«Winnipeg,
Mon amour»
Le
train traverse les paysages embrumés, les arbres enneigés ne
peuvent que constater leur souveraineté naturelle violée par ce
chemin de fer auquel ils n’ont pu se faire. Il se jette au-dessus
des flots, des pilonnes tout aussi en fer plantés dans le liquide,
pourtant incapable de faire obstruction au cours d’eau, pointillé
de fer dans les airs, relie les deux berges, plus exactement les
trois. Car ici est une fourche, le triangle des Bermudes enneigés,
champ magnétique des contrés nordiques, entrelacs des flots
sauvages, source de tous les mystères, tréfonds de la vie,
croisement de rivières. On l’a franchi de nombreuses fois, mais
aucun effet. On n’a rien ressenti et pourtant on nous avait
prévenu, on nous avait dit toute la force de ce lieu, de sa magie
diraient même certains. C’était ce vieil homme, l’ancêtre de
la ville qui nous en avait parlé en ces mots. On l’avait sans
doute pris pour un illuminé, mais on était intrigué. On y est donc
allé de nombreuses fois, on a sondé, scruté, fouillé, déterré,
foutu des machins et des machines, fait venir des scientifiques, fait
faire des études, fait venir des dignitaires, des milliardaires, des
journalistes, des moralistes, installé de nouveaux machins avec de
nouvelles machines, contacté machin venant de Chine et machine, la
grande spécialiste de l’hôpital Cochin, on a fait pousser des
tubes en plastique, en fer, en acier, en plastique en polyuréthane,
en titane, en acier galvanisé croyant galvaniser les troupes, on a
mis de la soude, de l’acide citrique ou chlorhydrique, peut-être
même sulfurique, on ne sait plus bien et puis et puis rien. On a
rien vu, rien entendu.
«Winnipeg,
mon Amour», c’est l’anti-scientisme le plus pur et le plus
envoûtant. C’est un voyage en train fantôme dans une ville si
mystérieuse que l’on ne sait jamais ce qui est véridique ou faux,
car cette ville n’existe pas. Les fins géographes et connaisseurs
du Canada diront bien qu’une ville nommée Winnipeg existe,
justement au coeur du Canada. Mais ce n’est pas celle-là dont
parle le film, ou plutôt pas que celle-là.
Comme on le dit du côté de Bordeaux pour son nouveau rendez-vous
artistique et urbain, evento, c’est la ville intime-collectif que
l’on nous fait découvrir1.
«Winnipeg, mon amour» est la plus belle visite d’une ville que
l’on puisse proposer celle où histoire personnelle se mêle avec
histoire collective, celle où la défense prosaïque des bâtiments
de la ville rejoint les mythes fondateurs d’une ville, presque
d’une nation, celle où les racontars des désirs dérisoires de
pauvres prolétaires rejoint la fin tragique des canassons ensevelis
sous les eaux en saison où la moindre salaison n’aurait eu raison
de la glace de la rivière. Des images hantent l’écran, des mots
reviennent, des sensations, des sentiments, car l’histoire d’une
ville est faite de récurrence parfois aux allures de coïncidence
mais aussi aux airs de d’errance en pleine extravagance ou entrent
dans la danses tant d’épisodes qui donnent l’impression que
l’histoire a le hoquet, qu’elle est prise de démence et sombre
dans le non-sens. Beaucoup ont alors cru que cette ville disposait de
certains «pouvoirs», n’était pas tout à fait possédée par
ceux qui avaient le pouvoir terrestre. Mais bien malin qui pourrait
dire d’où proviendraient ces forces «surnaturelles».
Pendant
qu’il écrivait à sa table, ses muscles faisant pression sur sa
pompe cardiaque comme jamais, ses poumons pompant tout autant à la
même source, les os tirant sur leurs ressorts de tendons, son cerveau,
lui bien irriguait se faisait la malle et divaguait. La maison,
l’internat, le parc des promenades du dimanche, le parc
d’attraction constituaient le fond d’écran de son bureau
cérébral. Quelques icônes par-ci ou par-là : un père trop absent
et s’effaçant sous les traits d’un cosmonautes soviétiques qui
aurait peut-être fait l’affaire en tant que père, un instit’
qui faisait frissonner la peau de ses lectures d’Edgar Poe, un
grand-père reclus dans sa cabane de campagne mais aux pots d’animaux
formolisés bien intriguants et tout cela se mouvait ensemble sous
ses yeux, s’animait dans un ordre et une logique aléatoire, sans
plus de cohérence mais pas moins de beauté que le mariage d’un
parapluie et d’une machine à écrire sur une table de dissection.
Winnipeg
mon amour (My Winnipeg), écrit et réalisé par Guy Maddin,
Canada, 2007, avec Ann Savage, Louis Negin, Darcy Fehr, Amy Stewart,
2007.
1En
effet, pour sa première édition, sous la direction artistique de
Didier Faustino, Evento avait pris en octobre dernier pour
thématique “intime collectif”.