Archive pour mars 2009

peut-on rêver d’un monde apatride ?

L’exil.

 

 

Tous les exils
mènent à Bordeaux. C’est une constante qui s’écrit au fil de l’histoire – qui a
bien ses limites et d’ailleurs elles sont plutôt de taille si on y réfléchit
bien ou même si on y réfléchit qu’à moitié avachi sur son café-calva du lundi
matin. Outre les gouvernements français qui ont particulièrement aimé s’y
installer aux temps où l’aigle allemand laissait s’exprimer toute l’envergure
de ses ailes, on compte au moins deux autres exils de taille qui ont marqué la
cité girondine : Alain Juppé et moi-même.

 

Pour ce qui
est d’Alain Juppé, les circonstances sont certes particulière puisque Bordeaux
est pour lui tout à la fois la gare de départ et la gare d’arrivée de son exil.
Car chaussé de ses bottes de sept lieux qui auraient du – à condition de rester
droit dedans – lui permettre de réformer la France en deux temps – notamment le
présent et le futur car dans ces cas on abroge le passé d’autant qu’il est bien
souvent imparfait ou composé – et trois mouvements – parmi lesquels figuraient
le mouvement d’érection digitale autour de la figure centrale du majeur ( digitus impudicous pour les latinistes
polissons)  à l’attention de ces cols
bleus à qui on ne la fait pas comme ça et pour qui, si le terme
« grève » ne sert pas qu’à désigner un lieu à forte teneur olfactive
halieutique, ce n’est pas pour rien – il s’est pris les pieds dans le tapis,
mis KO dès la première reprise. Alors à la première occasion il prit la poudre
d’escampette et posa ses bottes sur le marche-pied du train Montparnasse-Bordeaux
afin de détrôner le duc d’Aquitaine Chaban-Delmas. Pour être exact, il l’avait
déjà détrôné, à moins que ce ne fut Chaban qui se donna lui-même le coup de
grâce en tentant de pousser au plus loin son avantage. Suicide par guillotine
assistée si vous préférez. Mais il restait à Juppé à digérer l’héritage du
chabanisme tout en se promettant de ne pas régurgiter l’indigestion nationale
et l’intoxication alimentaire que camarade Chirac venait de lui asséner. Ce fut
donc le premier exil Juppé : exil de la nation pour retrouver cette province
honnie par lui. « Le terme hideux de
province
 » pour reprendre cette expression de Malraux dont il
souhaitait la disparition prochaine à coup de maisons de la culture et autres
gadgets ministériels sous la coupole de la splendide décentralisation
culturelle, cette expression n’était pas tombée dans l’oreille d’un sourd en la
personne de Juppé qui ne pouvait se résigner à son exil bordelais. « Si Juppé
ne vient pas à Paris, c’est Paris qui viendra à Juppé » se disait-il en
substance et en plagiant assez honteusement – sans en plus assumer les droits
d’auteurs[1]
Edmond Rostand. Ainsi fit-il apposer une obélisque sur la place de la victoire,
ainsi fit-il nommer la station de tram sur la place Pey-Berland « hôtel de
ville » en hommage au bâtiment du même nom à Paris[2],
ainsi fit-il changer le système de bus afin de s’inscrire dans une logique qui
avait vigueur à Paris et ainsi, surtout s’enquit-il régulièrement de savoir le
nombre d’occurrence l’on pouvait avoir avec le mot « Bordeaux » dans
la presse nationale et internationale[3].

Mais vint le 2ème
exil, plus dur, plus tragique, plus injuste. Le « meilleur d’entre
nous » payait les pots cassés pour tous, bons ou mauvais. Cette fois-ci
l’exil fut bien plus long et lointain. Heureusement que le Québec parle
français, sinon, il en aurait perdu son latin le pauvre Juppé. Et pour cause,
il ne l’a pas perdu, puisqu’il est revenu tout frais, ravivé par la froideur
nordique mais sans que les gènes de termites de parquet n’aient quitté le
navire dentaire et la mâchoire était donc toujours au ras du parquet. Ainsi
fut-il ministre du développement durable du frère de canine, Sarkozy. Mais le
ministre du développement durable le moins durable, comme il se complaît à dire
aujourd’hui qu’il se montre en zen de l’exil, en expert des désillusions, en
chamelier du désert, en délégué de la relégation sociale et politique, en homme
apte à convoquer les bans du bannissement et de l’homme politique, en
prescripteur de la proscription, en solidaire de la solitude, en greffon du
déracinement  – avec une telle expérience
de ces phases de traversée du désert, ce serait psychologiquement la moindre
des choses[4] – cet
homme-là dont on attend encore la publication du best-seller « l’exil pour
les meilleurs », n’avait pas dit son dernier mot face à l’exil et sa
sempiternelle quête vers la légitimation et la reconquête de la grâce divine.
Même l’humilité née de sa dernière déculottée, la piqûre administrée dans son
derrière rougie par la honte par l’infirmière Delaunay[5] n’a
pas tout à fait calmé les ardeurs du jeune fauve qui vit donc toujours cette
vie bordelaise comme un exil du monde. Alors outre ses tentatives littéraires
dont je mets en doute la bienfaisance pour les belles lettres de l’esprit, il
avait eu l’idée de lancer une candidature au titre de capitale européenne de la
culture, nouvelle manifestation de sa volonté de rentrer de nouveau dans le
concert des gens de classe mondiale. Donc Alain Juppé vit mal son exil.

 

Figurez-vous
que je ne le vis pas tout à fait mieux. Mais cela est en passe d’aller mieux.
Par la conscientisation d’un phénomène d’auto-conditionnement, je me sens
à-même de dépasser très naturellement l’exil. Effectivement, l’exil était tout
à fait psychologique pour ma part : je ne souhaitais pas quitter
Strasbourg et aller me dorer la pillule à l’ombre du Pyla. Alors il s’agissait,
dans mon esprit, de partir m’exiler à Bordeaux pour six mois, une sorte de
retraite du monde volontaire avant de revenir vers lui. Or les six mois touchent
à leur fin et je vais rester à Bordeaux six mois de plus, non que cette
nouvelle période ait un quelconque rapport avec l’exil, bien au contraire. Mais
toujours est-il que je vois aujourd’hui poindre chez moi une sortie d’exil bien
soudaine mais qui correspond tout à fait à cette période de six mois initialement
programmée. Je suis de ce fait plutôt satisfait de savoir mieux gérer l’exil
que Juppé.

 

Mais certains
y arrivent encore bien plus difficilement. Il est tout aussi psychologique que
le mien mais d’une gravité tout autre. Il s’agit de soldats, de militaires et
autres gugus armées de kalachnikov et habillés de vêtements à l’esthétique
douteuse et aux capacités de gagner une partie de cache-cache avec mon cousin
qui me semblent bien limitées tant leur discrétion en termes auditifs est
réduite. L’exil est chez eux un exil temporel, il s’agit de fuir un temps passé
que l’on souhaiterait trépassé. Mais l’inconscient a ceci de formidable c’est
qu’il ne meurt jamais. Alors, on peut tenter toute diversion avec sa propre
conscience, tout jeu de memory avec ses souvenirs tout en grugeant les règles,
le passé revient. Chassez le passé, il revient au galop. On a beau se mettre un
masque, on a beau prononcer l’ostracisme verbal envers lui, il ne peut
s’empêcher de refaire surface comme un mort jeté dans la rivière sans son
pesant de pierre de taille suffisant. On essaye tant bien que mal de le faire
mourir en faisant naître autre chose, en produisant un présent déconnecté de ce
passé, en coupant les racines avec le soi-même du passé. Cet exil là et son
intrinsèque impossibilité de le dépasser, il s’appelle tout à la fois Valse avec Bashir et Z32, deux cinémas israéliens qui nous
rappellent que l’art plus que jamais est engagé, que l’art est poétique – car
dans les deux cas on y trouvera des plaisirs esthétiques très intenses – et
politique. De l’art politique que soutien pourtant le centre national de la
cinématographie israélien, bon signe ? je ne sais pas, mais en attendant
d’analyser les imprécations de politiques publiques d’un tel soutien à la
création au royaume de David,  Z32 reste sur les écrans…

 

lundi 23 mars 2009


[1]Si une
juriste s’amenait à passer par ici, je tiens à préciser que pareil emprunt
littéraire est plus que toléré et est même autorisé sous l’appellation
d’autorisation de courte citation, autorisant par là-même le plagiat, j’en suis
tout à fait conscient mais me permet ici cette licence juridique.

[2] Les
grincheux pourraient me rétorquer que des hôtels de ville ont fleuri dans
toutes nos villes et nos campagnes, mais que je ne doute pas que cette
dénomination transporto-spatiale ne se fait pas en référence à l’hôtel de ville
de Villeperdue, ville à l’existence tout à fait avérée puisqu’elle se situe en
Indre-Et-Loire. 

[3] Merci
à Thomas Bardinet pour ces quelques petites anecdotes juppistes.

[4] C’est
vrai que si j’étais la psy de Juppé – oui je pense que le psy de Juppé est une
dame – je me mordrais les doigts de n’avoir rien pu lui faire comprendre suite
à ces exils successifs, tellement nombreux qu’on se demande bien plutôt quand
il n’est pas exilé…

[5] je
vous rassure, ce n’est qu’une licence poétique et elle n’est en rien infirmière
dans le civil et encore moins dans l’armée. Je ne pourrais d’ailleurs pas vous
informer de la profession de Michèle Delaunay, mais victorieuse de Juppé à la
députation le laissant lui à la dépitation, c’est une ligne dans un CV qui se
snifferait bien tous les matins pour raviver le moral de plus d’un gauchiste
primaire…