Archive pour novembre 2009

vie brève, brèves de vie


23 novembre
2009 :

La crise est
là et bien là. L’autre jour – ou plutôt l’autre soir – , une
jolie fille m’aborde dans la rue pour me demander de l’argent,
sans plus de précision sur l’usage à en faire. Je précise
qu’elle n’avait rien d’une de celle que la brigade des
Demoiselles1

surveillait naguère ni même d’une de ceux que la police nationale
aujourd’hui arrête pour mendicité. Bref, une personne normale et
même au-dessus de la normale puisqu’elle se situait
vraisemblablement dans les 10 % de la population qui ont deux bras,
deux jambes, des oreilles en position symétrique par rapport au
visage, un nez, une bouche et deux yeux et tout cela dans un état
bien plus que correct, appartenant donc à cette minorité des
«belles personnes». Bref, elle m’aborda en me lançant «Monsieur,
auriez-vous un peu d’argent à me donner ?». Gentleman comme je
peux l’être à la vue d’un beau corps, je m’engage à regarder
sur le champ le contenu de mon portefeuille pour n’y trouver que
quelques misérables pièces tellement honteuses de n’avoir qu’une
faible valeur faciale qu’elles en étaient toutes rouges. Je décris
donc la situation de quasi-vacuité de mon organe économique à mon
interlocutrice noctambule pour m’entendre dire «5 centimes iront
bien, c’est pour rentrer dans une soirée». Moi qui fuis tout ce
qui ressemble à des mondanités ou à des formes de sociabilité
n’en restait pas moins surpris : 5 centimes pour une soirée, c’est
décidément la crise. Même le divertissement est bradé… Mais
reste monétaire. J’eus ainsi préféré qu’elle me demande mon
bras plutôt que ces quelques bouts de métal sans valeur. L’homme
qui ne valait pas cinq centimes…


1
pour les curieux, la brigades des Demoiselles fut le nom donnée à
cette police bien spéciale il y a quelques siècles avant qu’elle
ne soit nommée plus tard «brigade des moeurs» ou «brigade
mondaine elle-même tout simplement dénommée «la Mondaine» et
qui est aujourd’hui la brigade de répression du proxénétisme.
On apprend des choses quand au chômage, on reste branché sur
France Inter et on écoute tous les midis «2000 ans d’Histoire»…

vie brève, brèves de vie


22 novembre
2009 :

Ils sont
deux. Ils ont construit leur sapin de Noël où les canettes de bière
ou de toute autre boisson également contenue dans un emballage
aluminium et cylindrique, leur lutte en prévision du sommet de
Copenhague en quelques sortes car c’est à ça que la nature
ressemblera – si ce n’est pas déjà le cas – si personne ne prend
le temps le jeter ses déchets dans des lieux appropriés, autrement
dit, les poubelles. Ils ont aussi leur pancarte pour la cotisation –
ils demandent 15000 euros – qu’ils ont lancée afin de réexpédier
le président dans son pays d’origine. Bref, ils font de la
politique. Mais ils la subissent surtout. Car c’est au kärcher
qu’ils sont délogés le matin, c’est aux brimades des forces de
l’ordre qu’ils sont exposés, sans compter le froid, la pluie et
tout le reste. Car ils sont SDF, «sans difficulté financière»
comme ils le disent eux-même avec humour. Mais pourtant ils en ont
des difficultés financières. L’un des deux est endetté jusqu’au
cou et du coup c’est la directrice d’une banque, dans sa grande
mansuétude, qui s’est chargée de mettre fin à cet endettement
démesuré et de toute façon impossible à endiguer. Néanmoins,
cette dame va bientôt quitter la Gironde – c’est le lot de tous
les directeurs de banque, dont la mobilité s’est instituée en
obligation. Ils s’en feront sans doute un deuil même si elle
restera parmi les personnes qui ont su les écouter. Le premier édile
de la ville est passé près d’eux, il y a peu. Ils ont du
l’haranguer comme ils le font avec tous les passants, en leur
demandant donc de participer à l’une de leur grande cotisation :
celle pour monsieur le président, celle pour qu’ils puissent
partir en vacances sous les tropiques et bien d’autres encore, car
ils ne sont jamais à court d’idées afin de faire appel à la
générosité publique. En tout cas, le premier magistrat de la ville
n’a rien compris à ce qui lui était donné à entendre. C’est
indéniable qu’il faut se laisser embarquer par ces fantasques
clochards et qu’il faut surtout prendre le temps de les écouter.
Mais ils font peur ceux-ci, parce que les cloches donnent l’alerte,
en tous cas, ceux de cette espèce, oui. Car ils sont visibles et
savent se rendre visibles, ils ne se sont pas encore fondus dans le
paysage urbain, on les remarque, certes pas comme un beau magasin
bien achalandé mais on peut avoir l’oeil et l’ouïe pour eux
sans avoir ni à trop tendre l’oreille ni avoir l’oeil dans sa
poche. Ils ont même de l’originalité et du discours. Grâce aux
dociles employés municipaux, ils font même partie de la France qui
se lève tôt. Ils ont donc le souci de l’environnement. Ils ont
tout pour eux. So what’s wrong with them ? Leur tort effectivement
quel est-il ? Ne pas être né sous la bonne étoile, sans doute.
Mais peut-on faire rentrer dans les paramètres d’analyse d’un
fait social le mysticisme ? Je ne ne sais, mais en tout cas, lorsque
l’on se dit que l’un deux avait un boulot, un appartement à
Juan-Les-Pins il y a 4 ans de cela et qu’il s’est retrouvé à la
rue suite à un décès, on se dit que cela arrive à tout le monde –
ça c’est la morale pour effrayer le peuple et lui dire de se tenir
à carreau – et surtout donc que la société est impuissante à
sauvegarder la dignité humaine en toute circonstance – ceci étant
la morale sociale rappelant l’ampleur du travail qu’il reste à
accomplir.

« La
dernière ressource du tyran n’est-elle pas de faire appel au sens
esthétique de l’espèce humaine ? » demande Stig Dagerman,
l’écrivain suédois qui s’est suicidé désespérant de voir
advenir un monde de partage et une société solidaire comme il
l’appelait de ses souhaits dans tous ses écrits. Ainsi tant
qu’aucune solution respectant la dignité humaine ne sera trouvée
pour le logement de personnes en difficultés économiques ou
sociales, la misère des rues se doit de rester visible et surtout de
ne pas être «esthétique». En l’absence d’éthique pour la
prise en charge de ces personnes, l’esthétique ne doit pas
s’imposer. Les arrêtés anti-mendicité dans les centre-ville
destinés à préserver les touristes de l’agression verbale et
visuelle des cloches illustrent cette primauté de l’esthétique
sur l’éthique, priorité de nos gouvernants locaux. Faisons donc
parler les cloches et à défaut de les amener sur la place publique
car ils y sont physiquement déjà, rappelons nous à leurs bons
souvenirs, écoutons-les, partageons des tranches de vies avec eux,
ils seront ainsi partie prenante de l’espace public.

vie brève, brèves de vie

21 novembre
2009 :

Patienter au
feu, patienter en caisse, au distributeur de billet, au guichet de la
banque. Attendre devant sa fenêtre, observer les gens quand ils font
leurs courses pendant que l’on réfléchit aux siennes. Hésiter
devant deux produits dont l’équivalent en rejet de plomb est
sensiblement identique et dont la contenance calorique s’égalise
presque, hésiter à traverser au passage clouté pourtant arborant
un fier bonhomme vert, hésiter à descendre ses poubelles dès ce
soir, hésiter à se faire un thé parce que peut-être que le café
sera plus stimulant à cette heure avancée de l’après-midi,
hésiter entre une sortie au cinéma et un DVD à la maison, hésiter
entre Kerouac et Emily Brontë. Le temps de vacuité et à l’utiliser
spirituellement est inextinguible par temps de chômage. Tout est
propice à attendre la vie, à la regarder passer, à en saisir un
fil et puis le relâcher et un saisir un autre bout de la corde – pas
celle où l’on se pend, cela va sans dire. On se découvre pleins
de possibilités, d’espoirs et d’envies et puis, et puis, rien.
On attend la vie. On l’avait bien occupé jusqu’à présent et on
se préfère à visiter une pièce vide offrant une belle
perspective, une vue bien dégagée qu’un meublé encombré où on
ne peut plus faire un pas devant. Toutes ces vacuités de la vie
existent en tout moment, même pendant les coups de bourre, mais ils
ne disposent pas de ce caractère de vacuité, bien plutôt celui de
temps libre. Face au seul temps libre, celui-ci se transforme en
totale vacuité, un horizon infini de possibilités dont il est bien
difficile de saisir toute l’étendue, source à la fois de
salvation pour l’esprit enfin débarrassé de toute contingence et
de toute occupation précise et de totale déperdition tant cela
semble bien infini. D’autant donc que ces instants sont ressentis
avec une bien plus grande pesanteur, car étant vécus dans toute
leur force et leur puissance, dans toute leur omniprésence, n’étant
plus possible d’en faire abstraction, tellement ils sont devenus
centraux.

vie brève, brèves de vie


21 novembre
2009 :

Novembre
marque la fin de l’optimisme calendaire. Il est enfin temps de
faire place aux pessimistes notoires. Novembre est le mois le plus
inutile de l’année, donc le plus intéressant à vivre et le plus
stimulant. Alors que ses prédécesseurs et successeurs disposent
d’atouts certains, le mois de novembre n’en a aucun. Les mois de
septembre et octobre sont ceux de la rentrée, puis de la première
trêve de l’année avec les vacances de la Toussaint. Décembre
marquera la fin de l’année et la magie – avec beaucoup de zéros
derrière – de Noël tandis que janvier, mois rêvé des politiciens
sera celui des promesses. Mais novembre, rien. C’est même pour
dire, novembre débute par la fête des morts, c’est de bon augure.
Météorologiquement parlant, novembre n’est pas non plus un mois
très stimulant, ni vraiment froid, ni chaud, généralement marqué
par de longues journées de pluie où l’on devra se prononcer sur
le côté du carreau que l’on choisira pour assister aux averses.
La grisaille tombera jusqu’au dernier soupirail.

Pour peu que
l’on soit au chômage et que l’on se sente seul dans la vie et on
pourrait presque se laisser aller à une petite déprime. Mais soyons
raisonnables, par ces temps de crise, la déprime, c’est trop banal
et surtout ce n’est sans doute plus à l’heure qu’il est
remboursé par la sécu.

Plus que 10
jours avant la fin de novembre et tout le monde pourra retrouver des
envies et se réjouira du monde dans lequel il vit. Donc plus que 10
jours à profiter de ce mois consacré à la vacuité totale, à
l’abandon, à la simplicité de vie. Plus que 10 jours de répit
avant le retour de la folie de vie consumériste – même si les
magasins ne se privent plus depuis des années pour empiéter sur ce
mois sacré et réservé au vide.

vie brève, brève de vie

18
novembre 2009 :

 

Les
travées sont bien clairsemées et même si l’on voit fleurir ici ou là des
pensées fulgurantes, cela ne ressemble pas tout à fait à une serre bien
entretenue. Ici, on fait plutôt de l’horticulture à grande échelle, alors
forcément aux périodes d’éclosion, les trouées sont nombreuses dans les
rangées. En même temps, il parait que c’est meilleur pour les plantes, que cela
leur laisse plus de place, que chacune peut prendre ses aises et mieux exprimer
tout son potentiel. Néanmoins, la serre est bien remplie pour cette période. Ce
n’était pourtant pas évident, car après la Toussaint et les demandes pour les
Chrysanthèmes, les besoins sont généralement réduit. Les plantes qui sont
arrivées le mardi matin repartiront dès le jeudi après-midi, on ne fait que du
repiquage ici, pour des plantes échouées ici pour différentes raisons. C’est
petit peu la serre de la dernière chance pour ces plantes qui n’ont pas encore
trouvé acquéreur. Alors pendant ces deux jours, on va les tester, les triturer
dans tous les sens pour en faire sortir tous les parfums, faire ressortir la
teinte de leurs feuilles pour celles qui cultivent traditionnellement des beaux
feuillages. On sait très bien que très peu seront finalement conservées, mais
on tentera tout pour celles qui mérite de trouver un acquéreur. Mais on voit
très bien que certaines ne sortiront pas de leurs coquilles et que durant ces
deux jours, elles refuseront, qui de faire éclore une jolie petite fleur, qui
de faire de nouvelles pousses faisant ainsi montre d’une vigueur tout à fait
prometteuse. Non, certaines semblent là bien pour rappeler que c’est le début
de l’hiver et qu’il est désormais trop tard d’attendre quoi que ce soit de
leurs parts, qu’il est désormais temps d’hiberner, de laisser passer l’hiver
avant de profiter de plus de nutriment au retour du temps meilleur.

Les concours de la fonction publique, c’est un peu la
serre de la dernière chance où certains essayent de faire briller leurs rameaux
tandis que d’autres semblent être en phase d’hibernation…

vie brève, brève de vie

18
novembre 2009 :

 

Se
coucher plein d’envies et ne pas arriver à se lever, n’est-ce pas la mort qui
nous cloue sur le lit à son nom ? Si ce n’est pas la mort, peut-être peut-on
oser cette nouvelle maladie – à moins qu’il ne s’agisse tout simplement d’un
des symptômes mortels – qui nous rend paralytique de la pensée et du désir,
cette prison où l’on vit reclus, satisfait de pouvoir désirer mais peu soucieux
de mettre en pratique ses désirs. On ne peut vivre sans désir, mais peut-on
vivre uniquement de désirs – les tracasseries quotidiennes comme boire et
manger mises à part ? Peut-on se contenter de transferts imaginaires – qui
permettent certes de réaliser tous les désirs même ceux qui ne seraient pas
réalisables sur le plan réel – et vivre par procuration ? Peut-on passer sa vie
avec un romancier en passager clandestin de son cerveau et qui a pris les
commandes ?

intime collectif

«Winnipeg,
Mon amour»

Le
train traverse les paysages embrumés, les arbres enneigés ne
peuvent que constater leur souveraineté naturelle violée par ce
chemin de fer auquel ils n’ont pu se faire. Il se jette au-dessus
des flots, des pilonnes tout aussi en fer plantés dans le liquide,
pourtant incapable de faire obstruction au cours d’eau, pointillé
de fer dans les airs, relie les deux berges, plus exactement les
trois. Car ici est une fourche, le triangle des Bermudes enneigés,
champ magnétique des contrés nordiques, entrelacs des flots
sauvages, source de tous les mystères, tréfonds de la vie,
croisement de rivières. On l’a franchi de nombreuses fois, mais
aucun effet. On n’a rien ressenti et pourtant on nous avait
prévenu, on nous avait dit toute la force de ce lieu, de sa magie
diraient même certains. C’était ce vieil homme, l’ancêtre de
la ville qui nous en avait parlé en ces mots. On l’avait sans
doute pris pour un illuminé, mais on était intrigué. On y est donc
allé de nombreuses fois, on a sondé, scruté, fouillé, déterré,
foutu des machins et des machines, fait venir des scientifiques, fait
faire des études, fait venir des dignitaires, des milliardaires, des
journalistes, des moralistes, installé de nouveaux machins avec de
nouvelles machines, contacté machin venant de Chine et machine, la
grande spécialiste de l’hôpital Cochin, on a fait pousser des
tubes en plastique, en fer, en acier, en plastique en polyuréthane,
en titane, en acier galvanisé croyant galvaniser les troupes, on a
mis de la soude, de l’acide citrique ou chlorhydrique, peut-être
même sulfurique, on ne sait plus bien et puis et puis rien. On a
rien vu, rien entendu.

«Winnipeg,
mon Amour», c’est l’anti-scientisme le plus pur et le plus
envoûtant. C’est un voyage en train fantôme dans une ville si
mystérieuse que l’on ne sait jamais ce qui est véridique ou faux,
car cette ville n’existe pas. Les fins géographes et connaisseurs
du Canada diront bien qu’une ville nommée Winnipeg existe,
justement au coeur du Canada. Mais ce n’est pas celle-là dont
parle le film, ou plutôt pas
que celle-là.
Comme on le dit du côté de Bordeaux pour son nouveau rendez-vous
artistique et urbain, evento, c’est la ville intime-collectif que
l’on nous fait découvrir1.
«Winnipeg, mon amour» est la plus belle visite d’une ville que
l’on puisse proposer celle où histoire personnelle se mêle avec
histoire collective, celle où la défense prosaïque des bâtiments
de la ville rejoint les mythes fondateurs d’une ville, presque
d’une nation, celle où les racontars des désirs dérisoires de
pauvres prolétaires rejoint la fin tragique des canassons ensevelis
sous les eaux en saison où la moindre salaison n’aurait eu raison
de la glace de la rivière. Des images hantent l’écran, des mots
reviennent, des sensations, des sentiments, car l’histoire d’une
ville est faite de récurrence parfois aux allures de coïncidence
mais aussi aux airs de d’errance en pleine extravagance ou entrent
dans la danses tant d’épisodes qui donnent l’impression que
l’histoire a le hoquet, qu’elle est prise de démence et sombre
dans le non-sens. Beaucoup ont alors cru que cette ville disposait de
certains «pouvoirs», n’était pas tout à fait possédée par
ceux qui avaient le pouvoir terrestre. Mais bien malin qui pourrait
dire d’où proviendraient ces forces «surnaturelles».

Pendant
qu’il écrivait à sa table, ses muscles faisant pression sur sa
pompe cardiaque comme jamais, ses poumons pompant tout autant à la
même source, les os tirant sur leurs ressorts de tendons, son cerveau,
lui bien irriguait se faisait la malle et divaguait. La maison,
l’internat, le parc des promenades du dimanche, le parc
d’attraction constituaient le fond d’écran de son bureau
cérébral. Quelques icônes par-ci ou par-là : un père trop absent
et s’effaçant sous les traits d’un cosmonautes soviétiques qui
aurait peut-être fait l’affaire en tant que père, un instit’
qui faisait frissonner la peau de ses lectures d’Edgar Poe, un
grand-père reclus dans sa cabane de campagne mais aux pots d’animaux
formolisés bien intriguants et tout cela se mouvait ensemble sous
ses yeux, s’animait dans un ordre et une logique aléatoire, sans
plus de cohérence mais pas moins de beauté que le mariage d’un
parapluie et d’une machine à écrire sur une table de dissection.

Winnipeg
mon amour (My Winnipeg),
écrit et réalisé par Guy Maddin,
Canada, 2007, avec Ann Savage, Louis Negin, Darcy Fehr, Amy Stewart,
2007.


1En
effet, pour sa première édition, sous la direction artistique de
Didier Faustino, Evento avait pris en octobre dernier pour
thématique “intime collectif”.

vie brève, brèves de vie

11 novembre
2009 :

Les combats
font de nouveau rage. Les hordes ennemies ont de nouveau fait
irruption sur le front. Il tanne de nouveau le cuir. Mais nos forces
ne battront pas de nouveau en retraite. Nous ne reculerons pas d’un
poil. Nous sommes véritablement prêts à tout cette fois-ci et si
il le faut nous ne lésinerons pas sur les produits chimiques. Ils
peuvent sur faire des cheveux, je peux garantir que cela ne sera pas
du coton. Il leur faudra garder leur casque bien accroché, car ce
qui leur est déjà tombé dessus n’est rien en comparaison de ce
qui se prépare. Leur grand stratège ne pourra s’arracher les
cheveux bien longtemps afin de trouver une solution, notre offensive
sera foudroyante. Et si nous avons laissé les troupes se reformer
suite à nos précédentes offensives car nous les croyons
définitives hors d’état de nuire, nous serons cette fois-ci
intraitable, harassant jusqu’à leur dernier troufion.

Ce matin, je
suis allé chez le coiffeur et ai acheté un nouveau shampoing
anti-pelliculaire. Cela va être une boucherie capillicole. Vive les
poilus et vive le shampoing.

vie Brève, brèves de vie

Lundi 9 novembre 2009 :

 

Sans le sous ni le temps, ce midi
fut vite expédié dans un sandwich de type moyen-oriental. Tout aussi garni que
le bouquet, tout aussi odorant que le parfum à la senteur du sapin des
profondes forêts scandinaves, j’ai bien cru toucher du bois, celui du sapin
précisément. Après avoir touché celui du comptoir de type bastringue de
baltringue, des doutes se firent sur la moumoute que justement le patron
n’avait pas. Il ne semblait pas originaire de la même patrie que ses sandwich,
mais aurait plutôt eu le type romorantain. Soit, Levi-Strauss était bien
bouddhiste – ce qui ne l’a pas empêché de mourir, même si c’était relativement
tard. Du coup, le poulet avait un drôle de goût. C’est à dire qu’on sentait
qu’il avait le goût du poulet à l’inverse des autres lieux de sandwich où il est
habituellement grillé à la broche vertical après avoir été élevé en cage, tué à
la va-vite – parfois l’œil implorant vers la Mecques –, mixé avec d’autres congénères issus
des mêmes conditions d’existence – seule l’ignorance du Marxisme empêche à ce
jour l’avènement d’une révolutionnaire galinacière[1] – puis
compacté avec d’immenses compacteuses pour faire de gros blocs comme l’URSS et
donc finalement disposés en paquets suants la graisse à se dorer la pilule
comme de vieux anglais sur la côte d’azur, c’est-à-dire comme des organismes
profondément blancs qui laissent ressortir le rouge quand la chaleur se fait
trop intrusive dans leur vie. Bref, ce poulet, celui qui était dans mon
sandwich et maintenant dans mes mains, n’était peut-être pas de ces gringalets
qui se font couper le siffler sans avoir pu en donner un coup à l’extérieur à
exténuer les jeunes qui s’efforcent de dormir tard le matin. En tout cas, il en
avait le goût, du vrai poulet, pas du dégénéré. Pas crainte qu’ils n’aient mis
un arôme synthétique de vérité – attesté par un label d’authenticité de
prélèvement de l’arôme sur un poulet dégommé à la fléchette par un gamin
désœuvré de la Creuse
et qui n’avait pu finir de déguster sa cuite quotidienne sans l’harassement
sonore du-dit animal, cela méritant donc vengeance –, je l’ai éventré et
défenestré, il aura au moins une fois dans sa vie pris l’air, c’en est une
certitude maintenant.


[1] A ne
pas confondre avec la révolutionnaire glacière qui permet aux mères de famille
de profiter des vacances en n’ayant pas à préparer à manger pendant ce temps
car elles auront mis les bouchées doubles au préalable pour justement les – les
bouchées – emprisonner dans cette parodie de refroidi.

Panique au village

Panique au Village

 

 

Bien vite
l’homme sentant que son courage n’était pas si fort que cela et que son désir
de vie l’était nettement plus s’est mis à remplacer la guerre par le jeu avec
des soldats de plomb. En effet au lieu de servir du plomb à la table du voisin
le plus dans l’air du temps, il s’est mis à représenter la guerre. Plus tard,
l’homme a inventé le sport pour divertissement et au titre de ceux-ci, le
cyclisme. C’était une bonne idée car outre qu’il voyageait, le tel sportif
rappelait toute sa force, son courage et son orgueil face aux merveilles de la
nature – et notamment celles qui sont très haut, très haut dans les nuages avec
des côtes parfois à plus de 15%. De la même manière qu’avec la guerre, l’homme
s’est ensuite dit qu’il était tout autant amusant – même si bien moins
glorifiant – de ne faire que des petits bonshommes en plomb de ces hommes aux
cuisses d’argiles – mais qui grossissent après massage et injection de certains
liquides. Et puis, il s’est finalement dit qu’il pouvait faire de la même
manière avec tout un tas d’activités : l’agriculture, la conquête de
l’ouest, la destruction des océans,…Il s’est aussi dit qu’il pouvait
généraliser la vente de ces objets en les faisant en plastique, car le
plastique c’est fantastique et si on le matraque – mais sans laisser d’hématome
sinon la victime peut porter plainte – à tous, ils en seront bien convaincus.
Ainsi le monde entier a eu droit à des figurines de plastique et/ou de plomb.
Chaque culture avait ses propres types : les américains avaient les
cow-boy et les indiens, les français avaient les animaux de la ferme, les
soviétiques l’homme nouveau – qui n’était autre que le clochard de chez nous
mais avec un air de fierté chez eux – et le cosmonaute, les africains des sacs
en plastique parce qu’ils n’avaient pas d’argent pour acheter des produits
finis et assez d’imagination pour jouer avec ces formes ondulantes au vent et
fondantes au soleil.

 

« Panique
au village », c’est la réapprorpriation plus que ludique de cet imaginaire
commun des jeux d’enfant, cette période que nous avons tous connus – sauf les
bambins accrocs aux micros et aux escrocs de l’entertainment – où nous
recevions pour Noël – et pour l’anniversaire pour les tranches privilégiées de
nos sociétés – quelques figurines en plastique qui se mouvaient sur leurs
socles circulaires représentant le carré d’herbe grasse pour la vache, le bout
de trottoir où quêter pour le clochard[1] ou le
rocher désertique où trôner pour le fier indien[2]. A
partir de ce socle, le jeu consistait principalement à développer une histoire,
si possible cohérente mais au moins rocambolesque. Ceci est bel et bien la
meilleure manière pour comprendre la trame narrative des romans. Tout le monde
a nécessairement eu des cours en collège et lycée rappelant ce déroulement
classique des romans avec une situation de base qui sera bien vite chamboulée
par un événement particulier amenant alors l’essentiel de l’action pour aboutir
à un dénouement stable mais dont l’état est différent de celui d’origine. C’est
cette simplicité du principe narratif qu’explore ce film belge, mais avec
justement ce grain d’enfance qu’il faut. La cohérence n’est jamais de mise dans
ce type d’histoire. Et si une immense machine inventée par le Merlin des neiges
s’insère dans cette histoire à coup de boule de neige géante balancée depuis la
banquise vers le continent – peut-être un hydre de la vengeance polaire qui
devrait s’abattre sur le monde non gelé afin de lui rafraîchir les idées sur sa
consommation de glaçons dans son réfrigérateur de type états-uniens – ça ne
doit pas nous choquer mais nous réjouir. Car l’enfance tout comme la Belgique
sont des êtres surréalistes. Il suffit qu’une idée migre vers la partie en
contact avec l’extérieur du cerveau pour que celle-ci soit aussitôt mise sur le
devant de la scène. Qu’importe dans ces histoires qui incarne qui et chacun
peut prêter sa voix à plusieurs personnages, l’essentiel est que cela soit
participatif et communicatif. De la même manière, si l’action est recentrée
autour de quelques personnages – les préférés des enfants-joueurs qui
dédaignent saisir dans leurs mains potelés qui la fermière, qui le cheval
donneur de leçons de piano – tous s’immiscent dans la quête.

 

La Belgique se
divise mais continue à se prendre pour Venise. Qu’elle y aille en Gondole, en
avion à réaction ou en trouvant un passage sous-terrain construit par les
taupes qui se sont enfuies de la cités amphibie quand elle a été construite –
non par peur de l’eau qui montait mais à cause de l’eau de rose qui s’apprêtait
à emplir la ville quelques siècles plus tard quand la légende romantique serait
forgée – on est sûr qu’elle y va et même si l’unité a du plomb dans l’aile et
que le plastique est agonistique, l’humour est renouvelable.

 

Panique au Village, film d’animation de Vincent Patar et Stéphane
Aubier, Belgique, 2009, 1h15, avec les voix de Benoît Poelvoorde, Bouli
Lanners, Jeanne Balibar, Véronique Dumont, Fred Janin,…


[1] Il
fallait avoir soit des parents particulièrement sadiques soit des parents
communistes pour recevoir pour Noël une figurine de clochard. 

[2] Si il
était si fier que cela, c’est qu’il devait soit s’agir d’une contrefaçon
réalisée par des complotants libertaires américains soit d’un produit d’appel
pour une nouvel marque qui visait le segment de marché des futurs défenseurs
des droits civiques aux Etats-Unis. Ou sinon, tout bonnement une incitation par
le fabriquant à lui régler son compte vite fait.