Archive pour juin 2013

mieux vaut court que jamais #350

Chaque région dispose de ses toitures, de ses usages en la matière, pour s’abriter, qui sous la tuile, qui sous l’ardoise ou la lauze voire sous la tôle. Si seulement les prisons se donnaient le soin de tenir compte de ces spécificités pour accueillir dans les meilleures conditions cette frange récalcitrante de la société si souvent emprunte du sentiment de n’être jamais tout à fait en lieu sûr.

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Seul le plombier de la sorcière à la maison de pain d’épice s’était douté du risque que toute cette histoire vire au cauchemar. Plusieurs années avant les événements, était-il en effet intervenu pour des histoires d’infiltration dans la charpente, menaçant l’effondrement de l’édifice de sucre. L’eau s’écoulant en torrent de miel n’était d’ailleurs pas sans poser quelques problèmes de pollution dans la rivière voisine ce dont le plombier ne manqua pas de mentionner au préposé aux eaux et forêts, qui n’en tint toutefois nullement compte, comme à son habitude de laxisme par tous avéré.

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La moustiquaire s’est muée en triangle des Bermudes de mon lit, où se forment sans que l’on y prenne gare les plus secrètes envies, où se montent comme une chantilly les plus profonds désirs. Tout cela disparait sans plus de raison, sans plus de force ni de pression qu’il n’y en avait eu pour que cela fasse son apparition. La chose se fait toujours en douceur, subrepticement et nous emmène comme un amour qui nous guide dans les méandres de la ville. C’est une sorte de cabane d’enfant, à la toiture incertaine, laissant passer la lumière et les rêves, sans qu’il ressortent de cet espace confiné, une toiture en guise d’atmosphère terrestre qui conserve les rayonnements solaires sans tous les laisser repartir, rendant la vie possible ici-bas.

mieux vaut court que jamais #349

Etendu dans la position de l’iceberg – le corps au tiers immergé dans la baignoire remplie d’eau froide – il contemplait le plafond les yeux mi-clos tandis que l’agitation nocturne de l’étage supérieur instillait une pulsion cadencée. La transe chamanique inuit n’est pas chose complexe à mettre en œuvre directement chez soi.

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Est-ce le glaçon qui refroidit l’eau ou l’eau qui réchauffe le glaçon ? La mécanique des fluides dans un verre d’eau m’a toujours intrigué. Surtout quand mon rendez-vous a vingt minutes de retard.

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Existe-t-il une corrélation entre la fonte régulière des glaces des sommets alpins et autres massifs montagneux et la recrudescence de glaciers dans les villes et cités de tourisme en période estivale ?

Le glacier de la rue de la République n’est en tous les cas pas un haut-savoyard avéré.

mieux vaut court que jamais #348

Il se charge, dit-on, de la « mission des Temps ». Ce pauvre employé, Chronos des temps modernes, engoncé dans l’organigramme de la collectivité qui l’emploie, n’avait pas pu obtenir mieux comme résultat tangible à l’exercice de ses fonctions, que celui de faire renouveler le concessionnaire d’ascenseur pour faire gagner quelques précieuses secondes pour atteindre le dernier étage. Pour abroger le temps et ses ravages, il était encore loin du compte.

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Il est étrange que nul n’ait cherché à préciser le temps exact durant lequel la belle au bois dormant a ainsi tenu la couche sans que l’on ne vienne la sortir de sa léthargie. Alors que l’on s’écharpe encore pour savoir à quelle date exacte est mort puis ressuscité Jésus-Christ, nous aurions pu prendre le soin de nous interroger sur cet état de coma tout à fait miraculeux.

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Profitant de sa position dans l’organigramme de la collectivité, il faisait patienter son rendez-vous en accomplissant les basses besognes de nettoyage de son bureau, avec la légèreté qu’on ne connaît guère à ces hommes de pouvoir dans l’exercice de ces fonctions subalternes.

mieux vaut court que jamais #347

L’expression du pouvoir se réduit parfois à peu de chose, comme disposer, pour entrer dans son bureau, d’une porte en chêne massif au milieu d’un bâtiment design.

Parfois est-ce aussi le contraire.

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L’homme qui rit dès l’amorce de la discussion, l’échange de poignée de main à peine remisé au fond des poches n’est pas un farfelu dont le ricanement est monnaie courante. Seulement est-il personne à établir un rapport de force sur les bases de la farce.

Cela n’est généralement pas sans surprendre l’interlocuteur froid et placide qui lui fait face.

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Sa puissance s’incarnait, disait-on, dans la superficie qu’occupait son bureau au dernier étage de l’imposant immeuble de sa société. Cela ne le rendait toutefois pas omnipotent et en mesure de se trouver aux deux extrémités de son bureau en même temps.

Sans ubiquité, l’immensité n’est d’aucune utilité.

mieux vaut court que jamais #346

Son cerveau congestionné d’idées s’enchainant les unes derrière les autres n’était plus qu’amas de chair inapte à la décision.

Et dire que la première pensée était la bonne.

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Dépassés par le temps tout autant que les autos, ils trottaient tranquillement sur leur tandem, attendant que la pluie revienne. Lavés des pêchés du temps, ils quitteraient la traine du nuage qui contraignait leurs corps sages.

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Nul ne sait si les ravages du temps affectent nos corps sur les autres rivages de l’incarnation. Personne, à ce jour, n’a été en mesure d’établir l’assurance que la réincarnation serait une cure de jouvence pour nos cellules souches. Le vieux bigot, grenouille de bénitier se voit-il ainsi offert la chance de se réincarner en pimpant crapaud ?

mieux vaut court que jamais #345

La nostalgie de l’ancien temps qui s’affiche en carreaux de faïence de belles scènes de la vie paysanne et artisanale, en plus de ne rien refléter de la réalité, s’avère particulièrement inélégante. Pour peu que cela soit la décoration intérieure de toilette et y trouve-t-on un charme désuet tout à fait approprié.

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La nostalgie des fleurs fanées a ceci de supérieure aux autres formes de souvenance mélancolique du temps, qu’elle peut s’émietter au creux de la main et bientôt ne plus laisser de trace.

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Le souvenir triste des jours passés remonte toujours à la surface, quelque soit la densité de la vie. C’est là toute la différence avec des corps dont le poids excède la densité du liquide dans lequel ils sont plongés.

mieux vaut court que jamais #344

Piteusement au sol étendu,

Timidement m’invite le devin,

Dans son flot de paroles rendues,

A mettre des larmes dans mon vin.

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Il s’avise de ne plus vouloir s’aviner en toutes circonstances, même les plus frustrantes et qui, souvent, appellent au liquide. En triste être livide, rien n’est pire que la bouteille vide.

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Bordeaux quiètement écoule ses bouteilles. Des fûts qui demeurent dans les caves en sommeil alimentent les pauvres caves qui sommeillent.

mieux vaut court que jamais #343

Son maitre à penser était devenu son métier à tisser, canevas mental et physique où construire son cadre d’action.

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Face au tambour tournant et remuant, agitant comme avec la force des océans ses frêles vêtements, voyait-il, en suspend, ses songes circuler en rond et à toute allure, comme ne pesant plus un gramme. Nul doute que son cerveau en prendrait de la graine pour cesser cette stagnation des idées noires au cœur de son antre.

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Une à une suspendues au dessus du vide, le col la tête la première, les chemises ne craignent pas le vertige. Les manches les équilibrent, comme une chauve-souris funambule et somnambule.

mieux vaut court que jamais #342

Interrogeant sans cesse notre position par rapport aux autres et nous demandant d’orienter par la suite nos actions dans un sens ou dans un autre, le carrefour met l’homme en son cœur.

Si le travelling est une question de morale, le carrefour est une question éthique.

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Triste pèlerin de Saint-Jacques de Compostelle dont l’itinéraire ne variera pas d’un iota et s’accomplira coûte que coûte. Comment espèrent-ils rencontrer Dieu, lui qui s’ingénie toujours à surprendre son monde, qui au milieu du désert, qui dans une grotte montagnarde ? Dieu sort souvent des sentiers battus ; ses ouailles suivent des chemins pavés de bonnes intentions.

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« Voyager pas forcément mais elle a envie de servir à quelque chose », déclare-t-il à son amie auquel il fait écho des projets à venir de sa chère et tendre.

Les voies ferroviaires sont impénétrables et nul ne sait comment débute la carrière dans les chemins de fer.

mieux vaut court que jamais #341

Certains auteurs, sociologues de leur état, ont évoqué la dichotomie entre la culture sucre en poudre et la culture en morceau, voulant désigner là la manière différente de l’appropriation de la culture selon les milieux sociaux, entre la lente et efficace irrigation du sucre par le café et le saupoudrage auxquels sont sujets les milieux moins enclins aux pratiques culturelles. Cependant, cela ne résout pas le problème du sachet du sucre à ouvrir dans un cas comme dans l’autre. La question de la démocratisation culturelle reste ainsi entière.

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Peut-être un jour Gretel regrettera-t-elle d’avoir pris l’habitude de nommer son Hansel de frère « mon sucre d’orge » à tout bout de champs, dans cette relation incestueuse bien évidente. Il n’était alors d’autre échappatoire pour le cadet que de vouloir en réaliser l’incarnation en dévorant la première maison de sucrerie venue. Engraissé sans ingestion caractérisée de douceurs, Hansel aurait dû ainsi enfin exorciser cette relation tumultueuse à la confiserie si sa sœur n’avait pas pris au pieds de la lettre le cannibalisme latent de la sorcière qui n’était pourtant, bien évidemment, qu’un appel à un régime alimentaire plus varié que les seules gourmandises juvéniles.

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L’eau et le sucre,

En curieux sacre

Contre le lucre,

Seuls se massacrent.