Archive pour novembre 2008

surréalisme enneigé

Des trous dans la tête.

 

 

 

Des trous dans la tête, la tête en ébullition, se vidant totalement la tête, laissant sortir ses entrailles, son cœur, son corps, comme un volcan laissant échapper quelques fumerolles ci et là sur ses pentes brûlantes, mais révélant le même et unique magma. Ce sont ces trous, ces cheminées du volcan qu’explore ce film des plus intenses et merveilleux.  Non, qu’il s’agisse ici de montrer un de ces volcans explosifs qui font le ménage autour d’eux au point d’envoyer toute la poussière dans les cieux pour plusieurs jours. Non, il s’agit bien plutôt de l’autre type de volcan, celui qui érupte et éructe en permanence mais par petites doses, un de ceux jamais complètement endormi, parce que ce qu’il remonte à la surface sera toujours vivant. On aura beau tenter de domestiquer ces pentes si fructueuses, ses pentes si généreuses, jamais ce qui constitue le fin fond de ses entrailles ne prendra fin. 

 

C’est d’ailleurs de ce débordement incessant que né la jouissance successive (et même concomitante) au visionnage de ce film, jouissance tant sur le plan de la forme que du fond. Il en vient de partout, il en renaît sans cesse, il s’en échappe en tout point. De quoi ? des souvenirs, de la mémoire, de celle que forment donc ces fumées sorties des entrailles de la terre, de la cuisine du diable[1], pour remonter à la salle manger, pour se mêler aux effluves du repas familial. Et rien à y faire, la fumée, plus légère que l’air, remonte inlassablement au sommet de la boite crânienne avant de s’en échapper par tout orifice, tout trou les laissant alors s’instiller dans les autres organes, plongeant ainsi l’organisme dans un merveilleux ballet étourdissant, enivrant, le grisant de fragrances mélancoliques et oniriques – oui car en remontant vers la surface, ces souvenirs se chargent de divers déchets organiques, de différentes matières glanées ici et là, altérant alors la composition chimique pure des mémoires pour n’être in fine qu’un succédané de donnée, un simili de stimulus, un ersatz de fastes. Au plein air, ces souvenirs semblent être un de ces rivages inaccessibles ou quand ils se trouvent à proximité et enfin tangible et à portée de nage, ils se muent en un horizon maritime lointain, nous laissant comme perdu sur une île. Mais bien souvent, on ne les percevra que sous des formes impures, bariolées et surtout barriérées : ainsi tour à tour grille de joncs des bords de mer ou harpe onirique écartelée par les doigts graciles et fins d’une figure féminine du passé, voire même enchevêtrement d’arbres verticaux semblant strier le champ de vision ou désordres de branches couchées sur lesquels on pense pouvoir trouver un repos accompagné mais surtout seul car toute présence semble surtout le fruit des fumées hallucinogènes, un peu de celles qui guidaient les doux délires que la Pythie grecque distillaient à tous ceux se sentant dans le brouillard. En quelque sorte, on ressort de ce film en Pythie du quotidien, non totalement drogué car bien conscient de tout cela mais en tout cas submergé par des images, celles de ce film mais aussi d’autres, plus personnelles qui reviennent susurrer à l’oreille du présent, y déposer un doux baiser de la suavité du temps passé, croquer le cartilage et le faire frissonner avec des frayeurs oubliées, lécher le pavillon et le mettre bas pour ensuite recommencer la même opération de l’autre côté, donner dans la stéréo désynchronisée parce que comme le pense le héros du film, les choses se produisent toujours deux fois, sans doute nous laissant la possibilité de se familiariser une première fois à leur goût, leur parfum avant de pouvoir les savourer en connaissance de cause la seconde fois, reconnaissant leur juste valeur loin du culte de la première fois, mais plutôt dans la jouissance mémorielle, qui installe le nouvel événement dans une historicité des sens.

 

A voir : des trous dans la tête ! (brand upon the brain !), écrit et realise par Guy Maddin, Canada, 2006, avec Gretchen Krich, Sullivan Brown, Maya Lawson… et la voix d’Isabella Rossellini.

 

Mardi 4 novembre 2008.  


[1] Les allemands ont d’ailleurs une pâle image de ce qui sort de la cuisine du diable puisque qu’aller dans cette cuisine revient pour eux à se mettre dans le pétrin (donc littéralement « In Teufels Küche kommen »)

fil rouge

 
Je commençais à en avoir marre de laisser cette page en jachère, alors je transplante ici un texte poussé hors-sol il y a quelques mois. je sais bien qu’il faut privilégier les fruits et légumes de saison mais même si je raconte beaucoup de salades, on peut se permettre un peu d’intersaisonnalité…
 
 

Fil rouge

 

 

 

 

Elle était là. Sous la porte. Quelques centimètres tout au plus. Jamais plus. Une sorte de délicatesse, on pourrait dire. La seule sans doute qui restait de mise. Je l’attendais depuis un certain temps. Je n’aurais pas cru attendre autant malgré tout, comme surpris par autant de clémence. J’étais là, assis à la regarder, à l’observer. Etonnamment c’était presque un soulagement. Comme une sentence enfin tombée, quelque soit son sens, après le non-sens de l’attente, l’absence de l’attente, l’indécence de l’attente, on s’en contente de cette fameuse fin.

 

 

Celle-ci fut la dernière. La première remontait à quelques temps auparavant, quelques mois tout au plus. Mais la première n’était pas le début. Le début, c’était, je crois, dans ce bar, un de ces soirs d’hiver, un de ces soirs où l’on erre dans les rues sévères de la ville, dans les rues sévères de la vie. L’air de rien, j’y étais entré sur une impulsion qui m’étonna toujours. Je n’avais jamais vraiment fréquenté les bars. Depuis que leur nombre se réduisait, je n’en avais pas vraiment modifié mes habitudes. Mais leur éventuelle disparition m’avait sans doute poussé dans les bras de celui-ci. D’une décoration somme toute sommaire mais au charme certain des tentures d’orient mêlées aux plus modernes mobiliers arborant leurs reflets argentés et leurs formes graciles, on ne pouvait que refermer la porte derrière soit pour se laisser envahir de la drôle atmosphère. Un pianiste noir, perché sur son piano lançait quelques mélodies d’une temps pourtant bien révolu. La tenancière, était là, fidèle à sa profession, clopant délicatement au dessus de son évier d’émail où s’accumulait déjà les verres des clients, qui avaient d’ors et déjà pour certains entamés une collection importante et variée d’élixirs de doucereuses liqueurs. Elle me regarda d’un œil interrogateur qui en disait long sur ma surprise (et, par la même sur la sienne) de me retrouver dans pareil endroit.

 

Laissant au vestiaire mes appréhensions, je prenais place sur une banquette encore libre avant de siphonner un de ces alcools qui fait la réputation des lieux. Me retournant par moment pour dévisager les rares passants de la rue et éviter de croiser le regard narquois d’une connaissance perdue dans ces sordides quartiers, je poursuivais mes tribulations au fond de mon verre.

 

Il ne me fallu pas attendre beaucoup de temps, pour qu’elle n’arrive. Non pas la tenancière. Celle-ci avait repris son poste, fidèle à la clope et pourtant libertine à ne pas finir de les allumer les unes après les autres. Mais elle… ces lèvres… C’est d’abord ses lèvres que j’ai vu. Ensuite le reste du corps. Un tel écarlate ne peut pas passer inaperçu. Aussi évocateur que délicat, aussi puissant que vaporeux, aussi tenace que fugace. Mais comme l’habit ne fait pas le moine, la couleur ne fait pas la beauté. On pourrait bien penser que la forme de lèvre est  bien peu de chose, est bien anodine, mais à voir l’exquis assemblage de ces lèvres avec cette couleur, on sentait qu’il avait du manquer de l’inspiration quelque part dans la constitution des visages de ses congénères. Ces lèvres incarnates faisaient jaillir de la chair, de la terre, de l’air et de tous les éléments toute la puissance et la fougue de la vie, toute l’arrogance qu’elle peut révéler, toute l’entièreté de l’existence, révélant l’absolue impossibilité d’une éventuelle concession, d’une hypothétique largesse avec le fin fil des parques. On ne sait quelle force la poussa vers ma banquette, mais il se fut un moment où elle daigna approcher sa lippe et son homologue supérieure qu’elle décida alors à coller sur les miennes qui ne furent rarement aussi ravies de se voir opprimées.

 

            Derrière la vitre, qui se chargeait de buée sous le coup de ces respirations intenses, laissant sortir les derniers rebuts de la vie consumée, de la vie patiemment et passionnément inspirée ne laissant alors que les résidus de ce plaisir expiré, se détachaient quelques silhouettes pâles, monochromes. Elles erraient en paix, la paix des braves, de ceux qui décident d’abdiquer parce que ça leur suffit, non parce qu’ils ne pourraient mieux, mais seulement qu’ils savent qu’ils pourraient pire. Alors ils se traînent, on ne peut pas dire qu’ils n’avancent pas, mais le pas est lent, mesuré, souvent aussi cadencé, de plus en plus cadencé, parce qu’il y a les autres, alors…

 

Le lendemain ou le surlendemain, je ne sais plus très bien, la première lettre arriva. Elle portait en son verso tout son amour, le sceau de ses lèvres faisant foi. La délicatesse des nervures de ses babines en était même respectée. De toutes ces promesses d’un soir, d’un amour sans concession et sans digressions, j’en conservais quelques mots rares et précieux et l’impression qu’ils me faisaient, l’impression d’un espoir naissant. L’impression de l’espoir en elle-même est un fait rare et abscons mais en même temps d’un réalisme cinglant: prendre conscience que l’on est seulement en train d’espérer et se rendre compte que cet espoir n’est lui-même que fiction, c’est en quelque sorte une mise en abîme terrible de l’espoir. On sentait bien également de sa part une profonde espérance, une attente de changement qu’il soit d’ailleurs positif ou négatif. Bref on sentait tout l’incertain de sa situation, tout l’équilibre instable sur lequel elle reposait, toute la finesse du fil qu’elle tissait chaque jour, tentant de remuer des bras pour… pour… pour vivre tout simplement.

 

Il faut bien dire, sans vouloir atténuer la singularité de sa situation que l’équilibre se faisait dans ce bas monde de plus en plus rare. Une espèce en voie de disparition comme disait les biologistes en leur temps. Elle, donc, elle tentait tant bien que mal de surpasser toutes ces nouvelles contrariétés naissantes. Elle se battait au quotidien, jour après jour pour sauver ce qui pouvait encore l’être. On aurait pu dire qu’elle avait des convictions. Face à tous ces affronts, toutes ces ignominies qu’on nous imposait, elle tentait de résister, à sa manière. Comme pour compenser la lâcheté des autres, elle redoublait d’efforts, d’ingéniosité et parfois même de préciosité pour toujours faire face.

 

Au début, elle les déposait elle-même, sous la porte. Je n’ai jamais su comment elle faisait, mais elle arrivait toujours juste sous le lit, à gauche de la table de chevet. Ça valait tous les pieds droits du matin du monde pour débuter la journée. Elle m’accompagnait ensuite toute la journée, dans la veste, avant que je ne puisse mettre ses lèvres sur ses mots à moins qu’il ne s’agissait de remettre ses mots sur ses lèvres, les deux n’étant plus qu’un, nous deux n’étions qu’aucuns. La journée passait dans cette attente de m’asseoir sur ce banc de pourpre, de m’alanguir aux douces saveurs de ces nuits sans heures. 

 

            Je ne l’avais pas su au début, mais ce fameux bar – qui n’avait finalement de fameux que pour moi qui y avais trouvé ce que je ne cherchais pas – constituait en quelque sorte l’astre central de son univers autour duquel elle gravitait. Tout le raffinement de la décoration, tout le soin apporté à celle-ci prenait alors sens sous ses charmes et sa même élégance. On se s’affirme pas madone d’une certain art de vivre impunément. Il faut le fond de commerce qui va avec, l’allure, l’apparence, bref de quoi donner, aussi, l’illusion, surtout que l’illusion, elle y tenait. En ce sens – comme dans bien d’autres par ailleurs – elle ne se refusait rien dans cette époque désenchantée. Elle savait sans doute ce qu’elle faisait. Enfin je l’espère.

 

            On parlait peu de ce qui nous tombait sur le coin du nez, de tous ces changements, de  tout cette désespérance qui aurait du déjà nous envahir et même de ce qu’on pouvait faire pour s’en prémunir encore et toujours. En fait on en parlait sans cesse. Tous ses mots étaient des appels à la résistance, des exhortations à la désobéissance, des effluves de libertés doucement distillées avec la plus grande ferveur et la plus grande précaution. Elle me jetait toutes ces expressions, ces mots à la figure avec une telle rage communicative, avec une telle fougue qu’elle aurait fait pâlir les plus terribles fauves. Qu’elle me les écrive comme elle prit coutume de le faire dans les dernières semaines ou qu’elle les laisse jaillir de ses lèvres écarlates au milieu de nos ébats, elle les sortait de son chapeau avec toujours la justesse qui s’exige.

 

            Tous les matins j’y avais droit… ou presque. Alors que la brumeuse Aurore se décidait lentement à lever le jour, déjà éveillé depuis de nombreuses heures, passées à ne plus rêver, juste à penser, je regardais péniblement tous ces hommes s’affairant dans leurs industrieuses activités, toutes, à leurs dires, plus palpitantes les unes que les autres. Je ne les comprenais que difficilement avant. Mais depuis que je l’avais rencontré, l’incompréhension s’était muée en dédain, puis bien vite en mépris, sans toutefois toucher à la haine, il faudrait voir à être cohérent – on ne peut pas s’attacher à ce point à un être, justement pour l’amour qu’il donne et haïr tous ses autres congénères. Ils étaient tous là, à s’agiter pour rien, pour de l’air, l’air de rien qui justement leur manquait, cette innocence et naïveté qui leur faisaient défaut dans cette quête du vent, toujours à compter, à accumuler, à sans cesse vouloir plus, à ne plus rien attendre, à ne plus espérer. Mon désormais seul point commun avec eux, était sans nul doute mon absence de rêve. Mais c’était eux, mon absence de rêve, cette réalité sordide qui s’était accrochée à ma veste. Mais il serait mensonger de dire que les songes m’avaient abandonnés: cette rencontre avait en quelque sorte capté ces instants de douceurs chéries. On les avait matérialisés ensemble, on les rendait vivant ensemble. On les vivifiait. Toute cette passion communiante, cette fougue transfigurait les plus incroyables espoirs, les attentes les plus fantasmagoriques. On avait pour ainsi dire, rendu le rêve inutile, on l’avait dépouillé de sa force. Elle était là, sa force. Il était là, son courage. Elle était là, son audace. Il était là, son engagement. Descendre le rêve de son piédestal, couper les fils qui le retenait au plus près de la lune, charger à coup de fusil à pompe le ciel, ses étoiles, tout ses mystères, toute sa grâce, ce qui intrigue, interroge, dérange pour le faire descendre au plus près du bitume. De tout ce gris qui ensevelit de son tour aigri, elle avait fait table en marbre, comme un de ces objets antiques ou anciens que l’on conserve pour se souvenir, se rappeler. La seule touche de ses lèvres témoignait d’un changement de dimension, d’un changement de perspective. Il aurait suffit qu’elle en dépose une trace sur cette table, qu’elle se serait écroulée sous le poids de sa puissance, sous son propre poids en fin de compte.

 

            Au fil des jours, au fil du rouge, ce dernier s’épanouissait. Exprimant tour à tour la passion rutilante, évoquant ses joues si souvent rubicondes sous le coup de la douce envie de tout et de rien qui la comblait jusqu’aux pommettes, révélant tout le pourpre de sa tenure, de sa dignité. De jour en jour, de lettre en lettre, de ces petits mots distillés, chauffés et montés à la vapeur, donnant lieu par la volatilité des sentiments, par la légèreté des passions, un distillat qui s’épurait à l’infini. Bientôt on atteindra un tel degré de pureté, une telle condensation des émotions que l’ivresse ne sera plus qu’un phénomène auto-entretenu en partie par nous-même, mais disposant en même temps d’une entité propre, d’une existence à part entière. La passion avait pris le dessus. Elle nous possédait, nous dominait, nous dictait nos comportements. Nous aussi, nous étions en train de finir comme eux, comme tous, comme des riens, des petites entités dépossédées, frustrées par ce qu’elles subissent. Pour tous, c’est le chiffre, le calcul, la prévision rationnelle, la spéculation, l’espérance de gain, le retour sur investissement, l’amortissement, le taux interne de rentabilité, les cases, les lignes, les tableaux, les droites, les courbes de croissance, la spéculation encore, le Nasdaq, l’inflation, les courbes de croissance toujours, la spéculation, les métastases. Pour nous, le rêve, l’espoir assouvi, la passion, la fureur, les sentiments, l’émotion, les sensations, la délectation, la vigueur, la légitime démence, la folie, la démesure, les trous, les pointillés, les fresques de nos frasques, les courbes de son corps, les sensations encore, la fusion, la jouissance, les courbes de son corps toujours, les sensations, l’extase. 

 

L’intensité ne la quittait jamais. Dès que je la lisais, dès que je la sentais, dès que je la vivais, je ressentais cette force si communiante. Même si les lettres se faisaient plus rare, rien ne manquait. On avait appris à vivre non dans l’amoncellement de faits, de gestes, de rencontres, de paroles mais dans l’instant qui recelait une puissance inexploitée. On en savourait chaque particule pour en tirer toute l’essence et s’en nourrir, s’en renforcer, pour s’en dispenser finalement. Profiter de l’instant pour s’exonérer du temps. La rareté progressive de nos entrevues n’en affectait ainsi pas notre plaisir. Je m’étais fait de ses lettres une sorte d’autorisation de visite. Sans l’une d’elle, je n’aurais pu la retrouver le soir même dans son bar ou même dans sa chambre mansardée qui surplombait ce même troquet. L’écriture se faisant plus rare, les entrevues l’étaient aussi. C’était, en quelque sorte, sa manière de me préserver.

 

            Le grain de ses lèvres avait petit à petit colonisé le reste du visage. J’avais l’impression qu’elle arborait un éternel nez rouge, sorte de pied de nez à la vie, de croche-pied à celle qui nous accroche, qui nous amoche aussi, si souvent. Une sorte d’ironie du quotidien, d’ironie du petit rien, fuite en avant du spectre lumineux sortant des ténèbres pour atteindre l’extrémité rutilante. Ses pommettes bien loin d’accueillir une de ces épaisses couches de retouche avaient progressivement changé de teinte pour mieux révéler et réveiller le pigment des sentiments qu’elle n’avait de cesse d’afficher au plus grand mépris de tous les mépris justement. Ce qui ne se voyait pas se laissait deviner et un rapide regard passionné ne laissait plus de doute sur ce qu’elle était venu chercher dans cette vie. Ou plutôt sur ce qu’elle avait trouvé, en écumant les airs de ses bras lestes le long de ce fil de plomb, qu’aucun n’osait plus remuer de peur de perdre pied, loin de la gravité terrestre, pour finalement y retomber.

 

 

            Il n’y avait même pas besoin de l’ouvrir. L’enveloppe en disait assez long. Pour y mettre des mots on pourrait dire, comme l’avait déjà affirmé Homère, que « sa vie s’enfuit avec son sang », le verso de l’enveloppe arborant en guise du sceau de ses lèvres, celui de son sang. Elle avait vidé tout son sang dans cette passion, tout son amour y était passé, et sa vie aussi. Même les lettres l’avaient abandonnée dans son dernier battement: elles avaient troqué leur pourpre et repris leur sérieuse noirceur pour la laisser sombrer doucement dans l’oubli.