Archive pour novembre 2011

mieux vaut court que jamais #23

Certaines personnes désabusées et mauvaises langues se font les détracteurs des fêtes de Noël, devenues selon eux, la grande mascarade des célébrations du consumérisme mondial, bien loin de l’esprit et de la magie originelle de Noël. Noël ne serait en bref que de la vulgaire neige artificielle sur des montagnes hivernales mises à nue par le réchauffement climatique, qu’un saupoudrage de sucre glace sur un gâteau d’anniversaire qui aurait pris un coup de chaud. Pourtant, il faut savoir rétablir des vérités et clamer clairement que ces cuistres se trompent lourdement. Il n’est en effet que notre époque pour incarner parfaitement l’esprit de noël, sinon par la magie, comment expliquer le dévouement sans limites de tous au système consumériste dans un monde capitaliste qui s’écroule et dont tous voient aujourd’hui les failles jaillir plus intensément que jamais ?

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Mais certains ont bel et bien pris pour acquis le désenchantement du monde et se jettent à corps perdu dans l’utilitarisme le plus primaire. Ainsi de la société TBC (Tram et Bus de la CUB – Communauté Urbaine de Bordeaux) qui propose des coffrets abonnements pour Noël. A quand sous le sapin le jerricane d’essence Total couronné de sa coiffe de bolduc ?

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Etrangement, mon voisin cumule les sapins depuis plusieurs jours. Chaque fois que nous sommes amenés à faire croiser nos routes, la sienne est toujours encombrée d’un sapin sous le bras. Sans familles et sans fréquentations, je n’aurais cru que la frénésie de Noël ne puisse lui aussi l’atteindre. Je le croyais, pour tout dire, hors de tous soupçons. La scie ronronnant le reste du temps n’est cependant peut-être pas un bon présage. J’ai peur que cela sente bientôt le sapin. Pauvre Martin.

mieux vaut court que jamais #22

L’OCDE s’inquiète de la crise européenne et craint des répercussions dramatiques pour l’économie mondiale. Ceux qui croyaient que l’Europe n’avait plus aucun poids dans le monde d’aujourd’hui se verront bien rassurés par cette analyse.

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Le malade ne se rend jamais suffisamment compte quel plaisir et quelle utilité il rend au médecin venu à son chevet. Sans nos maux, le médecin, être à jeter la philanthropie par les fenêtres, serait patraque à coup sûr.

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Mieux vaut un petit corps sain qu’un grand corps malade. A plus forte raison, mieux vaut un petit porcin qu’un grand marsala.

mieux vaut court que jamais #21

Sous le son catapulté à tout va dans tous les rayons braillant ce refrain « t’es mon amour à moi », je tombe nez-à-nez sur un mur fraichement détérioré, sans doute en voie de réhabilitation. En attendant, son état laisse à désirer et pourtant on y affiche une autre couleur : « vous faire aimer le goût d’ailleurs », murmure-t-il de ses couleurs défraichies.

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Sur le parking, armé d’un descendant des lance-flammes du Viêt-Nam, une de ces armes apprivoisées reprenant du service dans le civil, l’homme esseulé, brûle les brins d’herbe fraichement sortis du bitume. On ne pourrait dire qu’il accomplit sa tâche consciencieusement, mais les traces noircies que laisse son passage attestent de son zèle à la tâche.

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« Il n’y a pas d’amour, il n’y a que des preuves d’amour » disait jadis le poète. Soit Monsieur le président, j’entends votre jugement, mais je vous le demande, en mon âme et conscience, à qui est la charge de la preuve ?

fables modernes #9 : l’araignée et la charentaise

Discrètement tapie dans un coin plafonné,
Courait d’un homme à sa barbe et à son nez,
Une velue araignée née en ces lieux du sol éloignés
Pas venue pour régner sur le tapis au pelage soigné. 
Ici s’imposait la suprématie des charentaises
Alliées de l’être assis dont elles étaient les prothèses.
Jamais étaient-elles délaissées de leur maitre,
A moins que le chien sans laisse ne les envoie paitre.
Les deux créatures chacune dans leur sphère,
N’avaient de concurrents desquels se défaire
Et pouvaient l’une paisiblement étendre sa toile,
L’autre sous les pressions des pieds détendre ses toiles.
Surtout aucune n’avait connaissance de l’autre
Et ne pouvait se figurer une vie, l’autre.
Sans qu’elles ne l’eurent présagé,
Dans un destin qu’un autre envisageait,   
Bientôt leurs trajectoires devraient se croiser,
Sans même qu’elles aient le temps de s’apprivoiser.
Car l’homme se découvrant une araignée au plafond,
Se munissant de la pantoufle, bientôt sur elle fond.
Qu’ils furent démesurés ces efforts
Pour tenter de sortir de ses contreforts
La menue mygale qui n’en était à vrai dire
Pas même une, seul fruit de l’homme et de son ire.
Qu’il en soit ainsi ou autrement peu importe
Quand l’homme a ses pressentiments tout l’emporte.
S’acharnant de sa frêle et apeurée savate,
Il soignait son revers jusqu’à l’échec et mat.
Un instant ne voyant plus sa cible au mur,
Il cessa et reposa le long du corps sa ramure.
Mais l’araignée, que ses huit pattes
Effraient, à plus forte raison épate.
Trouvant quelque anfractuosité sous la charentaise,     
Elle trouvait là place où être tout à son aise.
Traversant les lieux, bientôt tâtait-elle même du tapis
Dont les boucles empêchait d’être mise en charpie.
Avec la charentaise-même doucement se tissait 
Une nouvelle toile, un amour qui s’esquissait. 
 
 
Il n’est aucune rencontre
Dont le destin ne démontre
Qu’à s’attacher à de faux fils
Seul l’ennui se profile. 

sur le vif #40 : l’instant où le temps se retient

Sur le mur de la porte, immanquablement la pendule affiche la même heure. Certes elle est cassée et ceci explique cela. Mais surtout, les aiguilles bloquées, le reflet de la lumière sur ces brins de métal immobiles redonnent une fixité au monde. Les bourses montent et descendent – et s’exerçant plus particulièrement au mouvement descendant ces dernières semaines – les gouvernements valsent et pendant que les ministres dansent, les marchés rient. Il n’est pas un instant où le temps ne se rappelle pas à sa propre existence. Dans cet alignement des aiguilles qui éternellement désormais – sauf si vient à tomber sur mon immeuble une bombe thermonucléaire venant, entre autres désagréments dérégler leurs positions – affiche minuit, il est un point du monde qui ne subit plus une onde, un point du monde, flottant et naviguant, loin du temps, suspendu entre deux points indéfinis, une ligne interrompue par ma seule volonté, par ma seule perception du temps. S’il est parfois poussé par des Alizées arides, creusant les sillons dans le sol, instillant dans mon corps quelques rides, il est d’autres instants où le temps se met au Levant, déversant là quelques torrents revigorant, s’instillant dans les crevasses, distillant quelques précieuses liqueurs, quelques parfums de douceurs, de ceux de cette eau ruisselant délicatement sur le visage, nous mettant l’eau à la bouche, le breuvage coulant entre les lèvres, nous faisant connaître l’instant où le temps se retient.

Les rangs désormais bien garnis, bien plus qu’à l’accoutumée, bien plus que pour n’importe quelle conférence ou pour le cours habituel, l’amphi résonnant des piaillements des voix se répercutant sur le plafond boisé, il attend, patiemment dans la pénombre. Pourquoi l’a-t-on fait descendre si tôt ? En bas, le piano, fièrement dressé, l’aile ouverte, est prêt à laisser les notes prendre leur envol. Un officiel, planté devant un décor scénique de bric et de broc, plante le décorum de la soirée. Le jeune pianiste, reclus dans un coin de l’entrée, attend son tour. Sans lumière, il profite de quelques instants de répits. Car ensuite, les marches descendues, le premier salut d’entrée effectué, dès qu’il posera ses mains sur le clavier, le repos ne sera plus de mise. Derrière ses verres, ses yeux ne descellent aucune inquiétude. Son visage fermé n’est pas celui de l’angoissé. Serein, il fait les cents pas dans cents centimètres carrés. Il ne serre pas les dents, cela ne sert à rien. Presque impassible, son visage ne se lasse du temps qui passe, même si celui avant le concert, hélas, presse jusque dans ses pas. Si le pianiste s’est rendu au préalable aux sanitaires, le temps n’en pas les mêmes précautions, ne nous ménageant que rarement une rémission. Pour quelques minutes pourtant, tant bien que mal, le pianiste pourra, avant de dévaler les marches, savourer l’instant où le temps se retient.

Ma grand-mère devenue patraque, se rattrape, comme elle peut, à la manche de son époux, mon pépé. Cahin-caha, ils tentent de s’épauler mutuellement quand bien même la vie s’effrite, le temps dans la lenteur de la vieillesse se presse pourtant. Parfois, il est encore un instant où les émotions du présent s’interrompent. Si l’on s’est toujours promis de vivre au présent, quand le présent ressemble à celui d’une angoisse permanente, d’une confrontation inéluctable et de plein fouet avec la mort dans le miroir, le refuge du passé permet que le temps trop vite ne s’use. On y est convié comme on confie au cordonnier ces jolis souliers que l’on conserve quand bien même on les a usé jusqu’à la corde, au point qu’il n’aurait normalement plus qu’à se mettre la corde au cou, tant ils ne valent plus un clou. Mais qu’importe pour eux comme pour nous. Dans la glace, avec un peu de verni, quelques coutures ici et là, quelques sutures sur les cicatrices, le teint revient, l’ombre s’éteint. Dans ce miroir couvert de verni, où se nie quelques instants du temps, il n’est plus d’affreux reflets à nous être renvoyés, il n’est qu’un choix d’instants déchus du temps, mais que la mémoire conserve. Si le temps, suprême puissance ne se laisse apprivoisé, la mémoire se joue de lui conservant des bribes entières et réinventant celles retombées dans la frêle escarcelle du temps. La mémoire est l’instant où le temps se retient.

mieux vaut court que jamais #20

Les transports en commun nocturnes charrient leur flot de noctambules éméchés. Le pas hésitant et le gosier, sans cesse à sec et réhydraté avec une régularité de fordiste, s’en est trouvé ouvert à découvrir la glotte, pourtant organe amphibien aimant alterner l’humide et le sec. Il en sort un flot constant de paroles aux mouvements aléatoires, nappant l’environnement dans une nuée de mots dénués d’intérêt. Dans la contemplation de ce spectacle, mieux vaut couper le son et ainsi le ramener à l’art de la pantomime, n’étant finalement rien d’autre que ça.

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Le pauvre Echo condamné à ne plus avoir de voix, peroquette sans cesse les mêmes sornettes, celles que l’on aura bien voulu mettre dans sa caisse de résonnance. Echo s’est démultiplié et se montre d’une reproductibilité épatante les jeudis soirs de cuite.

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Dans le lointain, les voix se meurent. Sous les murs, les murmurent, sans aises, se taisent. Enfoui au fin fond de quelques confins que l’on croyait défunts, ils ne peuvent pas même laisser crier leur cœur.

mieux vaut court que jamais #19

La lame étincelante lancée dans les airs se chargea de la pâle lumière du labo. Sur le billot, la tête d’un condamné déjà mort, gisait paisiblement. Au-dessus d’elle, le forcené s’acharnait sans qu’aucune raison ne puisse être avancée. Bientôt, sous les coups répétés de la lame, sous ces coups d’épée dans l’eau, le sang giclant encore de ce que la carcasse en contenait, dans un dernier geste de courage, la tête envoya son œil en éclaireur dans la pleine face du boucher. L’œil de bœuf acheva sa course sur le verre des montures oculaires.

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Dans la boutique, un homme assorti de sa docile épouse, épousait langoureusement l’attente qui lui était imposée par la lenteur communément pratiquée par l’indécis de service. L’homme, pressait ses lèvres sur les siennes comme un serre-joint parfaitement serré, tandis que sa jambe droite avait repris une vieille technique de collégien du grimpé à la corde. Ne perdant l’usage d’aucun membre, il lui caressait simultanément les fesses machinalement comme on balaye de la main une nappe où traîneraient encore quelques miettes.

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Je préfère contempler ces affreux morceaux de plastiques verts séparant chaque pièce de viande figurant quelques verdures, leurres d’une vie antérieure de bonheur, de quelques brins d’herbe qu’un jour le bœuf eu l’honneur d’ingurgiter.

mieux vaut court que jamais #18

L’expression populaire nous rappelle que l’on parle du nez lorsque l’on est un peu enroué. Or dans pareille situation, pour être tout à fait évocateur, notre voix prend des airs de canard. Il est pourtant inutile de rappeler – surtout aux éleveurs du Sud-Ouest – que le canard n’est pas un animal à nez – carné, en dernière limite – mais bien à bec.

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Un fidèle ami m’a toujours dit avoir eu le nez pour savoir coquettement s’acoquiner. Les conquêtes s’agglutinaient sur tous les territoires : sous les tropiques, il avait séduit les plus sceptiques, dans le froid polaire, leur pâleur eu l’air de lui plaire et jusqu’à Londres, des jeunes filles en fleurs.

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Qu’y-a-t-il de plus agréable que de ressentir les embruns du monde nous gifler le visage, nous rassérénant dans notre vitalité attestée, qu’y-a-t-il de plus délectable que d’avoir le nez dans la dernière pluie ?

mieux vaut court que jamais #17

Parfois les murs font leur mue. Ils perdent leur fin pelage sombre pour nous revenir plus éclatant. Cette opération ne se fait pas par hasard. Comme des moutons, des hommes viennent les tondre, laissant se déposer à leurs pieds et sur les immeubles voisins, leur pelage parti en fumée, recouvrant le sol, comme une fine pellicule de neige.

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A la table à côté, les cendres, sous l’effet du vent prenaient l’air. Certaines quittaient leur cendrier avant que d’autres, du haut de la cigarette incandescente, y tombent. D’un geste autoritaire, l’homme écrasa la rébellion et sa cigarette.

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Sur le lampadaire, les moustiques et autres insectes volants de la nuit se posaient. Etrangeté que ces bestioles si friandes de lumières qui ne sortent que la nuit venue.

fables modernes #8 : la chaussette et l’archiduchesse

Une archiduchesse sommeillait à l’ombre d’un saule,
Saluée par le soleil qui venait dorer ses épaules.
Lascivement elle zyeutait ses invités,
Venus pour ses beaux yeux la visiter.
Devant le bleu azur et délimité de pavés
De la piscine privée, presqu’aux allures dépravées,
La donzelle aux riches attributs s’exhibe,
En en faisant voir bien plus que quelques bribes.
Les bacchanales ne trouvent seulement leur place
Quand enfin l’astre de la nuit le ciel enlace,
Ne s’agissant là que de timides agapes,
De pâles préludes à ce qui bientôt salira les nappes.
Déjà sale de la veille une esseulée chaussette
Ne savait plus où donner de la tête.
Sombrant dans les méandres de l’oubli,
Sondant sa mémoire encore endolorie,
Elle ignorait la raison de sa présence
Au fond de la piscine, à même la faïence.
Etait-ce le résultat d’une erreur d’aiguillage   
A la suite de la phase de lavage ?
Ou était-ce la fin d’une puérile vengeance
Qui avait causé, au milieu des flots, sa déchéance ?
Finalement peu importait à la chaussette,
Qui voulait montrer aux convives une autre facette.
Pour qu’elle ne perde la face s’immisçait la providence,
Sous la forme d’un invité se trouvant en transe.
Un d’eux en effet disparu sous la surface,
Pour prendre la chaussette dans sa nasse.
La tenant en trophée il traversa la masse
Pour l’apporter à sa fée l’accueillant en grimace.
Il est des sauvetages salutaires,
Que certains préfèreraient taire.
Il est des soutiens bienveillants,
Que certains jugent vacillants.