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mieux vaut court que jamais #436

Puis il se dit qu’après l’invention de la roue, la mise au point d’un homologue carrée pourrait être utile, avant de songer que cela n’aurait d’intérêt que lorsque l’escalier aurait été inventé. Il se contenta donc d’un unique brevet.

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Rien ne prouve encore que la marche ébréchée et le talon fragile sont de mèches pour provoquer quelques malencontreuses chutes. Mais je ne perds pas espoir de les acculer tous deux dans leurs derniers retranchements et obtenir la reconnaissance de leur culpabilité par le parquet d’un tribunal.

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Il existe toutes les raisons de penser que le premier escalier a été inventé afin de monter, non de descendre. Il est de notre devoir de nous interroger sur la différence essentielle qu’aurait constituée l’invention inverse.

fables modernes #48 : l’espadrille et l’escalier

Sur la vaste étendue de sable blond et fin,

l'engrenage des grains de sable © Pierre Miglioretti

Au-delà des dunes et leur régularité de refrain,
S’étalaient les lestes serviettes estivales,
Fruit d’une transhumance de carnaval,
Le vague espoir d’un renversement,    
Le temps de quelques délassements,
Avant que la mécanique ne reprenne ses droits,
Avant que l’on remette le monde à l’endroit.
Dans cette masse confuse des corps,
L’ouvrier de Saint-Pierre-Des-Corps
Ne savait où donner de la tête,
Avec, en son esprit, cette dette,
De combats d’antan pour une fois l’an,
Pouvoir n’être plus que le lambda chaland.
Cette foule ici massée à l’allure bigarrée
Lui eut plutôt donné l’envie de décarrer,
La marée tout à son avis avait pris la poudre d’escampette,
Pied de nez à tous les amateurs ici réunis de la petite trempette.
Pour autant se trouvant présentement en ce lieu,
Il ne pouvait que se fondre dans le milieu,
Pour partager l’expérience de la solitaire errance,
Dans la masse n’exprimant pourtant que béance.
Si enfin patiemment l’océan
A tous présents offrit son séant,
Le corpopétrussien trouvant réjouissance,
Savourait de la plage la bienfaisance.
Bien mieux, s’avérant satisfait et comblé,
Plongeait-il dans les flots comme jadis dans les blés,
Avec l’enthousiasme de l’enfance éclatante
Et son humeur de la découverte palpitante.
Songeant au vespéral engloutissement
Du disque solaire sans affranchissement
Par les gloutons flots encore frémissants, 
Il décida des dunes rejoindre l’autre versant.
Longeant les oyats en tresse qui se dressent,
Il empruntait l’escalier dans le sable qui ne cesse.
Ainsi là se fondaient les marches dans la pente,
Déniant toute existence entre elles de la moindre fente.
Il fut dans un geste égayé et empressé,
L’espadrille qui, contre une marche dressée,
Se frotte et se cogne entrainant alors le bonhomme,
Roulant tout comme l’eut fait la ronde gomme.
S’étant, en tous points, amoché la mine,
Il sombra finalement sur une marche assassine.
 
 
L’aléa, entre tous, possède cet apanage,
D’être grain de sable dans l’engrenage,
Pouvoir du puissant marchand et mage,
Celui régnant sur son armée de la plage

mieux vaut court que jamais #90

A sa suite, dans l’escalier, mes yeux hésitaient. La bienséance exigeait-elle qu’ils se fixent en un point défini ? Oscillant entre la

l'escalier dévisse © Pierre Miglioretti

pointe de l’aiguille du talon, le fin mollet se dessinant sous le bas-résille, le tulle de sa jupe ne masquant que partiellement la chair de ses cuisses ? Mes yeux en mouvement d’ascenseur sillonnaient ainsi ses membres inférieurs. Quand, décelant un ingrat chewing-gum incongrument collé sur le haut de sa cuisse, les yeux trouvèrent là de quoi désérotiser la progression dans la cage d’escalier.

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Le curieux manège du ménage du troisième étage eut raison du sage du deuxième. Dans la pause de l’escalier, au pallier du deuxième étage, leur torride amour se plaquait à la porte. Il fût une fois de trop, où, celle-ci fût comme morte. Passant à travers porte, ils virent à quoi menait l’amour de bas-étage.

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Ulysse de son retour au palais d’Ithaque, concluant le massacre de ceux qui voulaient l’évincer, voulant rejoindre la chambre conjugale et croisant dans la vis de l’escalier de service sa Pénélope, de l’adrénaline qui excite, transforma l’hélice en escalier de ses vices.

sur le vif #51 : coeur d’hélice

la cage thoracique de l'escalier © Pierre Miglioretti

         En posant le pied sur la fière et rigide pierre, la solidité s’inscrit dans notre esprit. Il n’est qu’à poser la main sur l’alanguie langue de bois s’étirant jusqu’au fond de la gorge, jusqu’à en haut de la glotte du quatrième étage, pour se remémorer à la fragilité des repères. Posant ma main sur la rambarde branlante, je m’élève à travers les étages, faisant mien l’équilibre entre la stabilité des marches de pierre et la mouvance de la main courante. Le pas délicat se fait discret, se posant presque insensiblement, rompant avec la dureté de la pierre. Cet escalier, qui eut pu accueillir à sa surface le velours rouge des beaux palais, ne tient plus le haut du pavé, même s’il résiste encore et toujours et fait montre d’une consistance sans commune mesure. Il ne faudrait pour autant pas nier les fissures qui y sont nées, ces quelques lézardes, qui au hasard de la pierre, se font leur place au soleil. De ces quelques fêlures naissantes se dessinent, dans la pénombre qui nimbe souvent la cage, des formes mouvantes au grés de notre propre mouvement dans les courses ascendantes et descendantes que l’on accomplit en son sein.

         Il y monte si souvent de suaves effluves, les parfums des voisins, les odeurs et les sensations de l’alimentation. Il n’est qu’à prête gare à de nouvelles odeurs pour comprendre soit l’arrivée de nouveaux voisins soit l’irruption d’une nouvelle personne dans un ménage. L’odeur du curry ne vient pas d’elle-même mais ne peut être détachée de sa cuisinière, fraichement arrivée dans l’immeuble. Dans la spirale de l’escalier, dans cette hélice se mêlent les mets et les délices, se mélangent les senteurs, qui, sans pesanteur, flottent entre les étages. Cette colonne est le lieu où s’établissent les nouveaux pigments, là où les ingrédients font fusion, diffusion de parfums d’ici ou là. Il n’est qu’à se poster sur une marche – peu importe laquelle, les parfums sont volatiles – pour s’imprégner de leurs forces respectives, et, en notre sein composer le cosmopolitisme culinaire. Mais souvent un parfum vient se frayer au milieu de ces fumets, une fragrance inconnue, une émanation en errance, venue d’ailleurs que le fait-tout du cuisinier. Le parfum cosmétique, l’artifice de l’odorat nous trompe et se décèle difficilement dans le maelström d’arômes. Lui lorsqu’isolé si aisément identifiable, que l’on en déduit très rapidement un plan olfactif de l’immeuble composé des différents propriétaires de parfums et parfois même des locataires pour ceux empruntant celui d’un(e) autre, devient méconnaissable au cœur des odeurs de girofle, de paprika ou de basilic.

         Il est parfois des traces plus tangibles de ce passage des corps à travers les différentes hauteurs du bâti. L’arbrisseau, presque calciné de n’avoir reçu ses rations quotidiennes d’eau, trôna ainsi sur un palier des semaines durant, s’imposant comme un repère aux êtres égarés, comme un cairn de balisage sur un chemin de grande randonnée, rendant la confusion entre les étages, habituellement indifférenciés, presque impossible. Il a bien fallu qu’un jour le pot de terre arborant son maigre feuillage d’un noir que Soulage eût aimé peindre, rejoigne les ordures, au risque de désordonner les repères des habitants, confondant les étages et les appartements. Il est parfois quelques ingénieux locataires créant de nouveaux repères, qui entreposant quelques instants un sac d’ordure, qui stockant quelques cartons encombrants. Il en est d’autres qui, inspirés de quelques contes, se mettent aux semailles de leurs victuailles. Parfois s’agit-il de tous frais aliments encore emplis de leurs oligoéléments. En d’autres circonstances, ils ne sont plus l’ombre d’eux-mêmes et s’apprêtent à finir leur course dans la benne. Seulement, dans un souci d’itinéraire à ne pas oublier, il n’est pas rare qu’un habitant dissémine de quoi conserver la piste du retour, à moins que, dans ces restes déposés à-même le sol, il faille plutôt déceler les restes d’instincts animaliers à marquer son territoire.

         En cet autre lieu, contraint et forcé par les équipementiers, je pénètre dans le sas gris anthracite de l’ascenseur. Sans senteurs et sans aspérités, je m’élève dans la pesanteur de cet habitacle sans saveurs.