa chère et tendre l’aimait passionnément.

sur le vif #63 : inadapté

         Il est paraît-il, chez ce bonhomme, attablé devant son bock de bistro, un inadapté qui sommeille. Souvent, il bougonne et marmonne. Souvent, de quelques mots, ils molestent les gens. Il a la parole leste lui reproche-t-on, à n’en savoir qu’en faire, à l’en l’user à tout bout de champ. Il blesse parfois, même si l’on omet que souvent il amuse aussi. Il n’en ignore rien et concède ce tempérament, qu’il met à l’abri des passants, en occupant cette place à laquelle désormais personne ne touche, à quelques distances de la rue. Les habitués se sont, pour la plupart, fait une raison face à cet atrabilaire impétueux duquel ils ne prennent plus guère ombrage. Certains mettent cela sur le compte de son caractère et n’aiment guère à le fréquenter. D’autres considèrent pudiquement, que ce sont des accidents de la vie qui l’ont aigri et s’attardent à échéances irrégulières à sa table pour quelques brefs échanges où l’emportement cède à l’apaisement.

         Posté entre le fromage et les desserts, armé de son accordéon, il presse les touches avec passion. Il pousse la voix, tout aussi fort qu’habituellement. Dans les hauteurs des rayons, le son se diffuse et s’évapore. Nulle réverbération, nulle contenance du son qui prend ses aises et s’enfile vite dans les airs, rejoignant bientôt les conduites d’aération. Il est même une cliente de la grande surface, esquissant quelques pas de danse, pour attester de l’intérêt que sa présence représente. Le morceau achevé, quelques clameurs s’élèvent, pauvres en quantité, elles le sont plus en qualité. Ils sont ainsi quatre ou cinq tout au plus à accompagner le mouvement, mais à s’en donner à cœur joie, à accompagner vivement le musicien de leur enthousiasme. Ces seuls clients et les quelques articles présents devant lui qui s’écoulent plus qu’à l’accoutumée font sa présence acceptée, voire même normale. Il aurait pu animer le bal du dimanche, à faire guincher quelques âmes vieillies, le pas vacillant, mais les yeux pétillant du bonheur nécessairement communicatif de l’accordéon musette. Au lieu de cela, il glisse doucement sur le carrelage esquinté de la grande surface, tentant d’oublier dans cette esquisse d’accompagnement du corps dansant son incongruité à proximité des bleus d’Auvergne et autres tommes de Savoie. Pourtant entre deux fromages aux facultés olfactives indéniables, l’accordéoniste diatonique ne détonne pas. Vêtu de son gilet de laine et de son béret, affichant fièrement son épaisse moustache négligemment brossée, il ne pourrait être plus à sa place, en effigie grandeur nature d’une forme de folklore dont s’éprennent vite les citadins qui n’ont guère plus vu ce à quoi ressemble l’original. Ils préfèrent désormais la copie. Que celui qui n’a jamais rit à une de ces mascottes zonant sur les bords des terrains de sport lui jette la première pierre.

         Il y a quelques encablures dans le temps, sous mes yeux, un orchestre entier s’était trouvé piégé dans un magasin d’état finlandais. Dans l’entre-deux de la montée et de la descente des escalators, ils étaient tous là, étriqués, serrés, recroquevillés. Dans l’ambiance de soldes, les clients s’envoyaient en l’air leurs derniers salaires, montant et descendant, pour certains, ayant l’oreille distraite et glanant quelques notes. Pas déroutés, les musiciens enchainaient sans fausse note, certains mêmes, plus à l’aise avec leur instrument ou dans un silence, observaient ces allées et venues d’hommes et de femmes chargés de sacs et autres paquets. Tous, ou presque, masquant leur naturel finlandais, oubliant les circonstances, conservent sur leurs faces le sourire radieux d’un contentement dont je peine pourtant encore à trouver l’origine. L’espace bien trop étroit, l’acoustique déplorable entre les deux rambardes d’escalator, les esprits orientés vers les emplettes à peu de frais ne pourraient être de plus propices conditions pour un quelconque concerto. Ils avaient pris place dans le décor du magasin, encastré dans un espace vacant, car le mercantilisme a horreur du vide. Il n’est qu’à voir les zélés employés de supermarchés dont une des missions consiste à donnant l’apparence de rayonnages sans cesses pleins à craquer. L’orchestre, dans sa hiérarchie spatiale – entre les cordes au premier rang, les cuivres venant en suivant avec les bois – n’est, à ce titre, rien de moins que bien agencé dans cet espace exigu. Il est adapté à l’ordre du monde.

fables modernes #69 : le sceau et la sotte

Tâtonnant de la main dans la boite,
Malgré la surprise demeura-t-elle coite.
L’habituelle texture de ferraille, 
Qui tapisse ses entrailles,
S’était évanouie sous le papier,
D’une enveloppe sur le fond du clapier.
La donzelle qui n’attendait aucun courrier,
Pas même du fisc ou d’acte notarié,
S’en saisit toute à sa joie,
Les joues enjouées de l’émoi,
S’extasiant sur ce sceau inconnu,
Qu’exhibait l’enveloppe et son dos nu.
Songeant déjà à la décacheter,
Dans l’escalier est-elle à se hâter,
Car nulle raison pourtant,
Dans le commun des habitants,
La pousserait là à ouvrir son intimité,
Comme dans une promiscuité,
Où elle livrerait les espoirs,
Qu’incarne ce courrier aléatoire.
Montant quatre à quatre les marches,
Dans une guillerette démarche,
Que son cerveau suit tout autant,
Se figure-t-elle déjà les mots de l’amant,
Couvrant tant de papier de sa plume leste,
Comme son cœur qui délicieusement se déleste.
Fixé à sa table toute la nuit durant,
S’est-il à sa fièvre et son serment,
Nourrit pour ne s’en extraire,
Qu’une fois l’écrit épistolaire
Achevé dans l’instantanéité,
D’un souffle son cerveau délité,
Clôturant aux lueurs de l’aurore,
Le sort de l’écriture de son corps
D’un geste ferme de la cire en morceau,
Qu’il écrasa sèchement sous son sceau.   
Enfin dans son petit intérieur,
La demoiselle n’en retient sa ferveur,
Pour sans délai dévoiler la lettre,
Qu’eut l’idée de lui envoyer son ancêtre,
Quelques siècles après son trépas,
Ne songeant aux sombres dégâts.
 
 
A la recherche de l’amour éperdu,
Nulle grâce pour la banale lettre perdue,
Chez l’aveuglée au cœur sec,
Dont seule la passion est La Mecque. 

fables modernes #68 : la pomme de terre et le topinambour

On ne pourrait guère,
D’une pomme de terre
S’adressant à un topinambour,
Attendre autre discours,
Que celui de la fierté,
De celle qui a la primauté,
Dans la cuisine contemporaine,
Pourtant de l’autre cousine lointaine.
Cela est cependant loin de leurs tourments
Et ne l’abordent-ils que rarement.
Dans cette conversation inédite,
A laquelle les tubercules nous invitent,
De cet état de fait culinaire,
N’ont-ils qu’en faire,
Fuyant toute forme de babillage,
Et de ces rivalités d’enfantillage,
Qui clivent les êtres pour rien,
Qui d’unions opèrent comme freins.    
Il n’était pas même question
D’évoquer le temps des rations,
De cette époque où le topinambour,
Sinon acclamé de la fanfare et ses tambours,
Avait ravi, à défaut de leur cœur,
L’estomac des hommes qui meurent.
Ces stigmates de la guerre,
N’étaient plus leur affaire,
Et préféraient-ils se dorant
Dans la poêle rissolant,
Se questionner sur la pertinence
De Marx, ses théories et leur consistance,
De sa croyance en le manque de conscience,
D’une classe paysanne ne trouvant de sens
Guère plus commun, que les pommes de terre
Dans leur sac, ne songeant de leur tortionnaire
A s’affranchir, afin de recouvrer leur dignité
De tubercules à la si grande prolixité.  
 
 
S’il n’est guère de philosophes
Ne craignant la moindre catastrophe
Il est aussi des tubercules
De philosophes peu crédules.
 

La parcelle, le paysan et sa famille ; à côté, une autre parcelle, un autre paysan et une autre famille. Un certain nombre de ces familles fondent un village et un certain nombre de villages un département. Ainsi, la grande masse de la nation française est constituée par une simple addition de grandeurs de même nom, à peu près de la même façon qu’un sac rempli de pommes de terre forme un sac de pommes de terre, Karl Marx, le 18 Brumaire de Louis-Napoléon Bonaparte.

mieux vaut court que jamais #138

Face au mannequin de plastique, en guise de glace, il enchainait les mimiques mystifiant sa mine naturelle et espérant ainsi trouver la juste figure de l’homme de marbre.

***

A condition de lui ôter son bec de lièvre, son œil crevé, son pied bot et son cheveu hirsute, on eut pu le considérer comme un homme élégant.

***

Son mac la maquilla de telle sorte qu’elle manquait du bagout nécessaire, la convertissant en délicate madone qui faisait craindre pour son crédit sur le pavé du trottoir.