Archive pour Mai 2007

ill aux iles ? jamais

Des ailes aux îles.

 

 

Bon, il faut bien l’avouer, je me suis trouvé assez réticent à l’écriture de quelque chose afin de parler de mon week-end passé aux îles åland. Je sais pas si c’est la victoire de Sarkozy qui m’a refroidi dans mes envies d’écrire mais, je sais pas, pas l’envie d’écrire tout simplement. Et pourtant il en faudrait de l’envie d’écrire, de l’envie de culture d’une manière générale, à l’heure où le nouveau président prend ses marques et où les premières mesures pointent le bout de leur nez, comme la probable disparition du ministère de la culture. Et oui, Sarkozy veut réformer l’Etat, réduire les postes et donc veut commencer tout cela par l’organisation des ministères qui seraient regroupés. Dans ce cadre, la culture serait[1] rattachée à l’éducation nationale, pour souligner le rôle de l’école dans l’éducation artistique. Alors pourquoi pas, mais c’est le ministre de l’éducation qui va s’occuper du dossier des intermittents ? (remarquez, ça va aussi simplifier les manifs tout ça : il y aura moins de ministres à huer et critiquer dans les manifs). La culture a certainement des rapports avec l’éducation nationale, mais la culture est un secteur à part entière. Mais, bon, tout cela n’est pas le propos ( « le journal des héros »)de mon texte, même si il se pourrait que j’égrène quelques critiques de Sarkozy au fil des lignes de ce texte.

 

Alors voilà, le week-end dernier[2], je m’apprêtais à réaliser un des voyage en Finlande qui me tenait à cœur depuis quelques mois déjà ( j’y avais déjà songé pour les derniers beaux jours de septembre, de cet été tardif. Mais ça n’avait pu se faire donc cela avait été repoussé pour l’été précoce que l’on a en ce moment). Mais parler de Finlande, est-ce réellement approprié dans le cas de ces îles ? Oui, faisons un peu de culture générale nordique : les îles åland font bel et bien parti de la Finlande, mais ses habitants sont suédophones. Il se trouve que par une grande étrangeté, la Société des Nations a décidé de confier ces îles à la Finlande en 1921. Certes, ces îles étaient bien partie du grand-duché de Finlande, celui rattaché à l’empire russe, mais ses habitants avaient fait la demande par pétition d’être rattachés à la Suède. Mais la SDN, pourtant si attaché au droit des peuples à disposer d’eux-même, conserva l’allégeance des îles à la Finlande, avec tout de même comme bémol, un statut d’autonomie assez important. Ainsi, sur les îles, on a ses propres lois (comme celle qui interdit de fumer dans les bars ce qui est le cas également en Suède mais pas en Finlande), ses propres impôts et taxes ( qui financent donc toutes les activités locales, les routes et les ferries qui, tels une continuation de la route, relient toutes les îles entre elle, et tout cela gratuitement !). Donc voilà pour la partie politique des îles.

 

Notre politique à nous ( 4 français, Anne-Laure, Maud, Antoine et Moi ainsi qu’un italien, Andrea), c’était plus le tourisme. Dans mes idées, de « tourisme autrement », j’avais proposé que nous visitions à vélo, ce qui était en fait confirmé par des guides touristiques. Donc finalement, même pas moyen de s’établir en rebelle du tourisme en la matière. Il faut bien avouer que les îles ne sont pas très grandes, très plates et terriblement agréables. Donc tout cela, en fait évidemment, un terrain propice au cyclo-tourisme. Seulement voilà, une nouvelle fois, tout cela allait encore révéler une nouvelle carence sociale de mon personnage, une nouvelle inadaptation sociale : le projet proposé, à mes yeux, me paraissaient plus qu’envisageable. Mais il s’est avéré qu’il ne l’était pas pour tous. Mais je pense que je reviendrais sur cette question plus tard, puisque finalement c’est cela qui aura fait tout le charme du week-end.

 

L’arrivée sur l’île 

 

            Je ne dirais pas que cette arrivée sur l’île ressemblait note pour note à celle de Yann Tiersen, mais elle était pleine d’enthousiasme, de doux bonheur, de celui qu’on a quand on a l’impression de partir pour le bout du monde. Et c’est vrai que ces immenses bateaux faisant la liaison entre Turku et Stockholm peuvent bien souvent donner cette impression, celle d’avoir fait une longue et délicieuse croisière pour poser l’ancre et les valises sur une île paradisiaque. Et pour l’être paradisiaque, l’île, elle peut l’être. En tout cas pour moi. Ce n’est sans doute pas le paradis de beaucoup de personnes, toutes celles qui par défaut de pouvoir trouver ce paradis, ont choisi l’enfer des embouteillages de la côte d’azur, de ceux qui rêves « des îles » sans ailes, parce que ce sont de celles où l’on n’y fait rien. Qu’elles soient Dominique, Ibiza ou Maurice[3], elles sont de celles qui sont belles mais nous ennuient. Mais qu’on ne se méprenne pas sur mon combat : je ne combats pas ces îles en elle-même mais l’image que l’on en a fait, l’image qui désormais les résume. Alors que je suis sûr que bien d’autres choses que le tourisme unidirectionnel qui y a été proposé y sont possibles. C’est entre autre en ce sens que j’aime ces îles åland : aucun réductionnisme touristique : tout y est possible ou presque ( oui, parce que si vous y venez, pour le shopping, vous pouvez faire vos valise avant même de les avoir défaites en arrivant sur l’île principale. Ainsi, nous avons passé la fin d’après-midi du samedi, avant de rentrer dans la ville principale de l’île, et autant être honnête, après 16h plus rien n’est ouvert…). Des îles tout de même fort belles, avec du charme, de la diversité et pas seulement des longues plages de sable fin. Enfin, bref, en arrivant sur l’île, en sortant du bateau ( sur lequel Anne-Laure eut tout de même la bonne idée de demander si nous étions bien sur la mer… que répondre à une pareille question  dans telle circonstance? sur le moment je n’ai pas pensé à la fameuse expression, lancée comme un Gimmick dans « Kennedy et moi », « water everywhere ». mais je risquais de n’être une nouvelle fois un incompris et que quelqu’un me rétorque, comme le faisait Bacri dans ce film «  mais justement, c’est quoi ce « water everywhere » j’ai pas bien compris »[4].). voilà donc, nous y sommes. Antoine et moi descendons nos vélos par la grande porte, autrement dit par l’endroit où rentrent et sortent les voitures, camions et autres gros engins de ce genre. Ce fut d’ailleurs très bizarre le matin même de se rendre dans le bateau par ce passage, à côté de ces camions. Mais en ressortant du bateau, je trouvais ça assez royal, une nouvelle incongruité dans la vie, de voir ces deux cyclistes sortir au milieu des voitures, sortir de ces immenses monstres d’acier. 

 

 Pour ajouter au dépaysement, « il fait un temps radieux ce 17 mai 1712 à midi quand Robinson Crusoé arpente la face nord de son île. La mer est calme, le ciel d’un bleu limpide promène ça et là la mince écharpe de soie d’un léger cumulus »[5]. Bon si on change les dates, c’était exactement ça : de toute façon, si quelqu’un dans mon lectorat se trouve dans la capacité de me prouver le contraire, qu’il envoie un courrier à qui de droit. Du coup, on se serait cru ailleurs. Ici, il y avait même des fleurs. Mais finalement, après m’être rendu une semaine plus tôt dans le sud de la Finlande, cela ne m’étonnait pas plus que cela, mais n’en réduisait pas le plaisir de voir ces petits assemblages de tissus corollaires qui forment la partie émergée de l’iceberg d’une plante (parce que même si celle-ci n’est pas forcément souterraine, elle sera d’autant plus visible qu’elle a des pétales éclatants, à mêmes de révéler sa présence).

 

En tout cas, (pour reprendre ce récit après une longue absence, ce qui risque d’entraîner de graves manquements aux sentiments et sensations du moment pour être remplacés par de vagues édulcorants de ces sentiments) il flottait un vent de vacances en arrivant sur cette île, un vent de nouveauté et de découvertes à venir.

 

 

Les rois de la petite reine ?

 

            Après quelques errements dans la ville à la recherche de vélos à louer pour ceux qui n’en avaient pas (Antoine et moi en avions déjà et avions, il faut l’avouer fier allure quelques heures plus tôt quand nous avions, perchés sur nos bécanes, embarqué sur ces immeubles des mers qui nous emmenaient sur les îles. Deux pauvres étudiants en vélo, à côté des voitures et autres camions, et moi ( peut-être Antoine aussi), content d’être là à vélo, d’être le petit truc qui cloche dans le paysage, le grain de sable dans la mécanique) et d’autres errements pour trouver le supermarché du coin et faire le plein de victuailles à savourer le soir, nous étions enfin en route pour notre destination : le cottage. Cela signifiait la traversée d’une bonne partie de l’île centrale. Cela ne m’effrayait pas personnellement, les autres non plus qui s’enquerraient assez peu de cela à ce moment de la journée. Pourtant ils auraient sans doute du. Ils auraient du s’interroger lors du choix du cottage, se demander le nombre de kilomètres à parcourir pour s’y rendre. Parce que tout cela était bien trop. Et je l’ai bien vite senti : quand j’ai vu que Maud peinait au bout de 2 kilomètres, j’ai commencé à me poser des questions. Comme je me pose en général beaucoup de question, quand il s’agit de le faire à plein temps, je néglige jamais les heures sup’ et pas besoin de Sarkozy et ses réformes sur ces heures. La légère critique formulée deux lignes au dessus quant à la légèreté de mes camarades était très vite submergée par la culpabilité : celle qui une fois encore me rappelait mon étrange rapport au monde et surtout aux autres, ces inadaptations sociales, ce décalage si souvent ressenti avec les autres. Peut-être que j’exagère un peu. Mais à ce moment ( et jusqu’à l’arrivé d’Olof) c’était plus ou moins ce que je ressentais : je me sentais coupable de ne pas avoir pris assez en compte les autres, d’avoir fait de ce séjour une idée individuelle à vivre en groupe : ce projet d’aller sur les îles à vélo était le mien et à ce moment, j’estimais que c’était bien là qu’était le problème : c’était plus mon projet que notre projet[6]. De ce fait, ce qui était au programme en terme de vélo, me paraissait pour moi plus que faisable : 40 Km, je les fait en 1h30. Je n’avais pas assez pris en compte dans ce projet, la vie non-sportive que certains de la bande pouvaient mener. En tout cas leur responsabilité à eux, celle de s’interroger sur le trajet, de poser des limites à mon projet ne me paraissait à ce moment (et toujours aujourd’hui en fait) peu importante, alors que mon comportement me paraissait (et toujours aujourd’hui en fait) assez difficile à supporter. Moi, qui aime tant me mettre au service des autres, me sentais d’un coup affreusement égoïste, entraînant à ma suite des amis dans une galère certaine. La culpabilité de ne pas être capable de tenir compte des autres, de ceux qui nous entoure et même nous accompagne, était tellement présente que j’avais du mal à réfléchir à ce qui aurait du m’occuper l’esprit : comment réussir à rallier tous ensemble en bon état le camping ? Parce que kilomètres après kilomètres ( et quel temps on pouvait mettre pour les faire ces kilomètres !), cela était de plus en plus évident que tout le monde n’était pas capable de rallier le camping à vélo. Malheureusement, je n’avais pas pris un seul renseignement sur les bus de l’île, leurs horaires, leur parcours,…en plus, comble de chance, mon portable ne captait toujours pas alors qu’il était sans doute le plus chargé et celui avec le plus de crédit.

 

            Les kilomètres s’enchaînaient ( doucement), les attentes des hommes de têtes pour la queue du peloton était de plus en plus longue. Après avoir repoussé plusieurs fois, l’ultime possibilité, je me suis résolu à appeler le mec du camping : officiellement avec pour objectif de le prévenir de notre grand retard, mais officieusement avec le secret espoir de le faire venir nous chercher en voiture. Où ? le plus près possible.

 

Olof

 

Mais Il est arrivé. Notre sauveur à nous : son nom est bien loin de Jésus et il ne nous a pas sauvé du péché ou d’une autre connerie du genre, mais il nous a ramené au camping. En l’appelant, il m’a demandé où nous étions, comment nous arrivions et a même glissé le sauna dans la conversation. Bon c’est très gentil de parler de sauna, mais à cet instant, ma priorité était de glisser dans la conversation le fait que nous étions exténués et qu’il nous fallait nous emmener au camping. Vous savez, c’est comme ces défis qu’on se fait de placer des mots bizarres et saugrenu dans un exam[7]. Moi je devais parler de notre état de délabrement physique dans la conversation, et insidieusement lui faire comprendre qu’il fallait qu’il vienne avec sa bagnole. Et il a tout compris : il m’a dit qu’il venait nous chercher, plus ou moins là où l’on était. On a donc laissé les vélos sur le bord de la route pour les reprendre le lendemain.  Comment on se rend à cet endroit ? ça c’est une question qu’on se garde pour plus tard…

 

            Voilà, le premier contact avec Olof. Mais le reste allait dans le même sens. Un finlandais comme on les aime, un Finlandais ouvert, qui aime bien parler, peut parler de tout : il nous a demandé des nouvelles des élections ( c’était l’avant-veille du 2nd tour), il a parlé de la situation plus que tendue en Estonie ( deux de ses employés sont estoniens), on a parlé réchauffement climatique, guerre de Crimée… le dernier sujet n’était en rien anodin : pas loin de la route, il y avait une ancienne fortification russe qui fut bombardée lors de cette guerre par la flotte franco-anglaise. Du coup, Olof nous a gratifié d’un petit détour pour aller voir de plus près le travail des franco-anglais en terre, à l’époque, russe. Les fortifications en elle-même n’avait franchement rien de transcendante ( surtout qu’elles étaient à moitié détruites… salopard de français !!! c’est pas avec les français qu’on va développer le tourisme en Finlande…) mais la vue sur les îles valait véritablement le détour, le site surplombant un peu les alentours. C’était vraiment superbe. Et une nouvelle fois, je ne me sentais plus vraiment en Finlande, je me sentais véritablement plus au sud. Mais peut-être n’est-ce seulement parce que malgré tout, on était bien plus au sud que Tampere et que, donc, forcément le paysage est différent. Je crois qu’Olof a du nous parler de l’histoire du lieu, mais je dois bien avouer que je m’en rappelle pas trop. Par la suite, on a continué tranquillement le chemin, tour à tour sur la terre ferme ou sur l’eau : oui, la comparaison avec Jésus n’était pas si iconoclaste que cela : à l’instar de Jésus, qui en son temps, prenait une bonne dose d’EPO pour marcher sur l’eau ( il faut bien ça pour réaliser une telle prouesse), lui roule sur l’eau avec sa voiture. Le subterfuge, cette fois-ci est seulement les bacs qui sont partout présent sur l’île pour prolonger la route où il ne peut plus y en avoir. Mais tout le monde reste dans la voiture dans ces cas-là, et c’est plus ou moins comme si on ne voyait plus la différence avec une route terrestre. D’ailleurs, Anne-Laure ( qui décidément ce jour, était dans un état de grâce), mit du temps à se rendre compte que le bac bougeait et que désormais nous voguions sur les flots argentés[8]. Mais la magie en plus dans tout ça est que c’est gratuit : c’est un service public alors, forcément…

 

            Au final, nous avons pu rallier le camping pour pouvoir enfin se reposer. Un repas assez rapide, un sauna et au lit[9]. Mais, le patron ( autrement dit Olof) nous avait dit qu’on pouvait utiliser le bateau. Alors, bon, pourquoi pas un peu tour sur la mer. Mais, je crois qu’on s’était résolument décidé à avoir une journée d’aventurier : après avoir été sauvé par Olof ( honnêtement, si il n’avait pas pu venir nous chercher, je ne sais pas comment on aurait fait) de notre périple à vélo, on était pas très loin de couler sur l’eau : il manquait une pièce sur le bateau et donc, fort logiquement, ce dernier étant un peu assoiffé, prenait l’eau…Heureusement en plus pour rien arranger, alors qu’Andrea ( le seul à savoir manier comme il faut les rames), s’efforçait de nous ramener au bord, une des rames commençait à craquer et à se décomposer… Si elle nous lâche définitivement, on est foutu…Ou plutôt, on est à l’eau, parce que bon, on était pas bien loin du bord et on sait nager. Mais finalement le retour à la terre ferme fut appréciable et laissa le temps de savourer un sauna des plus agréable : un bon sauna au bois (parce que c’est indéniablement plus agréable qu’un sauna électrique moderne, tant dans la senteur que dans la chaleur qu’il procure), mais un sauna sur l’eau : le sauna est sur pilotis si vous préférez. Donc dans le sauna, on avait le bonheur d’entendre le bruit de la mer clapotant délicatement les pièces de bois soutenant l’édifice sacro-saint des finlandais. Et puis, on pourrait rajouter, pour achever ce tableau idyllique, le bonheur (assez étrange je le consens), de pouvoir se baigner ensuite dans la mer. Pourquoi bonheur ? je sais pas trop en fait, mais cela faisait très longtemps qu’il ne m’avait pas été donné l’opportunité de me baigner dans de l’eau salé, parce que je dois me confesser, mais quand je prends un bain[10], je ne rajoute pas une pincée de sel, ni de l’herbe du jardin pour faire les algues, ni n’écoute un CD new-age avec des cris de mouettes et encore moins tentant de brancher une ampoule pour tenter de recréer l’effet ressenti par une attaque de méduse…[11]

 

            Mais à détailler toute la soirée, j’en oublie de parler d’Olof. J’en ai certes déjà parlé plus haut, mais j’ai envie de vous faire partager un peu plus l’enthousiasme qui m’a atteint en croisant la route de ce type. Enthousiasmé par sa gentillesse d’être venu tout de suite nous chercher ( je suis honnêtement assez sceptique sur une telle possibilité en France ou ailleurs[12]), enthousiasmé par sa culture, son intérêt pour le monde qui l’entoure à la fois proche et lointain (avec une grande connaissance de ses îles et en même temps un intérêt indéniable pour d’autres sujets : que ce soit les élections françaises, la situation estonienne, la situation politique en Italie et bien d’autres choses encore), son envie de communiquer et de faire partager son coin de terre, ses anciens périples à pied ( parce que c’était un ancien coureur de fond qui alla s’entraîner à une époque en Afrique mais aussi de temps à autre prêt à prendre son vélo pour des longues distances), son adaptabilité ( concernant le sauna et le bateau il fut très arrangeant). C’est vraiment quelqu’un chez qui je retournerais volontiers, quelqu’un avec qui on sait qu’on peut échanger sur beaucoup de sujets, avec qui on peut sans aucune difficulté partager beaucoup de choses. Mais des gens comme ça, il en existe partout, certes en nombre limité. Mais ce qui m’étonne un peu, c’est que c’est un mec qui vit sur des îles plus ou moins coupées du monde (îles qui plus est finlandaises, finlandais réputés pour leur mutisme et la difficulté de pouvoir rentrer en contact avec eux), où il n’y a pas plus de 40 000 habitants. Bref l’isolement géographique aurait pu être facteur de repli. Malgré tout, il faut aussi nuancer par le fait qu’il tient un camping et de ce fait, reçoit des touristes et parmi ceux-ci des étrangers. Pour autant, peut-on raisonnablement penser que la profession fait l’homme ? cela semble plus que réducteur et l’on risquerait de bien vite tomber dans de véritables généralités bien dangereuses. En tout cas, j’aime ce genre de finlandais, cela me rappelle également qu’on ne peut faire de généralité à l’échelle d’un pays : non tous les finlandais ne sont pas tristes et peu bavard. Ils le sont sans doute plus qu’ailleurs, même si cela est bien souvent le cas surtout au début : quand on commence à connaître un finlandais, le dialogue se fait parfois difficilement mais par la suite il devient plus facile. La nationalité (et par conséquence le milieu environnant, la culture) n’explique pas ( et encore moins détermine) tous les comportements sociaux : par la culture et la manière d’éduquer, on peut retrouver des constantes mais les choix de vie individuels, les caractères font le reste. Pour continuer dans ce sens, je suis sans doute plus finlandais ( dans le sens comportemental) qu’Olof. C’était donc un des mérite de cette rencontre, celui de rappeler que toute généralité n’est toujours que simplification et que même si la connaissance universelle est impossible, il faut tendre vers celle-ci, vers la connaissance du plus de chose possible pour ne pas se raccrocher à des idées pré-construites, à des simplifications par ignorance, à des omissions par manque de connaissance. Plus l’on connaîtra, plus l’on distinguera et plus on se comprendra tous les uns les autres dans nos différences.

 

Etrangetés et bizarreries

 

            Tout cela n’empêchera jamais personne d’avoir des comportements incompris comme le mien ce soir là, où je décidais de prendre le lit proche d’une fenêtre autour de laquelle tournoyaient nombre d’éphémères ( moi-même, j’ai pas vraiment compris ce choix…). Alors j’ai du recevoir sur la tête, pendant la nuit, non le ciel lui-même, mais certains de ses représentants en la personne des éphémères. Je suis déçu que le ciel n’ait pas daigné descendre lui-même, mais je crois qu’il s’était réservé pour le lendemain puisque la journée fut assez nuageuse et donnait l’impression que le ciel était descendu d’un cran : après le ciel bleu de la veille qui donne une impression d’infini, de grandeur et d’oubli dans cet immense univers, le ciel était descendu d’un cran et l’infini laissait place à l’oppression. Même si j’exagère bien sûr un peu. Il ne s’agissait que d’un ciel gris, un ciel gris comme tant d’autre, celui dont des fois, j’ai envie qu’il ait ce pouvoir magique de donner la vie, de répandre le précieux liquide si vivifiant, mais dont ce jour j’attendais plus de lui une activité réduite, qu’il se croit un peu en week-end : il devait pleuvoir ce jour et je pensais que la pluie pour le moral des troupes aurait été difficile à supporter. Mais le ciel avait décidé en ce jour pré-électoral d’être clément, sans doute pour mieux s’abattre sur nos tête le lendemain, laissant l’apprenti sorcier Sarkozy faire régner la foudre et le tonnerre, dans des temps où il faudrait un bon vent du sud pour dissiper les nuages et réunir tout le monde, sous le soleil exactement. En plus d’avoir été épargné par la pluie, on fut même gratifié d’un peu de soleil en fin d’après-midi. Le temps d’un peu de jonglage pour ensuite aller squatter dans un bar pendant plus de 6 heures parce qu’à Mariehamn ( la capitale de l’île), il n’y a pas grand chose à faire et qu’on a pris un bateau retour à 2H du mat’… Alors au début, ça va, les parties de jungle speed s’enchaînent ( d’ailleurs je sais pas combien de parties on a pu faire durant ce week-end, mais on a atteint des sommets…)puis la lassitude arrive. Heureusement, il y avait un concert ce soir : un groupe d’asiatiques qui reprenaient des chansons de rock allant d’AC-DC à Iron Maiden à la demande des 5 ou 6 illuminés du public qui ne cessaient d’en redemander ou en arrivaient ( l’alcool aidant) à s’agenouiller aux pieds du guitariste, tout spécialement pendant les solo, à l’instar d’un apôtre débitant la bonne parole à une foule béate d’admiration, écoutant les sermons du messie. Pendant ce temps là, on essayait tant bien que mal de se tenir éveillé, parce que ce bar, c’était un peu le contraire du train couchette de Chevalier et Laspalès : si, si vous savez le train couchette de jour où « vous êtes obligés de dormir dedans », « c’est contrôlé tous les quart d’heure », « ils passent vérifier, obligé. C’est un couchette de jour ». là dans le bar, ils passaient vérifier régulièrement si tu t’endormais pas…

 

            Pour s’endormir, il fallu attendre de reprendre le bateau et trouver un espace sur le sol ou sur un fauteuil non-occupé pour dormir, parce que ces bateaux sont si mal foutus que si tu prends pas de cabine, t’as de la place nul part où dormir ou même s’asseoir tout simplement…Une sorte de bateau à deux vitesses, pour ceux qui peuvent se payer une cabine ou pour ceux qui ne peuvent pas et doivent se débrouiller par d’autres biais pour traverser tant bien que mal. Est-ce un avant-goût de la société qui nous attend en France ? Première réponse le soir-même avec le résultat des élections[13]

 

 

 

 

mardi 29 mai 2007.

(commencé en fait aux alentours du 10 mai,

 mais repris et finis à cette date du 29 mai).


[1] Oui, ces lignes ont été écrites il y a quelques temps de cela, donc avant la formation du gouvernement, d’où l’emploi du conditionnel.

[2] Cette annotation temporelle n’a plus vraiment de sens au vu de la date de publication plus que tardive de ce texte.

[3] Si on se rappelle que Chevallier et Laspallès avait un spectacle qui s’appelait « ma femme s’appelle Maurice », la présence de ce prénom masculin ne choquera personne au milieu de prénoms féminin.

[4] Voilà, il fallait que je place du Bacri quelque part, c’est fait. Je précise que le « water everywhere » doit être un extrait de citation de je ne sais plus qui.

[5] Extrait d’un réquisitoire de Desproges, je pouvais pas m’en empêcher de le mettre, la phrase que j’avais commencé, débutait de la même manière qu’une phrase de Desproges, alors je me suis empressé de le réécouter pour mettre le texte exact…

[6] le parallèle avec mon projet « cap-nord » est ici vraiment saisissant : dans ce cas aussi, il s’agit bien d’un projet personnel, proposé à Antoine puis Andrea, mais sans réelle appropriation collective, comme si je passais d’un projet personnel à une réalisation collective.

[7] Dans le genre, je m’étais engagé une fois à placer « une hirondelle ne fait pas de le printemps dans un exam de science politiques » et je me souviens qu’au bac, je m’étais mis au défis de placer Descartes dans ma copie d’allemand… les deux ont été placé. J’en ai sans doute essayer d’autres mais je sais plus lesquels… Aujourd’hui mon défi est de placer une phrase de Bacri dans tous mes textes, c’est assez sympa aussi. Si vous voulez nous faire partager les expressions ou mots que vous vous êtes un jour engagé à mettre dans un devoir, faites nous partager tout cela.

[8] Je suis pas sûr qu’ils étaient argenté les flots, mais ça fait bien comme ça, non ?

[9] c’est quand même mieux, qu’un suppo’ et au lit…

[10] en fait, ça n’arrive jamais, j’ai pas pris de bain depuis au moins 5 ans.

[11] J’en suis sûr que c’était ça pour Clo-Clo : il n’avait jamais été piqué par une méduse et comme il avait pas le temps d’aller à la mer, il s’est dit qu’il allait faire ça chez lui…

[12] il faudrait malgré tout nuancer le propos et rappeler qu’il nous a fait payé le transport ( mais il faudrait aussi rajouter que le lendemain, sa femme nous a ramené au lieu où nous avions laissé les vélos).

[13] Après coup, je suis un peu dans l’expectative et attend de voir véritablement quand les réformes seront mises en place, en espérant que les promesses ne seront pas tenues, parce que les promesses ne me font vraiment pas rêver… Mais je dois avouer que je suis assez mal à l’aise face à cette ouverture prônée qui veut que le clivage gauche-droite perde de son importance, moi, qui, il y a peu défendait dans un de ces textes le modèle de collaboration entre les partis qu’est la Finlande. Alors j’attends de voir quelle forme cette ouverture va réellement prendre, savoir si ce n’est que de l’ouverture de façade ou si la collaboration ( et donc la prise en compte de d’autres avis est réellement mise en œuvre) et c’est vrai que la manière dont le « Grenelle de l’environnement » s’annonce me rend quelque peu sceptique : il ne doit pas y avoir de tabou dans ces discussions sauf que Juppé et Sarkozy interdisent plus ou moins toute discussion sur le nucléaire ( et particulièrement l’EPR), sur les OGM et les essais en plein champ, ainsi que sur l’arrêt de la construction d’autoroutes… alors accord entre différents acteurs ou ouverture de façade ?  

Du Nord au Sud

Un dimanche à la mer ( sauf que c’était un samedi)

 

Bon voilà un texte qui s’annonce dense et complet. Enfin c’est comme cela qu’il s’annonce dans ma tête : quand j’ai commencé à penser à ce texte, je le voyais partant dans tous les sens, entre réflexions métaphysiques, humour à deux balles, nostalgie, sentiments et ressentiments. Mais bon, au final, je sais pas ce que ce sera, seuls les mots me le diront. Parce qu’écrire, c’est un peu comme partir faire l’Atlantique en solitaire, on ne sait jamais ce qui peut arriver. Une vague mal négociée et c’est le naufrage, un mot mal employé et c’est le « no-phrase ». Une tempête imprévue et c’est l’avarie d’essence, un temps imprévue et c’est l’avarice de sens. Alors, bon jetons-nous à l’eau parce que comme le disaient si bien les Wriggles « Dans la vie jette toi à l’eau/ Tant qu’il n’y a personne pour te pousser dans le dos ».

 

Tout avait commencé il y a quelques temps. Ce n’est pas qu’il s’agissait de temps immémoriaux, mais, voilà, des fois j’ai la mémoire courte et là il faut bien avouer que ça ne me revient pas. Peut-être Elsheimer ? d’ailleurs vous vous rappelez du prénom d’Elsheimer ? Non, bah voilà, c’est le début…[1] Toujours est-il que cette sortie fut reportée une fois : à cause de la technologie : une carte bleue qui vous lâche, ça ne pardonne pas quand on doit payer quoique ce soit. Mais je ne devrais pas me montrer trop sévère avec la technologie : rien que ces textes en sont la preuve : j’ai appris à être dépendant de la technologie pour écrire mes textes : je ne veux pas dire que la technologie est devenue constitutive de mon inspiration, mais je dois bien avouer qu’il m’ait devenu inconcevable d’écrire un texte sur papier libre[2] et cela par pour des raisons pratiques qui feraient que je dois ensuite les retaper à l’ordinateur pour pouvoir les mettre en ligne, cela constituant une perte de temps évidente, surtout pour un obsédé du temps comme moi, obsédé parce que cette vie est si petite alors qu’il y a tellement de choses à mettre dedans[3]. Alors, comme exemple de remplissage de ma vie, j’ai beaucoup en ce moment pratiqué le voyage. « Les voyages forment la jeunesse » comme dirait l’autre[4]. Ce fut à nouveau le cas de ce week-end, où j’avais décidé de passer une journée à cette forme de « remplissage de vie » (Jean-Pierre Bacri, lui parlerait sans doute de meubler). l’objectif était initialement assez simple : aller au sud de la Finlande, à la fois pour voir la mer et faire du vélo. Mais les modalités pratiques se sont avérées des plus compliquées : je m’étais dis que la Finlande est un pays moderne et ouvert et permettant de la sorte à n’importe quel amateur du deux-roue sans essence ( le vélo si vous préférez, même si, une mobylette dont on a pas fait le plein, est aussi un deux-roue sans essence, mais d’un intérêt moindre que le vélo dans ce cas)  de trimbaler ce dernier où bon nous semble, et notamment dans un train. Mais que ni ni (comment on écrit cette expression qu’on écrit jamais et qu’on dit aussi de moins en moins ? ). Je suis donc ressorti de la gare avec pas moins de 6 tickets de train pour une seule journée. Je suis désolé pour les arbres abattus par ma force suite à ce voyage et à ces nombreux tickets mais, en l’occurrence je n’avais pas le choix. Je tiens tout de même à remercier grandement la guichetière qui a été très patiente et a réussi à comprendre mon plan quelque peu tordu. Je tiens également à remercier les producteurs qui m’ont toujours laissé agir comme je le sentais, m’ont laissé cette liberté d’action si chère à mon cœur. Je voulais aussi saluer mon agent qui a toujours cru en moi, même dans les moments les plus difficiles. Enfin, mes pensées vont vers mes parents, sans qui je ne serais vraisemblablement pas là. Mais je m’égare et pas seulement du Nord ( qui nous conduit en Finlande, si on change plusieurs fois de train) et je n’ai du coup même pas expliqué en quoi ce voyage s’avérer un peu tordu par certains côtés. Le but était de descendre dans le sud. A cette évocation, je m’imaginais déjà sur la côte-d’azur avec le ciel, les oiseaux et ta mère… euh non … le ciel, les palmiers et la mer. Le sud fait toujours rêver. Ou peut-être est-ce seulement du Franco-centrisme qui fait que le sud fait rêver par opposition au nord considéré comme gris et moche. Mais je pense pas qu’en Algérie, le sud (autrement dit, le désert) fasse beaucoup rêver. Donc cette idée de Sud est bien une construction de l’esprit comme je viens de le prouver avec un brio qui m’épate( et pas seulement à la carbonara) moi-même. En tout cas, je devais descendre tout au sud, jusqu’à Hanko, la ville la plus au sud de Finlande pour ensuite remonter en vélo avant de reprendre le train parce que, Hanko, malgré tout, c’est loin. Mais quand j’ai demandé si on pouvait mettre un vélo dans le train jusqu’à Hanko, on m’a répondu « je crois que ça va pas être possible » comme disait Zebda en son temps. alors bon, à la place, j’ai fait mon bureaucrate de base à organiser un programme qui aurait fait pâlir les organisateurs de la solution finale tant il était réglé au détail près. J’avais tous mes horaires de train calés, un temps réservé pour pouvoir déposer mon vélo et le reprendre ensuite. J’avais aussi des temps d’attente interminable en fin de journée, tout ça parce que tous les trains ne prennent pas les vélos. La journée s’annonçait donc longue : levé à 6h du mat’ et retour vers minuit. J’allais donc pouvoir faire beaucoup de « remplissage de vie ».

 

Je suis venu, j’ai vu, j’ai vécu ?

 

            Me voilà donc parti sur les routes. Pas pour longtemps bien sûr, juste ce qu’il faut pour rejoindre la gare. Le train est en retard. Tiens, il faudrait que je pense à réviser mes idées reçues sur les finlandais et la Finlande : je m’étais fait à l’idée qu’ils étaient toujours à l’heure, voire en avance, mais il semble qu’en matière de transport ferroviaire, on peut observer des constantes à travers différents pays. Par contre, ils ont un système super pour accrocher les vélos dans le train. Tellement sophistiqué que lorsque tu le regardes et tu lis les instructions, tu te demandes pourquoi ils ont inventé un tel système. Mais après avoir lutté pendant 5 minutes avec la bête (les bêtes devrais-je dire parce que tant le vélo que l’appareil de fixation m’ont demandé un combat de haute lutte, pas pour autant que moi-même je sois bête), le vélo est en place. Plus qu’à trouver la mienne, de place. Et puis au boulot. Ah oui, la journée doit être bien remplie, alors, ne pas perdre de temps, et travaillons. Juste l’habituelle interruption du balais du contrôleur venu faire son boulot. Simple routine pour un habitué des trains comme moi me direz-vous ? No surprises comme dirait Radiohead ? et bien non, ce jour, je fus véritablement surpris. En plus de me demander mon ticket, il me demanda de l’argent[5]. Non pas qu’il soit vraiment à court d’argent et en besoin immédiat de combler sa dette. Non pas qu’il soit joueur de poker, et comme Patrick Bruel, ait une nouvelle fois perdu, alors qu’il n’avait pas d’argent sur lui et qu’ils ont dit « c’est minuit, dernier délais. Et laisse-moi te dire, que ce genre de mec, ils rigolent pas », comme disait Darroussin dans « cuisine et dépendance ». Non pas non plus qu’il soit d’origine russe et qu’il soit habitué de ce fait à racketter les usagers, comme peuvent également le faire parfois les policiers russes. Non qu’il fasse la quête pour l’Eglise ou pour Greenpeace. Non, il me demandait seulement de régler mon droit de déposer mon vélo dans le train. En plus ce con s’est trompé dans les chiffres en les disant en anglais et du coup, il m’a d’abord demandé « 90 euros »… au lieu de 9 … c’est tout de même bien cher, juste pour laisser un vélo dans 2 trains ( parce que ce n’est pas le kilomètre que l’on paye mais le service). Ah oui, c’est des trucs comme ça qui me révolte, qui me donne envie de devenir révolutionnaire, un vrai, un dur, comme de ceux que j’ai vu l’autre jour sur le site du monde qui disaient : « on est jeune, on doit être contre le système ». la conclusion de cette phrase sans appel pour la révolution aurait du être : « c’est pour ça que je vote Laguiller, parce qu’elle a compris le système et sait comment le changer » ou encore « c’est pour ça que je vote Besancenot, parce qu’il a compris la nécessité de changement pour toute cette jeunesse sans avenir » voire même « c’est pour ça que je vote Bové, parce qu’il sait à qui il faut vraiment s’attaquer pour espérer un monde meilleur ». mais non, leur conclusion à eux, c’était le vote Bayrou… la révolution du milieu, la révolte du centre ( ou plutôt le centre de la révolte ?), la rébellion molle avec des grandes oreilles, la lutte armée avec des pistolets en plastique, … non mais je suis sévère avec lui, surtout que si vous avez lu, mon texte précédent, vous avez pu constater que je lui apportais mon soutien dans sa démarche de création d’un parti du centre ( bon je ne soutiens que la démarche, pas les idées, faut pas pousser non plus…).

 

            Toujours est-il que j’ai donc du m’acquitter de ce droit à laisser mon vélo dans un train. Mais ce n’était pas ça qui allait pourrir ma journée. Donc après quelques heures de train, deux changements de train et un vélo désormais accroché au pied d’une gare perdue au milieu de nul part, j’atteignais Hanko, la ville la plus au sud de la Finlande. Voilà, j’y étais au sud. Tout de suite, mettre le cap sur la mer. Ah bah oui, je suis quand même venu pour ça…. Aller voir la mer, comme un gamin qui ne l’a jamais vu, ou tout simplement comme quelqu’un qu’il l’a pas vu depuis des années. Bon, personnellement, je ne suis dans aucun des deux cas, j’ai vu la mer à Helsinki, à Stockholm, à Tallinn. Alors, c’est sûr la mer, près d’une capitale, c’est pas la mer à boire ( au propre comme au figuré). Alors que celle-ci se méritait. Je m’étais levé de bon matin, pris la tête dans les horaires de train. Et désormais, elle était là, devant moi. Il semblait qu’elle m’avait attendu des années comme cela. Ne dévoilant ses charmes à personne, restant neutre et désinvolte, se conservant pour celui qui serait apte à la conquérir, qui serait la faire chavirer. C’est tout dire si les choses étaient étranges, alors qu’elle fait normalement chavirer des dizaines de vaisseaux, cette fois-ci elle attendait que les rôles soient inversés. J’étais prêt à me jeter dans ses bras ( « les bras de mer » aurait dit Tiersen) pour ne plus jamais la quitter. Mais voilà, elle était un peu frigide, voire froide. Alors à me jeter dans ses bras, c’est sûr je ne l’aurais pas quitter, j’aurais fini au fond, atteint d’une pneumonie foudroyante. A la place j’ai préféré l’admirer, la regarder, la contempler. Il naquit alors ( alors que, je le jure, il n’y a aucun contact avec elle, c’est magique ) une vive réflexion inter-crânienne ( en fait juste dans mon crâne, mais la pensée concernait le cerveau gauche et droit, alors « inter-crânien », ça peut passer non ?) : je commençais à me dire que j’avais cette année vu une foultitude de choses, que je repartais en France avec plein d’image dans la tête. Mais la question se posait de savoir si pour autant j’avais vécu. Que pourrais-je dire en rentrant en France quand on me demandera ce que j’ai fait cette année 2006/2007 en Finlande ? vais-je dire « j’ai vécu pendant un an en Finlande » ? ou est-ce trop fort ? Ainsi le « vu » que j’ai beaucoup pratiqué ici est-il directement constitutif du « vécu » ? est-ce qu’il suffit de voir pour vivre ? ( et cela ne concerne pas les aveugles bien sûr que je ne considère pas comme mort, mais qui justement rappelle que voir ce n’est pas la panacée). Que suis-je donc en train de faire en cette ville au bord de la mer alors si je ne vis pas ? est-ce que lorsque l’on visite une ville ( incluant des tours et détours dans les rues, des visites de musée), on ne vit pas ? Pourtant si, j’ai bien eu l’impression d’être en vie en visitant Stockholm. Qu’est-ce qui est alors constitutif du « vécu » ? est-ce que la présence de d’autres humanoïdes est nécessaire pour dire que l’on vit ? je veux bien sûr parler dans le court-terme, puisque dans le long-terme, sur une longue dimension temporelle, la présence de d’autres être humains est plus que nécessaire à la vie humaine. Mais à l’opposé, cela pose la question de savoir si l’on peut « vivre » seul sur un intervalle de temps réduit. Et cela m’intéresse au premier chef, puisque je suis un adepte de la solitude de courte durée, comme de partir seul pour la journée pour visiter un bout de Finlande, comme d’aller au cinéma tout seul (d’ailleurs, est-ce vivre lorsque l’on va au cinéma malgré le fait que l’on ne fait que « regarder » ?). Ainsi, je m’apprêtais ce jour à ne pas vivre du seul fait que j’étais seul et que donc je n’allais avoir que du « vu » et pas de « vécu » ? la question de l’action vint également m’assaillir : est-ce que l’action était également nécessaire au vécu ? pouvait-on vivre seulement en contemplant, seulement avec du « vu » en quelque sorte ? En appliquant cette réflexion au tourisme, je suis assez persuadé que l’on ne peut réellement vivre une ville que l’on visite qu’en ayant un minimum d’action : comme déjà rappelé à de nombreuses reprises dans ces textes, je tiens en horreur les visites de villes dans un bus. Je suis un fervent détracteur de ces visites passives. D’une certaine manière, alors, si le « vu » est mérité, par des heures de marches, par du vélo, ou je ne sais quoi qui rend actif, il pourrait devenir « vécu » puisqu’étant devenu acteur dans le processus de visite, on peut se considérer comme vivant, en opposition à la passivité de ceux qui visitent en bus. 

 

            Entre deux réflexions de ce genre, j’eus quand même le temps de tomber béat d’admiration devant un tapis de fleurs bleues (des ancolies, je pense, mais si quelqu’un peut confirmer avec les photos, je suis pas contre) qui couvrait le sol au bas d’une de ces nombreuses villas du bord de mer. D’ailleurs je me suis surpris à penser que cette ville pourrait faire un beau Deauville : ils ont déjà la mer, les villas en bord de mer, une salle de cinéma ( à agrandir pour pouvoir accueillir un festival de cinéma), plus qu’à rajouter des planches en bord de mer, ce qui ne devrait pas poser problème, quand on sait la richesse en bois de la Finlande. Je fus tout aussi surpris par les allures de ce bord de mer : je savais m’être rendu au sud, mais j’avais l’impression d’être beaucoup plus au sud que je n’aurais pu l’être : j’avais plus vraiment l’impression d’être en Finlande, je me sentais vraiment ailleurs. Si je vous disais que le bord de mer ressemblait à la Corse, vous allez vous foutre de ma gueule, mais c’était pas si éloigné que ça : si on enlève les mecs en cagoule et le chant des cigales, c’était un peu la corse : la mer bien bleue, les pins, les rochers,… on se serait cru dans le vrai Sud, je veux dire, le vrai sud pour un français du Nord ( bon Tours c’est pas le Pas-de-Calais non plus …) alors j’en vins à penser à tous ces immigrés qui rêvaient de sud : parce qu’ici, à Hanko, on parle pas de ceux venus du Sud (dans un sens géopolitique) , mais plus de ceux partis du nord pour émigrer, parce que Hanko fut longtemps un port pour les émigrés finlandais partis pour trouver l’Eldorado ailleurs et notamment en Amérique. Ils quittaient leur nord natal pour prendre d’assaut le sud, avec des envies et des rêves plein la tête, des regrets plein le cœur et le courage aux tripes. Alors moi aussi, je me suis mis à penser à mes lendemains qui chantent, à ceux de mon « retour au pays natal », comme aurait dit Césaire. De ce temps pas si lointain désormais où je retrouverais les miens. Mais j’ai pas l’envie à l’instar de Césaire d’inventer la « Francitude », je n’ai nullement envie d’exalter la France et d’affirmer haut et fort mon identité française. Ou si je devais invoquer la Francitude à l’instar de la Négritude, ce serait pour cette 2ème phase qui a rompu avec le narcissisme identitaire et tend vers l’universel, cette Négritude aux accents de créolisation comme définie par Glissant comme un métissage, la création de cultures rhizomatiques, que l’on peut déplacer et replanter ailleurs dans une autre culture. Oui plus que jamais, je me sens en porte-à-faux avec les idées Frontistes qui veulent qu’une culture, ça se garde bien précieusement, qu’une culture ça se défend, une culture, ça se ferme. Evidemment une culture, ça se défend, mais on ne défend pas une culture comme on défend un château, pas question de tirer à boulet rouge sur le premier arrivant venu, pas question de lui jeter de l’huile bouillante si il s’approche trop, pas question de poster des archers en face des meurtrières pour faire reculer l’ennemi. Parce qu’une culture défendue de la sorte, est une culture assiégée qui se replit sur elle-même. Comme je parlais précédemment de vivre, une culture qui se sent assiégée, n’est pas une culture qui vit. Or, qui y a t-il de plus vivant qu’une culture ? qui y-a-t-il de plus dynamique qu’une culture ? Une culture ne se préserve pas en la fermant comme on ferme une porte, comme on calfeutre une fenêtre pour ne plus rien laisser passer. Une culture évolue, change, se transforme. Que M. Le Pen me dise ce qui aujourd’hui, en France, vient de la culture gauloise. Pas grand chose. Et quand bien même nous avions encore un riche héritage gaulois, étaient-ils eux-même présent en gaule depuis des millénaires ? non, les gaulois sont celtes, venus d’Europe centrale. Alors cette culture traditionnelle française tant vantée par lui, elle s’est construite au fil des années, au fil des métissages, des échanges, des contacts.

 

Mais comme je parlais quelques lignes plus haut d’Aimé Césaire, je ne pouvais m’empêcher d’un devoir citoyen, celui de diffuser la « mauvaise parole »[6] de Nicolas Sarkozy, spécialement au regard des propos d’Aimé Césaire : Nicolas Sarkozy a ainsi déclaré il y a peu : « Le rêve européen a besoin du rêve méditerranéen. Il s’est rétréci quand s’est brisé le rêve qui jeta jadis les chevaliers de toute l’Europe sur les routes de l’Orient, le rêve qui attira vers le sud tant d’empereurs du Saint Empire et tant de rois de France, le rêve qui fut le rêve de Bonaparte en Egypte, de Napoléon III en Algérie, de Lyautey au Maroc. Ce rêve qui ne fut pas tant un rêve de conquête qu’un rêve de civilisation. Cessons de noircir le passé. L’Occident longtemps pécha par arrogance et par ignorance. Beaucoup de crimes et l’injustices furent commis. Mais la plupart de ceux qui partirent vers le Sud n’étaient ni des monstres ni des exploiteurs. Beaucoup mirent leur énergie à construire des routes, des ponts, des écoles, des hôpitaux. Beaucoup s’épuisèrent à cultiver un bout de terre ingrat que nul avant n’eux n’avait cultivé. Beaucoup ne partirent que pour soigner, pour enseigner. »[7]. On se croirait revenu en cette fin de XIXème siècle quand on essayait tant bien que mal de justifier cette colonisation, de n’importe quel bord que l’on soit ( Jules Ferry était de ceux-ci, Jules Ferry, auquel Sarkozy se réfère désormais pour critiquer l’héritage de Mai 68, sans y aller avec le dos de la cuillère : il a quand même osé affirmer que « L’héritage de mai 1968 a introduit le cynisme dans la société et dans la politique. Voyez comment le culte de l’argent roi, du profit à court terme, de la spéculation, comment les dérives du capitalisme financier ont été portées par les valeurs de mai 1968 » avant d’enfoncer le clown ( comme disait les Béruriers Noirs) : « Voyez comment la contestation de tous les repères éthiques a contribué à affaiblir la morale du capitalisme, comment elle a préparé le terrain au capitalisme sans scrupule des parachutes en or, des retraites chapeaux, des patrons voyous »[8]. Non mais c’est vrai, j’y avais pas pensé : le CAC 40, les stock options, les comptes truqués d’Enron, tout ça, c’est Mai 68, à ces p’tits cons d’étudiants et d’ouvriers, sans aucuns scrupules, prêt à toutes les immoralités pour avoir de la tune…). Alors, bon, comme je fais ce que je veux dans ces textes, je peux modifier et recréer les situations, changer le cours du temps, déranger l’organisation spatio-temporelle du monde. Je souhaite alors, puisque personne ne serait venu critiquer MOOsieur Sarkozy dans un meeting, un droit de réponse à de tels propos, proche du révisionnisme colonial. Alors, je propose d’inviter Aimé Césaire à ce meeting. Celui-ci lui aurait sans doute répondu : « A mon tour de poser une équation : colonisation = chosification. J’entends la tempête. On me parle de progrès, de « réalisations », de maladies guéries, de niveaux de vie élevés au-dessus d’eux-mêmes. Moi, je parle de sociétés vidées d’elles-mêmes, de cultures piétinées, d’institutions minées, de terres confisquées, de religions assassinées, de magnificences artistiques anéanties, d’extraordinaires possibilités supprimées. On me lance à la tête des faits, des statistiques, des kilométrages de routes, de canaux, de chemins de fer. Moi, je parle de milliers d’hommes sacrifiés au Congo-Océan. Je parle de ceux qui, à l’heure où j’écris, sont en train de creuser à la main le port d’Abidjan. Je parle de millions d’hommes arrachés à leurs dieux, à leur terre, à leurs habitudes, à leur vie, à la vie, à la danse, à la sagesse. Je parle de millions d’hommes à qui on a inculqué savamment la peur, le complexe d’infériorité, le tremblement, l’agenouillement, le désespoir, le larbinisine. » et il conclurait sans doute de la sorte : « l’Europe colonisatrice est déloyale à légitimer a posteriori l’action colonisatrice par les évidents progrès matériels réalisés dans certains domaines sous le régime colonial. »[9].

 

De la sorte, les choses me paraissent un peu plus équilibrées, quand on donne l’autre vision des choses, quand on corrige, quand on rappelle certains faits. C’est d’ailleurs ce que je regrette du débat Sarko-Ségo où j’aurais souhaité l’intervention des journalistes pour rectifier les chiffres, corriger les erreurs, parce que du coup, on se trouve en quelque sorte prisonnier des vérités et contre-vérités des candidats qui sont là pour séduire, pas pour dire vrai. Comme de ce passage consacré au nucléaire, où, au final, aucun des deux candidats fut capable de donner les vrais chiffres concernant la part de nucléaire en France ( 78 % de l’électricité MAIS 16 % de l’énergie consommée, ce qui du coup une source d’énergie presque marginale en France, alors que le nucléaire ne représente que 4% de l’énergie au niveau mondial, c’est à dire, vraiment rien alors que les risques qui y sont liés sont immenses). Il y a des vérités à rétablir dans le discours politique et ne pas laisser filer les choses comme elles sont dites. C’est le job du journaliste normalement, mais il semblerait que ces derniers temps, il ait perdu de sa superbe, ce digne métier…

                       

            Mais là je crois que je me suis plus que perdu ( et pas comme le PSG, parce que celui-ci a arrêté de perdre semble-t-il, c’est bizarre, Sarko est supporter du PSG, est-ce un signe ?) dans les méandres de ma pensée, qui, comme vous le voyez est capable de véritablement passer du coq à l’âne ( je vous laisse deviner qui est l’âne dont je parle …). Alors pour sortir, de ce cul-de-sac, sans doute il serait judicieux de reprendre ma route et donc de partir de ce cul-de-sac qu’est Hanko.

La fin vient en-dessous.



[1] Elle n’est pas de moi, mais de Gustave Parking, pour ne pas faire de pub aux espaces de stationnement de voitures.

[2] Libre, parce qu’il faut défendre la liberté partout où elle peut se trouver, même dans le papier. Alors « vive le papier libre ! ». Attention ne vous méprenez pas sur mes propos, il ne s’agit pas d’une attaque en règle contre « Le figaro » qui n’a plus rien de libre depuis qu’il est sous la férule de la droite (comme beaucoup d’autres médias). Quoique…

[3] La solution pour la vie, est alors de copier les inventeurs de sac couchage qui ont réussi à mettre des duvets chauds et volumineux dans des petits sacs, prenant peu de place.

[4] Et notamment ma prof’ d’allemand du lycée. 

[5] Et puis difficile d’y échapper : à Tampere, le contrôleur m’a vu monter avec, donc pas le choix pour payer, tandis qu’au retour nous étions deux avec les vélos et ça n’est pas passé non plus aperçu…

[6] C’est surtout pour le parallèle religieux, je ne voudrais pas porter de jugement de valeur sur les propos qui vont suivre…

[7] Nicolas Sarkozy, Toulon, le 7 février 2007.

[8] Nicolas Sarkozy, Palais omnisports Paris-Bercy, 29 avril 2007.

[9] Aimé Césaire, discours sur le colonialisme, 1955. Un véritable pamphlet contre le colonialisme, à lire absolument !! par contre sur l’utilisation de ces deux éléments ( le texte de Sarko et celui de Césaire, je n’ai aucun mérite, seulement celui d’avoir regardé une partie d’un film sur Sarko où ces deux extraits étaient mentionnés, mais je bosse en ce moment sur un essai sur le concept de Négritude, donc ça aide aussi…)

Du Nord au Sud 2

Un dimanche à la mer ( sauf que c’était un samedi) – 2ème partie

 

 

A tammisaari, sur un tatami.

 

Oui il était temps pour moi de reprendre ma route vers Tammisaari, dont on donne le nom suédois, lorsque l’on parle en anglais (Ekenäs pour les curieux, si ces êtres curieux existent encore)… Au premier abord, elle me semblait plutôt banale, pas de quoi s’envoyer en l’air, pas de quoi atteindre l’extase. Mais finalement, cette petite bourgade du bord de mer, prenait justement tout son charme, en bord de mer. Toute une partie de la ville était le vieux quartier, sans doute il y a de cela quelques temps, un quartier de pêcheurs. Un quartier entièrement fait de maisons de bois, bien traditionnelles, bien comme il faut. La quiétude de ce quartier me permit ainsi de vagabonder doucement dans les rues alors que mes idées elles aussi vagabondaient dans mon cerveau. Il me fallait bien poursuivre les réflexions entamées précédemment. J’en vins finalement à l’idée que cette opposition vu/ vécu ne menait pas bien loin, que finalement, le vécu était quelque chose du passé et donc de ce fait, le « vu » pouvait se trouver à former une part du « vécu » : avoir vu quelque chose, pouvait devenir au fil des années quelque chose de vécu, quelque chose qui à la fois incarne une époque révolue et quelque chose qui, ressurgissant dans le présent, nous apparaît comme quelque chose de vécu et non plus seulement comme quelque chose de vu. Voir quelque chose devient ainsi vivre quelque chose : d’ailleurs, cela résolvait bien ma question posée à propos des films : aller voir un film n’est pas inutile, cela fait parti du vécu après le film, mais même pendant, puisque cela va renvoyer à des choses déjà vécues, ressenties : ainsi on se réapproprie le film et on le vit, on en fait partie, on se fait son propre film. Voir est donc déjà vivre, voir, ce n’est pas seulement être passif face à ce que l’on regarde, c’est aussi le réintégrer à d’autres éléments de sa vie, à des sentiments. Voir, c’est aussi la possibilité de partager : que peut-on partager quand on ne voit rien ? mais le partage n’est pas forcément dans le présent, et c’est ce qui me rassure, parce que voyageant ainsi seul, je peux aussi partager, à posteriori certes mais je peux partager. Ce n’est plus le même partage bien évidemment, ce n’est plus le partage de l’émotion pure, de l’instantané, mais c’est le partage du sentiment, de la réflexion, un regard parfois un peu plus distant, des fois plus vrais, d’autres plus faux. Ainsi voir nourrit la vie, si l’on veut. Voir, c’est l’essence qui fait tourner le moteur de l’homme. Enfin, bref, j’en arrivais à l’idée que « vu » n’était pas en totale opposition avec « vécu », bien au contraire. Il s’agissait ainsi de ne plus mythifier le vécu. Bien au contraire, le vécu est ce qui reste des choses, le vécu est du passé, le vécu est souvenir. Souvenirs, bien utiles tout de même. Même si je ne rentrerais pas dans le débat concernant l’authenticité des souvenirs, puisque nécessairement ces souvenirs n’ont rien d’authentique, il ne s’agit que d’un passé recomposé, reconstitué en fonction du présent, en fonction de ce que l’on souhaite se rappeler, de ce que l’on veut en faire. Les souvenirs sont le passé instrumentalisé par le présent pour des buts futurs. Les souvenirs sont la réutilisation arbitraire et tronquée du passé pour les besoins présents.         

 

            Alors dans ce cadre, qu’en est-il de ce que je m’apprête à vous narrer :est-ce réel, réinventé, instrumentalisé ? difficile à dire. Toujours est-il qu’après cette promenade au milieu de ces maisons de bois, un bref  repas ( des bons sandwich avec du pain dégueulasse et du saucisson qui l’était tout aussi, donnant du coup à l’ensemble une certaine harmonie et un certain goût) et un détour par un petit café qui avait tout ce qu’il y a de plus charmant (où ils avaient un magazine qui avait fait un article sur la région et parlait de la riviera finlandaise), je me rendis de l’autre côté de la ville, mais toujours au bord de la mer. Je me suis allongé sur un ponton vingt bonnes minutes et c’était bon. J’étais bien : un peu de vent, le soleil qui jouait à cache-cache avec les nuages, la mer, les roseaux qui m’ont inspiré une série de photo ( qui s’avéra en fait assez décevante). Il aurait fait 2 ou 3 degré de plus et je passais, là, l’après-midi à tenter de bronzer. Parce que je ne suis pas sûr du succès de l’entreprise… de toute façon, je préfère me placer du côté de la demande que de l’offre[1]. Toujours est-il que je suis resté, là, à rien faire, sur ce ponton de bois, ce tatami de bois, à respirer l’air frais, à divaguer, le bonheur de ne rien faire ou presque[2]

 

 

A bicyclette

 

            Mais voilà, le temps n’attends pas et me voilà reparti en train pour enfin utiliser le fardeau emmené jusque là, autrement dit, enfin prendre le vélo, laissé à la gare de Karjaa. Je savais que j’aurais du le laisser ailleurs. Non je vous rassure, on me l’a pas piqué, mais c’est que la gare est situé en contrebas de la ville et du coup, d’entrée, il y avait une côte bien charmante, mais quand je dis « d’entrée », c’était bien dans les 5 premiers mètres. Pas de quoi flipper quand même, mais bon, ils auraient pu organiser les côtes de la ville autrement.

 

            Après m’être un peu perdu, après 2 bornes sur une espèce de nationale, j’arrive sur « la route des rois ». Alors « la route des rois », comme ça, franchement ça en jette. Mais en fait je pense que c’est la route des rois des bouseux. Parce qu’il n’y rien de spécial sur cette route honnêtement. Elle a rien de particulièrement agréable pour le commun des mortels. Puisque pour moi ( qui ne suis pas comme tout le monde, comme vous le savez), je l’ai trouvé sympathique : une belle route avec des virages, des côtes, des descentes, peu de voitures, la campagne avoisinantes, des paysages qui alternent entre petites forêts, vastes champs où pour l’instant rien ne pousse, villages microscopiques aux maisons de bois toutes de rouge vêtues (avec quand même aussi du blanc pour faire contraste et pour faire les fenêtres). Bref, la Finlande des bouseux. Un suédois qui passerait par là me dirait que toute la Finlande est faite  de bouseux, parce que les suédois ont toujours été un peu condescendants vis-à-vis de leurs voisins finlandais. Alors, il y a longtemps, des rois ont du passer par cette route, il faut croire… en tout cas, je pense que pour les rois de la petite reine, cette route est un régale. Elle le fut en tout cas pour moi, qui n’est pas un roi de la petite reine. Elle le fut, essentiellement parce que contrairement à mes promenades à vélo faites autour de Tampere, je n’avais pas à faire 15 kilomètres pour sortir de la ville, de ses rocades, ses embouteillages,… là, j’étais déjà à la campagne, au calme, seul sur la route. Et puis j’aimais bien cette campagne, je la trouvais calme et apaisante, bien loin de la campagne présidentielle…en plus j’appréciais véritablement les bienfaits du vélo pour visiter : à vélo, on avance relativement vite et l’on peut s’arrêter quand on veut, pour faire une photo, une pause pipi, … Alors ma visite à moi, devait se concentrer sur deux points principaux : la visite d’un vieux château en ruine et la visite d’un manoir au bord d’une crique. Après un changement chronologique dans le programme, je me dirigeais vers la ruine. Non ne prenez pas ça au premier degré : je n’allais pas me ruiner, je me rendais seulement en direction de ce château en ruine. Bon, il n’avait rien d’exceptionnel ce château, rien de bien transcendant à visiter. Vous me direz, que je pouvais m’en douter : les ruines, en matière de château, c’est pas ce qui est le plus intéressant en général… Mais malgré tout, je l’aimais bien. Non, pas parce qu’elle était tout aussi effondrée que moi et que donc, étant dans la même situation, une sorte de solidarité pouvait se nouer mais je me suis juste imaginé que ce devait être bien d’avoir un tel édifice près de chez soi quand on est gamin : je m’imaginais gamin, allant jouer autour de la ruine, raviver les anciens et sombres temps médiévaux, simuler des combats de chevaliers avec des bouts de bois ramassés par hasard[3], recréer la société féodale avec une partie qui jouerait les seigneurs et les autres les serfs, ces derniers qui au bout d’un moment ferait une révolution pour enfin être libres. Oui, je sais, dans cette jeunesse, j’aurais été révolutionnaire. A moins que les serfs décident de s’organiser en communauté syndicaliste autonome qui refuse donc d’élire un quelconque roi…même si cette dernière hypothèse resterait peu envisageable n’étant pas sûr dans cette jeunesse d’avoir déjà vu « sacré Graal ! ». et puis, y aurait aussi toujours une intrique amoureuse : y aurait par exemple la reine qui n’aimerait plus son mari ( le roi, autrement dit), parce que celui-ci passe tout son temps à guerroyer, alors du coup, elle se chercherait un amant, un preux chevalier prêt à lui offrir son cœur et de beaux colliers. Et il y en avait des enfants quand j’ai visité cette ruine, mais je suis pas sûr qu’ils avaient les mêmes idées que moi sur l’enfance… peut-être ma vision est un peu déconnectée de la réalité et n’est qu’une espèce d’enfance mythique, de celle qui n’existe pas vraiment mais dont on a toujours rêvée…

 

            Mais pas le temps de rêver trop longtemps. Quelques expériences photographiques et me voilà reparti. Bon, comme je ne suis pas non plus pressé, je me permets même un détour par le bled mitoyen au château, un de ces villages traditionnel, communiste de couleur et traditionnel de mentalité. Enfin, je dis ça, j’en sais rien. Pour la couleur, d’accord, c’était bien rouge, mais la mentalité, je sais pas. Même si ils sont paysans et qu’ils ont plus de chance d’être un peu conservateurs sur les bords, mais on ne sait jamais…Une petite église, tout ce qu’il y a de plus charmante mais qui doit pas accueillir des miracles tous les jours, parce que la côte pour y monter, elle est pas accessible à tous. Ou alors, il faut qu’ils organisent les miracles en bas : comme ça le tétraplégique qui ne pouvait plus bouger de son fauteuil, peut faire valider le miracle en montant la côte tout seul sur ses deux jambes. Et puis, bon, parce que je ne suis pas un ange, pas question de m’éterniser en ces lieux . alors je continue mon bonhomme de chemin vers ma seconde visite : celle de ce manoir près d’une crique d’où partent un certain nombre de balades selon mon guide sur la Finlande, auquel pourtant je ne porte plus vraiment beaucoup de crédit, depuis ma déception de Turku. Mais la route m’attend avant de pouvoir savourer le lieu qui semblait être particulièrement envoûtant selon ce pavé touristique. Mais au lieu de savourer le manoir et son cadre enchanteur, j’ai savouré un café à Fagervik, le bled où doit se trouver le fameux manoir. Alors au final, après assouvi ma nouvelle soif de café dégueulasse ( traduisez, café finlandais mais malgré tout, il semblerait que les finlandais en consomme une grande quantité de ce café bien médiocre[4], au point que la première chose qui avait frappé une prof en visite à l’université de Tampere fut la présence de plusieurs machines à café dans la salle des profs et il paraît qu’ils s’en servent très souvent…), je n’ai pu mettre la main sur le manoir en question. Pourtant, un manoir, ce n’est pas ce qu’il y a de plus petit. C’est pas le genre de chose que l’on peut perdre… mais j’avoue que je me suis perdu moi-même dans mes rêveries dans ce petit village enchanteur et vraiment très charmant : on ne peut pas dire qu’il y ait une rue, mais dans cette ruelle, il n’y avait que des maisons traditionnelles finlandaises, une belle église en bois, des fleurs, un lac et une superbe lumière sur le lac. Bref un paysage de romantique du XIXème, un paysage comme je les aime, comme l’aurait sans doute aimé Caspar David Friedrich. Un paysage entre trouble et lumière, entre clarté des trouées du ciel bleu et noirceur du ciel recouvrant ci et là le ciel azur. Et tout cela sans agitation, dans le plus grand calme. On aurait cru Sarko dans le débat avec Ségolène. Il était doux comme un agneau, le sarko. Il la laissait l’interrompre, il n’avait jamais un mot au-dessus de l’autre, il lui a même fait cadeau de 3 minutes de temps de parole, parfois même mielleux en la qualifiant de « brillante » en rappelant qu’elle méritait d’être à la place qu’elle est, mais le comble fut quand même quand il osa déclarer que « pour être président de la République, il faut être calme », lui l’anxieux de service, toujours sur les nerfs, à réagir au quart de tour… non c’était très fort. Je pense que lui-même a du se marrer à sortir une phrase pareille. Il a du se dire, que c’était vraiment gonflé de sa part de dire une telle phrase. C’était un peu le monde à l’envers d’ailleurs dans ce débat : un Sarko sur la défensive, qui a du mal à en placer une alors que Ségolène, pugnace, offensive, avec un bon débit de parole[5]. Donc ce paysage était vraiment apaisant tout en étant tourmenté : réellement sarko qui malgré tout hier, malgré son effort de se montrer, « calme, coo-cool, zen, l’exomille » comme ils disent aux guignols, avait toujours des mains qui bougeaient beaucoup et il n’était toujours pas capable de regarder son adversaire en face ( du coup quand il conclut qu’il ne trahira pas les français, on a du mal à y croire, surtout que d’après le témoignage de J.C (qui tient légitimement à garder son anonymat), le nain aurait déjà eut l’occasion de s’exercer à pareille manœuvre. Une sorte de récidiviste, ceux avec lesquels, il veut la tolérance 0…). Enfin bref, j’ai passé un certain temps dans ce micro-village et j’en ai un peu oublié le temps et donc mon manoir que je n’aurais pas vu. A moins qu’il ne s’agissait de ce bâtiment blanc des plus étranges qui donnait sur le lac, mais je ne le crois guère, et pas seulement de 30 ans…

 

            Mais plus le temps de s’éterniser en palabres, il faut que je rentres. Pas spécialement pressé par le train mais juste que j’aimerais avoir le temps de trouver quelque chose d’ouvert pour manger…et puis c’est que j’ai de la route à faire. Parce qu’avec mon changement d’itinéraire et ma volonté de ne pas reprendre le même chemin, je m’apprêtais à faire un détour. Mais bon, j’ai de la marge temporelle, alors profitons-en. Au final, j’eus cette nationale sur 17 bornes, mais une nationale parfaite : pas trop de voitures, une bande d’arrêt d’urgence…. En fait c’est pas une bande d’arrêt d’urgence mais une voie pour véhicule lents, autrement dit les tracteurs. Oui parce qu’à vélo, je suis pas sûr d’avoir à me considérer comme véhicule, et encore moins comme lent : c’est vrai j’étais sur le point de le doubler le tracteur … mais c’est vrai que doubler n’a jamais été trop mon truc : en voiture, j’ai pas encore trop l’habitude, mais en vélo, encore moins… il faut dire que l’occasion se présente rarement ( dans les deux cas en fait, puisque je n’ai pas mon permis depuis bien longtemps). Du coup, je suis resté accroché derrière mon tracteur pendant 5 bornes, à respirer les effluves mi-agricoles mi-pétrolières de ce-dernier. 

 

 

On va mettre la viande dans le torchon.

 

            Mais, pas peu fier de moi, j’ai avalé les kilomètres à une bonne vitesse et je ne suis pas arrivé bien tard à Karjaa. Du coup, j’eus bien le temps de prendre à manger. Un Kebab parce qu’il n’y avait rien d’autre d’ouvert. Et pourtant, j’adore les Kebab mais, si vous vous souvenez de mes dernières péripéties en matière de Kebab finlandais, vous comprendrez mes réticences. Et ce Kebab n’y a rien changé : toujours aussi bizarre et peu ragoûtant finalement. Ah vivement le retour en France … pour ses Kebab !!! et puis, enfin l’heure de reprendre mon train pour rentrer tranquillement et enfin se reposer un peu. Mais, là, la peur de ma vie. Mon appareil photo se met à perdre la boule. Je hais la technologie, vous disais-je au début de ce texte. Mais avec force patience et précision ( précision exprimée par l’utilisation d’un critérium…), j’ai réussi à remettre ce minuscule morceau de plastique ( pas plus d’un millimètre de long et de large…)à son emplacement, dans le bon sens, dans son ordre de fonctionnement. Et mon appareil accepta de nouveau de me resservir.

 

            Les heures de train et d’attente ( parce que ne pouvant trimballer mon vélo dans tous les trains, il faut savoir attendre) seront longues. On a beau, lire et travailler, quand on veut rentrer, c’est dur[6].

 

            Un dernier tour de vélo pour rejoindre ma résidence et je suis dans ma chambre. Une douche, de la musique, et puis Internet pour connaître les résultats de volley et rêver de coupe d’Europe pour l’an prochain. Ouf, une victoire… mais à l’arraché,…il faut remettre ça le lendemain. Pour eux… pas pour moi. Il doit être 1H du mat’, il faudrait que je mettes la viande dans le torchon…

 

            Voilà, une journée s’est terminée, une journée à voir plein de chose, une journée qui constituera une sacré dose de « vécu », j’en suis sûr, une journée qui a compté une forte dose de « remplissage de vie ».

 

 

jeudi 3 mai 2007.


[1] elle était nulle cette blague économique, non ?

[2] ce « ou presque » correspond au « rien faire » pas au « bonheur ».

[3] même si je ne négligerais pas non plus un jeu de rôle grandeur nature avec des armes en latex pour vraiment bien se foutre sur la gueule…

[4] enfin, je dis ça, mais avant cette année, je ne touchais jamais à un café, alors je ne suis pas une référence pour comparer avec un café « continental ».

[5] en tout cas, largement mieux que son discours du 22 avril, qui était véritablement catastrophique.

[6] Il faut tout de même préciser que la nuit d’avant, donc avant de partir pour la mer, j’ai du dormir 3 ou 4 heures, parce que, bah, parce que j’arrivais pas à m’endormir…