Archive pour septembre 2012

fables modernes #82 : le loup et le lit vide

Dans le sombre bois, esseulé,
Un loup cherchait un logis, 
Là où l’on ne pourrait le déceler,
Où même le vent qui mugit,
N’eut pu du sommeil l’extraire,
Le laissant le boire jusqu’à la lie.
Si toutefois, de quoi le distraire,
Pouvait-il trouver dans un lit,
En aurait-il été que plus satisfait,
Pour joindre l’utile à l’agréable,
Quel qu’occupation pour le vivifier,
Et combler un appétit insatiable.
Trouvant demeure à sa guise,
Pénétrant à pas de loup,
Car la prudence est de mise,
Pour ce bon marlou,
Il patrouilla dans chaque pièce,
Interrogeant des lits les draps,
Cherchant cousine ou nièce,
Jusqu’au fond des débarras,
Il dut se rendre à l’évidence,
Qu’ainsi au cœur de la nuit,
La maison n’était que vacance,
Rien pour alors tromper l’ennui.
Se résignant au seul assoupissement,
Sans de ses pulsions nocturnes
Avoir connu le moindre assouvissement,
Crécha-t-il dans cette fade turne.
Prenant place sous la couette,
Les oreilles seules aux aguets,
Avait-il perdu la figure guillerette,
Emettant ces intarissables caquets.
Il achevait sa tournée bredouille,
Sans poule à se mettre sous la dent ;
Pratique allant en quenouille
Du prédateur en habit de galant.   
 
 
Quand le loup ne trouve poule,
Dans cette quête toujours avide,
De l’échec en devient-il soul,
Et sombre, piteux, l’âme livide. 

mieux vaut court que jamais #194

A peine avait-elle dégainé ses ciseaux, pas même les avait-elle posés sur son cuir chevelu, qu’il s’était crispé à son siège, comme pétrifié, comme ce jour où, bloqué dans ce ménage à l’allure de cisailles, il avait dû se cramponner à son siège, la tête à l’envers, de longues heures durant.

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Le sèche-cheveux brandi au dessus de sa tête, fixant la main qui ainsi le maintenait, il ne put s’empêcher de penser que ce vernis rouge rubis jurait avec le rose fuchsia du sèche-cheveux. A moins que ce ne soit le contraire.

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Elle, déversant son shampoing aux parfums de jasmin, l’autre, gominant un cuir chevelu avec sa cire à la vanille, tandis que la dernière peinturlurait sa cliente d’une couleur de laquelle émanait quelques effluves d’ammoniaque, je sombrai soudain dans l’inconscience de tant de parfums combinés.

mieux vaut court que jamais #193

Le tissage hiératique du voile destiné à son beau-père par Pénélope, s’enveloppant dans un cycle de recommencement à répétition, n’est pas tant dû à l’amour porté à son cher et tendre Ulysse, repoussant ainsi les avances de ses nombreux prétendants tant que l’ouvrage n’était achevé, qu’à usage défectueux d’une corne d’abondance, lui fournissant un travail en quantité infini afin d’atteindre l’achèvement de ladite étoffe.

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Si le plaid est l’ustensile idoine du coin du feu, si les braises conviennent qu’il leur donne un décor chaleureux à mirer dans leur dernières incandescences, il ne se plait qu’au coin et se refusera à tâter du cœur, toujours solitaire et mystérieux, jamais dans le feu de l’action.

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La pelote qui toujours se vide et – et si souvent qu’on ne l’ait en rien voulu – fine marotte du fil qui prend toujours la tangente ne saurait bien longtemps se jouer de nos nerfs. Car une fois évidée, ainsi sur le carreau, ne peut-elle plus même nous narguer. Décharnée et disparate, elle ne fait plus masse et n’est plus qu’un grêle entrelacs dont on ne peut raisonnablement avoir crainte.

mieux vaut court que jamais #192

Le collier de barbe comme attribut ornemental du professeur entrant dans l’âge mûr et contribuant à sa reconnaissance en tant que sage et dignitaire de la société universitaire est pour lui un atout indéniable dans sa recherche de prestance. Pour peu qu’il atteigne de manière concomitante le stade du collier capillaire laissant une vaste coupole encéphalique dégarnie et ses galons sont faits.

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Les cheveux en cascade, lui tombant jusqu’au creux du dos, crinière joignant les confins de la robe de crinoline, l’ébène contrastant avec l’immaculée blancheur de l’étoffe, dessinait une frontière comme un corps coupé en deux parties disjointe, de sorte, de son corps, de ne pas couper les cheveux en quatre.

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Se penchant sur son passé récent, et ce nouveau penchant pour l’enroulement compulsif des mèches de sa tignasse, elle dut se rendre à la raison que cela ne lui était venu que du jour où son fer à friser avait commencé à faire des siennes, refusant toute nouvelle frisure. Ses doigts, en pragmatique qu’elle était et en toute inconscience, avaient logiquement pris le relais.

mieux vaut court que jamais #191

Dans l’égarement récurrent de Morphée dans l’irrégularité du cadastre bordelais, me plongeant moi-même dans les errements des chemins du sommeil, je ne désespère généralement pas de trouver moi-même l’orientation idoine, multipliant les positions dans le lit, songeant qu’ainsi je ferais meilleure route. Etrangement, il m’est arrivé à plusieurs reprises d’adopter une curieuse posture où la main gauche venait prendre position sur mon cou. Pourvu que ma main ne soit pas saisie d’une inextinguible crampe, ce serait regrettable de se plonger dans le trépas de ses propres mains en même temps qu’à son insu.

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L’apprentissage du sommeil en collectivité restreinte et socialement approuvée – à savoir à deux – n’est pas une mince affaire. Si de nombreux guides ont pu être publiés afin de fournir aux amants les postures adaptées, il n’en est aucun conseil qui ne nous sied à ma compagne et moi-même. Peut-être devrais-je préciser qu’en somnambules avérés, nous avons cependant la possibilité de changer de lieux en cours de nuit, ce qui rend la tâche parfois plus aisée, faisant de la fuite une position tenable.

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Le hululement lugubre de la chouette toute la nuit durant, moi sommeillant dans ce manoir inquiétant ne me fit guère l’effet de frayeur attendu, mais vint développer chez moi une forme soudaine d’empathie pour le mulot qui, saisi de terreur par ce prédateur nocturne, avait cessé de ronger la plainte du mur.

fables modernes #81 : les perdreaux et la merco

S’étant volatilisée dans la nature,
Sans laisser la moindre trace,
Cette pourtant très suivie voiture
Ne risquait guère la casse.
Remplie à ras bord qu’elle était
De quelques substances recherchées,
Nul ne la pensait en un lieu arrêtée,
Car ce serait là alors calancher. 
Ainsi vaquaient donc les perdreaux, 
A guetter le moindre véhicule,
Brûlant leur poudre aux moineaux,
Feignant de n’être ridicules.
Car nul n’ignorait leur tâche vaine,
Vouée à l’échec dès l’incipit,
Allant certainement en calembredaine
Pour cette merco en fuite.
N’ayant guère pris de précautions,
N’en savaient-ils que maigre
Quant à cette voiture de location
Dont usait ainsi la pègre.
Si les marquages publicitaires,
Sans doute n’étaient plus,
Prenant aide du concessionnaire,
D’infos enfin furent-ils repus.
Glanant domiciles et identités,
Professions et coordonnées,
Même de leurs pères la nationalité,
Ils avaient enfin eu du nez.
Se lançant alors sur leur piste
Eux, en ayant déjà fait un tour,
Dans leur poursuite laxiste,
Comptaient-ils depuis le pourtour,
Mieux suivre leurs manigances,
Comme si, ayant lâché du lest,
Ils avaient observé leur danse,
Pour les arrêter d’un simple geste.
 
 
Mais à se prendre pour des vautours
Les perdreaux, s’ils en prennent de la graine,
En paraissent-ils bourrus et gourds,
Des bourrelets s’extirpant de leur gaine. 

mieux vaut court que jamais #190

Si l’iconographie catholique se plait tant que cela à afficher en tout lieu des macchabées aux souffrances les unes toutes plus dures les unes que les autres, on ne saurait ignorer la vertu apaisante de pareille exhibition que l’on pourrait aisément taxer, de prime abord, de morbide. Car ainsi notre esprit est-il tourné vers des supplices dont on ne peut s’imaginer une quelconque application de nos jours – nul ne s’imagine crucifié ou percé de flèche – tandis que les religions interdisant toute représentation laisse planer le doute sur l’usage d’éventuelles punitions contemporaines.

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Certes l’enfer est pavé de bonnes intentions, mais il n’est pas dit que le Paradis soit un chemin de croix.

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La moustiquaire, sous l’effet du vent, flue et reflue sur le drap doré.

La mousse du vicaire, sous l’effet du vin, file et s’effile sur la mitre dorée.

Il s’émousse des caractères, sous l’effet du temps, s’efface et trépasse la bible dorée.

mieux vaut court que jamais #189

Si les habitudes culinaires se cultivent souvent dès la plus tendre enfance, baignant dans les effluves des repas de dimanche et de famille, il en est certain qui se convertissent à la marmite que plus tardivement. Malheureusement ceux-ci justement ne font que peu usage de la marmite lui préférant wok, micro-onde et autres robots électriques. C’est de la conscience de cet état de fait que le salut des chaudronniers viendra.

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L’ordonnancement méthodique de ses pots d’épice ne cessait d’étonner ses invités s’inquiétant même, pour certains, pour sa santé mentale en découvrant que celles-ci étaient classées par ordre alphabétique, révélant là une psychorigidité qu’on ne lui connaissait guère. Pourtant nul ne s’offusque d’une bibliothèque rangée d’après ce même ordonnancement.

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Le carmin ravivait son éclat,

Le karma ravisait son écrin,

Le cumin rehaussait son petit plat.

mieux vaut court que jamais #188

La crispation de ses lèvres, peu de temps avant que les pleurs ne viennent, formant cette inversion du sourire qui se confond avec la tuile aux amandes, se faisait encore hésitante, frémissante, repoussant encore fermement l’idée-même de pleurer.

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De sa moue profonde et indélébile qui se maintenait constamment sans le moindre artifice sur ses lèvres, s’était-elle faite un masque de dédain qui, dans le reste de son visage guilleret, était gros comme le nez au milieu de la figure.

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Le stick à lèvres, certes se dégaine à tout-va, à la moindre gerçure des lèvres, si bien qu’elles n’en goûtent plus même le goût du sang, lorsqu’une dent si passionnée vient à les titiller sans la prévenance requise.

mieux vaut court que jamais #187

Quiètement, il jouait avec les lignes de son corps comme un tennisman impétueux se joue des lignes du court. Couvrant ainsi tout le terrain jusqu’aux moindres recoins, il ne faisait qu’accroitre les battements de son cœur. Il fut un instant d’inadvertance où sa main sortit du court.

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Quadrillant le terrain, une main en garnison sur son dos, l’autre aux avant-postes sur le ventre, il ceinturait sa partenaire dont le moindre mouvement était ainsi ressenti par ses deux sentinelles, plantés sur sa peau comme deux sismographes épient les mouvements d’un volcan.

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De ses mains faisant vaciller la lueur d’une lointaine lampe, il dessinait de ces formes fantasmagoriques sur son corps lascivement étendu, mais rien qui ne méritât d’être évoqué afin de rendre l’exercice plus stimulant.