Etre de
papier
Etre de
papier, être dans les lettres, dans les mots, les expressions, sans trop de
pression, celle des autres, juste celle de l’espace infini des mots et de la
langue, une pression des plus souple qui nous éloigne du doute, une pression qu’on
peut prendre au bar ou en terrasse, qu’on prend à ras-bord ou à tribord, qu’on
prend à ras-le-bol ou pour en prendre un rempli d’air.
Etre de papier
pour ne pas casser les pieds ( ni même la vaisselle), pour ne pas trop enfler
des chevilles, pour pouvoir partir en vrille comme on le veut, pour partir où
l’on veut, c’est sans doute ça le problème, partir de ce monde un peu blême
pour s’en inventer un autre, souvent loin des autres, loin tout court, loin où
l’on court pour s’enfuir, pour ne pas s’en faire, pour ne pas revenir. Car
lorsque l’on est là-haut, l’ascenseur ne semble pas répondre à nos appels à
peine formulés, enfarinés, embourbé de notre propre chair, de notre propre
sang, pas vraiment qu’on se fasse un sang d’encre à force d’écrire, bien au
contraire, comme si on avait enfin trouvé un havre de paix. Plutôt une paix des
lâches qui préfère un ailleurs qu’un ici, parce que c’est sûr c’est pas pareil
mais c’est bien indécis pour quelqu’un d’ici qui se refuse à y rester ou même à
le changer.
Etre de
papier, un sans-papier de la réalité, un passager clandestin de cet univers, un
passager clandestin qui migre éternellement vers un ailleurs, où qu’il soit,
toujours en train de migrer, pas forcément à faire des simagrées, juste jamais
à sa place, toujours la cherchant ailleurs, quand ailleurs n’est jamais ici et
que tout ici devient vite ailleurs, qu’on se dit toujours « à tout à
l’heure », quelque soit l’heure, toujours en heurt, jamais à la bonne
heure, quelqu’elle soit. Soit dit en passant, comme on le fait dans cet
univers, quand on ne peut encastrer toutes ces pendules, qu’on ne les trouve
jamais à sa convenance, qu’on les estime toujours déréglées, il faut savoir
remettre à l’heure sa propre horloge interne. Au lieu de ça, on se dit qu’on
peut s’en échapper, sortir de l’espace-temps, s’espacer de temps en temps,
s’espacer de tout temps, qu’il flotte, qu’il neige ou qu’il bruine, s’espacer
de tout cela, créer son propre espace, sa propre place. Mais une place se
définit par ce qui se passe autour, une place n’est rien sans quelque chose
autour, on se fait une place parmi des gens, on crée une place entre plusieurs
rues. La place ne peut exister pour elle-même. La place n’a pas d’existence en
elle-même, la place a besoin de quelque chose d’autre pour être là. Qui a déjà vu une place au milieu de rien, au
milieu du vide ? la pauvre ne serait vraiment pas à sa place. Je ne dirais
pas pour autant qu’il faille de la concurrence pour exister, je ne pense pas
que quelqu’un qui va à la chasse perde sa place. Chacun sa place et les moutons
seront bien gardés ( qui plus est, mieux vaut l’élevage à la chasse).
Etre de
papier, un avion en papier, un avion à réaction, un avion en carton, un avion
comme un cartoon qui s’envole vers les plus beaux cieux, qui fait sans cesse la
une, qui se pose sur la Lune, jamais mal luné, toujours un peu allumé, même
quand les moteurs sont au repos, toujours un peu de peau, toujours un coup de
peau, jamais un coup pour rien parce qu’un rien de papier c’est toujours
beaucoup, surtout que ça coûte rien. Ça ne coûte rien de se mettre sur du
papier, de se lâcher en papier, ça fait même pas mal et si souvent du bien, si
souvent à se lover contre ce papier si doux, comme du papier buvard, pour
éponger, non les dettes mais les sentiments, les regrets, les souvenirs, les
absorber, les contrôler, éviter qu’ils ne se répandent n’importe où, les
canaliser sur ce papier. Un papier pour s’épancher, pour ne pas se pencher trop
près du gouffre et surtout éviter d’y sombrer, un papier pour s’ex-primer et
éviter de dé-déprimer, pour s’appliquer à s’expliquer sans toutefois
s’impliquer parce que le papier extériorise une part de notre intérieur mais
pour le placer dans un autre intérieur, dans une sorte de cour intérieur, une
véranda avec fenêtre sur cours, parfois fenêtre sur cœur, un nouvelle espace
clos, les yeux mi-clos, les œufs mi-cuits, à ne pas trop se mouiller, ne pas
sortir de sa coquille, juste en créer une nouvelle, plus grande, plus aérienne,
plus en verre, plus fragile, ouverte sur le monde mais toujours dans son propre
monde. On peut certes bien sûr y installer des plantes en plastique pour faire
comme si, pour faire mieux, pour se reverdir, mais ce n’est que du décor, du
décor pour être vu, pour être repéré, pour se cacher aussi, pour les
apparences, pour ne pas avoir l’air trop rance, pour ne plus apparaître en
errance, montrer qu’on s’est meublé, qu’on s’est installé, qu’on s’est embelli,
qu’on sait, qu’on sait quoi au juste ? qu’on est quoi au juste ?
Qu’on est juste au juste ?
Etre de
papier, un papier que l’on déchire quand on veut, un papier qu’on brûle aussi
quand on veut pas laisser des traces même si on le souhaitait au début, un
papier qu’on malmène, qu’on amène, qu’on manipule, qu’on triture, qu’on souille
de fritures, celles de la vie, ces traces de graisses de la vie, ces traces qui
sont indélébiles et restent toujours malgré le détachant de la conscience, ces
tâches si riches qu’on en conserve toujours quelque chose que ce soit du
ketchup, une histoire de chop, de la mayonnaise, de la béarnaise ou des
foutaises. Un papier donc qui vibre, un papier qui vit, un papier qu’on cible,
un papier risible quand on y repense, quand on y repasse, pas comme une chemise
bien sûr, parce qu’on peut le brûler au second degré ( de l’humour), pas besoin
de ce genre de précautions, tout nous est permis quand on est de papier, tout
est possible, tout est réalisable, du moins, sur le papier…
Vendredi 19 octobre 2007.