Archive pour septembre 2010

voyage aux plats pays (5/15)

Voyage aux plats pays (5/15)


5ème Jour : Dordrecht-Utrecht.


L’expression du jour : prendre un bol d’air.

Cette expression est d’un intérêt tout particulier car elle permet de remonter à de très anciens temps, au Moyen-âge plus précisément. Les spécialistes la date du XIème siècle, en plein moyen-âge hollandais10. Bien entendu, la Hollande de l’époque n’était pas celle que nous connaissons aujourd’hui, notamment sur le plan de son organisation politique. Le pays était divisé en de très nombreuses entités, pour certaines très réduites. Cette division administrative du pays correspondait plus ou moins aux Polders hollandais. Plus ou moins car certains seigneurs, ne pouvant se contenter du leur, avaient débuté des conquêtes sur les terres de leurs voisins. Ainsi avait débuté ce que l’on nommera rétrospectivement « La guerre des Polders » qui durera jusqu’au XIVème siècle. Or à chaque conquête d’un nouveau polder par un seigneur de guerre, une cérémonie de soumission était organisée afin de marquer l’assujettisement de la terre du vaincu – et de ses sujets – au vainqueur de la bataille. Cette cérémonie, qui se tenait dans le moulin principal de la tere vaincue, était notamment marqué par le très symbolique – mais ô combien essentiel – passage du bol d’air. En guise de soumission, pour marquer la puissance désormais transmise au nouvel occupant, puissance notamment sur les éléments (et en l’occurence le vent car il s’agissait bien d’une ressource considérable dans ce pays qui avait fait de celui-ci une véritable énergie), le seigneur vaincu offrait un bol d’air. Plus concrètement, il s’agissait d’un bol, que chaque seigneur conservait dans la remise du moulin et qui en ces circonstances était préalablement plongé avec vigueur dans l’air que brassait le moulin avant d’être offert au seigneur victorieux. Ainsi dans la démarche de conquérir de nouveaux territoires, de sortir de son petit chez-soi, les seigneurs se devaient de prendre des polder, ce qui symboliquement se traduisait par le fait de prendre un bol d’air.

    En guise de complément sur la journée d’hier, il pourrait être bon de prolonger quelque peu la playlist alors inaugurée. Ce fut aujourd’hui, compte tenu de la configuration très campagnarde de la journée et de ce fait-là très marquée par la rigueur de canalisation en terres agricoles manifestée par les hollandais, l’occasion de repenser à quelques airs de canaux. Ils ne vinrent pas très nombreux aujourd’hui, mais peut-être les canaux qui ne devraient pas vraiment m’abandonner durant le restant du voyage en Hollande se presseront plus tard sur le perron de mon cerveau. Alors pour l’instant, je songe « Au canal du midi » du très regretté Mano Solo, une merveilleuse chanson sur un très bel air d’accordéon, d’un Parisien perdu dans ce midi mi-paradisiaque mi-honni, commençant finalement par regretter sa lointaine capitale qu’il ne reverra finalement pas, le voyage du retour se terminant au fond du canal. Je pense aussi à ce « Café du Canal », chanson de Pierre Perret reprise également par les Ogres de Barback, une très jolie ritournelle, bien plus guillerette que la précédente, où l’on se rappelle qu’il est bon de se lover à deux au bord d’un canal. Pour continuer sur la playlist du canal, il pourrait être bon d’en rajouter une dans un genre tout à fait différent. Approchant avec une facilité déconcertante – certes le vent était là à me sustenter – d’Utrecht, j’avais un certain doute sur le chemin à emprunter pour m’y rendre. Demandant conseil à un cycliste, celui-ci me dit tout simplement – après m’avoir néanmoins indiqué la direction au rond-point où je me trouvais alors – «Follow the dyke ». Laquelle de digue ? La digue du cul ? Il y en a quand même un certain nombre dans les parages des digues, il faudrait voir à se montrer plus précis dans les indications !

    Malgré cette petite anicroche qui n’eut pas lieu – car je n’eus tout de même pas l’outrecuidance d’invectiver mon interlocuteur qui m’avait malgré tout bien aidé – il reste à noter cette gentilesse démentielle des hollandais qui viennent vous aider même si vous ne leur demandez pas l’assistance (comme ce cycliste, qui me voyant replier ma carte vint à mon aide pour m’orienter dans les faubourgs d’Utrecht, faisant par la suite un brin de chemin en ma compagnie et me mettant sur la bonne piste pour clore cette étape). C’est un petit peu le pays de Oui-Oui ici (« Oui-oui fait du vélo », « Oui-oui fait du bateau », « Oui-oui t’offre le café avant d’ouvrir le magasin»11,…). Il n’en reste pas moins que cette gentillesse n’exclut vraisemblablement pas tout le reste du caractère humain et que derrière ces vies bien rangées, ce sont sans nul doute des personnes très originales que l’on peut découvrir, des gens dotés d’une véritable identité voire même d’une personnalité ! On en ressent pas moins une forme de quiétude généralisée, comme si tout coulait de source et se faisait simplement entre les gens, avec les éléments, comme s’il ne servait à rien de se poser la moindre question, toute réponse étant déjà apportée sur un plateau d’argent, avec en plus le café et le pousse-café, mais sans doute sans le cul de la serveuse, qui ne peut être offert qu’à la suite d’une demande en mariage en bonne et due forme ou d’une cours assidue. Comment pourrait-on ressentir autrement les choses quand des gens viennent spontanément à votre aide pour vous indiquer votre route alors que vous avez à peine eu le temps de vous demandez si vous étiez vraiment perdu ? Quel autre sentiment pourrait-on avoir quand n’importe quel quidam vous dit bonjour dans la rue, au risque de sombrer dans la plus grande cocasserie, le fameux « Bonjour » étant dit en néerlandais, nécessitant alors une intervention de notre part pour expliquer que l’on ne parle pas hollandais et que l’on a pas compris ce qui vient de nous être dit alors qu’il s’agit de la plus simple et amicale attention ? Peut-on demeurer ignorant de la pensée Leibnizienne et se refuser à croire que «tout est au mieux dans le meilleur des mondes possibles » quand on sent une force providentielle supérieure arranger tous les éléments dans une harmonie universelle ? Est-il possible de douter du bon être général du monde, de cet ordonnancement quasi-parfait, quand arrivant au bord d’un canal, se demandant ce qui nous permettra d’en rallier l’autre rive, on se trouve déjà insidieusement sur un bac qui nous transporte déjà sur les flots ? On se dit d’ailleurs à cet égard que l’énergie dépensée, les matériaux assemblés et l’ingéniosité réunis pour rendre la vie des cyclistes meilleure est tout bonnement étonnante. Il faudrait bien vite opérer un recensement de ces manifestations du génie civil mises au profit des deux roues car cela est tout simplement prodigieux. Car il ne faudrait pas se contenter des pistes cyclables mais tous les ponts et autres édifices routiers effectués pour le compte des cyclistes sont ici en nombre si important qu’on en viendrait presque à se dire que cela fait presque trop, que l’on sombre ici dans le gaspillage de l’argent public.

    Ayant pu en faire véritablement l’expérience aujourd’hui, je pourrais désormais revenir sur le système des itinéraires cyclistes en Hollande. Ce système est un mélange de quatre jeux différents : le lotto, le tiercé, la chasse au trésor et le jeu pour enfant consistant à relier des points afin de faire un dessin. D’abord le lotto, car le système réside notamment en une succession de points numérotés sur des dizaines de secteurs. On peut voir ainsi sur les cartes un certain de numéros à un et deux chiffres que l’on pourra retrouver sur place. Le tiercé, car il s’agit de déterminer un ordre pour ces numéros que l’on doit suivre. Ainsi une partie d’itinéraire consistait en la suite de nombres suivants : 19 22 23 42 43 49 48 96 97 54 82 83 50 43 42 35 44 32 79 81 92 71 7 3 1). La chasse au trésor, car une fois l’itinéraire numéraire déterminé, il s’agira dans la réalité de dégôter les numéros prévus. Et parfois cela peut être bien plus compliqué que prévu. Il arrivera souvent qu’un numéro qu’on a avait placé en tête ne nous soit pas indiqué, tandis que l’on tombera nez-à-nez avec un numéro en quelques sortes imprévu (la technique consistant alors à savoir où est ce numéro sur la carte et ensuite calculer le temps perdu dans les détours alors effectué, car il est bien rare que cette découverte inoportune ne vienne réduire la distance à réaliser à vélo). Enfin, le jeu consistant à rallier les points entre eux est en quelque sorte un préalable au parcours, regardant les deux points principaux : celui de départ et celui d’arrivée et tentant ensuite de déterminer une figure permettant de les relier. On peut ensuite après coup tenter d’effectuer la comparaison entre la figure prévue et celle effectivement réalisée avec la bicyclette et se rendre compte dans quelle mesure on aura pu effectuer des détours – sans qu’il soit question de savoir si ceux-ci auront été profitables dans une quelconque mesure ou non12. Vous l’aurez donc compris ce système est d’une complexité redoutable et surtout met le cycliste dans une dépendance très pronconcée aux cartes. Il est bien entendu inutile de souligner qu’on ne peut raisonnablement pas espérer se sortir de pareil système sans être muni de cartes. Cela est le revers de la médaille pour des itinéraires sans voiture et qui permet de découvrir toutes les facettes d’un pays, nous faisant passer des champs aux allures les plus bucoliques aux zones commerciales aux airs les plus apocalyptiques en passant par les places de villages anecdotiques, les plus belles zones de loisirs nautiques, les moulins aériens ou hydroliques.

10 Je préfère d’ores et déjà préciser, pour tous les historiens amateurs qui se serraient égarés au milieu de ces lignes, que cette explication n’a rien de scientifique et qu’elle n’est que pure élucubration cérébrale. Nul intérêt à chercher des sources sur une éventuelle guerre des Polders comme il en sera question par la suite.
11 en me rendant ce matin avant de partir vers Utrecht à l’office du tourisme afin de me procurer une carte cycliste, j’ai en effet été accueilli de la sorte. L’employé avait à peine allumé les lumières, n’avait pas encore ouvert sa caisse qu’il m’offrait déjà le café, cherchant également la carte adéquate.
12 Pour ma part, la figure représentera souvent une forme de labyrinthe inextricable, de chemins tortueux faisant bien comprendre à la fois que ce système certes fort agréable pour qui veut sortir des sentiers battus fait naturellement faire des détours, mais aussi que pour peu que la météo soit au temps sombre et les indications mal placées, on peut effectuer des détours supplémentaires.

voyage aux plats pays (4/14)

Voyage aux plats pays (4/14)

4ème Jour : Breda-Dordrecht

L’expression du jour : un accent à couper au couteau.

Cette expression remonte aux sombres heures du moyen-âge, le moyen-âge noir, celui de l’intolérance, des sévices et autres supplices exercés à l’encontre des individus qui pouvaient se montrer en marge de la société. Pour comprendre cette expression, il faut se plonger dans l’histoire peu connue des sectes du moyen-âge. Une se montrait tout particulièrement virulente mais en même temps en avance sur son temps puisqu’elle avait fait du nationalisme son cheval de bataille. On pourrait considérer – si l’on se permet une causalité lâche et aléatoire – que sa plus grande victoire sera quelques siècles plus tard la signature de l’ordonnance de Villers Cotterêts établissant le français comme langue nationale. Le combat de cette secte – Les camelots du roi7 – était en effet l’imposition de symbole à la nation naissante. Comme cette nation et l’Etat auquel elle devait s’adosser étaient encore en pleine construction, un des symbole essentiel devait être la langue. Le Français – et le plus pur qu’il soit – devait s’imposer dans toutes les contrées de France et de Navarre. Le modèle fût pris sur la langue parlée dans la vallée de la Loire, supposée être la région où le parlé était le plus pur, où les sonorités étaient douces à l’oreille, où toutes les duretés linguistiques étaient doucement évacuées. Toutes les autres manières de parler le français – et à fortiori une autre langue – étaient bannies. Pour ce qui était des langues non-françaises, la distinction était aisée à réaliser. Il n’en était pas de même pour les différents accents véhiculés par les contrées françaises. Les arrestations étaient de ce fait particulièrement arbitraires. Comme la linguistique n’était alors qu’à ses balbutiements, les manières de guérir ces anomalies du langage étaient particulièrement limitées et extrêmes. De ce fait, toute tentative de punir et de guérir – l’un n’allant alors pas sans l’autre – était réservée à des cas tout particuliers d’accents, caractérisés par leur grande dureté sonore. Se fondant sur les autres manière de parer à la dureté – prenant notamment appui sur l’attitude à adopter face à un morceau de viande peu tendre – il s’agissait alors de couper des morceaux de la langue de l’individu, les linguistes prétextant que l’accent venait directement des mouvements de la langue. De nombreux accents à couper au couteau ont ainsi été rayé de la face de la Terre.

    Cette journée aura vu le passage du confort de l’hôtel à celui du camping. Ce bref passage dans le milieu hôtelier m’aura permis une nouvelle fois de me poser cette question récurrente de savoir si ma dégaine se remarque au fil du voyage, cette allure de cycliste sur son vélo avec ses quinze kilos qui contiennent ce qu’il faut juste pour vivre, cette dégaine mi baroudeur mi bobo. En tout cas, je sais d’ores et déjà que je ne passe ainsi pas inaperçu à l’hôtel. Il est vrai que le campeur à l’hôtel, cela reste forcément un fait marquant tant pour le cycliste (qui fait de la sorte exception aux principes qu’il s’est fixé) que pour le/la réceptionniste de l’hôtel. Le reste du temps la question demeure, n’ayant pour ainsi dire pas d’interaction directe avec la plupart des personnes qui peuvent croiser ma route. Hormis la sympathie plus que bienveillante des automobilistes, l’attention de quelques passants lors de mes opérations de chargement, rien de particulièrement notoire dans leur attitude à mon égard. Quelques petits vieux et vieilles dont mon passage fera peut-être office de prémices à une conversation, mais sans doute guère plus. D’autant qu’en arrivant aux Pays-Bas avec pareil accoutrement, je me fonderais presque dans la population. La seule interrogation à ce sujet demeure celle du casque car bien étrangement, celui-ci constitue une sorte de détail qui cloche car l’on doit bien vite voir mon étrangeté à ce pays de ce simple fait, étant quasiment le seul porteur de cet élément semi-sécuritaire et semi-vestimentaire – en même temps qu’inesthétique. Sans doute la confiance portée – et à raison – aux automobilistes pousse-t-elle à cette négligence.

    Il aurait sans doute pu être fait état bien plus tôt dans ce récit de ma playlist de voyage mais pour l’instant par manque de quantité, il était peut-être vain de s’atteler à cette tâche. Cette playlist n’est pas celle de mon lecteur Mp3, car le déclarant à une amie – que nous nommerons ici Mathilde afin qu’elle puisse conserver l’anonymat pour cette question digne de la raison d’Etat – avant de partir, en dépit de l’accompagnement de ce petit boitier musical dans le périple, je n’envisageais pas d’en faire usage à l’exception du retour en train. Je ne souhaitais ainsi pas écouter de musique en mode privatif, une question de principe pour mieux se laisser imprégner de l’air ambiant. Mais cela ne m’empêche pas pour autant d’avoir quelque chanson à l’esprit.
J’ai ainsi eu pendant longtemps une chanson des demoiselles de Rochefort « Nous voyageons de ville en ville ». Il faut évidemment expliquer la raison de la présence de pareille chanson dans ma boite crânienne dans cet instant de voyage, car si cette chanson fait partie de la shorlist des chansons qui peuvent nous squatteriser le ciboulot pour de bien longues durées, elle ne s’y est pas retrouvée par hasard. Il faut d’abord ici rappeler la découverte toute récente du film lors de la dernière édition du festival « Rayons Frais, les arts et la rue » de Tours, où, outre la diffusion du film en plein air tout un travail chorégraphique et participatif avait été entrepris autour du film de Jacques Demy. Depuis trotte dans mon esprit régulièrement un air du film. Certes, concernant « nous voyageons de ville en ville», le contexte est bien différent : ils étaient deux, ils étaient en quelque sorte forains et se promenaient à ce moment-là du côté de Rochefort. Mais qu’importe le voyage est là, le passage successif dans différentes villes tout autant.
Hier, ce fut beaucoup de Jacques Brel qui s’immisçait entre mes deux oreilles. Entre « Le plat pays » que je ne quitte pas des yeux en le voyant tous les jours et « Vesoul » pour sa référence à Anvers, que je ne regretterais donc pas d’avoir découvert. Sans oublier la référence directe à Lille avec « Les bonbons » transformés pour l’occasion en « Les savons », certes dans une optique mercantile.
Aujourd’hui, ce fut « Help » de Gaetan Roussel qui prenait ses aises dans mon esprit, sans aucune raison particulière.
J’ai aussi eu «Let’s go to the Mall », la fameuse chanson de Robin Scherbatsky8 de la série How I met your mother, lors de ma quête effrénée d’un supermarché à Dordrecht. Pour ceux qui ne connaissent pas il s’agit d’une merveilleuse chanson dans la plus pure tradition pop-dance des années 90, vantant les mérites des centres commerciaux comme lieu d’amusement pour la jeunesse.
J’ai souvent à l’esprit quelques ritournelles des norvégiens des Kings of Convenience, car c’est dans des contrées tel que celles de cambrousses nordiques que ces petites mélodies doucereuses poussent.
Il arrive bien souvent qu’un air des grands espaces métaphoriques des Amériques, de celle du Musée Mécanique, franchisse l’océan pour s’échouer dans mon esprit. Leurs airs légers, les mélodies délicieusement ciselées viennent faire leur apparition dans quelques moments de rêverie. Ce sont de ces musiques qui de toutes façons font voyager sans que l’on soit même ailleurs que chez soi. Une de ces musiques qui fait dire avec Céline que « Voyager, c’est bien utile, ça fait travailler l’imagination. Tout le reste n’est que déceptions et fatigues » ou comme le disait autrement Renaud cette magie qui fait que « c’est l’amour des livres qui fait qu’tu peux voyager d’ta chambre autour de l’humanité », tout ce qui milite pour le voyage sur place, sur la possibilité de s’évader à l’écoute de quelques mots ou au son produit par quelques notes.
Hier à Anvers, c’était Madeleine Peyroux, mais tout simplement car un magasin diffusait une de ses chansons.
Aujourd’hui, c’était l’air beaucoup moins connu mais très harmonieux que proposait le beffroi de Dordrecht.
Souvent, c’est aussi la mélodie du vélo, la musique de la mécanique cycliste, la mécanique des postes (dans une démarche comparative, j’ai d’ailleurs vu aujourd’hui à deux reprises des vélos de la Deutsche Post).
Je pense aussi le soir à Boris Vian et son « Déserteur », lorsqu’en lisant le « Voyage au bout de la nuit » de Céline, je me rappelle que des lâchetés peuvent être salutaires.
J’ai pensé, en souffrant le martyr (il faut bien dramatiser un peu, sinon cela deviendrait vraiment ennuyeux) sur mon vélo avec le genou gauche en complète déliquescence, aux « 10 jours avant Paris » de Sanseverino avec cette question fatidique de savoir à quel moment on doit céder à la fatigue et à l’harassement et alors poser le pied à terre, pour alors ne plus le remettre sur la pédale correspondante (ou le remettre sur l’autre, mais ce qui serait plutôt signe d’une ébriété particulièrement prononcée).
À la vue, dans les magasins ou les boulangeries, du terme « Baguette » avec le bout de pain correspondant, cela sera « Foux du fafa », qui m’accompagnera, cette chanson loufoque – comme elles le sont toutes pour leur part – des Flights of the Conchords, ces deux néo-zélandais tentant de faire carrière à New York.

    En attendant (et pas seulement Godot), Dordrecht est une belle ville mais d’un morne ennui. Une ville où les magasins ferment à 18 h (laissant les rues alors désertes et révélant bien ici la manière de vivre la ville dans nos sociétés contemporaines) et parfois même les bars (je me suis ainsi vu refuser une commande en m’installant dans un bar à 18h10, la place, sur laquelle les tables extérieures du bar étaient posées, était effectivement totalement vide. Cela m’obligea à rabbatre mes instinct de buveur de bière vers un bar aux allures bien plus conventionnelles). Cette ville respire en tout état de cause bien trop la quiétude, une ville née sous le signe des Schtroumpf, où l’on se demande où est passé Gargamel et ce qui serait susceptible de venir trouver tout ce calme. Sentant à ce point un climat d’austérité, je suis allé m’enfermer dans une exposition intitulée « La véritable foi ? La Réforme comme choc des cultures ? » Avec un titre aussi aguicheur, je m’attendais quand même à mieux qu’une succession de bibles, certes de Dordrecht, et qu’une collection d’objets de cultes tous plus beaux les uns que les autres (l’or servant ainsi à la fois à révérer la toute puissance divine et lui offrir le précieux métal).

    Dans la poursuite de la découverte du pays, je dois avouer que cette langue néerlandaise reste jour après jour des plus déconcertantes. On croirait y déceler des regains d’allemand, des bribes d’anglais sembleraient ici fleurir. Et puis au détour d’une conversation ou au détour d’une rue où une cycliste ne vous voit pas ou seulement au dernier moment, se déploie comme une plante retombante mise dans une potée suspendu, un «Sorry». Pas un «Sorry» américain si peu articulé que l’on sait tout à fait qu’il n’a rien de sincère, qu’il est juste mis là en début de phrase comme un réflexe lexico-syntaxique. Pas un «Sorry» anglais emprunt d’une gêne bien trop grande, d’une gaucherie socio-lexicale, comme si le fait même de s’excuser gênait plus le locuteur que la cause de l’excuse. Non, c’un «Sorry» hollandais, discret mais bien senti, retenu mais sincère. Le «Sorry» hollandais en termes de prononciation est très similaire au Sorry de Yolande Moreau lâché dans le spectacle « C’est magnifique » de Jérôme Deschamps et Macha Makeïeff dans ce passage dans un anglais très approximatif où la représentation d’opéra (« Robin des bois ») cotoie le burlesque le plus hilarant parsemé de ces pointes d’humour langagier fait notamment de cet accent à couper au couteau pratiqué par Yolande Moreau 9!

7 il est intéressant de noter que cette appellation sera reprise par une ligue d’extrême droite qui fera fureur dans les années 30.
8 Curieux choix de nom, soit dit en passant, ne voyant à l’heure actuelle pas le lien qu’il pourrait y avoir avec la famille du même nom dans le roman «Anna Karénine». Y-a-t-il une analogie à faire avec Kitty qu’épousera Lévine après de longues hésitations – de sa part à elle – alors que Lévine déclare très vite sa flamme en précurseur de Ted ? Le lien serait-il avec la soeur, Dolly, mais où serait-il alors ?
9 Même si François Morel n’est pas en reste et sa prononciation tout aussi cocasse.

Voyage aux plats pays (3/14)

Voyage aux plats pays (3/14)


3ème Jour : Gent-Breda.

L’expression du jour : en avoir gros sur la patate.

Cette expression a une origine toute rurale – ce que l’on pouvait aisément croire – mais tout aussi sentimentale. Au début du XXème siècle, un jeune fermier belge s’était entichée d’une parfaitement exquise demoiselle. Elle n’était semble-t-il pas tout à fait dans le style local. Originaire de la ville – et plus précisément de Namur – on ne savait tout à fait ce qu’elle était venu chercher en s’enterrant vivante dans ce trou, débarquant pourtant avec ses robes à volant, virevoltant sous la force du vent du Nord. Notre jeune fermier en tout cas, à sa vue, trouva l’amour ainsi que sa chemise qui était suspendue au fil à linge qui était au milieu de son champ de vision. Il était certes un peu pataud d’esprit, mais il se doutait bien qu’il ne pourrait que difficilement éviter de faire terminer cet amour dans le mur. Comment pourrait-elle, même sous l’effet des plus puissants aphrodisiaques, tomber en pâmoison pour ce garçon ? Il se décida pour l’instant à laisser filer le temps, espérant pouvoir le rattraper le temps venu. Un jour qu’il n’y prenait pas garde, celle que l’on appelait alors la comtesse fit son entrée dans la grange, se rendant à la rencontre des bêtes. Notre garçon de ferme était alors en train d’en soigner une dont la patte tordue empêchait désormais tout déplacement ce qui devenait particulièrement délicat aux prémices du Printemps, quand il était bientôt temps de retourner brouter dans les champs. Elle s’approcha ensuite de lui, le regardant exercer son art avec délicatesse et attention. Sentant une présence – notamment étrangère – il se retourna brutalement pour la dévisager comme il n’avait jamais eu l’occasion de le faire. Son sang afflua au visage tandis que ses sentiments reprenaient possession du palpitant. « Excusez-moi » dit-elle, «je vous dérange sans doute, c’est juste que je n’avais pas vu de vaches depuis si longtemps, que cette atmosphère close d’étable me manque terriblement, que malgré mes habits, je ne peux oublier où a commencé ma vie ». « je ne vous dérange pas plus, je me sauve ». Notre garçon n’eut pas le temps de laisser sortir le moindre filet de voix – ce qui n’était pas le cas de la salive qui déjà touchait terre – la comtesse pressait le pas à l’extérieur de la grange. Pendant toute la nuit, il songea à ce qu’il pouvait raisonnablement espérer d’une telle rencontre, s’il devait la considérer comme prometteuse ou non. Il n’eut pas à se questionner bien longtemps, le lendemain elle n’était plus là. Rageur et amer, le garçon de ferme alla déterrer des pommes de terre, de cet aliment que l’on ne donnait alors qu’au cochon. Il s’en fit cuire une pleine marmite, s’assit sur une pierre au devant de sa ferme, les pommes de terre dans sa gamelle. Une à une, il les prenait et y déposait une grosse motte de crème, comme personne n’avait jamais assaisonné cet aliment qui de toute façon n’était pas destiné à la consommation humaine. Au passage devant l’homme abattu, tous les gars du village se disait « dis-donc, il en a gros sur la patate le Louis ». Outre que l’expression était née, cela inaugurait la tradition culinaire de la pomme de terre dans cette région du Nord, ce qui facilitera plus tard le développement de la pomme de terre frite (toujours servie avec une sauce quelle qu’elle soit).

    Aujourd’hui pour répondre à Monsieur Brel, je dirais que j’ai vu Anvers (Antwerpen pour les néerlandophones) et je m’en réjouis. J’en suis sorti enchanté et par la N1 – je me faisais par ailleurs la réflexion de savoir l’importance symbolique à apporter à la première des routes nationales, celle-ci relie en tout cas Anvers à la Hollande, est-ce là un signe ? Je venais en tout cas à Anvers avec l’image de la ville portuaire, de ces villes du Nord qui font ton sur ton : gris dans le ciel, gris sur les bâtiments. Outre que le temps n’était pas tout à fait gris aujourd’hui, j’ai pu admirer une architecture dans le plus pur style flamand et qui n’a rien à envier à Gent, bien au contraire la rareté du touriste, la présence plus discrète du chaland et la présence concomitante du flâneur et du travailleur donnent à cette ville une grande vivacité, une certaine vitalité. On évite juste la mise sous verre, la vitrification de la ville même si l’on y pénètre par un immense tunnel. En effet à l’arrivée à Anvers, on tombe nez à nez avec l’Escaut, fleuve d’une largeur tout à fait honorable à quelques kilomètres de la mer. La ville construite avant tout sur la rive droite, il faudra bien traverser. Pourtant aucun pont ne semble se dresser aux alentours pour enjamber les eaux. Il faudra alors soit Moïse soit un tunnel. Nous opterons ici pour la seconde alternative après la descente de deux lignes d’escalator – en vélo bien chargé, c’est toujours un plaisir – avant de traverser sous les eaux en compagnie d’autres cyclistes et piétons. Quelques centaines de mètres à passer sous le lit de l’Escaut sans qu’il n’en sache rien, comme toutes les bestioles qui passent les nuits à squatter le dessous de nos plumards et auxquelles on refuse de penser.

    Il est sans doute bien dommage de ne pouvoir faire état de toutes les questions, de toutes les pensées que l’on peut avoir à l’esprit lorsque l’on est à vélo du fait du manque de membres supérieurs disponibles afin de retranscrire en direct ces dites-pensées. Même si ces pensées sont bien souvent très prosaïques, et pourraient se résumer à ces quelques items, d’autres mériteraient sans doute d’être conservés. Parmi les quelques circonvolutions cérébrales de ces derniers jours, je livre ici quelques pensées à l’intérêt douteux :
« tiens c’est quoi ce petit bruit à l’arrière du vélo ? », une pensée qui m’a occupé aujourd’hui une quinzaine de minutes sans trouver de réponse car comme toutes les grandes questions métaphysiques de ce bas-monde, elle n’était faite que pour être posée.
« Ils sont quand même fichtrement tordus ces belges quand même », pensée qui reviendra ultérieurement avec les hollandais quand il me sera possible d’y penser, à savoir après le franchissement de la frontière. Ces gens-là posent des bornes kilométriques tous les 100 mètres. Du coup, on a tendance à ne jamais détourner l’oeil du bord de la route et forcément, cela agace.
« Merde, si ma carte bleue ne marchait pas à l’étranger ? » celle-ci m’a tout particulièrement obnubilé jusqu’au passage par Anvers. Songeant à l’échec du retrait d’hier, je commence à douter du cosmopolitisme de ma carte de crédit. Comme malheureusement aucun des distributeurs de billets belges n’est directement dans la rue, aucun moyen de vérifier. Je commence alors à imaginer les stratagèmes à développer si jamais je ne pouvais retirer en aucun lieu, n’ayant plus que quelques euros en poche. Devrais-je m’improviser jongleur de rue, histoire de gagner quelques sous ? Devrais-je vendre mon vélo pour pouvoir escompter rentrer en France ? Y-a-t-il un consulat français à Anvers et celui-ci prête-t-il de l’argent à ses ressortissants (à un taux de moins de 5 %, faudrait pas non plus profiter de la détresse de pauvres voyageurs perdus et tête en l’air) ?6
« Les Belges sont les plus grands faussaires, après les chinois ». Je suis quand même passé aujourd’hui à côté de Nazareth, de Lourdes et de Sinaai (d’ailleurs cette dernière escroquerie topographique, on me l’a fait pas) ! Ajouté à cela la traversée de St Niklaas, de Lochristi et sans doute quelques autres lieux aux appellations tout à fait sacrées, on se dit que les belges sont tout particulièrement chrétiens.
« Les Belges sont des amateurs paradoxaux de cyclisme ». Je sais que vous mourrez tous d’envie que je parle de la situation du vélo dans ces contrées semi-nordiques, occasion de me lancer dans une diatribe fustigeant la fébrilité de nos édiles municipaux (sauf ceux de Strasbourg, question de principe). Je pourrais d’ores et déjà dresser mon chapeau aux automobilistes dont le respect des cycliste est quasi religieux en tout cas relevant d’une grande bonté d’âme. Partout, ils s’arrêtent, ne pressent jamais le pas, histoire de passer devant vous, ils attendent aux feux lorsque vous filez et que eux tournent à droite, les « cédez le passage » aux entrées et sorties d’autoroute sont placés du côté automobilistes. Tellement leur bonté est grande, j’ai failli, ce matin, me faire enguirlander par un chauffeur poids-lourd qui me laissait passer mais que je n’avais pas vu, tant il m’est encore bien difficile de me départir de ma méfiance (pour ne pas dire hostilité) envers tout ce qui se meut sur quatre roues ou plus. Ils ont donc mis des pistes cyclables partout où cela est possible – donc objectivement partout – mais n’ont semble-t-il pas les moyens correspondant à ce déterminisme forcené car les pistes cyclables se composent de matériaux tellement divers que l’on peut supposer qu’elles ont été constituées avec ce qu’il restait dans les parages (sans doute des stocks de guerre, des surplus de construction). On retrouve ainsi pêle-mêle du bitume, des pavés du Nord en bonne et due forme, du dallage, des plaques de béton blanche (1,5m sur 0,75m), du bitume mêlé de cailloux, de la terre, bref ils ont l’air de faire avec ce qu’ils trouvent dans les parages. Outre cette question matérielle, ils ont de sérieux soucis de signalétique, se refusant à indiquer toute grande direction, indiquant des villages dans une direction alors que celle-ci n’est que celle d’un hameau complètement isolé.
 
    Après cette longue journée, très riche en kilomètres, je me retrouve le genou en vrac, ne me sentant pas complètement patraque, mais juste l’articulation en dépression. Pas question alors de prolonger plus en avant à Breda, la quête d’un camping qui ne saurait que faire sombrer un peu plus le genou dans la neurasthénie. J’abandonne l’aventure et me tourne vers le premier hôtel venu. Débarquant ainsi attifé en cycliste de pacotille, avec tout mon matériel de camping, finalement satisfait de créer ce décalage. J’ai hésité à mettre en marche le réchaud et me faire la tambouille dans la chambre bien proprette mais en chambre non fumeur, cela serait bien en mesure de déclencher le système anti-feu.

    Je me retrouve donc à Breda, dans ce snack hollandais tenu par deux jeunes asiatiques. M’attendant, comme le disait la rumeur, à ne trouver ici que des anglicistes confirmés, je pensais arriver en terrain conquis dans cette brasserie et espérais bien sûr trouver une oreille assidue à la langue de Shakespeare. Mais il n’en était rien. Ce fut ainsi qu’une quinquagénaire hollandaise qui dî me servir d’intermédiaire ou d’interprète pour pouvoir commander quelque nourriture, l’occasion néanmoins de nouer le contact et brièvement discuter voyage et différences entre pays. Certes je loge ce soir à l’hôtel dont la chambre est équipée d’une télévision dernier cri, je me refuse de mon plein grès à regarder le petit écran durant ce voyage. Si je dois le faire, cela sera contraint et forcé. Ce qui sera le cas ici. Pendant que je mange, le poste de télé diffuse le journal télévisé, dans lequel l’actualité internationale est marquée par un fait divers français – c’est sans doute à cette seule condition que j’ai pu saisir de quoi il s’agissait vraiment. Il était apparemment question de la découverte de cadavres de nouveaux-nés sous un bassin d’eau dans un habitation dans le Nord ou l’Est de la France. On entendait les inénarrables phrases de circonstances pour défendre le mari expliquant – par la voix de son avocat – qu’il n’était pas possible de constater chez sa femme le moindre état de grossesse du fait de sa corpulence – s’ils ne divorcent pas ceux-là d’ici à la fin de l’affaire – et de la discrétion de ces périodes de gestation, l’empêchant donc de soupçonner pareil acte. C’est en tout cas bien désolant de se dire que ces faits divers – certes dramatiques – fassent aussi l’actualité en été et en Hollande. Même s’il est vrai que nous excellons dans ce domaine, notamment pour ce qui est de puériculture – après les bébés congelés, cette étrange version des bébés-nageurs constitue une sérieuse innovation dans la prise en charge de l’enfance. Voilà en tout cas, quand on veut se priver du monde ce que l’on récolte.


6 Finalement j’ai pu retirer tout à fait normalement mes billets de banque, comme quoi, même en voyage de simplicité, on ne peut s’empêcher de se poser des questions.

voyage aux plats pays (2/14)

Voyage aux plats pays (2/14)

2ème jour : Lille-Gent

L’expression du jour : pédaler dans la semoule.

Comme on pourrait le penser, cette expression est fort fort lointaine bien que l’on ne puisse clairement dater sa première occurrence écrite, son origine étant vraisemblablement à trouver dans le langage oral, avant que cela n’ait donc été retraduit par écrit. Il semblerait néanmoins que l’on doive cette expression à une anecdote domestique quotidienne d’une ancienne puissance moyen-orientale. Il se trouvait là, bien avant les temps chrétiens, un potentat local, un califat d’apparat (car il n’avait pas tous les pouvoirs qu’il eut voulu posséder). Mais comme tout souverain qui se respecte, il aimait beaucoup les réceptions, banquets, exécutions publiques ou toute autre prouesse qui pourrait être accomplie en son honneur ou pour célébrer sa gloire (il attendait ainsi depuis de nombreuses années qu’un de ses fidèle réussisse la traversée du désert – sous entendu celui qui entourait son royaume, car aucun autre n’était alors connu – et l’on dénombrait déjà un certain nombre de cadavres venant peupler le désert).
En attendant que cet exploit soit accompli, il avait lancé un défi pour la réalisation du plus grand couscous jamais réalisé. La prouesse devait notamment résider dans la préparation de la graine qui devait ainsi être prévue en de très grande quantité. Un très génial ingénieur et amateur culinaire s’était lancé dans le défi et avait pour l’occasion fait construit un réservoir de 40 pieds de haut (on parlait en effet dans cette contrée en pieds du fait du très grand nombre de chose que l’on foulait et en premier titre, les lois). Pour remuer la graine, notre ingénieur avait élaboré un outil bien étrange qui se constituait en premier lieu d’une roue crantée. Cette roue, actionnée par deux tiges fixées de part et d’autres et sur lesquels un homme devait exercer une pression successive, cette roue donc, dirigeait deux immenses batteurs qui remuaient la semoule. En dépit de l’ingéniosité du système et de la persévérance de l’ingénieur pour tenter d’amender ce prototype archaïque du fouet mécanique, tous les essais furent infructueux, les batteurs se trouvant sans arrêt bloqués par des grains de semoule venant gripper la machine, l’ingénieur s’embourbant dans la graine ce qui gâchait les graines car il n’avait pas une hygiène irréprochable.
En lieu et place de cette solution, on fit appel à un économiste, profession alors quasi-inconnue et encore bien mystérieuse3. Celui-ci proposera de recruter des ouvrières pour préparer ce couscous, les payant 10% de plus que ce qu’elles touchaient à la briqueterie, jouant ainsi sur le pouvoir d’achat des ménages et incitant au travail. Outre qu’il venait d’inventer le fordisme, il résolut une partie du chômage du royaume car bien d’autres femmes alors inemployées (qui étaient obligées – le RMI n’existant alors pas – pour subvenir à leurs besoins de faire le tapin tapis dans les buissons qui jouxtent la caverne d’Ali Baba où on y trouve de tout parait-il4). Malgré tout, l’expression «pédaler dans la semoule» demeura, tant elle fit rire les fidèles pour cette ingéniosité de pacotille. On se rappelait alors également les précédentes invention de ce savant, que l’on ne considérait pas comme fou, mais comme complètement débile : la machine à compter les grains de sable dans le désert pour aider à s’endormir le soir, la grille qui efface les traces de pas derrière soi quand on marche dans le désert (ce qui servira quelques millénaires plus tard pour faire de joli photos de désert sans trace de pas),…

    Le voyage en solitaire c’est parfois l’occasion de rencontres insolites, de brèves discussions, qui nous marqueront sans doute jamais pour le restant de nos jours mais qui viendront grossir le stock d’anecdotes dans lequel il peut parfois être bon de puiser. Pour que l’anecdote prenne toute sa valeur, elle se doit d’être issu d’un hasard le plus banal, d’une situation que l’on ne pourrait soupçonner créée de toute pièce. Celle-ci en fait partie. Ayant enfin pu dénicher un camping à Gent, reposant mon cannasson à deux roues pour prendre un autobus, je me vois interpelé par son chauffeur (à qui j’avais au préalable demandé de l’assistance dans l’obtention de mon titre de transport – pour parler dans le patois des transports en commun). Depuis son siège, il me hèle me demandant si je connais ce type que l’on dépasse. Je ne sais comment je pourrais connaitre qui que ce soit à Gent et il le sait très bien lui ayant adressé la parole dans un encore un peu approximatif anglais – il reviendra bien vite au top de sa forme – et ne connaissant fichtrement rien du système de bus de la localité, manifestant ainsi bien mon étrangeté à cette ville. Mais ce ne devait être qu’une manière de me présenter les choses, qu’une façon de parler, un biais conversationnel. Il se trouve donc que le bonhomme que l’on venait de dépasser est coureur. Pas professionnel, car de profession il est chômeur. Mais tous les jours, il accomplit un marathon, et ce depuis le premier jour de cet an de grâce 2010. Pourquoi un tel sacerdoce ? Est-ce une manière de célébrer les 2500 ans de la bataille de Marathon ? Est-ce un pari perdu (il faudrait être sacrément dément pour parier une telle chose quand même) ? Non, tout simplement un homme qui s’est décidé à entrer dans le guinness book des records en accomplissant le plus grand nombre de marathons quotidiens successifs. Et apparemment, une délégation est venue il y a peu authentifier le record. Mais l’oeuvre n’est pour autant pas achevée pour notre homme qui compte poursuivre jusqu’à la St Sylvestre son étrange manège pédestre. Il semblerait que cela soit aussi pour lui l’occasion de «se vendre» escomptant peut-être de la sorte obtenir un emploi. En tout cas, il pourra attester d’une véritable abnégation, d’une grande résistance à l’effort. Peut-être trouvera-t-il un emploi de coursier… Ce chauffeur de bus au demeurant fort sympathique m’indiqua également la fin du dernier Trolley de Belgique, celui de Gent donc, il y a quelques mois de cela. Lui-même conducteur de Trolley, devait subir les trop nombreuses pannes à répétition demandant parfois aux usagers de descendre du bus afin de le faire repartir, soit une autre manière d’inciter les gens à la marche ou à la course à pied…

    Toujours est-il qu’il s’agit d’une ville qui me va comme un gant, une sorte de pommade, d’huile d’argan que l’on se passe pour que jamais les souvenirs ne trépassent. Peut-être que l’on se masse de cette crème qui n’atteint pas les couches profondes de l’épiderme, n’imprime que la partie supérieure de la pellicule – comme une image fugace dont on se demande si on l’a réellement vécu, comme un rêve dont on doutera de son onirisme – mais qui pourtant appelle à la réminiscence de tous les sens. On y verra ici un pont ou un quai qui nous transporteront à Strasbourg, quelques maisons qui ne seront pas sans rappeler le vieux Lille de la veille tandis que la brique imprimera sa marque en souvenir de l’ouvrière finlandaise, Tampere. On constitue comme cela des associations d’images, les impressions qui sous la pression du temps, gambadent dans les prés de notre imaginaire déjà encombré d’herbes, de vaches et de fleurs. Ce sont des impressions du Nord, d’un pays qui me va, d’une architecture dont je goûte toute la finesse et la discrétion, derrière la conviction que je n’ai «rien» (si l’on entend par là l’idée de vivre dans un environnement à son image) à Bordeaux, que ma « nature » est de celle des gens du Nord, qu’ils soient français, belge voire finlandais, que seul un hasard des plus étrange m’a fait atterrir dans cette ville que l’on ne peut pourtant pas encore qualifier de ville du Sud mais qui en dégage une certaine idée tout en se maquillant d’airs bourgeois – joli pléonasme que ce maquillage bourgeois, le masque quel qu’en soit sa forme étant le premier attribut de toute bourgeoisie.
Gand – qu’il faudrait d’ailleurs écrire à la néerlandaise car il faut bien noter que le bilinguisme ici est fortement menacé5, ici où les panneaux sont uniquement en flamand et où le français n’est prononcé qu’en dernier recours, étrange sensation et forte déception pour ce qui était une utopie de multiculturalisme, heureusement que la situation est encore plus harmonieuse en Finlande, cela permet d’alimenter l’espoir – Gand, donc pour reprendre après cette digression linguistico-politique, est la ville du Pic. Il y avait Paris, la ville du coeur, Luzerne, la ville du trèfle et Grenoble, la ville où il faut désormais se tenir à carreau. Gent est donc la ville du pic. De sortie du camping et du bus, je dépasse rapidement un pont avant de me raviser. A la montée sur le pont, dépassent des pics multiples, des clochers, des beffrois, antennes télévisuelles et tout ce que compte de bouts pointus la ville flamande. Étrange sensation que cette ville qui se découpe sous les yeux, une ville presque de carton-pâte, une ville de décor, qui après se détacher dans le ciel sous cette forme de points dans le ciel, on découvre tous ces bâtiments flamands traditionnels, la devanture du toit en escalier, donnant l’impression d’un décor de cinéma, l’impression que seul le devant a été construit et que rien n’existe derrière, comme si on avait pour l’heure construit que ce premier pan de mur. De ce décor se détache ainsi quelques tiges, quelques bouts de ferrailles, quelques pointes de pierre, comme pour donner une consistance aérienne à tout cela. Cette architecture d’apparat, c’est d’ailleurs peut-être un challenge supplémentaire pour ces villes pour ne pas sombrer dans la patrimonialisation excessive des centres-ville, éviter de finir vieille ville comme on finit vieille fille, de constituer une ville musée comme on bâti un musée de cire. Du fait de cette architecture de devanture, le risque est encore plus grand. A l’heure qu’il est, je n’ai pas encore la conviction que ce défi soit gagné pour Gand.
   
    A la vue du beffroi et suite à sa visite, on découvre toute la fonction sociale de pareil lieu, cette mission d’encadrement de la vie, tant en donnant le rythme de vie à toute la population en étant le seul moyen pour beaucoup de personnes de savoir l’heure qu’il peut être qu’en étant une sorte de centre ou de tour de contrôle sur toute la ville, une sorte de panopticon avant l’heure, cette structure carcérale imaginée par Bentham avec la construction d’une tour centrale permettant l’observation de l’ensemble des détenus depuis un seul point.

    L’arrivée en terme flamande est aussi la première immersion dans une autre aire linguistique. On se trouve ici en territoire de frustration linguistique pour ma part. Les différences entre flamand, néerlandais de Hollande et néerlandais de Flandre m’étant inconnues, je ne serais en mesure de dire laquelle de ces langues était pratiquée par les uns et les autres. Il n’en reste pas moins que ce groupe linguistique – les langues flamandes n’étant que des dialectes du néerlandais – me donne l’impression de pouvoir comprendre quelque chose sans au final rien n’en saisir. Le passage au camping, c’est aussi le plaisir de réentendre un certain nombre de langues et notamment du finnois, autre parlé étrange mais ô combien agréable à mon oreille. Être à l’étranger, c’est aussi le plaisir de pouvoir également parler un peu d’anglais, même s’il est encore un peu hésitant par manque de pratique.

3 il est à noter qu’un certain mystère entoure toujours cette profession, la plupart des personnes n’en faisant pas partie ayant du mal à saisir les mécanismes de cette science quand ils sont tout simplement pas en désaccord avec ses postulats.
4 la caverne d’Ali Baba étant en quelques sortes notre Samaritaine à nous.
5 si l’on met ici de côté l’allemand, tout autant langue officielle, mais peu parlé à part dans les cantons de la communauté germanophone d’Eupen et Saint Vith et plus généralement dans les cantons de l’Est, ceux cédés par l’Allemagne au moment du traité de Versailles.

Voyage aux plats pays (1/14)

Voyage aux plats pays (1/14)


1er Jour : Bordeaux-Lille.

L’expression du jour : serrer le train.

Il s’agit d’une ancienne expression remontant aux premiers temps du chemin de fer, des trains à vapeur, trains qui nécessitaient un entretien assez rigoureux et régulier (à cette époque-là le retard des trains s’expliquait d’ailleurs avant tout par un retard constaté dans l’entretien). Les réparateurs du chemin de fer, plutôt bout-en-train comme chacun ne le sait pas, nommaient cette opération l’entretrain. Après chaque voyage, sous la pression de la vapeur, beaucoup d’éléments mécaniques se desserraient considérablement sur la locomotive, notamment une pièce située sous le train tout à l’avant, à la proue de l’appareil. Pour effectuer le réglage et le serrage de cette pièce – une plaque de métal tout particulièrement lourde et volumineuse qui assurait l’équilibre de la locomotive dans les virages – la seule possibilité était d’étreindre le train. Dans cette situation cocasse d’étreinte langoureuse avec le métal, on voyait l’homme d’entretien serrer le train (il est d’ailleurs intéressant de noter que cette expression plus tard fut «transposée au genre humain» puisque l’on dit désormais «serrer une gonzesse» lorsqu’il s’agit de sortir avec femme et donc de l’étreindre voluptueusement).

    Se plonger dans une métropole telle Lille, voici une manière idéale de commencer le voyage, une métaphore de toute la démarche du voyage, avec l’idée de construire une tapisserie mentale, sous la forme de tachisme, de pointillisme, de saisir ci ou là quelques extraits de villes, quelques onces de vie, quelques ersatz d’existence, car on ne saisit que ce que l’on veut saisir et les choses se transforment sous nos yeux.
   
    Ici à Lille, j’aurais flâné comme le poète du XIXème, comme le Baudelaire d’alors. Sans doute bien présomptueux de tenter pareille comparaison, mais considérons-la non sur la qualité artistique de nos deux productions scripturales réciproques mais sur celui de la démarche d’immersion urbaine. Mais vulgaire postier de pacotille au temps de l’électronique, des vols super-soniques, bientôt des voyages spaciaux, l’héritage du passé ne me semble tout de même pas inutile à invoquer. D’autant plus que cette simple découverte d’un des plus beaux passages qu’il m’ait été donné de voir à ce jour – synthétisant tous les fantasmes et imaginaires nés de ces lieux désormais anachroniques depuis le temps où les grandes creusées de route ont débuté à la fin du XIXème réduisant comme peau de chagrin ces espaces intermédiaires, développant toute leur symbolique : celle du mystère, de la romance, de l’insécurité, de la potentielle promiscuité de toute rencontre imprévue et désormais celui de l’incongruité leur existence plus que jamais en péril – ne peut m’empêcher de songer à ces errances romantiques où seul un sens étrange mais guide intérieur, un sorte de fil d’Ariane invisible et hasardeux nous mène de lieu en lieu. C’est aussi cette rue où côte à côté on trouve une librairie de théâtre clamant le vers (libre) haut et fort sur sa devanture et un magasin de jeu. Plus loin ce sera une petite cour, bien protégée mais si authentique, non tout à fait de celles que l’on classerait à l’inventaire des monuments historiques mais qui continue à vivre dans son temps avec l’héritage du passé. Ce sera aussi tout le vieux Lille qui sait faire oublier les monstruosités d’Euralille, le vieux Lille qui, outre qu’il laisse croire qu’une vie est possible à Lille, milite pour celle-ci comme ville que l’on doit découvrir, qui doit être explorée comme on le fait en terre complexe. La fugacité de ce passage – le mien – incitera à en voir davantage.

    Lille, c’est aussi le début du Nord et entre autres choses, le retour au pays du grand Jacques. Lille voit ainsi fleurir les références au belge qui n’en exprimait pas moins un esprit du Nord commun à toute la région.

    Que ce soit Lille ou le début du voyage, on se dit également que la consistance de celui-ci tient au fait de réussir à mieux se laisser aller à la ville, de se laisser embarquer par celle-ci. Il faut de toute urgence disjoindre l’utile à l’agréable. La ville du voyage, des vacances n’est pas la ville utilitaire de tous les jours où telle rue nous amènera avec un tragique affligeant nécessairement à telle autre afin d’y effectuer une opération prévue d’avance. On choisira un itinéraire en fonction de différents paramètres : horaire, opération à effectuer, temps disponible. Il arrivera qu’ayant l’esprit plus libéré on se permette un détour. Mais bien rarement, la ville «en temps normal» retrouve son statut de terrain de jeu de l’errance où le pignon d’une maison, la lueur d’une cour, la lumière reflétée par une glace attirera le regard, mettant en branle la mécanique des jambes. Il faudrait toujours voyager dans les villes, les considérer comme de nouveaux horizons non à contempler comme un coucher de soleil mais à sillonner comme on part gamin en chasse au trésor, curieux et avide de s’enrichir avec la naïveté de considérer cela qu’avec un demi-sérieux, se rappelant qu’il n’est ici question que de jeu, se rappeler finalement qu’on ne perd jamais tout à fait quand on cherche un trésor.

    A voyager, on peut également faire des comparaisons géographiques sur certains phénomènes sociaux. On peut ainsi assister à une certaine homogénéisation des moyens de subsistance des clochards, qui aujourd’hui semblent notamment se réduire à la fabrication de cendriers constitués à partir de canettes (et pas forcément de bières, ne soyons pas mauvais esprit). Cela semblerait en tout cas attester la validité de la thèse de la marginalité de ces personnes, tels de grands enfants inadaptés et surtout qui n’auraient pas grandi, de grands enfants qui perpétueraient la tradition des objets inutiles et inesthétiques des fêtes des mères et pères. Après le collier de nouille et le vide-poche en pot de yaourt, vient, si l’on tient compte du mode de vie des clochards, le cendrier en canette. Il aurait ainsi finalement juste manqué à ces personnes la parole de celui qui rappelle qu’on ne peut pas vivre de bière et de collier de nouille. La naïveté est peut-être la plus grande ressource des ces personnes, mais c’est sans doute elle qui les a perdu. On compare également le même délitement de la jeunesse, ce manque quasi total de savoir-vivre et cette étrangeté dans la manière de s’exprimer. J’assumerais pleinement cette affirmation réactionnaire au risque de passer pour un jeune con, malgré mes penchants maintes fois exprimés pour la tolérance et la mansuétude vis-à-vis de mes semblables plus cons que la moyenne. Il n’empêche qu’importe le lieu où l’on se trouve désormais en France, on peut tomber sur cette jeunesse inculte, qui, à la manière de ces deux donzelles vous adresse ainsi la parole : « excusez-moi M’sieur, vous savez pas où elle est la rue du Maréchal j’sais pas quoi ? ». Que voulez-vous répondre à une interrogation pareille ? Mon anti-militarisme primaire m’interdit déjà de divulguer tout nom de militaire sur la place publique pour éviter de faire de la publicité pour l’armée, mais si en plus il m’est demandé de savoir lequel aurait le plus sa place sur une plaque émaillée de nos rue de France – et dans ce quartier en particulier -, c’est bien au-dessus de mon patriotisme vacillant. C’est en tout cas, une bien étrange manière de demander des conseils d’orientation au premier passant venu. J’espère en tout cas me montrer plus précis quand je serais perdu au fin fond de la Hollande.

    Le temps de traverser la France au rythme du chemin de fer, on peut aussi laisser le cerveau faire des parallèles sur des questions plus politiques et ne pas se soucier de savoir si l’analyse est véritablement pertinente. On en vient ainsi à penser au Jacobinisme français, à cette idée d’imposition de solutions depuis un centre pour tout un territoire pourtant divers et pluriel. Si les choses sont évidentes en ce qui concerne l’énergie avec cette décision gaullienne du «tout-nucléaire» on se dit qu’il en est finalement de même avec le TGV, cette solution ferroviaire que l’on généralise partout et surtout s’axant autour de la capitale. S’il existe certes des lignes de province à province, elles ne peuvent se défaire de l’emprise centrale de Paris. La Ligne Bordeaux-Strasbourg prenant pour appui la périphérie parisienne tandis que l’ancienne ligne directe Lille-Strasbourg se trouve désormais abandonnée au profit d’une ligne Lille-Strasbourg empruntant cette même périphérie parisienne (autour du triptyque Roissy-Marne la Vallée-Massy) pour reprendre ensuite le tracé du TGV Est. Toujours est-il que cela constitue une réponse unique à tout un territoire avec cette empreinte centralisatrice que l’on retrouve derrière.

    Il fait désormais nuit au camping. On est parti en voyage aussi pour couper la routine, changer de mode de vie, reprendre la route, poser sa tente où bon nous semble, ou presque. On retrouve ici les joies du camping, la saveur de lire la lampe torche suspendue au plafond du fin tissu de la tente, avec en toile de fond le voisin qui s’engueule avec sa dame, les oiseaux qui viennent à peine troubler ces mots dits trop haut. Il n’empêche que pour ma part, c’est le calme et la quiétude qui vienne m’emplir l’esprit. La simplicité avant tout !

Bike-trip

Voyage aux plats pays

Il s’agissait d’un voyage à vélo. Il s’agissait de réduire le voyage à ses plus simples attributs : le déplacement d’un lieu à l’autre et la recherche de l’altérité. Le principe en était simple : se munir d’un vélo de postier – car, sans mauvais jeu de mot, ces vélos véhiculent tant, tant en termes de valeurs, de symboliques, qu’en termes de bagages – et partir quelque part, partir à la découverte de nouvelles contrées, à priori en solitaire, sauf si une âme vagabonde se sentait le coeur et les jambes pour m’accompagner. L’itinéraire de départ était Lille-Copenhague, à adapter en fonction des circonstances. Il s’avéra que, pour des raisons médicales (problème, à priori, tendino-ligamentaire au genou gauche), l’itinéraire ne pouvait demeurer en l’état. Qu’importe la destination, pourvu qu’on ait le voyage. Parti sur les routes, avec tout ce qui pouvait m’être utile à vivre deux semaines durant avec moi-même, à poser sur le vélo quand le temps est au pédalage et à redéposer chaque jour dans un nouveau lieu de villégiature temporaire. De chaque jour, il en ressort une appréhension du voyage, de celui-ci, comme de l’idée même de voyage. Quelques impressions sur des lieux, quelques vagabondages cérébraux (ainsi de cette expression quotidienne que je décortiquais, remontant à sa racine pour en tirer sa substantifique moelle1), quelques pensées personnelles – même si tout cela n’est que subjectivité2 – qui seront ici restituée avec certes quelques compléments apportés après coup car on n’achève jamais un voyage. Quelques clichés viendront agrémenter ce carnet de voyage aux plats pays.

1 il ne s’agit bien entendu pas de la vraie genèse des expressions choisies, mais d’une histoire fantasmée autour d’une expression soit reliée à la journée en question, soit prise au hasard de mes pensées.
2 Mais de toute façon, tout voyage est subjectif et ce n’est qu’individuellement que l’on l’accomplit même s’il peut s’enrichir de la vision de l’autre quand on le fait accompagné. On pourra tenter d’objectiver le voyage en enfermant 30 touristes dans un bus à visiter une ville ou  un pays, il en restera toujours un regard personnel sur ce que l’on aura voulu nous faire mirer.