Archive pour octobre 2012

mieux vaut court que jamais #213

Si l’on admet généralement, que la vengeance est un plat qui se mange froid, on n’oublie régulièrement son corollaire cathodique établissant que l’effroi est un écran plat en pleine vengeance.

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Fatigué de ces interviews insipides que lui offrait son poste de télévision, il se décida à organiser lui-même les débats. Investissant dans quelques écrans supplémentaires, il n’avait plus qu’à organiser l’interaction cathodique afin de disposer d’échanges à l’intérêt tout autre, quitte à créer parfois l’incongruité dialogique.

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Il était pourtant là tapi, dans le coin, à deux pas du vide-ordure, qui lui faisait de l’œil. Il semblait inerte et sans vie. Pourtant, dans un dernier souffle, il continuait à grésiller par intermittence, affichant encore quelques pixels malgré son câble dénudé.

mieux vaut court que jamais #212

Se désespérant de son immobilité totale, recroquevillé sur la télécommande, les coussins coincés sur le ventre et le regard fixe sur l’écran plasma, qui, elle lui glaçait les sangs, elle s’enquit de sa prostration par la prescription de régulières ablutions. Si elle n’espérait guère de son comportement voir une inversion, imaginait-elle envisageable le court-circuit voire l’électrocution.

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Si le poste de télévision est parfois réputé pour sa capacité, dans les couples, à instiller la division, nul ne sous-estime l’autre tendance qu’elle induit, celle d’une anesthésie cérébrale annihilant, à l’occasion, les logiques d’hostilité. On oublie cependant souvent, l’arme de son achèvement, l’indifférence muette face à sa surface inerte.

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Le nettoyage frénétique de l’écran plat ne suffit à se prémunir du lavage de cerveau.

mieux vaut court que jamais #211

A déambuler lentement dans les rayons du supermarché, évitant avec grâce les potentielles collisions, je ne peux constater le changement opéré. Indéniablement l’hiver est arrivé. Il n’est  qu’à voir les têtes de gondoles du rayon fromager pour constater que les fromages à pâte filée de la botte italienne ou ceux caillés en saumure d’origine grecque ont laissé la place aux goûtus fromages de nos montagnes.

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Sur la façade de la maison de retraite émaillée de balcons microscopiques et tous en tous points identiques, les bégonias et les bulbes désormais s’embrument d’hiver.

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A présent que les rigueurs de l’hiver ont saisi notre pays, il n’est plus à chercher loin les excuses à nos visages crispés du matin, le temps des transports en commun. Le froid a bon dos.

fables modernes #86 : l’amour et la moue

Dans le tramway qui se meut,
Les corps à corps se forcent,
Suivant le parcours sinueux,
Les doigts dialoguent en morse.
Ainsi, lointains mais face à face,
Noyés dans la masse informe,
Que leur regard en rien n’efface,
Lentement leurs âmes se déforment.
Détachant ses yeux de ses pieds,
Elle les accrocha en ligne droite,
Là où il était tranquillement à l’épier,
Le cœur dans les mains moites.
Ne sachant quelle figure adopter,
Elle initia une légère moue amusée,
Pour le rapt d’un regard capté,
Mieux valait la douceur d’une rusée.
En effet interloqué du paradoxe,
Son cœur n’était que perplexité,
Ne décelant quelle équinoxe,
Voulait-elle ainsi exciter.
Sentant l’embarras de l’amarré,
Elle lâcha modérément du leste,
Oubliant doucement ces simagrées,
Qui n’était désormais pas en reste.
Car sentant soudain sous son regard,
Le sien propre qui vacille et s’affiche,
Il ne pouvait être sombre fuyard,
Qui, d’un rien rapidement ne s’entiche,
Avant que de s’évanouir de crainte,
De s’immiscer dans les nues de son âme,
Pour risquer une romance qui éreinte,
Pour un visage devant lequel il se pâme.
Alors brisant le mouvement de la moue,
Il mise sur l’amorce d’un sourire,
Pour effacer ainsi les quelques remous,
De ce dialogue sans mots dire.
 
Dans les transports en commun,
Les malentendus se sèment sans heurts
Et les charmes ont le cœur sur la main
Pour initier d’éphémères bonheurs. 

mieux vaut court que jamais #210

Passant du coq à l’âne de la question épineuse de la gratuité dans l’art à celle plus prosaïque du versement des aides APL en ayant transité par l’interrogation quant à l’éventualité de l’application de doctrines communistes dans les modes de consommation du XXIème siècle, il fallait se rendre à la raison que seule l’argent est en mesure de réunir les êtres pour des discussions à bâtons rompus.

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Le décalage entre l’administration et ses administrés n’a d’autres symptômes plus flagrants que les pratiques linguistiques. Il n’est qu’à songer à la suppression récente des formulaires administratifs de la formule « mademoiselle » qui, depuis son abandon, n’a guère cessé d’être employée par les quelques branleurs de nos villes qui tentent, véhémentement, de séduire les jouvencelles de passage.

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Il n’émergeait de leur dialogue rien qui ne sorte de l’ordinaire, quelques phrases maigrelettes et insignifiantes, s’étant tant bien que mal extirpées de leurs gorges. Mais ne s’agissant là que de la partie émergée de l’iceberg conversationnel, il restait à penser que la partie immergée recelait bien plus de richesses.

mieux vaut court que jamais #209

Le moustique ne l’assistait guère dans sa sieste, mais s’astiquait dans ses guêtres, faisant reluire sa trompe, qui régulièrement se trempant de son sang s’en trouvait souillée. Ainsi vibrant dans l’étoffe, qui, ses ailes étouffe, il s’ébroue à grands cris comme le chien dans la mare.

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Dans le lointain les sirènes s’agitaient encore. Pas un jour, pas une nuit sans le vrombissement des voitures passant à toute allure, dans les rues, sans doute à quelques encablures. Certes s’enquiert-on ainsi de la veuve et de l’orphelin. Mais quid de l’insomniaque ?

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Au fond, il n’a sans doute pas tort. A s’évertuer à crier toute la nuit durant, il s’assure sa propre sécurité dans l’inconnu des rues nocturnes où le premier fou venu est capable d’actes inimaginables.

mieux vaut court que jamais #208

Etrangement, son élocution fut-elle parfaite, me sembla irréelle, comme détachée de tout ancrage dans le concret. De son accent québécois, qu’il portait tout de guingois, émanait le je-ne-sais-quoi d’un lointain imaginaire. Autant le cousin américain, de par la récurrence de son langage s’inscrit dans le réel sans ambages, autant le francophone canadien sombre dans le lointain, demeuré si souvent dans l’espace de la fiction.

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Il avait sorti ses mots endimanchés, flanelles délicates en évidence, la fine fleur des fins penseurs. Genoux en terre, de ce ciel qui ne l’altère, il se déleste de quelques mots à l’allure leste, soulevant les couches de ciment qui imprègnent le cœur des passants.

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Hoquetant et hésitant, les mots déboulant en bulles bouillonnantes dans son gosier qu’il gargarise du glouglou de l’alcool, il bredouille quelques mots de bidouilles, une langue qui, visiblement, invariablement se rouille.

mieux vaut court que jamais #207

– tu l’aimes mon serveur ?

– oui, très.

– tu les trouves comment mes adresses IP ?

– très jolies.

– et mon wifi, tu le trouves comment ?

– je l’aime beaucoup.

– donc tu l’aimes totalement ma box ?

– je l’aime totalement, tendrement, tragiquement

Sur un air de Georges Delerue

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Il n’est nulle perversité pire que celle du dentiste qui ne cesse de s’adresser à son patient, les quenottes prises en tenailles par ses ustensiles de malheur. Parfois pousse-t-il le sadisme à demander à la pauvre victime si tout se passe bien, sans pouvoir obtenir la moindre réponse. Episodiquement, alors au paroxysme de sa perfidie, use-t-il de cet avantage psychologique pour vous humilier de connaissances qu’il aurait supposément en excédent sur vous.

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Impénétrable, le teint fade et peu reluisant, elle me faisait face sans réactions, ne se sentant pas même touchée par mon regard pénétrant. De mains délicates, j’osais l’effleurer afin de l’approcher autrement, escomptant que le tactile ait raison de son inanité. Mais en vain. Seule elle, vêtue de sa blouse, réussira à vaincre sa froideur. Les mains baladeuses de l’hôtesse de caisse eurent raison de l’automatique caisse enregistreuse, métallique moderne diablesse.

fables modernes #85 : la friperie et la p’tite frappe

Qu’il soit seul errant
Ou groupé en un point,
Ne rentrant dans le rang,
Ce fichu bougre de vaurien
Semait toujours la zizanie, 
Troublant les passants,
De ses malveillantes manies
Et de gestes menaçants.
Si le galopin des rues
Effraie le bourgeois,
Il est bien plus saugrenu
Qu’il titille le villageois.
Pénétrant ainsi dans une friperie,
Nul ne se figurait les actes,
Que dans une sombre hystérie,
Suivant avec le diable un pacte,
Il allait sans vergogne commettre,
Dans une pulsion sans mesure,  
Ayant sa raison envoyée paitre,
Et son cerveau mis en pâture.
Equipé que d’un simple canif,
Il lacéra langoureusement,
Dans cette identité du tarif,
Le moindre vêtement.
Une fois son forfait accompli, 
Prenant la poudre d’escampette,
Sa folie ne faisait pas un pli,
Réalisant à la sortie des courbettes.
Nul ne saisit le sens du comportement,
Conservant longtemps le regard hébété,   
Trace de l’acte accompli par pareil dément
Ne cessant qu’atteignant l’état de satiété,
Accomplissant la vengeance sourde,
D’une rancœur longtemps enfouie,
D’un son qui lui meurtri les esgourdes,
Ayant crû comme un malicieux fruit.
 
 
Si l’habit ne fait pas le moine,
Il en reste que le coquin des rues,
Pour que de sa frustration il se soigne,
Veuille qu’en vers nous soyons nus. 

mieux vaut court que jamais #206

La mode des lattes de bois ornementales sur les immeubles d’habitations collectives, loin de réduire l’image de barres HLM, leurs redonne cet aspect de clapier à lapin. Seul le bois donne un côté authentique, presque fermier, sans doute pour faire oublier le béton ambiant.

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Les transports en commun, dans un discours ambiant sur lequel on communie à foison, créé du lien et agrège les êtres que nos sociétés fonctionnelles ont dissocié, presque fragmenté. Ainsi le quidam, qui, rien ne partage, dans l’exiguïté du transport de communauté, s’approprie les paroles de ses semblables, ou supposément tels. Car la description de ce carnage anthropophage à la vicelardise chevillée au corps, de ces quelques jouvenceaux assoiffés de sang et d’émotions ne me donnent guère le sens d’une commune appartenance.

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Ils n’offraient, dans leurs parties communes pas le moindre sens du collectif, s’empressant dès qu’ils le pouvaient de s’approprier les lieux. S’ils n’avaient la chance de profiter d’un agréable patio donné en partage, le hall d’immeuble faisait bien l’affaire pour fêter leurs anniversaires. Triste vieillesse réduite à néant dans ce fade carcan.