Archive pour juin 2007

ne me quitte pas

Leaving You

 

            Bon voilà, il s’agit du dernier texte de ce blog pour cette année en Finlande, en attendant une reconversion de cette friche verbale vers autre chose. Pour dernier texte, une petite reprise du très beau « living-room » de Paris Combo, métamorphosé en « Leaving you » pour la circonstance. Leaving you, parce que c’est ce que je m’apprête à faire en quittant la Finlande, leaving you, c’est ce que nous avons tous plus ou moins fait, en quittant notre petite routine en venant vivre pour un an quelque chose de particulier, de différent, à rencontrer de nouvelles personnes, à découvrir de nouveaux pays, de nouvelles cultures, alors que désormais tous, tour à tour, nous nous apprêtons à dire adieux à cette vie-là. Alors tâchons tout de même de faire que ce ne soit qu’un leaving you à la Finlande mais pas un leaving you à ces découvertes, qui doivent toujours continuer et toujours nous enrichir. Parce que même loin de la Finlande, même après érasmus, on peut (on doit) continuer à être curieux, à s’interroger sur le monde qui nous entoure, à vouloir aller à sa rencontre :

 

 

Nous avons tous vécu d’amour dans ce jeune pays
Où seuls de jeunes, de très jeunes loups ne se sont pas assis
A la recherche de leurs libertés

Loin de conserver leurs intégrités

Alors, aimons-nous sur le nez
Ça nous fait toujours rigoler
Allez oui, aimons-nous, entre nous
Ça fera toujours des histoires de fou
Quand ils en viendront à des manifs
Et des ventes de mitaines
Pour que nos petites vies se refroidissent
Dans le silence et la rengaine
Alors quoi, on va coucher dehors
Chez les autres, chez les autres qu’on adore
Auxquels on pense quand ils retournent à leur cuisine
A leur leaving…

Leur leaving-you
C’est pas du flan, c’est pas du vent
C’est le leaving des jeunes loups savants
Leaving… Leaving… Leaving…you

Nous sommes tous venus, mon ami
Nous y sommes tous passé, c’est inscrit
Dans notre œil, tu vois, au fond ça luit
De souvenirs d’avoir vécu, de souvenirs

D’avoir ressentis ces ondes
Ces sentiments qui abondent
Mais non, mais non, voilà qu’on nous bonde !
Car il faut se laisser s’en aller
parce qu’ici aussi on ne fait que passer

A vivre une autre vie, mon ami,
Non, faut pas de la sorte vivre
Car pour vivre, faut se laisser y aller
Du voyage, pour passer sa vie

De l’autre côté de la frontière, de la ligne d’or, dehors
Y’en a des tonnes, que plus jamais on ignore
Maintenant qu’ils en sont, en retournant à leur cuisine,
A leur leaving…

Leur leaving-you
C’est pas du flan, c’est pas du vent
C’est le leaving des jeunes loups savants
Leaving… Leaving… Leaving…you

Voilà comment, quand on y pense
Nous sommes tous devenus des canadiens
Des zoulou, des ricains, des autrichiens
Dans nos réserves sans surveillance
Et qu’on n’aille pas s’isoler
En troupeau ou bien regroupés, jamais esseulé
Dans les réserves d’à côté
On est sûr de tomber sur un pote

Un melting-pot de première

Qui vous remembrera, c’est son affaire !
De vous faire donner l’envie
Des voyages interdits

Interdits dans nos vieux pays
Où seuls de vieux, de très vieux singes sont assis
Dans leur cuisine, où ils s’emmerdent

Ceux à qui on a dit leaving…

Leaving-you
C’est pas du flan, c’est pas du vent
C’est le leaving des jeunes loups savants
Leaving… Leaving… Leaving…you

 

 

Je laisse la version originale pour ceux qui veulent regarder les modifications réalisées ( parfois très mineures, mais justement je voulais essayer de coller un peu au texte qui est très bien écrit d’ailleurs) ou pour ceux qui veulent le texte pour le culture personnelle:

 

 

Nous sommes tous nés d’amour dans ce vieux pays
Où seuls de vieux, de très vieux singes sont assis
Aux commandes de nos libertés
Aux manettes de nos intégrités

Alors, tapons-nous sur le nez
Ça les fait toujours rigoler
Allez, tapons-nous, entre nous
Ça leur fera toujours de gros sous
Quand ils nous vendront des canifs
Et des idées malsaines
Pour que nos petites vies s’enfouissent
Dans la violence et la haine
Alors quoi, on va coucher dehors
Sous les ponts, sous des ponts d’or
Que d’autres auront construits pour aller de leur cuisine
A leur living…

Leur living-room
C’est pas du flan, c’est pas du vent
C’est le living-room des vieux singes savants
Living… Living… Living…room

Nous sommes tous nés, mon ami
Nous sommes tous vivants, c’est inscrit
Dans notre œil, tu vois, au fond ça luit
D’une envie de vivre, d’une envie

De parcourir le monde
Cette bonne terre si gironde
Mais non, mais non, voilà qu’on nous gronde !
Cas sans laisser-passer
Faut pas se laisser aller

A rêver d’une autre vie, mon ami,
Non, faut pas rêver
Car pour rêver, faut des «laisser-passer»
Du papier, pour passer sa vie

De l’autre côté du pont, des ponts d’or, dehors
Y’en a des tonnes, c’est pas qu’on les ignore
Car on les voit souvent passer de leur cuisine
A leur living…

{au Refrain}

Voilà comment, quand on y pense
Nous sommes tous devenus des éléphants
Des gnous, des girafes, des orangs-outangs
Dans nos réserves sous surveillance
Et qu’on n’aille pas s’égarer
En troupeau ou bien tout seul, isolé
Dans les réserves d’à côté
On est sûr de tomber sur un os

Un ostéopathe de première

Qui vous démembrera, c’est son affaire !
De vous faire passer l’envie
Des voyages interdits

Interdits dans nos vieux pays
Où seuls de vieux, de très vieux singes sont assis
Dans leur cuisine, ils gambergent
Pour améliorer leur living…

{au Refrain}

 

 

 

 

jeudi 7 juin 2007

voyage en laponie

Voyage en Laponie

 

 

Bon voilà, une série de texte (d’où cette introduction) sur mon voyage à vélo en Laponie. J’avais longtemps pensé à ce voyage et il a beaucoup évolué avant et même pendant. Avant surtout parce que le projet initial devait me permettre de rallier le Cap-Nord. Mais  après l’épuration ethnique, j’avais inventé l’épuration vacancière : on réduit le programme des vacances : ainsi de ce trajet initial, il ne reste qu’un segment de trajet : d’Oulu à Inari, avec en plus des étapes sous-abri ( via hospitalityclub dont je parle plus dans les textes). Oui j’avais donc proposé une énième mouture de mon projet à mes parents( on se croirait à l’assemblée Nationale) et je l’avait envoyé par e-mail. Ne recevant point de réponse, je commençais à en arriver aux pires conclusions : ma mère me trouvait toujours aussi cinglé, mon plan toujours aussi tordu et peu raisonnable et du coup avait décidé de couper les ponts. « ça lui fera les pieds à ce garçon » ce serait-elle dit. Mais rien de tout cela puisque 2 jours après je reçu une réponse des plus agréables qui disait, pour résumer, qu’ils trouvaient mon projet plus réfléchis et sécurisé. Et puis dans la foulé, j’avais même enfin une réponse de la prof à laquelle j’avais envoyé un essai et dont je n’étais pas sûr qu’il soit bien arrivé. Pendant ce temps, dans le fond, Kaolin chantait une doucereuse mélodie donnant envie de croire au bonheur, de se dire, que, oui, on peut construire une ronde autour de la Terre, une ronde où tous, blancs, noirs, jaunes, rouges ou verts, nous serions tous réunis, se donnant la main…enfin bref, je vais maintenant me laisser la parole avec ses 2 textes dont divisé en 3 parce que sinon, c’est très long…

psychanalyse de rêve en une leçon

L’essence des rêves

 

 

Et oui après « la science des rêves », voici l’essence des rêves. Un texte à mi-chemin entre la psychanalyse (avec de l’analyse des rêves pour essayer de tirer la substantifique moelle de mon rêve d’aller au cap nord à vélo en partant de Tampere) et de la politique nordique ( spécialement incarné par l’esprit de conciliation, de négociation : étant ici question d’organiser des négociations entre mon cœur et mon cerveau, entre la raison et le cœur, entre la droite et la gauche en quelque sorte ( la raison toujours un peu conservatrice, essayant de brimer toute avancée, allant même jusqu’à faire reculer la machine, faire faire marche arrière alors que de son côté le cœur lui veut aller de l’avant, soufflant derrière lui un vent de liberté qui le pousse vers les plus hautes cimes de l’initiative et de l’avancée, donnant un souffle nouveau à la vie, abondant l’organisme de sang neuf et vivifiant). Mais cette négociation s’avère bien difficile pour un français pour qui ce clivage gauche-droite est encore essentiel).

 

Oui, après tous les échos familiaux, ces réflexions fournies, je me suis surpris en train de réfléchir sur mon rêve, de l’analyser, d’en chercher la substance profonde. C’est d’ailleurs très agréable de réfléchir sur des rêves : mettre du raisonnement sur de l’émotionnel en quelque sorte. Parce que ce conflit entre sentiment/émotion et raison est bien une des clés de ce problème. C’est d’ailleurs l’élément qui fait que le dialogue familial est en l’occurrence compliqué : la communication existe bien ( c’est d’ailleurs très bien et elle se fait avec une relative sérénité) mais il n’y a pas de dialogue à proprement parlé ( à ce stade de la réflexion) pour le simple fait que le registre n’est pas le même : de mon côté, c’est le cœur qui parle alors que du côté parental c’est plus le cerveau. Du cœur, comment faire entendre raison au cœur, qu’il s’écrase enfin et lâche l’affaire ? mais vous avez déjà vu un cœur écrasé ? j’en ai vu dans des couples et bien, c’est pas joli à voir. Un cœur écrasé, c’est une grosse masse rouge inerte qui aurait souhaité continuer l’aventure mais qui n’a pas pu, une boule rouge à qui il n’a pas manqué grand chose, juste le « petit quelque chose » qui métamorphose tout. C’est vrai que le cœur a sa dignité et qu’il se laisse pas avoir comme ça. Il a même des valeurs : « à cœur vaillant, rien d’impossible » disait Jacques Cœur. Et là, il met du cœur à l’ouvrage à vouloir aller au cap nord, mon cœur[1]. L’air de rien, il a ses idées le cœur. Comme dirait l’autre, « le cœur a sa raison que la raison ignore ». mais de son côté le cerveau n’est pas en reste et lui aussi a ses propres raisons ( logique pour ce cœur névralgique de la réflexion). Mais des fois, le cerveau est un peu froid et manque de passion. Il manque de cœur, toujours là un peu à bouder dans son coin, à rester au coin du feu le soir[2], à se dire « non j’veux pas y aller », « c’est trop dangereux, si on calcule les coûts et les gains, on y perd, alors on reste là »[3]. alors que le cœur, lui sait faire fonctionner les jambes ( et pas seulement parce qu’il distribue le sang aux jambes[4]), il sait trouver les arguments ( parce qu’il usurpe même les termes du cerveau) pour les convaincre de se mettre en mouvement et de se bouger le cul. Alors du coup, entre les deux énergumènes qui dirigent mon corps, j’ai un peu le cul entre deux chaises. Mais le cerveau a su viser en plein cœur et c’est plutôt le cas de le dire : mon cerveau (par l’intermédiaire de mes parents, parce que le mien dans cette histoire semble lentement sortir de convalescence et s’est gardé pendant longtemps d’intervenir) rappelant à mon cœur qu’on ne peut pas partir comme ça, alors que des proches se font un sang d’encre à mon sujet, parce que oui, on ne vit pas tout seul sur cette Terre, des personnes comptent sur nous et même tiennent à nous. Heureusement j’ai bien le cœur sur les lèvres et donc le dialogue se fait en pleine sincérité mais je vous avouerais qu’ayant le cœur sur les lèvres, j’ai peur qu’il se fasse la malle, du fait du mal au cœur[5]. Alors il me faut trouver un terrain d’entente ( et donc un terrain de détente pour cette fin de mois de mai initialement consacrée au périple à vélo pour aller au cap nord), engager un cœur à cœur entre les deux organes avec une relation de confiance entre les deux pour permettre un dialogue serein. Mais trouver un vrai terrain d’entente que ce soit pas comme lorsque le cerveau exploite le cœur et le met à son service comme lorsque le cerveau décide qu’il faut apprendre quelque chose « par cœur ». du coup ce dernier se retrouve complètement spolié au point qu’à la fin de l’exercice, il faut aller se dégourdir le cœur. Il ne faut pas non plus que l’on en vienne à l’inverse comme dans ces situations outrageuses où le cœur se décide à utiliser d’une façon un peu machiavélique tous les outils du cerveau. Cette expropriation est parfois caractéristique de rencontres amoureuses où la foudre qui a frappé en plein cœur ce dernier, celui-ci se décide à mettre en œuvre tous les stratagèmes possibles pour arrimer les deux cœurs ensembles, une sorte de rationalisation des affaires de cœur, si l’on veut.

 

Alors moi, du coup, j’ai décidé de trouver la substance de mon rêve ( rêve étrange par ailleurs puisque pas une seule fois, j’en ai rêvé la nuit, seulement un rêve éveillé, pas un de ces rêves qu’on ne sait jamais si il va/doit se réaliser, non un de ces rêves déjà un peu ancré dans la réalité parce qu’il a été rêvé consciemment, en quelque sorte sans que le cœur ait à attendre que le cerveau soit endormi pour franchir la barrière entre subconscient et conscient. Le cœur n’a pas eut besoin du détour par les bois ou la montagne pour franchir la frontière : il est juste passé directement par la douane : le cerveau était là à contrôler. Il a juste demandé des papiers d’identité, demandé le motif de passage et a finalement laissé passer. C’est un peu la mondialisation aussi dans mon corps : l’effacement des frontières qui fait que n’importe quoi peut passer d’un organe à l’autre, que les éléments du subconscient peuvent désormais légalement passer dans le conscient. Il est sans doute temps de rétablir les frontières et l’autorité du cerveau pour contrôler tous ces trafics et renvoyer dans leur subconscient ( traduisez leur sud pour une politique migratoire traditionnelle) tous les clandestins tout en interdisant le rapprochement d’idée ( traduisez le rapprochement familial) ). alors si on pense à ce rêve, les éléments constitutifs sont relativement important : il y a d’abord l’idée d’aller au cap nord et voir le soleil de minuit. Mais en soi, ça ne suffit pas. Pas question d’y aller en voiture. Y aller en train et en bus ? c’est un peu mieux mais pas encore top. Donc rapidement l’idée du vélo s’est imposée dans mon rêve. Il a pris mon rêve par les cornes pour le guider jusqu’au cap nord. Ensuite y aussi cette vieille idée ( parce qu’un rêve est une construction, un assemblage de plein de choses, un mélange, un grand melting-pot d’idées qui vont et viennent, s’assemblent ou au contraire se détachent) de voir la Laponie l’été. La Laponie l’été, c’était sans doute à mes yeux plus intéressant que la Laponie enneigé des longs hivers finlandais. Mais après avoir vécue cette Laponie j’avais encore plus envie de voir l’autre face de la Laponie : après avoir vu la Laponie de nuit ( voyage en Laponie à noël oblige), je voulais la voir de jour, voir ces longues et interminables journées de mai où le soleil n’en finit pas de veiller, arriver dans cette contrée au moment où l’on ne sait plus quand on est nuit, quand on est jour, quand on commence à mélanger les jours et les nuits, où l’on perd le sens de l’orientation temporelle pour ne plus distinguer des jours, des nuits, des semaines, des mois ( bon d’accord pour les mois c’est un peu exagéré). Ensuite dans les éléments essentiels de ce rêve, peut-être dois-je ajouter l’envie de vivre quelque chose de complètement différent. Après cette année Erasmus, certes forte enrichissante, je souhaitais vivre quelque chose que peu de gens vivent, vivre dans un autre monde, d’une autre manière pendant quelques temps : alors l’idée de partir à vélo, avec ma tente et mon sac de couchage que je pose un peu où je veux chaque soir me plaisait particulièrement : partir vivre autrement, très simplement, loin des animations, du tumulte de la vie, des boites de nuit : juste rouler une bonne partie de la journée, apprécier le paysage, voir des église de bois perdues au milieu de la campagne, poser ma tente, me faire à manger au feu de bois, aller me laver dans le lac qui me servirait également de paysage nocturne, écrire un peu et puis lire aussi et puis enfin m’endormir d’un coup, éreinté par cette journée pour ensuite repartir le lendemain. Oublier le temps d’un séjour le conflit israélo-palestinien, Sarko dernièrement élu président, les déboires du Football Club de Nantes Atlantique, mes problèmes de cœur… tout oublier, même le temps au point de ne plus savoir quel jour on est, quelle heure il est. Moi, qui envie parfois ceux qui sont partis pour le bout du monde pour cette année Erasmus, j’avais aussi envie de m’inventer mon bout du monde : c’était donc le cap-nord, en quelque sorte un bout du monde, si l’on considère que la Terre a des bouts ce qui est loin d’être sûr ( Gustave Parking dit bien «  mais la Terre n’a pas de coin, c’est pour ça que la Terre est ronde »). Ca ne vous fait quand même pas rêver de se dire : « demain je pars au bout du monde ? » Bah moi, si. Alors j’ai remplacé « demain » par «  en mai » et « bout du monde » par « cap nord » et ça a donné ce rêve.

 

            Jours après jours, alors que les fondations du rêve étaient sereinement montées, j’en voyais déjà la charpente, le toit. J’avais même les dépendances dans la tête. J’étais en quelque sorte habité par ce rêve alors que je lui construisais justement son habitation en mon sein, c’est tout dire, si les choses se construisaient bizarrement. Dans cette habitation, il y avait même un vieux gramophone qui jouait une interview de Jacques Brel. La force de sa philosophie de la vie emplissait toute la maison et notamment cette phrase résonnait dans chaque pièce avec un échos qui aurait fait plaisir à Gérard Schivardi qui se serait senti entendu « Les hommes sont malheureux parce qu’ils ne réalisent pas les rêves qu’ils ont. ». Tandis que cette autre phrase semblait lui répondre pour hâter la construction de la maison du rêve « Il est urgent de ne pas être prudent ». Dans la maison du rêve, c’était donc l’effervescence et tout le monde souhaitait accélérer la construction du rêve.

 

            Mais cette maison des rêves n’était pas isolée. Elle avait tout un voisinage qui semblait s’opposer à la construction de ce nouveau rêve qui semblait mettre en danger l’équilibre du quartier. Il fut alors question d’amender le rêve : mais peut-on amender un rêve ? c’est bien là qu’est la question. Le projet de rêve avait été proposé par le groupe du cœur à l’assemblée de l’organisme. Il avait réussi a rallier derrière le projet le groupe des muscles qui s’étaient laissé convaincre de l’initiative avec en tête l’idée de relancer l’activité économique, de redonner du travail à tous tout en permettant de conquérir de nouveaux marchés. Mais l’opposition s’était vite mobilisée face à ce projet : le groupe du cerveau (noyauté par des éléments étrangers à l’organisme, notamment les arguments apportés par la famille qui constitue, rappelons, le premier partenaire social de l’organisme) en premier lieu  avait lancé la fronde, bientôt suivi par tout le système digestif qui trouvait ce projet beaucoup trop coûteux pour des résultats escomptables beaucoup trop faibles ( les possibilités de relancer l’activité économique de l’organisme restaient limitées alors que les coûts en terme alimentaire allaient fortement augmenter laissant l’organisme en déficit alimentaire voire même allant jusqu’à dépasser les 3 % du PIB[6] autorisés). Face aux risques en terme de sécurité (notamment liés au fait d’être seul), le cerveau ( toujours appuyé par l’ambassadeur de la Famille) avait proposé un contre-projet, celui d’un trek en Laponie pour finir au Cap Nord. Le projet s’appuyait notamment sur l’argument sécuritaire et l’argument social : possibilité de rencontrer d’autres personnes. Mais le cœur et ses alliés semblait dur de l’oreille et défendait bec et ongle le projet initial. Les réunions à l’assemblée étaient houleuse même si le respect entre les deux camps était respecté et ainsi le dialogue était plus que permis. D’un côté, le cri du cœur et l’envie de partir à l’aventure, de l’autre l’appel de la raison qui rappelle qu’un rêve ne se réalise pas nécessairement dans l’instant mais que parfois il faut savoir attendre. Alors que pour le cœur, on estime justement qu’on a assez attendu, qu’on attend toujours trop alors qu’il faut désormais agir et tenter quelque chose de nouveau, tenter le changement, essayer de « bouger les lignes » (comme dirait Bayrou) parce que si l’on essaye pas, rien ne se passera. Le cœur semble conscient qu’il peut y avoir échec mais lui d’invoquer tour à tour Truman Capote ( « l’échec est l’épice qui donne la saveur au succès »), Churchill (« le succès c’est d’aller d’ échec en échec sans perdre son enthousiasme » ) ou même Mary Pickford ( «  ce que l’on appelle échec n’est pas la chute, mais le fait de rester à terre ») avant même de finir avec Shakespeare qui disait « Ils ont échoué parce qu’ils n’avaient pas commencé par le rêve »[7]. A cette dernière référence, toute la partie gauche de l’hémicycle se dressa comme un seul homme et l’orateur du cœur terminait son discours sous les vivats. De leur côté tous les députés de droite huaient et le président de l’assemblée eut bien du mal à obtenir le calme dans l’enceinte parlementaire.

 

            La session parlementaire doit s’achever le 15 mai prochain, devenant alors date butoir pour ce projet de rêve. A cette date, nous pourrons enfin savoir ce qui aura été décidé. Il se murmure dans les couloirs de l’assemblée que le cœur va proposer un projet amendé afin d’obtenir la majorité sur ce vote décisif ( il faut bien évidemment rappeler que l’alliance constituée entre le cœur et les jambes reste minoritaire mais ce nouveau projet pourrait séduire le système digestif et une partie du cerveau ce projet produisant certains gages en matière de sécurité). Il se pourrait que ce projet réduise le trajet opéré en vélo et développe les moyens de communication avec l’extérieur ( et notamment la famille qui pourrait y voir certains gages de sécurité et pourraient tirer profit de ce projet). Un argument, souvent présenté comme argument gadget, pourrait aussi avoir son importance dans les débats : celui de l’achat d’un casque de vélo. Mais de nouveau le dialogue risque d’être compliqué et le consensus difficile à trouver. Le rêve aura beau se dérouler dans les pays nordiques, chantres du consensus, les négociations concernant les modalités pratiques du rêve restent franco-françaises et de ce fait quelque peu frontales, en espérant un heureux dénouement à toute cette histoire, que je puisse le 16 mai partir, où que ce soit, par n’importe quel moyen, le cœur léger.

 

 

 

 

vendredi 20 avril 2007.

 


[1] Ici, « mon cœur » ne réfère en rien à une quelconque romance et à ces mots d’amour si souvent usité. Mais peut-être qu’un jour « mon cœur » ( quand je saurais qui sait, et que j’aurais trouvé une autre manière que celle-ci pour la nommer parce que cette expression est devenue tellement galvaudée qu’elle ne pourra correspondre à l’amour unique que je porterais pour elle) il voudra aussi aller au cap nord.

[2] mais remarquez, si par bonheur il venait à se rapprocher du feu, peut-être pourrait-on espérer un cerveau brûlé, un de ceux sur lesquels il manque la fonction « réflexion »

[3] Le célèbre « coût-avantage » de l’homo oeconomicus, supposé rationnel.

[4] Même si c’est vrai que le soutien accordé aux différents organes au cœur relève pour beaucoup du clientélisme

[5] même si, en tant que jongleur, je pourrais bien l’attraper dans une de mes mains si il venait à tomber : ce sera pas plus mal, d’avoir le cœur sur la main non ?

[6] Produits ingérés bruts.

[7] Mais ils n’ont pas pensé à citer Bacri qui disait que l’ «on passe sa vie à meubler » sur quoi ils auraient pu rebondir en disant que dans ce cas, il valait mieux choisir de bien se meubler et éviter de prendre une pauvre table en formica.

du sud au nord 1

Je voulais revoir ma Laponie.[1]

 

Jeudi, 1er jour, Oulu :

 

            Bon, on ne peut pas dire que les choses ont commencé mais elles sont lancées. En tout cas, ils n’étaient pas décidé à me faire regretter de partir : encore une nuit entrecoupée de bruits, de dérangements, de portes qui claquent, de disputes dans le couloir et d’amants dans le placard. Et puis un moment, j’eus bien cru que c’était fini. Enfin le silence. L’ultime, celui qui permet d’entendre les conduites d’eau ; Mais qui l’eut cru. Ce ne fut que pour repartir de plus belle : les portes et les rires qui claquent de nouveau avant que ce ne soit, une nouvelle fois, l’alarme incendie qui fasse des siennes.

 

            Mais bon tout cela s’est envolé et aujourd’hui, je me retrouve à écrire des inepties sur une table en bois dans un cottage minable, table sans doute posée là pour le côté rustique et coller à la dénomination « camping nostalgy ». Là je réapprends à vivre autrement et contrairement à Jospin qui voulait gouverner autrement si il était élu et donc n’a jamais pu le faire, moi je m’y applique dès aujourd’hui : il est bien loin le temps du thé préparé facilement en posant une tasse dans un micro-onde, bien loin celui des repas consistants et qui épatent tout le monde. Voici venu le temps ( « des rires et des chants, sur l’île aux enfants, c’est tous les jours le printemps »)du thé transvasé dans une bouteille en plastique parce qu’on a pas de tasse, des pâtes au sel ( et rien d’autre). donc pour l’instant, mon rêve de voyage en Laponie s’apparente beaucoup à une expérience sociologique consistant à se mettre dans la peau d’un SDF… Mais attendons la suite…

 

            En attendant, à moi de vous narrer à quoi a pu ressembler cette nouvelle vie, quelques tranches d’une seule vie, celles de ce train où l’on ne paye pas pour les vélos, moi qui croyait que tout se payait en Finlande ( en plus par la même occasion j’ai appris qu’il n’y avait pas que les inter-city qui prenaient les vélos), celles de ce départ sous le ciel et cette question qui me hante désormais, celle de savoir pourquoi cette question du temps me hante : pourquoi à chaque voyage que j’effectue le temps que je peux avoir au départ est pour moi un élément marquant ? Est-ce l’envie d’y voir un signe sur le voyage ? un beau temps en signe d’un beau voyage ? Remarquez, ça serait peut-être vrai : le ciel voyage que j’ai fait cette année avec un ciel merdique au départ, tout ne s’est pas vraiment passé comme prévu : il s’agissait des îles åland[2] ( un voyage, qui d’ailleurs, m’a donné de l’espoir pour celui-ci, me rappelant que tout peut toujours s’arranger et qu’on peut compter sur les autres). Ou est-ce que cette obsession météorologique est une sorte de compensation quant à l’impossibilité de savoir comment les temps ( et pas météorologiques cette fois) seront durant le voyage ?

 

            Je pourrais également parler des rideaux qui lamentablement pendent aux fenêtres et qui se révèlent être encore pire que ceux de Lapinkaari… tout cela me fait penser à un joli parallèle : pendant que Sarko prend une retraite ( pour habiter le costume de président et donc représenter au mieux les français) sur un yacht de 60 mètres de long au large de Malte, moi j’ai décidé de prendre ma retraite au grand air, avec pour seule habitation un vélo d’ 1,5 mètres de long, un vélo pour une dizaine de jours, même si sur le vélo, y a une deuxième habitation, une tente ( c’est un peu comme les poupées russes où les choses sont imbriquées les unes dans les autres, comme la vie finalement). Malgré tout, à l’instar du « petit poisson » des wriggles, je n’avais « pris que le strict nécessaire », pour vivre pendant 10 jours bien loin des artifices de notre vie moderne, bien loin du superflu, une vie avec quelques vêtements, de la bouffe ( à renouveler régulièrement), du matos pour parer à toute hypothèse en terme de problème technique avec le vélo, un bouquin parce que je veux emmener de la culture dans la nature, mes balles de jonglage pour pas perdre la main ( c’est le cas de le dire)[3], un guide de conversation de finnois pour pas perdre la face si je dois parler en finnois, un duvet pour pas perdre de degré la nuit, du papier et des crayons pour ne pas en perdre une miette.

 

            Malgré tout, je commençais bien le voyage moralement : ne jamais perdre espoir. D’ailleurs alors que le temps était plus que gris et humide sur Oulu, j’en vins même à être dérangé par le soleil sous les coups de 18h30. On est vraiment tranquille nul part !!! 

 

Vendredi, 2ème jour, en fait le vrai 1er jour, Oulu-Simo ( 80Km) : phrase du jour, bonjour : « il m’énerve ce nerf » (déclaré suite un nerf bizarre qui m’a fait des siennes sur la fin du parcours.

 

            Le ciel d’un bleu aussi pur que la vie que j’ai à mener pour 10 jours, une vie sans alcool, sans couche-tard, avec lève-tôt. En tout cas, voilà encore une fois, j’ai parlé du temps qu’il fait et notamment du fait qu’il était agréable, ce temps qu’il faisait. C’est vrai que c’était vraiment parfait : grand ciel bleu, très peu de vent, 10-12°, tout ce qu’il faut pour pas avoir froid ( sauf aux mains mais j’ai pensé aux gants[4]). Et du coup je pense en avoir bien profité de ce temps : et pour cause, en prévision de la pluie que je vais avoir demain ( c’est en tout cas, ce qui est prévu), j’ai fait 10 bornes de plus, donc de moins pour demain. En plus, en arrivant à Kuivaniemi ( ma destination originellement prévue), j’avais plutôt du temps : j’arrive donc à côté de l’église ( charmante d’ailleurs) et je regarde mon portable pour en savoir plus du temps qui passe (parce que pour celui qu’il fait, juste à lever la tête et regarder le ciel. Remarquez, avec un tel ciel, on peut aussi en profiter pour savoir le temps qui passe mais je voulais quelque chose de précis) : résultat : 11h40. Je suis parti vers 8h45… 3 heures pour faire 70 Kilomètres et des brouettes… autant vous dire que mon vélo va plus vite qu’une brouette ! en pensant quelques instants plus tard aux marathoniens qui font 44 bornes en un peu plus de 2 heures, je me suis senti un peu ridicule. Mais eux n’ont pas tout un bardât sur leur porte-bagage, ne sont pas amateurs ( quoique pour certains…mais ceux-là ne mettent pas 2 heures), se préparent pour ça… J’étais tout de même assez satisfait, avoir fait 70 kilomètres ( plus 10 autres ensuite, donc) à cette allure ( sans le sentiment de forcer, mais qu’est-ce qu’un sentiment, seulement une impression fugace qui bien vite s’envole alors que dans notre cerveau il trotte doucement, prêt à nous interdire tout jugement), sans aucune souffrance ( sauf mes parties génitales, qui, le regrettera sans nul doute l’ami Brassens, ne pourront plus « battre le tambour », ni « être portées par une enfant de chœur comme un saint sacrement »). Et puis, je ne les regrette pas ces 10 bornes supplémentaires qui du coup m’ont permis de trouve un camping avec des cabines à louer.

 

            J’aime ce genre de gérant, de celui que j’ai rencontré aujourd’hui : à la question de savoir si son camping est ouvert, il me répond « oui et non ». en fait il était fermé mais me loue une cabane tout de même. Et puis, c’est le genre de mec, proche de celui que j’avais pu rencontré sur les îles åland, de celui qui aime bien parler. A voir ces 2 énergumènes, j’en viens à trouver infondé le stéréotype des finlandais silencieux et chiants. Evidemment, le fait qu’ils soient en contact avec des touristes ( et notamment des étrangers) aide leurs langues à se délier. Mais tout de même, j’ai vu quand même un certain nombre de finlandais bavards, ou en tout cas normalement bavards. En plus, entre eux, ils se parlent : allez faire un tour au sauna et vous verrez. Seulement, ils ne se forcent jamais à parler, ce qui en ces temps modernes d’hypocrisie et de « balivernes verbales » est une véritable valeur. ( je ne citerais pas de nouveau Gustave Parking qui disait « mieux vaut ne rien dire et ne pas passer pour un con que de l’ouvrir et ne laisser aucun doute à ce sujet » mais je pourrais bien le citer quand même…). En tout cas, je sais que si tous les hommes étaient finlandais nous pourrions construire cette fameuse ronde tout autour de la Terre et chanter « I believe I can fly… » Evidemment, il y trouve aussi son intérêt ( il y gagne de la tune mais il m’aide en même temps et le fait avec la manière, et j’en suis sûr, avec sincérité).

 

            Mais tous les finlandais ne sont pas comme ça et en allant faire deux ou trois courses, j’ai surpris à mon endroit cet air de dédain, celui qu’on adresse à l’étranger, à celui qu’on connaît pas, celui qui n’est pas d’ici. C’est quelque chose que j’ai rarement ressenti en Finlande et pour cause, ce mépris ne vient en rien du fait que je ne suis pas finlandais mais du fait que je ne suis pas de leur village ( comme le chantaient les têtes raides : « Toi, t’es pas de notre village/ On peut bien l’dir’: ton salivage/ On en a marre, on est à bout./ Donc, faudra qu’on passe aux carnages/ Y’rest’ plus qu’à s’rentrer dans l’chou. »). En les voyant tous ces gens, je les plains plus qu’autre chose. Mais c’est un certain sentiment de dégoût pour la campagne aussi. Je me sens en général bien à la campagne mais l’esprit agriculteur me dérange : cet esprit agriculteur, c’est ce dont j’ai déjà parlé il y a bien longtemps, cet esprit plus ou moins constitutif de l’agriculture elle-même : l’agriculture est sédentarisation, acquisition de terre et défense de cette terre. Du coup, l’agriculture est devenu terroir ( ce qui a aussi ses bons côtés, toutes proportions gardées), isolement et  conservatisme. C’est cet esprit qui fait que celui qui n’est pas de « chez nous » ( un « nous » incluant peu mais excluant surtout « des autres ») est regardé de travers, cet esprit qui fait qu’on regarde bizarrement un voyageur, à la fois par ce côté étranger et ce côté « sans-terre », alors que pour l’agriculteur ce qui compte, contrairement à ce qui peut souvent être dit, ce n’est pas « la terre » mais « sa terre ».

 

            Mais en parlant de voyage, on pourrait se dire ( et moi le premier) que le voyage que je suis en train d’accomplir sort complétement de cette réalité bien orchestrée, régulière et sans variations. Mais d’une certaine manière, on retombe très facilement dans cette régularité : certes, je voyage, donc je découvre de nouvelles choses (comme ce restaurant grill vu sur la route, qui habituellement incarne une certaine virilité, des hommes forts qui bouffent de la viande mais qui était peint en rose… ou comme cette antiquaire qui avait monté la table et les chaises sur son camion et on aurait presque pu se croire chez Kusturica…) , je rencontre de nouvelles personnes, je vois de nouvelles têtes tous les jours. Mais ma vie s’avère être bien réglée : pédaler le matin, manger, trouver un lieu pour dormir, une douche, écrire, lire, jongler, manger, lire, aller se coucher. Mais remarquez, je dis ça, mais ça ne fait que 2 jours que je suis parti. Alors attendons la suite…

 

            D’ailleurs alors que je m’apprêtais à conclure pour ce jour, je pointe déjà un bémol à ce que j’ai dit quelques lignes plus haut, en expliquant que ma vie de voyageur était bien réglée : finalement, ce soir j’ai passé la soirée au sauna avec Esko ( le proprio, si vous préférez). Comment résumer Esko ? sans doute par cette phrase qu’il a lui-même lâché durant ce sauna : « normal is better »[5]. Parce que sa vie est simple mais semble t-il bonne : il passe des journées entières avec ses amis à boire un peu et à aller au sauna ( je suis sûr que ce genre de personnage pourrait être dans un film de Kaurismäki). Mais je dis boire, mais pour lui, c’est pas pareil : il ne boit que de la bière et pour lui, la bière, ce n’est pas de l’alcool…en tout cas, on a passé en revue pas mal de chose avec lui : les suédois d’abord qu’il n’aime pas trop. Il n’a pas vraiment avancé de raison à cela mais les a plus ou moins assimilé aux gens d’Helsinki, qui pensent tout savoir et d’un certaine manière arrivent sur leurs grands chevaux. On a fait aussi les français ( les touristes qui viennent dans son camping tout du moins, ceux qui boivent au bord de la rivière pendant la nuit et partent en moto au petit matin). Les russes ont aussi eu droit à un petit portrait : alors, chez les russes, il y a ceux qui viennent chercher des baies et des champignons et puis y a aussi ceux qui boivent : mais de la vodka, eux, pas seulement de la bière. D’ailleurs énorme contraste entre ces russes qui selon lui sont sympas (même si ils ne viennent en général que sur les conseils de leurs amis) et les russes que l’on voit en Russie et qui sont infect à tout ce qui ne ressemble pas de près ou de loin à un russe. On a parlé de poissons aussi et notamment des championnats du monde de saumon ( Simo : «  temple of the salmon »)qui se sont déroulés à Simo avec plus de 5000 personnes qui arrivent d’un coup pour repartir peu de temps après. Il m’a parlé du coup de sa caravane qui abrite son centre de haute technologie à lui, son ordinateur avec une sorte de radar qui permet de connaître la taille, la fréquence de passage des saumons. Cette rencontre, c’était aussi l’apprentissage d’une autre normalité, celle des gens d’ici, de cette région : entre l’étonnement conté des touristes qui ne voient pas le soleil se coucher, le calme du village, la possibilité de prendre son temps ( celui qu’on peut prendre de parler à la caisse au magasin ou ailleurs), la normalité d’une vie simple bien loin de ces villes du sud ( Helsinki et Tampere essentiellement) où tout est disponible, où règne l’agitation. Mais malgré cette vie simple ( qu’il reconnaît lui-même, ce n’est pas un jugement condescendant), il savait qu’on avait un nouveau président et un nouveau premier ministre ( nommé la veille). En fait, je viens de rencontrer l’autre côté du campagnard, celui qui est bon vivant, aime bien l’humour, sait partager et aime le faire. En tout cas, je ne sais combien de cigarettes j’aurais pu fumer cette soirée si je l’avais écouté : il a du m’en proposer une petite dizaine, n’entendant sans doute pas mes refus…parce que pour lui, c’est pas pareil, comme il dit : «  quand je bois, faut que je fume. Mais quand je bois pas, ça va ». le problème était qu’il buvait évidemment parce qu’on était au sauna…

 

Samedi, 3ème Jour, Simo-Tornio ( 55 Km) :

 

            A l’image de mon papier qui a pris l’eau, la journée fut humide. Ca faisait longtemps que j’avais pas pris la saucée à vélo. Sans doute pour ça que j’ai supporté les 2h30 sous la pluie. En tout cas, je ne regrette pas d’avoir poussé plus loin la veille, c’était toujours ça de pris. Mais le pire, c’est que ça a continué toute la journée. Alors en attendant d’aller chez la finlandaise d’hospitality club[6] qui m’accueillait ce jour, j’ai attendu pieusement dans une salle ( en fait dans le hall), à deux pas de l’église. Je me suis dit que les chrétiens ne pouvaient pas me refuser l’asile pour une heure… en attendant, j’étais content d’être arrivé, d’en avoir finir de pédaler sous la pluie, d’avoir passé Kémi ( puisque j’ai du passer par le centre-ville et autant dire que les pistes cyclables à la finlandaise ( autrement dit le partage du trottoir entre piétons et cyclistes), c’est pas vraiment le mieux quand il pleut et donc qu’on est pressé et qu’en plus on est assez chargé. D’ailleurs, y a une « cycliste » que j’aurais tué : elle ne m’a absolument pas vu et n’avançait pas. J’ai du faire des zigzag pour l’éviter et autant dire que les zigzag quand on est chargé, c’est pas un exercice des plus aisé…), d’en avoir fini avec toutes ces pistes cyclables (parce que les finlandais ont la manie de mettre des pistes cyclables autour des agglomérations ( en général 20 kilomètres avant et après) ce qui s’avère très agréable mais il y en a partout et qui vont dans tous les sens et sans indications… alors bien difficile de savoir laquelle prendre…)

 

            Et puis après une bonne douche (elle aussi bien humide), je suis parti à la découverte de Tornio. Mais sur les conseils de Kati, j’ai passé plus de temps en Suède, à Happaranda, juste de l’autre côté de la rivière. Et c’est vraiment incroyable comment de nos jours on peut passer une frontière… bien loin de la frontière avec la Russie…La seule différence ce fut avant tout le « centrum » en lieu et place du traditionnel « keskusta ». Mais à part la langue, pas grand chose de différent. On peut même payer en euros…peut-être l’heure : on fait à peine 1 kilomètre et on perd ou gagne une heure… utile quand on a oublié de faire un achat…

 

            Au final j’eus les pieds tout aussi trempés… à coup de ventilateur, j’eus des chaussures sèches. En tout cas cela montrait bien le côté positif du système hospitality club que je testais donc pour la première fois à cette occasion : on rencontre des gens qui ont vraiment envie d’aider : du fait de la base volontaire du système et de son côté non-lucratif, les gens sont vraiment généreux. Que ce soit l’accueil en lui-même, les différentes combines pour faire sécher mes affaires, le conseil de monter le vélo à l’étage pour pas avoir de problème, je pense être tombé sur quelqu’un de très coopérant, malgré le fait qu’elle avait le soir-même un concert et qu’elle était très occupé à cela. Elle a donc continué à vivre sa vie mais elle était disposé à me faire entrer dans sa vie : quand elle parlait avec son copain en finnois, il lui arrivait par la suite de me traduire en anglais ce qu’ils se disaient, ce qu’ils faisaient, elle m’invita également à son concert ( bon bien sûr il fallait que je paye l’entrée tout de même et finalement je n’y suis pas allé puisqu’elle devait jouer assez tard).

             Malgré tout, dans la soirée, alors que les bruits de la rue montent discrètement dans l’appartement, le vent se lève[7]. En plus, visiblement, comme penserait Sarkozy, c’est pas un vent Français, un de ceux qui ne bosse jamais et qu’on doit remettre vite au travail. Non, lui ne compte pas ses heures et se met directement au travail et s’attaque à chasser les nuages, les bouter au delà des frontières finlandaises. Alors quel temps pour demain ? attendons la suite…


[1] Cela fait évidemment référence à Gérard Blanchard qui en son temps chantait « elle voulait revoir sa Normandie ». Une chanson bien souvent écoutée dans ma plus tendre jeunesse en voiture, pendant les vacances en général. Ce titre n’est donc, une nouvelle fois, qu’une vulgaire reprise, mais une reprise pour moi, emplie de souvenirs. 

[2] Malgré tout, ce fut un voyage des plus sympa que j’ai fait cette année.

[3] Qui me donnèrent l’occasion d’une mission commando, une mission Rambo des bac à sable pour aller récupérer une de mes balle de jonglage qui s’était laissée tenter par le dessous du lit. La seule solution s’avérait alors celle de l’entraînement militaire, celui où l’on rampe sous les barbelé, dans la boue, tout ça pour s’entraîner pour aller se battre …au Soudan où y a pas de boue parce qu’il y a pas d’eau  ( ah non, on y va pas là-bas, j’avais oublié…) Il m’a donc fallu ramper comme un guerrier, comme un battant, comme un « gars qui n’en veut » comme disait les deschiens.

[4] Mon grand-père dirait débrouillard. Il est marrant mon grand-père des fois : l’autre jour ( en fait hier), il me dit qu’il vient d’apprendre que je partais en Laponie ( il pensait que c’était un autre pays que la Finlande), je lui donne des détails du voyage et lui, au lieu de trouver cela un peu dingue ou inconscient, il me trouve débrouillard…

[5] à l’origine, phrase utilisée pour la cuisine, puisqu’il préfère quelque chose de simple, sans en rajouter, pour être le plus proche possible du naturel, de l’original.

[6] Je crois qu’une note de bas de page s’impose réellement pour vous parler de cela : hospitality club est un site Internet où l’on s’inscrit : en s’inscrivant, on indique ce qu’on peut proposer à d’éventuels voyageurs : un logement pour dormir ( un morceau de sol, un canapé, une chambre à coucher…), un dîner, un tour des environs… enfin bref on propose selon ses possibilités, ses moyen. Ensuite on peut profiter de la contre-partie (gratuitement), donc de ce que les autres inscrits peuvent proposer. On peut donc par la suite contacter qui l’on veut pour quoi que ce soit et voir ce qui est possible avec la personne en question. C’est donc gratuit, basé sur le volontariat et permet de rencontrer des gens « du cru » quand on est en train de voyager. ce qu’on a à disposition. En échange on peut à son tour bénéficier

[7] D’ailleurs, je ne l’ai toujours pas vu comme film…

du sud au nord 2

Je voulais revoir ma Laponie – Part 2.


Dimanche, 4ème jour, Tornio, Aavasaksa ( 70 Km) :

 

            Après avoir décidé de ne pas aller voir Kati au concert ( son concert précisément), parce qu’il se faisait tard, je me réveillais après une nuit entrecoupée de réveils. Parce que la Finlande en été est très journalière ( en ce moment à Tornio ( qui n’est pas ce qui se fait de plus nordique en Finlande) autour de 20 heures de soleil par jour) mais ces cons ont des stores de merde ou des rideaux pas plus efficaces…donc on est tout le temps réveillé et le sommeil n’est jamais très profond. Mais là finalement c’est très agréable d’être réveillé par le soleil et en plus un véritable soulagement, parce que la pluie, une 2ème journée de suite, j’aurais pas supporté… en lieu et place de la pluie, j’ai pu profiter du beau temps. Une bien belle journée qui me fit me dire que ce que je pensais n’être jusqu’à présent qu’un voyage du « vécu », s’avérait aussi être un voyage du « vu ». puisque j’avais également droit à de merveilleux paysages et notamment ces rapides que m’avait conseillé Kati. Un endroit des plus sauvages où pas mal de finlandais amateur de pêche au saumon doivent aimer se retrouver de temps à autre. C’était un de ces coins de rivière dont on a pas par chez nous, même en montagne, c’était vraiment sauvage et majestueux, l’idée qu’on peut se faire ( en tout cas que je me fais) des « grands espaces », un peu ceux du Canada ( c’est l’image que j’en ai, sans pour l’instant y être allé) mais aussi, ceux plus proche de nous, ceux des pays nordiques où grands espaces riment avec nature pleine d’audace. Mais ce sont des grands espaces « colonisés »puisque ce paysage n’aurait pas la même tête et sans doute pas le même charme sans ces fameuses maisons de pêcheurs toujours toutes revêtues de rouge de la tête aux pieds.

 

Mais, c’était pas le tout et fallait que j’avance un peu et continue mon périple. Malgré tout en ce jour sec, je n’avais pas envie de me refuser des arrêts pour prendre des photos. Même si j’étais parti bien tard ( 10h45) pour ne pas trop déranger, j’étais loin d’être pressé. Et d’ailleurs, c’est bien vrai, puisque je suis en vacances, alors soyons aussi en vacances de stress et de toutes ces pressions devenues aujourd’hui tant à la mode.

 

Le temps était tellement radieux que j’en vins même à l’idée d’enfin faire du camping. Mais en cherchant un camping, je commençais à recevoir pas mal de gouttes. Et comme j’étais à côté d’un proprio qui loue des sortes de cottages, mon choix fut vite fait. Après avoir beaucoup réfléchi à cela, je pense que c’était pas si mal que ça : malgré tout, le côté aventurier est en train de disparaître de ce voyage, remplacé par une certaine sécurité. Mais d’un côté je ne regrette pas : avoir un toit, ce n’est pas plus mal si l’on veut en profiter pour marcher après ( surtout si on en revient trempé parce qu’on s’est pris une belle averse…), si on veut faire une lessive ( avec la possibilité que tout soit sec le lendemain)[1], si on veut pas se prendre la saucée quand on monte la tente, si on doit repartir le lendemain à vélo. Et puis la tente, j’en aurais besoin au moins une fois, je l’ai pas prise pas pour rien. Tout cela me fait dire que pour l’instant je n’arrive pas à regretter quoique ce soit en ce qui concerne ces vacances : même cette balade à pied dont je suis revenu trempé, parce que j’avais une belle vue de tout là-haut, du haut de cette tour qui fait parti de l’arc géodésique de Struve[2], parce que j’ai pris des photos bien sympa, j’ai pu apercevoir du haut de cette colline ( mais personne ne m’avait dit d’aller siffler là-haut, j’y suis allé de mon plein grès), la Laponie dont je rêvais, celle avec des collines entièrement boisées, avec des lacs comme légère écharpe de soie entourant ces monts d’altitude très faible, il faut bien le reconnaître. Mais attendons la suite…

 

 

Lundi, 5ème jour, Aavasaksa-Pello ( 50 km) :

 

            Bon je préfère tout de suite annoncer la couleur et jouer la transparence : j’écris avec un jour de retard, parce qu’hier (donc lundi) aucun moment à moi pour écrire. Je ne vais pas dire que Jani était collant mais, au final, j’ai pas eu le temps d’écrire. En tout cas, très belle journée. Départ, sous le soleil exactement. Un peu de vent, voire beaucoup au début. Résultat : j’avais l’impression de ne pas avancer. Mais passé les premiers kilomètres, c’était vraiment mieux, c’était même agréable, tiens. Enchaînement de montées et de descentes, montées pour avoir le temps de souffrir et de faire marcher les muscles et descentes pour se reposer et prendre un peu de vitesse. En plus je n’avais que 50 kilomètres, donc ce ne fut pas trop long. Et donc Pello fut bien vite en vue.

 

            A Pello, nouveau test avec hospitality club. Test plutôt concluant avec Jani. Une rencontre d’un troisième type, parce que ce fut la 3ème personne que je rencontrais dans ce voyage ( un 3ème type, si vous préférez), parce que ce fut également un 3ème genre de personne que je rencontrais après Esko et Kati. Difficile à cerner complètement le personnage mais rencontre très intéressante. Très vite, j’ai pu me rendre compte qu’il pouvait être classé dans cette catégorie, sans sens, celle des marginaux. Comme à mon sens, cette catégorie n’en a pas, je ne prends pas trop de risques…Jani n’est pas de Pello. Il vient de Lahti, du sud, donc. Il est venu dans le nord pour travailler pendant 6 mois pour ensuite voyager. Etrange parcours quand on pense que bien souvent le nord se dépeuple pour trouver du travail dans les grandes agglomérations du sud ou délaisse au moins la campagne du nord pour Rovaniemi ou Oulu. C’est qu’il y a dans son cas, la volonté de prendre ses distances. Pourquoi ? c’est pas vraiment clair en fait. Un des éléments fournis fut le fait qu’il faisait beaucoup de choses pour ses amis et ne sentait pas toujours la reconnaissance de ce qu’il pouvait faire. En partant, il espère montrer que les choses ne se font pas toutes seules. Mais il ne souhaite pas pour autant s’attacher à Pello. Résultat, il s’est surtout rapproché « d’adultes », plus que des jeunes. Et aussi curieux que cela puisse paraître, il trouvait plus facile de s’intégrer avec des personnes autour de la cinquantaine qu’avec des jeunes. Il trouvait par ailleurs les gens du nord plus ouverts que ceux du sud ( notant par ailleurs une forte différence entre les gens du sud et ceux du nord, moi qui pensait à une plus grande homogénéité dans cette faible population finlandaise…alors que finalement la Finlande serait une sorte d’Italie divisée entre nord et sud)

 

            Donc partir au nord pour ensuite voyager. Il voulait d’abord partir en Amérique du sud. Mais la Finlande semble contrarier ses plans : et oui en Finlande, le service militaire, c’est 6 mois et si tu veux pas, c’est le service civil ( du genre bosser dans une bibliothèque[3] ou tout du moins avoir un poste au service des autres) pour le double de temps et si tu refuses, c’est 6 mois en prison. Au final, je sais pas ce qu’il a décidé entre les trois mais il semblait farouchement opposé au service militaire. Un pacifiste me direz-vous ? je ne sais même pas puisque dans le même temps, il avait un copain qu’il voulait me présenter et qui a des flingues ( qu’il voulait me montrer). Question idéologie ? Anticapitaliste, il l’est dans le discours. Mais dans le même temps, il conservait ce drapeau « Forza Italia », pas pour Berlusconi, ses idées, ce qu’il représente, mais selon ses dires, en souvenir d’une manif’ à Rome (où il se trouvait en vacances) contre de nouvelles taxes levées par Prodi. Par ailleurs, il n’est pas plus cela renseigné sur Berlusconi. Musicalement ? aussi marginal, à refuser la soupe internationale.

 

            Mais dans tout cela, il y avait sans doute autre chose. Il avait l’air un peu perdu, en manque de quelque chose, en manque de confiance certainement mais aussi en manque d’écoute. D’ailleurs je sais pas si il avait beaucoup de relations dans le coin et beaucoup d’activités en dehors de son boulot. Mais en même temps, il fut vraiment des plus sympa et généreux : il m’a payé le repas, filé du shampoing finlandais ( fait avec la sève d’arbre, ce fameux « terva » finlandais, le même qui sert à calfeutrer les bateaux et qui fut la richesse d’Oulu et emplit toujours de son fort parfum certains endroits de la ville, donc un vrai produit naturel, comme la viande qu’il préfère chassée à celle industrielle. Mais en même temps, la viande de gibier, ça reste mineur dans la consommation de viande), ou le « fait comme chez-toi » qui prenait tout son sens ( tu veux un bière ? sers-toi. Tu veux un sauna ? je le mets en route et dans trente minutes, c’est bon…). Enfin bref, une nouvelle rencontre qui fait que ce voyage sera vraiment différent de ce que j’ai déjà pu vivre comme voyage, à bourlinguer jour après jour, à croiser des instants de vie, des morceaux d’humanité, des pièces de puzzle de certaines vies qui ne me permettront pas de reconstituer leur puzzle mais aideront aussi à construire le mien de puzzle. Mais attendons la suite…

 

Mardi, 6ème jour, Pello-Kolari (70Km) :

 

            Dès les premiers kilomètres, ce fut dur. Je m’attendais à une journée assez difficile. Je pense qu’elle le fut. Un vent pas des plus favorable, des montées et des descentes…le paysage était toujours des plus agréables et des plus élégants, des kilomètres sans habitations, seulement des arbres et rien d’autre ( si tout de même des lacs par moment). Ce fut donc la journée où il ne fallait pas lâcher et mettre les cris (légers tout de même) de mes jambes de côté pour aller plus loin, attendre tranquillement d’être arrivé, ne pas forcer mais ne pas flancher pour pas finir affalé sur le plancher. Je pense que ça me fera les pieds (ou les jambes plutôt) : eh oui, la veille je fanfaronnais, je me plaignais presque de n’avoir à pédaler que 2 à 3 heures par jour, je me remettais à rêver de tout de même aller au cap-nord … du coup, tout cela m’a ramené à la réalité du vélo, celle qui rappelle qu’après 4 jours de vélo, qu’avec des montées (même si il y a des descentes ensuite), qu’avec au moins 10 kilos sur le porte-bagage, qu’avec du vent, cela peut devenir plus difficile d’avancer…mais bon, on prend son mal en patience et on pédale à son rythme ( de toute façon, j’ai pas croisé d’autre cycliste donc aucune raison de suivre le rythme d’un collègue). Et puis, il manquerait plus que je me plaigne, je les ai choisi ces vacances et je les apprécie. Alors bon. Finalement, je n’ai pas été si long : à peine 3 heures pour faire 70 kilomètres. Donc encore une moyenne assez raisonnable. Comme quoi, en vélo, on avance tout de même pas mal. Même sans aller spécialement vite, ( ou en tout cas sans avoir le sentiment d’aller vite), on peut aller loin.

 

            Ce soir, nouvel hébergement :l’hôtel. Après deux ou trois essais ailleurs ( où j’ai même du utiliser mes talents d’orateurs en finnois mais ce n’est finalement pas ce qui est le plus difficile, la compréhension de la réponse à la question demandée étant bien souvent un exercice plus périlleux, ce qui pose bien des problèmes parfois… ). Comme ça, je complète ma palette de type d’hébergement pour ce voyage, en attendant d’utiliser la tente. Par ailleurs, j’ai aussi complété ma palette d’être vivants rencontrés dans ce voyage en croisant mon 1er renne. Je pense pas que ce soit assez significatif et assez particulier en Laponie pour que je me permettes de faire un vœux ou autre chose qui porterait bonheur, réaliserait ses plus grands rêves ou je ne sais quoi d’autre. En tout cas, il m’a regardé pendant un long moment, se demandant sans doute ce que je foutais là, à cette période de l’année, à faire du vélo en Laponie… même pour les rennes, je reste un incompris… à moins que ce n’était un renne qui manque d’ouverture d’esprit. Peut-être demain, en verrais-je des qui sont plus ouverts… attendons la suite…

 

Mercredi, 7ème Jour, Kolari-Kittilä (63 Km) :

 

            Etape de repos malgré moi. Repos physique et repos social : repos physique d’abord parce qu’en me réveillant il tombait des cordes. Autant dire que je tombais sur un nœud (de corde) pour poursuivre mon programme. Parce que la flotte, j’ai déjà expérimenté une fois et c’est vrai qu’une fois ça va, mais après bonjours les dégâts (comme quoi cette phrase ridicule ne marche pas seulement avec les boissons alcoolisées mais aussi avec l’eau). D’autant plus qu’avec cette journée de pluie, j’avais découvert que mes sacs et sacoches prenaient l’eau. Donc en plus d’être trempé en arrivant, j’étais obligé de mettre des vêtements à moitié humides. Et la journée ne s’annonçait pas forcément très facile avec pas mal de kilomètres et à priori du relief. Alors après avoir langui un peu à l’hôtel ( rien à redire d’ailleurs sur la chambre, il manquait juste TV5), je me renseigne sur les bus qui vont sur Kittilä : le direct était à 8h et le suivant ( en remontant sur Muonio puis en redescendant sur Kittilä) est dans 20 minutes. 20 minutes pour choisir :continuer vers Kittilä en bus, y aller à vélo et au diable la pluie ou carrément rentrer sur Tampere ( la météo ne s’annonçant pas des plus folichonnes les jours à venir). Au final, je me trouve dans une bonne dynamique et plein d’espoir pour la suite de l’aventure et refuse de rebrousser chemin. Malgré tout, la pluie ne m’attire pas plus que ça, alors je fais mes valises pour prendre le bus.

 

            Résultat : je me retrouve à glander 2heures et demi dans une station service de Muonio pour redescendre sur Kittilä. Mais je l’ai aussi dit, journée de repos social. Et pourtant, je me faisais une joie d’aller à Kittilä au moins pour une raison (outre celle d’aller au « S-Market » de Kittilä que j’avais un peu oublié mais qu’Antoine m’a rappelé, me renvoyant à noël quand nous y étions passé…) : j’étais hébergé ( quelqu’un d’hospitality club) et donc cela allait me permettre de rencontrer des gens nouveaux et différents et j’en étais sûr enrichissants. Mais pas de bol ( donc pas de Nesquik), je suis tombé sur des gens qui ne savent pas accueillir, ou pas comme je le souhaiterais en tout cas : et pourtant elle (Kaisa de son petit nom) aime accueillir via ce système : elle m’a plus ou moins fait comprendre qu’elle devenait, petit à petit pétée de tune parce qu’elle ne savait pas quoi faire de l’argent qu’elle gagne dans son boulot ( de prof’) : elle ne boit pas, ne fume pas, n’a pas de loisirs très couteux ( trekking et basket) et surtout ce qui importe pour ce qui nous occupe ici, n’aime pas trop voyager : la raison étant plus ou moins selon elle, qu’elle n’en a pas besoin parce qu’elle reçoit des gens qui viennent de partout. Conception assez étrange donc à la fois du voyage et de l’accueil. Apprend-on vraiment sur la culture de quelqu’un quand celui-ci est à l’étranger et voyage ( surtout si il ne reste qu’une nuit ou deux) ? vit-on cette culture ? est-on le même quand on est dans une situation de voyage (spécialement dans ce cadre d’hospitality club qui reste malgré tout assez particulier et peut inhiber certaines personnes) ? et puis, quand on ne voyage pas et qu’on ne fait que recevoir, sa position n’est pas la même : la rupture avec son propre quotidien ( en ce qui la concerne ça m’a semblé particulièrement vrai où ma présence ne permettait aucune rupture dans sa vie habituelle, tout continuait comme d’habitude) qui peut aider à la rencontre et à la découverte d’autre chose ne peut se faire dans ce cadre. Il faut voyager pour réellement pouvoir aborder les choses avec un regard totalement neuf. De même si tu ne voyages pas toi-même, il paraît plus compliqué de savoir ce qu’un voyageur sera en mesure d’attendre, spécialement avec ce système : pour pouvoir bien accueillir dans ce cadre particulier, il faut soit-même en parallèle être accueilli dans ce système : cela permet de vivre les choses, de voir l’autre face du système, de s’enrichir de la manière d’accueillir. Même à propos du fonctionnement du système lui-même, à propos de la manière d’accueillir, ce système doit permettre l’échange, le partage, l’enrichissement mutuel. Toujours est-il que j’ai pu poursuivre sans aucun souci ma lecture entamée plus tôt dans la station service. J’ai passé la majeure partie de l’après-midi ( et de la soirée) seul dans le salon. Elle, elle fut tour à tour à travailler (bon, ça, ça se comprend mais cela ne lui prit qu’une infime partie de son temps), à faire des lessives et surtout à parler avec son copain ( « je m’disais, toujours à bavasser ces deux-là… » Comme j’ai un contrat pour citer des phrases de Bacri[4] je me sentais obligé de placer celle-là…). Résultat, niveau rencontre, j’ai connu mieux… en plus j’aime pas sa façon de faire à manger : elle met pas de graisse quand elle fait cuire de la viande, elle met n’importe quoi dans sa pizza ( et de l’ananas en premier lieu)…

             Mais bon, l’essentiel reste qu’il va faire beau demain et donc que je peux reprendre la route à vélo… mais on sait jamais ce qui peut se passer, alors attendons la suite…


[1] parce qu’ici, bien loin du festival de Cannes, je n’ai que 2 tenues, une de jour pour rouler, l’autre pour le reste de la journée, pour faire un peu plus habillé. Alors du coup, il faut bien laver de temps en temps…

[2] arc qui va du nord de la Norvège à la mer noire et servi au XIXème à M Struve de mesurer la taille et la forme exacte de la terre.

[3] Mais j’ai récemment rencontré un mec qui a fait son service civil dans une école de cirque… alors que certains ( dont lesquels je fait parti) paieraient pour ça…

[4] c’est de mémoire donc pas nécessairement d’une grande exactitude…

du sud au nord 3

Je voulais revoir ma Laponie – Part 3.




Jeudi, 8ème jour (aucun rapport avec le film éponyme, quoique…), Kittilä-Pokka (90 Km, ou 105 pour ceux qui se perdent en route…) :

 

             Je m’attendais à ce que cette diagonale du vide ( celle qui relie Kittilä à Inari et qui est la route secondaire pour rejoindre Inari, alors que la route principale est celle de Rovaniemi, une jolie nationale) soit des plus ardues. Pour l’instant elle tient toute ses promesses : c’est donc une diagonale de 200 kilomètres qui doit être normalement divisée en deux jours ( on verra demain si c’est effectivement réalisable). Et pourtant, malgré la peur, j’avais envie d’en arriver là et de me frotter à cette partie du parcours. Maso ? je sais pas. Surtout qu’en plus j’ai réussi à me paumer ( en tout cas à ne pas trouver la route et du coup, je me suis rajouté des kilomètres ( 15 environs) et un peu d’énervement ce qui prouve qu’en la matière, il me reste encore des progrès à faire…). Pourquoi redouter cette partie ? déjà par sa longueur : ce sont mes deux plus longues étapes à vélo ( je n’ai, même avant,   ce voyage jamais roulé plus de 70 kilomètres d’affilé …), un relief qui ne devrait pas être tout à fait plat ( sans être pour autant montagneux), un désert humain ce qui restreint énormément les possibilité d’hébergement et celles de retour en cas de besoin. Du coup, sur ces deux étapes, le fait d’être seul prend tout son sens. C’est là que le mental ne doit pas flancher. Et il n’a pas flanché. Je n’ai rien lâché, j’ai continué de pédaler, j’ai souvent changé de braquet (comme dirait Bernard Thévenet) pour être sûr de finir mais j’ai fini. J’ai fini quoi ? j’ai fini où ? j’ai fini cette première partie qui m’amène à Pokka, seul village ( et c’est encore trop fort comme terme…)sur cette route, après une cinquantaine de kilomètres sur cette piste de terre. Quelques kilomètres avant, je jubilais : « asphalte, goudron, bitume, macadam… »je croyais enfin en avoir sous les roues et en avoir fini avec cette piste plus ou moins merdique mais non, cette piste m’a accompagné jusqu’à l’entrée dans Pokka…

 

            Alors dans Pokka, il n’y a rien. Ça je le savais, mais il devait tout de même y avoir un café ( qui vend aussi de la bouffe)et un camping. Mais tout était fermé et le village désert. J’ai trouvé un seule âme qui vive et qui m’a laissé appeler (moyennant finance) deux minutes en France pour rassurer les miens. Du coup, j’ai continué dans la démarche « hospitality club » et me suis installé dans un sauna laissé ouvert. J’ai frappé à toutes les portes, tenté d’en ouvrir pas mal et seule celle-ci s’est donné le mal de s’ouvrir. Du coup, je vais passer une nuit à peu près au chaud, au bord de l’eau, au bord de la rivière, en compagnie d’un écureuil qui semble habiter les lieux ( c’est tellement magique qu’on se croirait dans la chanson de Tryo : « Assieds-toi près d’un vieux chêne/ Et compare le à la race humaine/ L’oxygène et l’ombre qu’il t’amène/ Mérite-t-il les coups de hache qui le saigne ?/ Lève la tête, regarde ces feuilles/ Tu verras peut-être un écureuil/ Qui te regarde de tout son orgueil/ Sa maison est là, tu es sur le seuil… »). Mais l’aventure à Pokka ne s’arrête pas là : à côté du sauna ( dont j’occupe la partie vestiaire précisément parce que le sauna proprement dit est fermé[1]), y a deux autres cabanes, un endroit pour faire du feu et la rivière. Bref, un cadre enchanteur. Donc après avoir piqué une tête dans la rivière (très rapidement parce qu’elle était bien froide), j’ai fait un petit feu (j’avais emmené des allumettes, du coup, elles n’ont pas fait le voyage pour rien )et je me suis concocté un thé au feu de bois (c’est délicieux avec de douces effluves de fumé !)avant de déguster de dégueulasses mais nourrissantes pâtes au feu de bois. Alors faire un feu, c’est pas tellement le problème. Ce qui l’est plus, c’est faire cuire…et là de nouveau, il faut savoir être patient : on est loin du micro-onde et du thé prêt en 2 minutes chrono. Pour un thé au feu de bois, compter 15 minutes ( sans compter le temps pour faire le feu lui-même). Pour les pâtes, il faut les laisser au moins 20 minutes ( dans l’eau à peine bouillante, parce que pour la voir bouillir, c’est pas évident non plus) pour espérer quelque chose de cuit. Enfin bref, c’est le retour des joies sauvages comme dirait Gustave Parking…avec tous les beaux paysages de la journée ( et les rennes qui ont tranquillement pris la pose pour moi), cet instant sauvage ( c’est mieux que « l’instant norvégien » des robins des bois…)restera dans ma mémoire, tout comme les efforts accomplis…mais attendons la suite…

 

Vendredi, 9ème jour, Pokka-Inari (110 Km) :

           

            Bon j’ai passé la nuit en compagnie de l’écureuil ( à qui j’aurais aimé répondre cette réplique de « retour vers le futur 3 » : « tu ferais mieux décamper l’écureuil ») : en fait, on faisait plus ou moins une colloc’ ensemble : lui prenait le toit et la partie centrale du sauna et moi, le reste. Et c’est dingue le vacarme qu’un écureuil peut faire. A certains moment, j’aurais plus cru qu’il aurait pu s’agir d’un ours…mais bon, entre deux instants à côté de la bête sauvage faisant tout son cirque, j’ai du dormir un peu… en tout cas, je pense que j’ai du dormir, puisqu’au petit matin, j’avais deux jambes en parfait état de marche ( ou de vélo, si vous préférez pour l’occasion). Et heureusement finalement. Au réveil, le temps était gris. Une petite averse mais rien de bien méchant. Donc je me prépare à partir. De toute façon, je vais pas rester plus longtemps dans ce bled, y a vraiment rien à y faire. Il faut continuer, c’est indéniable. Donc c’est parti. Je quitte mon squatte pour en avoir un autre, celui-ci par contre organisé par Hospitality club. Et le fait de savoir où on arrive, ça aide grandement à se motiver : même si on arrive trempé, on sait qu’on sera accueilli et même si c’est pas à bras ouverts, ce sera toujours un accueil. Légère douleur au pied en début de parcours, espérons que ça passera…heureusement, ça s’estompe. Ce qui ne s’arrête pas par contre, c’est le vent ( et pourtant les arbres ne bougent pas. Mais je suis sûr qu’il ne s’agit pas de ce vent fictif, celui de la vitesse, puisque même dans les montées je ressens le vent. La pluie aussi ne semble pas vouloir s’estomper. Ce qui n’était qu’une légère bruine devient averse. Voilà, j’ai fait 15 kilomètres, je suis déjà trempé et il me reste 90 bornes…en plus le ciel ne laisses espérer autre chose. C’est pas grave, on va continuer doucement mais aucune raison de s’arrêter. D’ailleurs, j’essaye bien de m’arrêter une fois mais les frêles arbres de la région n’abritent rien et ne me sont d’aucun secours. En plus, par la même occasion, je m’embourbe à moitié dans le bas-côté… non, il faut continuer un point c’est tout. « tais-toi et pédale » en quelque sorte.

 

Mais y a un truc auquel j’avais pas pensé et ce truc, il s’agit de la neige. Et elle vint. Du coup, j’en venais un peu à désespérer ( dans ma tête, je ne sais combien de fois je me suis répété « c’est pas possible, c’est pas possible… ». Mais impossible n’est pas français ni même finnois apparemment). Alors face à ce temps finlandais complètement impossible, j’ai choisi mes armes français en me disant que c’était impossible de s’arrêter là. En même temps, cet impossible est aussi bien finlandais, en ce que ça correspond vraiment au « sisu » finlandais, cette vertu qui veut que les finlandais n’abandonnent pas et ne lâche pas, même si tout semble aller contre eux. Et donc malgré moi, j’ai continué. Physiquement je me sentais bien. J’avais seulement les pieds et les mains en permanence gelés ( donc pas de quoi faire des pieds et des mains) et le reste du corps par intermittence. Du coup, c’est bête de se dire qu’on va arrêter alors que physiquement tout va bien. J’ai pensé par moment à faire du stop. Mais l’envie de continuer et de finir cette étape me tenait plus à cœur. Du coup, je continuais à rouler malgré moi. Finalement rien de plus logique que de continuer : on s’est lancé dans l’étape, pas de possibilité de s’arrêter, donc on continue. Si on s’arrête, qu’est-ce qu’on va faire ? attendre ? attendre quoi ? le déluge ? il est déjà là. Godot ? il vient jamais ce con… mais par contre j’en venais à me dire que j’étais quelque peu moralement masochiste : je pense souvent que la contrainte a quelque chose de positif et de constructif, qu’elle libère ( c’est bizarre à dire) et qu’elle stimule ( pas moins étrange…). Que ce soit cette année à cuisiner sans grandes possibilités ou lors de ce voyage où les conditions météo peuvent donner des ailes.

 

Finalement j’ai plutôt eu raison de persévérer et de ne pas céder à la facilité qu’aurait été le fait de faire du stop. Puisqu’à 35 kilomètres de l’arrivée, des éclaircies dans le ciel se faisait sentir. L’espoir de finir, aujourd’hui, avec le vélo, était désormais là( j’avais envisagé de l’abandonner comme on abandonne un animal domestique ou un vieux trop encombrant sur une aire de repos sur la route des vacances, dans l’hypothèse du stop). Malgré tout, je comptais les kilomètres : les pancartes indiquant tous les 10 kilomètres se faisaient attendre. Mais le moral était là, du coup, le physique aussi et pendant un moment, je revins sur mon meilleur triumvirat, mon triumvirat de vitesse 5-6-7 ( parce que, oui, en général je tourne sur 3 vitesses majeures).

 

Arrivé à bon port, chez une saami qui au premier regard a l’air très accueillante mais semble malgré tout bien décidée à sa propre vie tout en m’y tenant un peu à l’écart. Moi qui rêvait d’en apprendre plus sur la culture saami, je vais peut-être devoir me contenter du musée Saami d’Inari…mais attendons la suite…

 

Samedi, 10ème jour, Inari[2] :

 

            Je voulais découvrir la culture saami, je pense que j’en ai eu un aperçu. Mais seulement un aperçu. Bien sûr je ne pouvais pas manquer d’aller au SIIDA :  non, il ne s’agit pas d’une faute de frappe ni d’un centre consacré à la recherche contre ce virus, mais du musée saami d’Inari, une des grande attraction de la ville par ailleurs. D’ailleurs très bien fait, comme musée, très agréable et assez instructif. De quoi en tout cas aiguiser un peu plus ma curiosité sur ce peuple du nord, surtout que comme beaucoup de peuples dits « primitifs » le rapport à la nature qui fait tant défaut à nos sociétés est chez eux toujours présent : que ce soit dans la religion où les dieux sont plus ou moins des incarnations des éléments naturels ( y compris le renne, considéré parfois comme une image mythique et divine), dans les pratiques courantes (incluant la religion bien souvent comme les « cérémonies »( guillemets parce que c’est sans doute un trop grand mot pour ce que c’était) organisées autour de la chasse où la place dévolue à la nature est toujours hautement consacrée)… c’est finalement dans ces régions où la nature est la plus hostile, la plus difficile à conquérir que le respect est le plus grand, comme si cette affrontement permanent avec des éléments que l’on ne peut maîtriser s’accompagnait d’un profond respect et la volonté de ne pas altérer cette situation, comme un respect de nombres de joueur de tennis à Federer, comme un respect de Thaïlandais pour leur roi[3], le respect des faibles face au fort parce que ce dernier les respecte également.   

 

            Il y avait ce week-end à Inari, un festival de musique saami dont Elle ( c’est le nom de la fille qui m’accueillait) m’avait parlé par e-mail et m’avait plus ou moins convié. Mais comme pour le reste en ce qui la concerne, j’ai été un peu déçu : j’aurais voulu pouvoir partager cet instant assez particulier avec quelqu’un de cette culture, pouvant par instant, m’expliquer, me donner des informations complémentaires. Mais en rentrant du musée, Elle n’était pas à la maison. Et je l’ai pas vu de l’après-midi. Mais j’étais malgré tout décidé à voir à quoi pouvait ressembler cette musique saami et notamment les Joik, ces fameux chants saami en général chanté à capella ( parce qu’à défaut d’en apprendre plus sur les saami par l’intermédiaire d’Elle, j’étais allé faire un rapide tour sur Wikipedia où j’ai appris l’existence de ces joik). Donc je suis tout de même allé au concert. J’ai pu malgré tout y croiser Elle mais comme pour le reste du temps, on a pas vraiment échangé beaucoup. En revanche, j’ai beaucoup plus discuté avec un mec venant d’Helsinki ( qui m’avait vu le matin même au musée et est venu tout de go me parler, une politique bien étrange pour un finlandais tout de même…)qui était là avec des russes ( qui passent la journée à boire du thé et ne pas vraiment avancer sur ce qu’ils ont à faire, à passer plus de temps en palabre qu’en acte) pour faire une sorte de reportage sur les saami. Dans tout ça, j’ai tout de même pu apprécier la musique saami, qui malgré les paroles pour moi encore plus incompréhensibles que du finnois, m’a beaucoup plus. Ces fameux joik à capella dégage vraiment quelque chose : on sent passer l’émotion oscillant entre colère et amour, tendresse et sagesse ( en tout cas, c’est ce que ça m’a fait ressentir). Il y avait notamment cette vieille, qui, pour un de ses joik, s’est mise à danser et à bouger les bras, c’était d’une telle fraîcheur !!! un petit instant ailleurs, un petit moment de bonheur. Bon ensuite y avait des choses aussi très spéciales parce qu’ils ont décidé de mélanger leur musique traditionnelle avec des choses beaucoup plus modernes comme cette jeune ( ado) qui chantait sur de la musique qui peut être qualifiée de mélange entre de la dance des 90’s et des fichiers midi ( pour ceux qui connaissent pas ce genre de fichier informatiques, ce sont des fichiers audio avec un son un peu synthétiseur bien merdique et des tonnes d’effets ridicules). Y avait aussi le groupe qui clôturait la soirée, la tête d’affiche en quelque sorte qui jouait en quelque sorte du métal ( mais du métal gentillet). Malgré tout, les parties plus traditionnelles m’ont particulièrement plu, si ce n’est parfois cette insertion de cris d’animaux qui peut parfois faire un peu bizarre.

 

            Au final, je n’ai donc peu appris sur les saami d’aujourd’hui puisque ce rôle aurait du être dévolu à Elle. La seule chose que j’en déduis de sa vie, c’est qu’il semblerait que la place de la communauté soit très importante : chez elle, c’était la famille : t’avais toujours quelqu’un qui rentrait et sortait de la maison, quand tu rentrais, tu pouvais être sûr qu’il y aurait quelqu’un sans que ce soit forcément elle (en rentrant du concert, y avait un mec affalé sur le canapé et en me réveillant le lendemain, j’ai découvert qu’il y en avait un autre dans une chambre d’amis), mais en général quelqu’un de la famille. Donc la porte est toujours ouverte chez elle. D’ailleurs elle est vraiment ouverte pour n’importe quoi : durant l’après-midi du vendredi, à un moment, deux mecs sont rentrés (d’ailleurs, jamais aucun ne s’est étonné de ma présence, et a demandé qui j’étais…) seulement pour aller au toilette : ils sont rentrés, sont allés au toilette et sont repartis. Peut-être certains se rappellent du sketch des nuls où Dominique Farrugia ( du temps où il n’était pas riche et du coup pas supo de satan euh soutien de Sarko je veux dire) allait chier chez ses voisins, eh bien c’est plus ou moins la même chose ici…  enfin bref, j’étais un peu déçu (seulement par le fait de n’avoir pu partager avec elle )… mais attendons la suite (ou la fin plus exactement)…

 

Dimanche, 11ème jour, Inari-Tampere ( je sais pas combien de kilomètres mais plus de 1000, c’est sûr) :

 

            Bon voilà, la décision était déjà prise, mais c’est le moment de le faire : il faut désormais rentrer sur Tampere. Prendre le bus jusqu’à Rovaniemi avant de prendre une nouvelle fois ce train de nuit pour Tampere, celui où ceux qui ont de l’argent prennent une couchette et ceux qui n’en ont pas essayent de dormir tant bien que mal dans un wagon normal…c’est désormais la fin et déjà l’occasion d’un bilan[4]. Evidemment en repartant alors que le temps est splendide, les regrets viennent forcément à l’esprit. Pourquoi rentrer dès à présent alors que le temps est parfait ? pourquoi ne pas aller plus loin ? et ce cap-nord dont j’avais tant rêvé ? on le laisse au placard ? bien oui, pour l’instant il reste dans le placard des rêves, mais pas à un étage trop haut, pour rester accessible et qu’il soit possible de l’attraper quand j’en aurais envie, que j’ai pas besoin d’un tabouret ou je ne sais quoi. Mais c’est vrai que lorsque Virpi ( une amie finlandaise à qui j’avais touché deux mots à propos de ce voyage) m’envoie un message alors que je suis dans le train du retour pour me demander où j’en suis dans mon voyage et que je dois lui répondre que je suis justement en train de rentrer, ça fait un peu bizarre… mais je pense qu’il est facile de regretter au présent, il est plus difficilement concevable de regretter dans le passé. En conséquence de quoi, le regret n’existe pas, ou n’est qu’un sentiment qui nous embrume l’esprit (je vous laisse réfléchir là-dessus, comme dirait Gustave Parking). J’aurais même envie d’ajouter que les regrets à posteriori ne valent rien : ce sont des sentiments du présent sur un passé révolu dans l’espoir qu’il aurait pu se passer autrement. Pour poursuivre sur ces idées de regret, je pourrais aussi dire que si l’on regrette à priori (ou pendant), c’est que l’on doit poursuivre ce que l’on a à faire et passer outre les regrets tandis que regretter à posteriori c’est projeter le présent dans le passé et ainsi oublier la concordance des temps. En définitive, pour finir sur ce sujet, je dirais que l’essentiel est de ne pas regretter sur l’instant. Tout le reste n’est que reconstruction du passé et de l’instant vécu. Mais malgré tout, ce regret que, de la sorte, je tente de rejeter, de regretter, est plus ou moins normal quand il devient question de rêve et que celui-ci, au fil des temps s’est réduit comme peau de chagrin ( j’exagère un peu, il en restait pas mal de ce rêve originel) : quand on recentre un rêve, il reste dur de ne pas ressentir une certaine désillusion quant aux périphéries délaissées. Alors, c’est sûr les choses ne se sont pas passées comme prévues, je ne suis pas allé jusqu’au cap-nord, mais d’une certaine manière, un rêve bien construit et réalisé à l’image du plan pré-établi, est-ce un rêve souhaitable ? j’ai parfois laissé de côté l’aventure ( je n’ai d’ailleurs pas passé une seule nuit sous la tente) pour plus de sécurité en choisissant des lieux en dur pour dormir. Mais n’était-ce pas plus sûr pour une première expérience de voyage à vélo ? et puis l’aventure pourquoi ? pour dire : « moi j’ai vécu à la dur pendant une semaine » alors que du coup, tu ne peux profiter de tout, du temps d’une petite marche, d’un bon repos le soir ? alors, c’est vrai, ça fait moins héroïque, mais je pense pas avoir fait ce voyage pour me forger une figure de héros, d’homme fort qui domine toutes les conditions et peut faire face à tout. Sans doute je voulais me prouver quelque chose, mais certainement pas tout cela.

 

            Un autre élément essentiel de ce voyage aura sans douté été l’idée de voyager autrement. J’ai bien sûr expérimenté le vélo. Et il faut bien avouer que les distances étaient faibles ( surtout quand je compare avec cette discipline cycliste dont j’ai appris l’existence il y a peu et qui s’appelle l’ultra-cycling et dont un exemple pourrait être le Raid Provence Extrême : ils ont fait 600 kilomètres comme moi, mais en une fois : ça veut dire qu’ils roulent aussi de nuit. Sachant qu’en plus, ils ont 10 000 mètres de dénivelé (avec entre autre deux Ventoux à se grimper)…mais c’est pas trop le genre de truc qui m’attire mais qui permet de relativiser quand on voit les têtes d’ahuris des gens quand tu leur dis que tu as fait 600 kilomètres en 8 jours) mais ça m’a donné le goût de continuer et je sais désormais à quoi peut ressembler ce genre de voyage (sachant en plus que mon entraînement en amont était assez restreint du fait du climat finlandais et les étapes étaient aussi conditionnées par le climat et donc par l’hébergement). De plus je pense que ces distances peuvent facilement être augmentées et je prends tout cela comme une première expérience qui aura donc été loin de me dégoûter. Ensuite j’ai pu aussi tester de nouveaux modes d’hébergement et notamment ce système d’hospitality club qui permet de super choses mais dont on peut voir les limites assez rapidement. Le principal risque est celui de tomber dans l’hospitalité au sens pauvre du terme ( le terme pauvre étant ici polysémique) : cela peut atteindre à la fois l’hôte et l’accueillant : l’invité dans l’optique d’un hébergement gratuit et l’accueillant dans un rôle de charité chrétienne qui ne fait qu’aider matériellement sans échange « spirituel ». du coup, on apprend beaucoup sur la notion d’accueil, de don, de partage dans ce genre d’hébergement : ainsi, à mon sens, il existe deux types d’accueil : celui où l’on accueille dans sa vie et celui où on accueille à côté. Donc un accueil comme intégration à sa propre vie, un autre comme réalité distante où la rupture avec ses habitudes n’existe pas. Il y a donc soit disparition du statut d’hôte (pour celui de membre actif de la vie de l’autre) soit continuation du statut et continuation de vies parallèles mais en aucun cas croisement de vie et encore moins mélange. Dans cette logique, dans mon cas, Esko ( le gars du camping) fut le plus intégrateur, venant ensuite Jani ( le jeune sudiste venu bosser au nord). 

 

            En tout cas, je garderais de tout cela des souvenirs grands comme la Finlande, des personnages dans ma têtes, des paysages dans mon cœur ( et réciproquement), la mémoire d’un voyage un peu différent, sans doute un peu étrange pour beaucoup, mais ô combien agréable. Comme dirait Mathilde : « les voyages bizarres, c’est génial ». surtout pour finir une année comme celle-ci. Mais attendons la suite…[5]

 

 

P.S : ce texte a donc été écrit au cours du voyage lui-même mais je me suis tout de même permis certaines largesses en le retapant, donc ce n’est pas de l’authenticité pure…

 

 

mardi 5 juin 2007.

 


[1] en fait il ne l’était pas, il suffisait de pousser un peu plus fort la porte…

[2] à partir d’ici, plus rien n’est écrit au jour le jour, mais quelques temps après.

[3] Je tiens cela d’un étudiant thaïlandais présent en Finlande qui nous disait l’autre jour combien leur roi était respecté et du coup avait une autorité sur l’ensemble de la population en cas de conflits, d’oppositions, de divisions.

[4] Bilan fait pendant le voyage retour et pendant les jours qui ont suivi.

[5] Il fallait que je finisse par ce gimmick qui s’est imposé jour après jour dans mon texte…