Archive pour avril 2012

mieux vaut court que jamais #107

Seules les circonstances extrêmes révèlent la vérité des hommes. Il n’est ainsi guère longtemps avant de déceler toute l’inimitié que l’on doit porter à l’homme ou à la femme, qui, par grande pluie, obstrue l’espace aérien surplombant le trottoir, rendant de ce fait le passage d’une autre personne tout à fait impossible.

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On ne devrait jamais trop louer l’action exceptionnelle de Noé lors du déluge. A la lumière de la météorologie déroutante de ces dernières semaines où la pluviométrie française devrait sans nul doute permettre de relancer la croissance économique via la vente des équipements de pluie correspondants, il apparaît surtout qu’il s’agissait d’un couard sans commune mesure. Incapable de faire face à la neurasthénie inhérente au temps de chien, il a préféré fuir avec une nombreuse compagnie, au lieu de, comme le font les français aujourd’hui, laisser passer l’orage.

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L’homme, dont le regard se posant sur la vitre où coule l’eau s’illumine, n’est que le reflet d’un insatisfait qui s’ignore. De ces larmes qui coulent sur le verre, il n’aperçoit son désir profond et refoulé qu’est de s’aventurer au dehors pour se trémousser sous les trombes d’eau avant de s’ébrouer dans les bras de son amie.

sur le vif #56: mise en scène, mise en pièce

Imperceptiblement, plaqué au dos de son fauteuil de rotin, il attache son regard au moindre détail. Dans son immobilité, qui en paraitrait effarante, pour ne pas dire inquiétante, au premier médecin venu, il zyeute en tout lieu. Ses yeux usés et fatigués, plissés par les rides qui ont pris le dessus depuis belle lurette, n’en gardent pas moins une vigueur impressionnante. Sans lunettes, il ne fait confiance qu’à son matériel personnel, celui qui lui fut livré à la naissance. La science, certes connut des progrès et des inventions grandioses, mais elles ne furent toutes heureuses. Quand il put se passer du fruit du travail des géniaux ingénieurs, il ne s’en priva guère. Et son actuelle observation des plus minutieuses des moindres mouvements d’une mouche, à quelques mètres de distance, semble lui donner raison. Il n’est que le bruit de la pièce voisine pour empêcher à son ouï de lui faire donner à jouir du battement des ailes si insupportable à tant de ses contemporains. Impatients qu’ils sont et tout aussi incapables de s’immiscer au sein de leur environnement, ils ne peuvent saisir la frénésie enchanteresse de l’insecte, pense-t-il. Souvent songe-t-il à cette vitesse sidérante du mouvement de ces deux membranes à propulsion et s’entend penser, sans que la chose soit exacte, que Cronenberg était dans le vrai: la mouche est l’avenir de l’homme.

         Dans la pièce adjacente un homme désormais d’âge mûr s’active derrière ses machines. Il ne songe qu’à son présent ouvrage, mais pourtant, sous le masque du labeur et de l’attention portée à son paroxysme, se déploie l’agacement. La forme sur son visage semble atténuée. Rien de plus qu’une ride, une balafre de l’âme qui se dessine sur sa face, mais tirant sur tous les traits de la peau, il peut s’en extraire et s’exprimer, pourtant presque indiscernable. Difficile de tirer un trait sur cet énervement persistant. Car rien n’y fait, la marque s’imprime régulièrement sur lui, pas tous les jours certes, mais la régularité comme l’habitude ont ceci d’inquiétant, c’est qu’on ne les maitrise finalement pas. Elles ne sauraient être naturelles, car la nature n’a trouvé de chose plus abjecte que l’uniformité. Si le masque est souvent celui du théâtre, on n’oublie qu’il ne put être inventé qu’en vertu de cette capacité naturelle que possède l’homme à cette métamorphose des sens pour voiler l’esprit.

         Du brouhaha de ces machines qui s’ébrouent, il bout dans son cœur. Guère de différences pour lui si son palpitant se trouvait précisément sous les plaques de tôles qui pressent les livres. Le rotin a pour lui odeur de sapin. La mécanique lui sert le cœur, de peur que vienne le cercueil. Pourtant le cœur, comme le reste est vaillant. La carcasse serait d’ailleurs elle aussi à l’avenant et si elle ne résisterait au choc des tôles, elle n’aurait guère à rougir face à un sémillant jeune homme. Elle tiendrait ce qu’une carcasse compressée par une force à l’effet décuplée par le poids peut endurer. Mais le son, le mouvement qu’il n’aperçoit mais se figure pour l’avoir vu tant de fois, les formes-mêmes de la machine, lui serrent la poitrine, pendant que sous sa poigne, l’accoudoir se ratatine.

         Ce seul silence de la machine en action, c’est cela aussi qui le mine. Ce silence, venu d’à côté, ce silence qui ne se prononce pas à moitié et qui ne se confond pas même dans l’ennui, vient lui souffler dans le cou comme le mauvais vent lointain, celui dont on ne se calfeutre pas même à l’intérieur, qui, fourbe et fugace, se fraye toujours un chemin. Quand le chemin n’est en rien délicat, il ne se contente pas de pénétrer les lieux, bien au contraire, il les envahit, les habite. Autour de la presse, sa présence est partout. Les rouages, tout droit provenant d’un autre âge, l’auraient pour ainsi dire fait naître. Les tôles qui, n’ont pourtant depuis longtemps cessé de changer, en ont gardé l’empreinte et à maintes et maintes reprises ne se privent d’en délester quelques similis. La bécane, n’aura guère, il faut lui rendre cette gloire, connu de pannes. Est-ce là la raison de son immersion en tous temps, en toute époque, toujours gardant les signes d’antan ?

         Tous deux, d’un côté ou de l’autre de la cloison, invectivent la presse qui pour toute tâche presse ce qu’on lui soumet. Elle se soumet et si souvent sans même fumer. « La machine est ma chose et ma chose s’échine » pense-t-on d’un côté. « la machine est peu de chose, presqu’une chose qu’on chine » croit-on plutôt de l’autre. Le méfait lui ne se soumet guère. Faudrait-il déjà l’en déceler de l’écheveau qui s’amoncelle sous la ferraille. Le fil de fer devenu barbelé à s’en tordre sur lui-même, s’est fait fil acerbe qui tranche dès qu’il se dresse. Chacun à son tour s’en munit devant l’autre et plus encore le lacère. Le nœud gordien du fil de fer ne se tranche sans jugement. Le nœud gordien du fils et du père s’ancre ineffablement.

la machine infernale © Pierre Miglioretti

fables modernes #53: les plumes et les poils

Il était une dame qui avec l’amour ne badine
De ses jambes qu’elle exhibe pour des babines
Retroussées et perlant de la salive du désir,
Sans pourtant de ce corps n’en rien saisir.
La coquette dans sa vêture de plumes caquette,
Elle s’apprête pour ébahir toutes leurs mirettes,
Jeu anodin d’une minette qui minaude,
Jouant d’atouts qui jamais ne taraudent.
Bientôt se glisse-t-elle en dehors des coulisses,
Encore quelques regards emplis de malice
De ces nymphes encore de lumières nimbées,
Qui reviennent de ces bouches demeurées bées,
A ne savoir que faire devant ces boas,
Ces frous-frous et colliers de nymphéas,
De ces mâchoires qui comme les bras leur en tombent,
Des corps qui réagissent de ce qui leur incombent.
De ses sombres soies dont elle se sent sirène,
Les compagnons d’Ulysse éloignés de la scène,     
Ne la goutent qu’au lointain, comme désincarnée,
D’une convention qui les tient à l’horizon muré.
Ainsi assistent-ils sans armes au dévoilement de ses charmes,
Ainsi demeurent-ils sans âmes devant ce corps loin des carmes.
La demoiselle doucement se joue de ces êtres,
Et lentement ses vêtements qu’elle envoie paitre,
Laisse la chair et son corps de plus en plus saillants,
Lièvre par l’oreille à tous ces hommes baillant.
Il est pourtant, quand de ses plumes enfin elle se dévêtit,
De ces hommes qu’elle avait savamment mis en appétit,
Certains qui sursautent et s’agitent à la vue de ses poils,
De cette toison d’or sans même le moindre voile.
Déplumée la feue belle sauvage, la Diane chasseresse,
Ne leur apparaît plus que comme dame pècheresse.  
Devant son seul duvet, dont son corps ici ou là se revêt,
Sont-ils éblouis d’en rejoindre les précoces qui déjà bavaient. 
  
 
Il suffit que l’on ôte les plumes
Pour que la crête des coqs s’allume,
Il ne leur faudrait guère que quelques poils,
Pour tout faire pour atteindre les étoiles. 

fables modernes #52 : la pelle et la pierre

Elle s’était postée sur le côté comme remisée,
Sous les apparats de la dame méprisée.
De sa hauteur surplombant la jachère,
Reposant sur son socle de fer,
La pelle demeurait là sans usage,
Dans ces contrées où dans le paysage,
Plus un cimetière ne se dressait à l’horizon,
Tout un chacun y préférant la crémation.
Il n’était plus même besoin de pierres,
Comme celle qui devait encore hier,
Recouvrir de sa vigoureuse froidure de granit
L’homme à jamais privé du soleil à son zénith.
Ainsi toutes deux délaissées de leur emploi,
Sans qu’aucun croquemort ne les déploie,
Sombraient dans les profondeurs de leurs désarrois
De ne plus voir les macchabées tombant de leur charroi,
Pour les héberger dignement et à bras ouverts,
Avant, au vert, de mettre définitivement le couvert.
La pierre, au silence tombant en funèbres sentences,
N’avait de réponse quant à cette sinistre vacance,
Ignorant ce qui eut pu faire rentrer dans le rang,
Ces quelques humains à la terre devenus récalcitrants.
Quelle grâce, quelle légèreté trouvaient-ils
Dans cette cendre fût-elle certes volatile
Si l’on songeait un instant à cette triste urne
Qui par l’étroitesse eut rendu si taciturne
Même l’être à la joie si souvent contenue
Si en si petit lieu il fut toute éternité retenu ?
S’avisant de ses formes généreuses et amples,   
De son allure massive sur laquelle on bâtit des temples,
Elle se sentait l’incarnation d’une solide l’éternité,
De celle qui convie des dominicales mondanités.          
La pelle devant cette peine voulut faire pénitence,
De peur de voir la pierre tomber en démence.
Confessant sa préférence pour l’intérieur du crématorium
La pelle frileuse ne regretterait que les géranium.
L’aveu de cette trahison annonça le délirium tremens
Ivresse du cœur de pierre aux espoirs les plus minces.   
Pour achever les souffrances de la pierre,
Il n’était plus qu’à la réduire en poussière.
 
 
Il est des habitudes si bien enracinées
Qu’elles en sembleraient être innées.
Il n’est alors qu’à en changer,
Pour n’avoir plus d’os à ronger.  

la goutte d'eau qui fait déborder le vase © Pierre Miglioretti

mieux vaut court que jamais #106

On ne choisit que rarement ses souvenirs : ils s’imposent généralement à nous. Ainsi je n’ai aucune souvenance de mes premiers instants de marche sur mes encore frêles gambettes, tandis que la soirée passée à jouer à la « vache sans tâche qui tâche », jeu à la subtilité douteuse, reste gravée dans ma mémoire. Nous savions que la mémoire est sélective, mais il s’avère qu’elle n’a par ailleurs aucune jugeote.

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Je songeais à ses jambes, galbées et gracieuses, à ses hanches fines de guêpe agile et leste, à ses seins de figues suaves et onctueuses, à ses mains potelées de poigne ferme et tendre à la fois. Il a pourtant fallu que le souvenir remonte jusqu’à son visage, dont j’avais tant honni la disgrâce.

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Les songes du sage, à dessein, s’évadent des souffrants souvenirs. Il ne saurait se faire un sang d’encre des sens qui ainsi s’ancrent dans les sables passés.

blague à deux sioux © Pierre Miglioretti

mieux vaut court que jamais #105

Fixant son regard hypnotique, je n’eus d’autres alternatives que celle de tomber sur le pavé, un genou à terre. Pétrifié de son regard de Gorgone, gagné par cette force aussi charmante que le serpent séduit par le siffleur indien, je ne songe qu’à la faire mienne. Mais naitra-t-il d’elle un homme de pierre ?

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Voilant sa face dans de légers mouvements de tête, esquivant le monde en conservant les yeux aériens, cette lunatique fuyante effrite mon corps, pris de remords à l’idée d’être si tellurique. Mais de cette filante fille, la filiation serait-elle autre qu’un enfant de la lune ?

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Dans ses yeux, je sombre dans l’amertume, la mer et son écume. Mais j’hume car je subsumme que sous ces prunelles d’ombrelles mi-closes, se dégage la mélancolie de l’âme épanouie. L’enfant de son âme ne peut qu’être fait de vague-à-l’âme.

mieux vaut court que jamais #104

Face au problème insoluble du raisonnement scientifique imparfait, il n’est parfois qu’une seule et unique solution : le sommeil. Or si la nuit porte conseil, il se fut que cette fois le brusque réveil en son sein s’en suivit d’un brutal effet, inversant tout le raisonnement alors élaboré dans la grâce de l’instant : la porte nuit le conseil.

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Le jeune prétendant, faignant la décontraction prend position devant deux beaux morceaux. Quelques instants il les dévisage des yeux et tente une première passe d’arme. Toutes deux, chacune dans son style, ne mollissent dans les invectives. D’une porte de prison aux propos secs et acérés et d’une porte de cellule d’hôpital psychiatrique où le capiton n’en rend pas moins ferme la parole emplie de sévérité, il ne sait où voir midi à sa porte.

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Nul ne sait qui fut l’inventeur de la porte. Cependant deux hypothèses se dégagent : il s’agissait soit d’un homme qui souhaitait sortir – car sans porte nul dedans et nul dehors qui permettrait un passage de l’un à l’autre – soit d’un homme qui souhaitait entrer mais qui n’a pas osé tant que c’était grand ouvert.

mieux vaut court que jamais #103

Dans la lucarne allumée se présente un gus chevauchant une moto et armé de son micro. Etrange service qu’il accomplit pour les téléspectateurs, présentant les rues du quartier parisien où il se trouve. Une à une, il anone les rues avoisinantes. On le sent fébrile et hésitant à la divulgation des numéros de rue. Le sort du journaliste en ce soir n’est rien d’enviable, dans le devoir de combler la soirée d’élection d’informations quant aux moindres déplacements d’un candidat.

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La vacuité dans laquelle se plonge les jeunes dans les jeux-vidéos et autres émissions à l’abrutissement sans commune mesure passe souvent sous la vindicte populaire. Il n’est pourtant sans nul doute possible que la confrontation de l’homme face au vide existentiel n’est pas moindre grande face aux grands défis du monde. Il n’est qu’à constater la nécessité inhérente aux soirées électorales de meubler avec foultitudes d’informations et surtout d’images d’une utilité douteuse.

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Dans le champ de vision, pas un vide,

Pour une élection souvent laissant impavide

Toujours un écran devant notre esprit livide.

sur le vif #55 : salle défaite

Passant le mur décrépi, délaissant le regard posé sur le pâle et blême néon affichant « Le Royal », on tombe sur le sas d’entrée. Nul ne sait vraiment ce qu’abrita jadis cette salle, mais tous le supposent aisément : cinéma de quartier, salle de music-hall où venaient se produire quelques ventriloques, humoristes de la IVème république distillant quelques bons mots sur les nombreux ministériels remaniements. La salle s’est échouée là, au milieu du centre commercial, vestige du temps dont les promoteurs immobiliers ne purent se débarrasser, caillou dans la chaussure des architectes, bloc de béton hébété au milieu de ces nouveaux bâtiments.

         L’affluence est encore relativement faible. Les gens entrent ici au compte goutte, un à un. Ainsi à chaque nouvel arrivant, le même rite de passage, de ces gens qui se dévisagent. Depuis l’intérieur, derrière la vitre, on observe déjà l’arrivée, on détaille la silhouette et l’allure. Quelques instants, l’interrogation de la démarche semble laisser croire que la personne n’est pas venue ici pour ce que l’on croit, une personne égarée, de passage ou pire encore, habitante du quartier et jetant pour la première fois quelques regards sur le bâtiment. Souvent ils passent leur chemin et vont rejoindre quelques voitures garées plus loin.

         La porte à peine entrebâillée, pas un ne manque de saluer les quelques convives, comme un réflexe de politesse semblerait-il, mais surtout car tous se connaissent d’une manière ou d’une autre. La première donnée de cette troupe de théâtre à la mode rassemble des connaissances éparses, des âmes de passage aux plus proches collaborateurs. Ainsi tous ont partie liée à la séance du soir. Il se créé dans cette attente presque fébrile pour certains, une forme de connivence empruntée, de ces êtres réunis avec la sensation d’une réunion de famille élargie sans même connaître tous ceux, là, réunis. Certains certes ont l’avantage de l’éloignement ou du changement pour se masquer derrière une forme d’anonymat. Mais il est de bon ton dans ces circonstances de briser la glace et l’erreur n’est jamais tenue en rigueur. On tente sa chance, comme le promeneur du dimanche dans la fête foraine, qui, pour la distraction, n’hésitait guère à se saisir de la carabine pour quelques amusements, malgré le risque de ne toucher aucune cible. On peut rectifier le tir et bien vite l’interrogé vient au secours de l’intriguée et la remet sur la bonne voie, désormais libre d’accès pour quelques mots brièvement échangés. Si l’erreur n’est dommageable, elle marque les échanges, qui n’ont pas ce naturel qu’arbore la conversation sans faux pas.

         Dans la faible affluence et l’attente étroite du spectacle, les silences se font plus nombreux, quoiqu’encore certains, de plus grande connivence, poursuivent leurs conversations. Certains de n’avoir de nouveaux mots, s’en vont tirer sur leur cigarette, sans se donner l’espoir d’en extraire un quelconque jus mirifique, mais au moins s’offrir celui de faire passer le temps. L’alchimie de la cigarette n’est autre que celle-ci et il ne faudrait se méprendre sur son compte : nul changement n’est à espérer de la moindre cigarette fumée tant sur soi que sur les autres, mais toujours est-il qu’elle dispose de ce poids considérable sur le temps qu’elle assouplie et gazéifie. L’effet n’est donc que de courte durée et ne peut dissoudre les éléments eux-mêmes. La clope d’abord au bec, bientôt elle s’effrite au fond du cendrier, le temps n’en a cure et poursuit son rythme. A l’intérieur, pourtant rien ne semble même changer : de ces quelques personnes là amassées, se retrouvant pour beaucoup après un temps indéterminable, brouillées dans les méandres de la pensée et la mémoire, patientant lentement. Il n’en est guère autrement quant au lieu lui-même, exhibant, aujourd’hui presque ex nihilo, un lino imitation parquet, des cendriers et autres poubelles que l’on ne saurait convenablement dater, que l’on ne saurait rattacher à une période historique précise, comme jadis nous parlions de mobilier Louis XV.

         Les cendres n’ont de prises sur ce temps qui s’effrite si lentement qu’il en est imperceptible. Si à Etretat les falaises insensiblement s’affaissent, la désuète salle du Royal s’use sous la suave acidité du zeste du temps. Mais elle conserve tout de même de beaux restes.

fables modernes #51: le béguin et le bouquet de fleur

Dans les sombres rues de Honfleur,

fille en fleur © Pierre Miglioretti

Un jeune benêt s’épris par malheur
D’une belle donzelle aux allures aériennes,
Donnant toute la grâce à sa maladroite dégaine.
Partout il épiait son tendre béguin,
Sans que les efforts fournissent son gain.
Car si les élans du cœur font l’âme leste,
Il reste que des corps sans cesse la molestent.   
De ce peu d’esprit qui le constituait,
Le nigaud n’essaimait que des nuées,
De troublantes images que le béguin abhorrait,
De roublardes idées qui tout empiraient.
La légèreté que donnait ainsi son inclination
Se muait inconsciemment dans la damnation.
De ses curieux stratagèmes patiemment distillés,
Tous n’eurent que l’attrait de gemmes pillées.
Le palpitant, en fidèle imitant, s’en brisait,
Les cheveux, en aigreur, s’en frisaient,
De dépit, les bras gauchement l’en tombaient
Pour cette belle qui jamais ne succombait.
Des mots doux griffonnés en tous lieux,
Des émaux faisant état de ses émois frileux,
Des cris de craie écrits à tous crins,
Sur les ardoises du port et ses écrins,
N’avaient trouvé le creux où crèche son cœur,
Toujours achoppant sur le revêche de son humeur.
Il s’avisa cependant, qu’il n’était qu’un bouquet
Parfois pour brouiller l’âme et ses allures de hoquet,
Qu’effleure le plus tendrement la gerbe de fleur        
Le cœur qui n’a plus à entendre le moindre leurre.  
Mais il est de ces béguins avec qui on ne badine,
Qui ne s’offusquent même de leur clémence radine.
Celle-ci frappa d’estoc et de taille,
Récoltant les fleurs et les quelques pailles,
Les collant à la face du récalcitrant,
Cruel affront à l’éconduit galant.  
 
 
D’une étrange attraction se trouve-t-on victime,
Qui alors incidemment des ordres nous intime.
D’une âme, qui vivement nous anime, vit-on à ses crochets,
Il n’est, comme l’annuaire, qu’à tourner la page et décrocher.