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fables modernes #111 : la pègre et les peignoirs

Sur les trottoirs qu’ils arpentent,
A surveiller leurs affaires
Et parfois leurs filles absentes,
La pègre exploite la misère.
Du bitume, qu’ainsi ils hantent,
Ils accroissent leurs salaires,
Se constituant cette triste rente,
Sans même s’en donner l’air.
Les pauvres âmes errantes,
Réduites à toujours se taire,
De leur exploitation évidente,
En porte les maigres affaires.
De leur vêtures affriolantes,
Pour au chaland donner à plaire,
Leur générosité, si béante,
Rejaillit au-delà de leurs fers.   
De leur démarches lentes,
Que coiffe le regard sévère
De la contrainte amante,
Ainsi les entrailles les serrent.
Alors involontaires bacchantes,
Certes loin de toutes guerres,
Leurs corps qu’elles ne sentent,
Ne leur appartient plus guère.
Il n’est plus d’yeux pour leur fente,
Que le mesquin œil de verre
Du médecin quand elles enfantent,
En tâtant jusqu’à leurs ovaires.
Peignoirs qu’alors elles vantent,
Prennent-elles ainsi le vert,
Loin des boulevards et des sentes,
Pour se découvrir mères.  
 
 
La pègre, organisation rampante,
Volatile comme un amas d’éther,
S’aigrit comme elle s’aimante, 
Diffusant ses miasmes délétères. 

fables modernes #110 : la corde et le cou

Une corde désœuvrée,
D’un pendu repentant,
Avait le cœur navré
De n’être plus Satan.
D’avoir à la vie
Repris le goût,
L’être, alors ravi,
A mis les bouts.
La pauvre corde,
Seule, se lamente,
Ses boyaux se tordent,
En fiévreuse amante.
De ce frêle cou,
Qu’elle enlaçait
A tous les coups
Et à clore le passé,
Elle en garde la mémoire,
Comme la moindre trace,
Nostalgie de son désespoir
Sur lequel elle prenait place.
Remisée au grenier,
Seuls les rats la grattent,
Bientôt toute élimée,
Sûr, le prochain se rate.
Pas même au voyage
Ne sera-t-elle conviée,
Désormais bien trop sage,
Pour du chemin dévier.
Célébrant même ses noces,
De ses bras fait-il foulard,
Quand se craquèle l’écorce
De son cœur encore faiblard.
Désormais lointain souvenir,
La corde revêche se raidit,
Et sur scène veut-elle en finir,
Exorcisant alors ce non-dit.
 
 
Les jambes prises au cou
Fuient les décombrent
Et les marques du dégoût,
Laissant dans l’ombre,
Et à peine encore debout,
Le fantôme sombre
Qui, d’impatience bout,
Et refuse la pénombre. 

fables modernes #109 : l’horloge et l’orange

De sa belle mécanique,
Réglée à la perfection,
Tout à fait helvétique,
Pour remplir sa fonction,
Siégeait dans le vaste hall
De l’hôtel vide de la gare,
Une horloge à l’allure drôle,
Bien qu’elle n’accuse de retard.
Car qu’importe l’apparence
Pour le précieux appareil,
Il n’est en l’occurrence
D’intérêt, qu’elle ne s’enraye.
Il était toutefois pour lui déplaire
Dans cet hôtel déserté de tous,
Cette existence bien solitaire ;
Une orange pour seule rescousse.
Du fruit naturellement amer,
N’en tirait-elle que tristes maximes
Et aucune anecdote de commères,
Qui l’élevaient aux hautes cimes. 
Car à voir passer le temps qui passe,
L’horloge s’enquiert ici-bas,
Des historiettes qui souvent lassent,
De ces sujets qui ne font débat.
Seule rehaussée de son acidité, 
L’orange s’enquiert-elle du monde,
Sans souci pour sa rotondité,
Depuis qu’elle ne se traduit en fronde.
De l’horloge qui égraine le temps,
Le contemple et jamais ne l’accélère,
L’orange s’y frotte et parfois s’y pend,
D’un enfant qui, d’ennui, se désespère
Et du fruit en agrémente la pendule,
Prenant volume et saveur d’agrume,
Lestant l’ingénu et naïf pédoncule,
Atteint dans son être par l’amertume.
 
 
Du vivant qui plaque au mécanique,
Dans une curieuse harmonie,
Ne peut que naitre la triste panique,
Qui brise toute cérémonie. 

fables modernes #108 : les fossiles et les missels

Il n’est plus une commune
Qui, à son héritage ecclésial,
Offre une nouvelle fortune,
Refondant l’édifice paroissial.
Du clocher au tympan,
Du transept au chœur,
Redonnant le flambant
Jusqu’aux intérieurs,
Les rénovations en nombre
Exhibent souvent ici ou là,
Parmi les quelques décombres,
Brillants de mille éclats,
Quelques trésors engloutis
Par les fondations massives,
Bases de l’édifice abouti,
Pour depuis rester passives.
Seulement n’est que relatif,
Le trésor que l’on décèle,
Dont l’équivalent lucratif,
N’excède ce que l’on descelle.
Ainsi de l’église Sainte Radegonde,
Minée de crevasses artificielles, 
Des fondations que l’on sonde,
Ne fut guère providentielle
La découverte qu’alors l’abbé fit,
Investiguant à son tour les tranchées.
Lui rendant le cœur entier déconfit,
Il ne savait même où l’épancher.   
De cette partie où se célébraient
Jadis tous les grands offices,
Recueillît-il tous démembrés,
D’antiques missels de l’édifice. 
Cependant qu’il les ausculte,
Bientôt se rend-il à la raison,
Qu’il s’agit-là d’un autre culte,
Traces de préhistoriques oraisons.
 
 
Il est dans l’aléa de nos quêtes,
Les résultats les plus probants,
Ceux de réaliser des emplettes
Inéluctablement à contre-courant.  

fables modernes #107 : le superfétatoire et la fée de Thouars

Ils n’avaient pas fini dans le thouarsais,
Sombrant dans le désespoir rance,
De croire en une victoire au Tiercé,
Comme une seule et unique espérance.
Etonnamment dans cette bourgade,
Il n’avait pas été envisagé autre remède,
Face à l’économie tombée en rade,
Que l’obtention de providentielles aides,
Parmi lesquelles ainsi on comptait
Les chevauchées des courses équines,
Même si l’on n’avait jamais dompté,
Dans ce village, la moindre féline.
Chaque habitant, misant ses économies,
Chaque jour ou chaque semaine,
De sorte qu’il n’était plus de mamies,
A garnir le moindre bas de laine.
Les banques se voyaient comme closes,
De n’avoir plus de liquidités confiées,
Et sentant se dessiner un avenir morose,
Fuirent suivant la monnaie se raréfier.
Si l’épargne n’était initialement pas minime,
Les capacités fiduciaires à miser,
Devinrent, avec tout leur entêtement, infimes,
Pour bientôt totalement s’amenuiser.
Il vint pourtant dans ce foutoir,
Une étrange et saugrenue apparition,
Celle de la fameuse fée de Thouars,
Qui au royaume de France fit l’annexion.
Car, assistant Bertrand du Guesclin,
Pour l’Aquitaine réduire à la soumission,
D’une poignée magique de mesclun,
Elle vint apporter la suprême solution.      
La fée, alimentant judicieusement
Quelques chevaux triés sur le volet,
Récompensa les villageois grassement,
De ne s’être point foulés les mollets.   
 
 
Si la providence peut mener à l’indigence,
Il peut être, pour le fainéant accompli,
Le plus sûr moyen d’atteindre l’opulence,
Sans risquer le moindre mauvais pli. 

fables modernes #106 : le dimanche et la dame-blanche

Se drapant dans ses habits austères
Vêtu de sombre de pied en cap,
Figure incarnée d’un éternel hiver
Qui toujours notre moral sape,
S’exhalait dans les rues, le dimanche,
Comme à son accoutumée, 
Faisant saillir ses tristes hanches,
Caractères de l’être déprimé.
Il semblait dessiner la fin de la courbe,
Comme une rupture à venir,
Un virage que l’on croit parfois fourbe,
Qui cache les lignes de l’avenir.
Il s’en est fallu seulement d’un rien, 
Pour que lors de cette semaine,
Enfin il s’oublie d’être si terrien,
Pour alors reprendre haleine.
Car au détour de ce fameux virage,
Soulevant sa triste manche,
Il découvrit sans le moindre ombrage,
Le corps de la dame-blanche.
De son organisme fluet et gracile
Il fut attiré, comme aimanté, 
De la frivolité semblant si facile,
Y cédant sans même argumenter,
Il prit sans vergogne la tangente,
Pour s’offrir langoureusement
A ces sensations les plus puissantes,
Loin des usuels et fades serments
Dont on faisait souvent son effigie,
Comme journée triste et terne,
A laquelle on a ôté toute magie,
Coupée du feu de la lanterne.   
 
 
Si l’habit ne fait pas le moine,
Il ne conviendrait de la semaine,
Des jours que l’on se dédouane,
Pour en faire une plate scène,
A l’harmonie toujours idoine,
Sans relief ni variété quotidienne,
Alors qu’une aléatoire macédoine
Romprait l’insipide antienne. 

fables modernes #105 : le minois et le manoir

Parcourant quiètement la campagne,
Une jeunette en vadrouille,
Cherchant son pays de cocagne,
Semblait finir bredouille.
Ayant erré à travers les paysages,
Pour acquérir une douce bicoque
Où n’aurait-elle d’aucun ombrage
A souffrir à force de soliloques,
Qui des siens enfin la couperaient,
Retrouvant pour son existence,
Un souffle qui lui murmurerait,
Enfin semblait tourner la chance.
Car au détour d’un étroit virage,
Aperçoit-elle une vaste demeure,
Au milieu de verts pâturages,
De quoi la combler de bonheur.
La grille ouverte et de guingois
Arborait une immobilière pancarte,
Présage, pour elle, de bon aloi,
De quoi marquer d’une croix sa carte.
Des allures lugubres et macabres,
Elle ne tint pas même compte,
Ne voulant être cheval qui se cabre,
Pour quelques frayeurs de contes.
L’habitation promptement acquise,
Le délicat minois minaudant,
Sa décoration intérieure faite exquise,
De son mutisme fait serment,
Croyait-elle alors trouver l’isolement
Et la quête intérieure de son être,
Seyant à son teint harmonieusement,
Une retraite presque à la lettre.
Si la donzelle quelques jours s’en reput,
De ces spectres errant là flottant,
Prestement l’inspiration s’en fut,
La folie alors la prenant totalement.
 
 
Le sage peuple abonde de préceptes,
Pour du tumulte sans cesse fuir,
Et ainsi rejoindre quelques retraites,
Où méditer placidement à loisir.
Nul ne songe alors cependant,
Que des générations nous précèdent
Et ont aussi pratiqué en pédant
La retraite, avant qu’ils ne décèdent.  

fables modernes #104 : la dentelle et la denture

Sur la grand place de la ville
Un jeune de banlieue
Baguenaudant sans péril,
Croisait les milieux.
Dans un mouvement de ballet,
Les classes s’entrelaçaient,
S’éparpillant dans les allées,
Pour mieux se déplacer.
Ainsi toutes ces origines,
Sans exception aucune,
De cette fresque dessinent
Une mosaïque opportune.
Dans cette belle peinture,
Détonnait cependant,
La déplorable denture,
De ce moderne manant.
Le contraste ainsi était tel,
Qu’il avoisinait par hasard,
Une jeune fille à la dentelle,      
Qui n’eut fréquenté le bazar.
Toutefois que partageant siège,
D’un banc public encore debout,
Se trouvant comme pris au piège,
Sentant ainsi l’attirance qui bout,
Initièrent-ils la conversation,
Liant bientôt connaissance,
Faisant de l’initiale situation,
Une lointaine souvenance. 
Car de se découvrir l’un l’autre,
Comme deux êtres aimants,
Engageant les patenôtres,
Sur des charbons ardents,     
Ils convenaient de bon gré,
Qu’ils ne devaient constituer,
Qu’une seule pièce agrégée,
Pour le tableau mieux ponctuer.
 
 
Ainsi pour instituer des ménages
Et mener des jeunes à l’autel,
Suffit-il du premier attelage,
Et ne pas faire dans la dentelle.

fables modernes #103 : le ciel et l’essieu

Ouvrant la route du fier convoi,
Serpentant sur les étroites voies,
La flambante camionnette de service 
Dans la suite de lacets se hisse.
Car cette caravane extraordinaire
Devait, pour enfin changer d’air,
Accomplir quelques ascensions,
Au risque de quelques sensations.
De ce petit cirque de campagne,
Franchissant alors les montagnes,
Voyait-on tous les véhicules,
Prendre d’assaut les monticules.
Poussés par l’envie de nouveaux cieux,
Pour de leur création subjuguer le malicieux,
Franchissait-il inlassablement les frontières,
S’initiant toujours à de nouvelles matières.
Nul doute que de retour au pays,
S’instillerait dans leur féérie,
Quelques nouvelles prouesses,
Que les étoiles, un jour, caressent.
Car en spécialistes de l’acrobatie,
Refusant ce bas-monde rétréci,   
Que la gravité sans cesse gouverne,
Pour nous le rendre plus terne,
De la terre avait-il coutume,
De s’éloigner du triste bitume,
Pour naviguer dans les airs,
En curieux volatile bestiaire.
Contraint là par le voyage,
A demeurer comme en cage,
Les circassiens piaffaient,
D’être ainsi tristement coffrés.
Cependant s’élevant dans le ciel
Plus qu’il ne leur était habituel,
Il y eut cet étrange et sombre bruit,
Comme un nuage se détruit,
Pour tous alors les interpeller,
Derrière la camionnette esseulée,
Venant par une fameuse embardée,
Aviser que les ennuis n’allaient tarder.    
Le conducteur ne pouvait que constater,
Son véhicule désormais accidenté,
De son essieu malencontreusement brisé,
Il n’avait plus guère que les cieux pour prier.
 
 
Que l’on soit parfois téméraire,
N’est pas aux astres pour leur plaire,
S’ingéniant par des impondérables,
A rendre le sommet inatteignable. 

fables modernes #102 : l’oiselle et le casse-noisette

L’oisive et gracieuse oiselle
N’avait, comme ses ainées,
Investi dans le tissage éternel
Dans l’attente de l’être aimé.
Elle passait ses claires journées,
A évider la panière de noisettes
Qu’une à une elle retournait,
Pour ensuite les réduire en miette.
Le regard souvent dans le vide,
S’ouvrant le large horizon,
Fixe en disciple de Parménide,
Sans la moindre fenaison.
De ce cake au noisette,
Que jamais elle n’achevait,
Conservant sa nuisette,
Que jamais elle ne soulevait,
Avait-elle choisi l’austérité
De la vie triste de la recluse,
Sous le joug de la sévérité,   
D’une liberté qu’on récuse.
Sous le regard accusateur,
Et pourtant presque effacé,
De l’ustensile castrateur,
D’effroi se sentait-elle glacée,
Ne songeant rien accomplir
Qui puisse lui le froisser,
Maitre virtuel de son devenir,
Devant lui éviter de s’angoisser.
Ayant remis son destin,
Entre les pinces de l’outil,
N’était-elle que pantin,
Oubliant les soucis.
 
 
Il est parfois dans la vacuité,
Manière de se remplir,
Pour, dans une grande austérité,
Oublier ses désirs.