Archive pour juillet 2007

intermède d’intérim

     J’inaugure donc cette nouvelle phase dans la vie de ce blog, après l’année en Finlande, avec un texte sur le Travail. et oui, à l »heure du Sarkozysme, à mon tour de parler du Travail et de ses vertues.

Voyage dans le monde du travail.

Voyage dans le monde du travail. Voyage dans l’intérim donc. Parce que l’intérim est au travail ce qu’est l’avion pour les
voyages : une possibilité de découvrir des milieux d’une différence inouïe. Tout intérimaire qui se respecte est d’ailleurs normalement un peu comme une hôtesse de l’air, tout le temps en voyage, tout le temps sur des destinations différentes tout en oubliant pas de revenir sur les mêmes de temps à autre. Parce que le vrai intérimaire, l’originel, l’authentique, ne reste rarement plus d’une semaine dans le même lieu : il a besoin (ou plutôt doit) régulièrement changer. Même si, tout ce beau paysage idyllique change aussi : l’intérim n’est plus ce qu’il était : des premiers aventuriers de l’intérim, des pionniers, des découvreurs, peu subsistent. Désormais l’intérim est presque devenu quelque chose de stable : en tout cas c’est ce que j’en déduis suite à mes récentes recherches de travail : comme un bon étudiant je me dois de travailler l’été pour ne pas travailler l’année. Mais on a beau vanter le travail jusqu’à plus soif, c’est de plus en plus dur de trouver un job d’été. Tout cela compliqué par mon année en Finlande qui n’a pas simplifié mes recherches. Je me suis logiquement tourné vers l’intérim. Lors de ma tournée des boite d’intérim, j’ai appris au détour d’une conversation, que désormais les étudiants qui étaient pris en boite d’intérim étaient là pour remplacer des intérimaires : et oui l’intérim s’est institutionnalisé et est devenu un employeur à part entière ( parce que pour
ceux qui ne le saurait pas, quand on travaille en Intérim, on est pas employé par la boite dans laquelle on effectue une mission mais par la boite d’intérim) : Traditionnellement les emplois saisonniers sont là pour remplacer les titulaires qui partent en vacances. Désormais, les emplois saisonniers sont aussi là pour remplacer les intérimaires qui partent en vacances. A cela il faudrait ajouter que les boites d’intérim gèrent de plus en plus de CDD et CDI. Du coup, le débat sur la privatisation des services
d’aide à la recherche d’emploi me semble être un faux débat puisque c’estactuellement, de facto, le cas : les boites d’intérim sont devenues des services de recherche d’emplois (et mêmes stables) à part entière.

            Mais revenons plus en détail sur l’intérim : il est bien vrai qu’on peut trouver une autre face de l’instabilité de l’intérim : on peut découvrir des tas de choses, des tonnes de milieux différents, des professions à foison,… c’est un peu la découverte de nouvelles choses tous les jours, le centre aéré avec des activités nouvelles régulièrement, le parc d’attraction avec des manèges nouveaux,… tenez, en ce moment, je découvrir le milieu de la poste : des centres de tri et d’envoi du courrier, parce que je ne bosses pas pour la poste directement mais pour une entreprise sous-traitante (pourquoi privatiser la poste alors ? c’est déjà le cas en fait…). Et on devient beaucoup plus indulgent avec le courrier en retard, les colis abîmés…parce que, c’est pas tout rose à la poste. Pour être juste, il faudrait dire que certaines tâches sont des plus éprouvantes et d’autres sont plus évidentes mais
n’empêchent pas les erreurs ( l’erreur est humaine) : dans ce centre de tri : y a deux activités une activité qui consiste à sortir et rentrer des sacs postaux des camions et qui demandent tout de même un grand effort physique(et des blessures aux mains quand on vous dit pas de prendre des gants et qu’on vous en file pas sur place parce que les sacs de la poste sont bien mal foutus et font bien mal aux mains) tandis que l’autre activité consiste à sortir des chariots ( des structures, comme l’on dit dans le jargon postal) avec des caisses de courriers qui devront soit être expédiées directement à leur destination soit être triées avant d’être expédiées. Ah le déchargement ! quelque chose de magique… ou pas. C’est un peu comme sortir les entrailles d’une femme portant la vie, comme en décharger une nouvelle vie, prendre les différentes structures les unes après les autres pour donner
différents sens à la vie, sortir des CE30 ou des CP (deux types de structure) parce qu’on sait pas si il sera informaticien ou chirurgien, de la lettre ou de l’économique parce qu’on sait pas à quel rythme il se développera, des R17 orange ou des R 28 gris (deux types de caisses pour mettre le courrier) parce qu’on ne sait pas si ce sera « Il » ou « Elle ». Et puis donc, on vide les structures une à une, on transmet les idées, les valeurs une à une, on les décharge, on les met sur le quai une à une, pour espérer qu’il en garde quelque chose, qu’il pourra par la suite aussi en diffuser autour de lui. Ainsi on vide la mère pour donner au fils, lui donner des expériences diverses, des idées les plus variées, des paysages en tête, des cultures de tous ordres (à sortir des structures pour Nancy, Strasbourg ou Tours). Et puis, c’est la fin. La mère, ses entrailles vides, le semi quitte le quai, le fils peut
désormais se construire seul à partir de tout ce qu’on a pu lui léguer. La séparation est parfois un peu forcée et les postiers sont là pour enlever la plaque reliait artificiellement le quai au camion.

            Mais être postier n’est pas si rose que la vie. Eh oui, il y a des souffrances dans la vie d’un postier. Ne me faites pas dire ce que je n’ai pas dit : il y a aussi des souffrances dans la vie en général, mais il semblerait, de la mission d’une soirée que j’ai eu, que certaines professions concentrent les misères : durant une soirée, lundi dernier, mon travail a consisté à décharger d’un camion des sacs de la poste sur un tapis roulant avant de les mettre dans les paniers appropriés. Evidemment on est plusieurs à effectuer ce genre de travail de forçat. Mais le plus dur reste le travail consistant donc à déposer les sacs sur le tapis. Le terme « déposer » semble atténuer ce que revêt réellement ce travail. Il ne s’agit pas de déposer doucement, tranquillement, paisiblement, avec sérénité une liasse de billets de 500 euros au guichet de la banque. Non, on est plutôt coutumier du fait de les
jeter violemment et rapidement sur le tapis pour pouvoir se presser d’en reprendre un autre dans les plus brefs délais et lui réserver le même sort.
Mais que les âmes sensibles se rassurent ( âmes sensibles du portefeuille particulièrement) : nous ne traitons pas le joli vase de chine que vous avez envoyé à votre bien aimée, nous ne traitons pas la vaisselle de Limoges que vous envoyez à votre belle-mère,… enfin, j’espère… en tout cas après l’avoir fait moi-même, je n’en voudrais tout de même plus jamais à la poste de recevoir un colis en miette : il faut savoir ce que l’on veut : les délais ou l’intégrité. Il semblerait que jusqu’à présent le délais, le
temps, le timing, appelez cela comme vous voudrez soit le point de référence. De toute façon, le temps c’est de l’argent, alors même si on retrouve son cadeau morcelé, parce que le temps c’est de l’argent, on y gagne et donc on peut se permettre d’envoyer de nouveau un cadeau, cette fois avec FedEx… toujours est-il que ce travail est réellement des plus harassants et seule la récompense financière peu aider à tenir, mais tenir à un pauvre fil qui s’étiole quand on sent sa santé partir en fumée : le bas du dos qui souffre, les doigts écorchés à force de sortir ces satanés sacs qui vous liment les doigts parce qu’on vous a pas dit qu’il fallait des gants et que personne n’est foutu de vous en passer pour la soirée. Heureusement, on fait tourner.
Mais on apprécie avec un grand soulagement, l’heure de la relève à minuit et demi. Et moi, qui n’arrive même pas complètement à m’apitoyer de mon sort et de penser aux forçat soviétiques qui effectuaient des tâches bien plus éreintantes pour bien plus de temps et avec pour seule rémunération celle de la soupe et du pain dans les baraques du goulag. Alors cessons de se plaindre ? non parce que les temps ont changé mais sont toujours bien dur pour certains. Et spécialement certains. « ici, c’est un peu la légion étrangère » disait un de mes chefs : oui, les ¾ des personnes qui s’amusent à décharger ces camions sont maghrébins. Comme la plupart ici, ils sont intérimaires. Ils ont besoin d’argent, alors ils travaillent où ils peuvent.
Qui a dit que les étrangers venaient ici pour profiter du système, qu’ils n’étaient pas prêt à travailler ? allez demander à un français de souche ( si déjà quelqu’un se sent en mesure de me dire ce que peut être un français de souche parce que personnellement, je sais pas du tout ce que ce peut être.
Comme j’ai déjà eu l’occasion de le penser : la France est ce qu’elle est grâce à tous ceux qui l’ont construite et continuent de la construire. La France (et sa culture) s’est développée, non à cause mais grâce à ces différents apports successifs) si il est prêt à faire ce genre de boulot. Peu seront d’accord pour le faire. En tout cas la forte présence étrangère rappelle que ce stéréotype des fainéants étrangers est à relativiser fortement et que, comme toute généralisation, cela n’est qu’une généralisation qui n’a d’intérêt que celui de pouvoir tronquer la réalité.

            Mais, je vais revenir sur le sujet premier de ce texte qui était le voyage : eh oui, donc l’intérim fait voyager dans des univers très variés : une semaine plus tôt, figurez vous que je bossais pour un vigneron. Enfin pas exactement. Pour une boite qui aide les vignerons. Vous vous rappelez bien sûr les camions des fêtes foraines qui, après s’être installés sur la place du village, dépliaient leur façades blanc pigeons pour laisser découvrir à tous ceux qui n’étaient jamais sortis de leur bourg mille et une richesses : un
camion tour à tour pêche au canard, tir au ballon, salle de jeu. Il y avait tout dans le camion. Il suffisait de l’ouvrir, d’en extraire les longues pâtes qui bientôt s’étiraient sur le macadam, pour que tout le monde y pénètre. Eux c’est pareil mais avec le vin : je m’explique : dans le camion, il y a une véritable chaîne d’embouteillage : une vraie chaîne, tout comme à l’usine, pour mettre en bouteille le vin, mettre les étiquettes dessus et le mettre en carton. Et donc, ces deux gars-là sillonnent les villes de France
dans leur caravane du Tour à eux pour aider les vignerons. Tels des Don quichottes des temps modernes prêts à s’attaquer aux moulins des injustices qui font, que, dans la vigne, comme ailleurs, on est pas tous égaux. Alors, eux, ils doivent permettre à pas mal de vignerons de faire ce fastidieux travail.
Bon c’est sans doute mon côté socialiste qui fait que je vois d’abord le côté égalitariste, solidaire du truc avant de voir le profit qu’ils peuvent se faire avec tout ça. En tout cas, j’ai quelque peu changé d’avis sur ce que peut être un vigneron : eh oui, pauvre naïf que je suis, je les croyais tous jovials, sympas avec toujours un coup dans le nez. Alors, le coup dans le nez, il l’avait, c’est sûr. Mais pas le reste. Deux jours passés dans son domaine et pas un bonjour, pas un merci pour les intérimaires qui l’ont aidé. Il a même pas offert de bouteille, ni à nous, ni même (et c’est encore pire) aux deux mecs qui tiennent la boite. Gonflé le mec quand même. En plus il fait du bio… comme quoi, bio ne veut pas dire respectueux des gens, des conditions de travail ( parce que pour nous, c’était pas de tout repos, surtout qu’une pièce s’est cassé et du coup, le temps que la rechange arrive, il a fallu qu’on
accélère sérieusement le rythme pour rester dans les temps).

            Entre des camions à décharger sous les cris métalliques du crieur ( si je me rappelle bien du nom de cette fonction, ce bougre qui est là pour énoncer les départements des sacs qui défilent sur le tapis roulant), avec le ronron du tapis roulant, le martèlement des sacs lâchés à la dernière souffrance du forçat qui eut le privilège de pénétrer dans les entrailles du camion pour en vider toute la substance, entre un vigneron aussi aimable qu’une bouteille de vin vide, entre le chef de pacotille qui s’occupe de l’autre activité du centre de tri postal qui joue les virils à coup de tatouages, de machouillements hystériques de chewing-gum, entre ce con (mais en rien méchant) de Auchan croisé il y a deux ans qui me répétait treize fois par tranche de dix minutes
comment bien présenter le rayon liquide, entre cet autre con de Lidl ( centre d’approvisionnement) que j’avais du tellement exaspérer à la préparation de commande (il s’agit en fait de préparer tous les produits demandés par un magasin particulier : Quand on fait ses courses habituellement on prend deux boites de conserve de ci, une ou deux bouteilles de rouge, un paquet de
brioche… eh bien nous, on les prend par palette entière. On passait donc dans les rayons géants pour faire nos courses pour un magasin. Mais il y a des temps à respecter ainsi que des règles pour avoir des palettes qui tiennent la route et qui ne risquent pas de chavirer au premier orage) par mon manque de productivité qu’il en avait décidé de me mettre à faire du tri dans les palettes usagers, entre tout cela, je commence à accumuler les expériences de voyage dans le monde de l’entreprise. Comme le disait mon ancienne prof d’allemand : « les voyages forment la jeunesse » ( « Reisen bilden » en allemand ) : eh oui, que tout cela malgré tout est formateur, qu’il est bon de temps à autre de s’éloigner du monde doré des étudiants pour se rendre compte d’une autre réalité, de LA réalité. J’entendais l’autre jour un jeune sapeur pompier de la banlieue parisienne qui disait que ce boulot lui avait malheureusement fait perdre une certaine innocence et naïveté en lui permettant de découvrir la misère qui pouvait parfois se cacher derrière les portes des cités de la banlieue, portes que parfois seuls, les pompiers pouvaient ouvrir. C’est d’une certaine manière le même sentiment qui m’habite mais je ne le regrette pas et je n’en viendrais pas à penser que cela pourrait me faire perdre une certaine naïveté : tout cela permet de prendre conscience de d’autres réalités mais ne m’empêchera pas de pouvoir me réfugier quand je le veux dans mon monde, sans pour autant, donc, ignorer l’existence d’autres univers autour de moi. D’une certaine manière, je ne pense pas regretter d’avoir eu jusqu’à présent des emplois saisonniers peu ragoûtants : que ce soit l’air liquide, ces expériences d’intérim, le travail en supermarché qui m’attend en août n’ont aucun intérêt en soit, comparé à ceux qui peuvent faire de l’animation ou autre chose qui revêt un certain intérêt. Non l’intérêt est ailleurs (on croirait X Files) : l’intérêt de voir à quoi ressemble réellement le monde du travail (parce que l’animation est en quelque sorte est un monde du travail clos, saturé par les étudiants, excluant, par sa nature, tout réel professionnel) et un monde du travail sans doute dans ce qu’il a de moins agréable, de plus dur, le monde du travail comme on ne le souhaite pas lorsque l’on est étudiant et que l’on construit à travers ses études l’espoir de faire un boulot qu’on aime, un boulot qu’on choisit, quelque chose qu’on souhaiterait pouvoir faire toute sa vie, un truc où on sait qu’on va pas en chier, un boulot où on peut se dire«  ouais je le fais pas pour le fric », un boulot non-alimentaire mais bien au contraire qui nous semble élémentaire, un boulot qu’on se dit qu’il nous correspond au lieu de ces boulots où on se dit « au chef qu’est-ce qu’on respond ? », un boulot qui nous ressemble, qui nous dit qu’on ne peut être humble. Tout cela nous rappelle pourquoi on fait des études et la chance de pouvoir en faire : Je peux penser à cet algérien arrivé il y a peu en France, diplômé en informatique (je sais pas à quel niveau, j’ai pas eu le temps d’échanger beaucoup, on était au boulot quand même) et se voyait pour l’instant dans l’obligation de faire ce genre de mission d’intérim dans un centre de tri postal. Alors oui, c’est pénible, oui c’est pas très valorisant, oui c’est pas particulièrement enrichissant à première vue, mais avec le recul, on y trouve de l’intérêt, on ne regrette pas. C’est un peu comme ces vacances de l’enfance passées au camping, quand la tente avait pris l’eau et qu’on a passé la nuit tout trempé : de l’eau mais aussi et surtout des souvenirs et des leçons à tirer. Alors je vais continuer avec mes chariots de courrier, je vais continuer eux aussi à les tirer…

vendredi
27 juillet 2007.