Archive pour février 2013

mieux vaut court que jamais #282

Fixant deux photographies de cette personne célèbre à quelques décennies d’intervalles, je ne peux que chercher les quelques traits communs à ce visage buriné par les années, ayant perdu de sa splendeur juvénile. Si la ressemblance saute cependant aux yeux, je n’en déplore pas moins que celle-ci s’établit surtout à l’aune du nez, qui, impassible, est demeuré le même gardien de phare au beau milieu de la figure, sans jamais être enseveli par les assauts du temps, tout juste décrépi par endroits.

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Cette proéminence nasale qui ainsi nous succèdera après notre mort, restant en évidence sur tous les clichés qui auront été pris de nous à intervalles plus ou moins réguliers est bien l’arbre qui cache la forêt. Tous les regards se fixeront sur lui, inchangé au fil des années, alors que, de notre vivant, pas une personne ne se sera véritablement soucié de lui, dans sa grande banalité nasale.

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Il n’est que quelques Cyrano ou clown pour s’en faire un attribut de reconnaissance première. Il reste cependant l’artifice de la culture pour également s’en faire une réputation. Avoir le nez fin et délicat de celui qui, à la moindre goutte emplissant le palais, sait déceler tous les arômes, ce serait alors la seule manière de transformer cette banale caractéristique physique en caractère culturel.

mieux vaut court que jamais #281

Depuis l’annonce de la démission du Pape, tout à chacun imagine les traits que pourrait prendre la modernisation du Clergé, son adaptation au mode de vie de nos sociétés contemporaines. Si de nombreuses personnes ébauchent des plans sur la comète, envisageant des changements sociétaux de fond, pour finalement se trouver être déçus par le manque d’évolution de cette institution, mieux vaudrait, afin de ne pas mettre tous ses espoirs dans le même panier, concevoir quelques adaptations plus modestes. Dans un souci de modernité et de gestion des flux intérieurs à l’église, la seule apposition sur le bloc du confessionnal d’un petit voyant rouge ou vert selon qu’il est occupé ou non, serait d’ores et déjà une avancée considérable pour l’Eglise.

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Le vieux flipper tout de guingois trainant encore dans un sombre coin, sous une chaude nappe qui en avait fait un élégant et robuste bureau, ne pouvait que difficilement tolérer la présence sur son dos de cet ordinateur dernier cri. S’il ne lui était pas possible d’en venir aux mains avec son rival, pour des raisons technologiques évidentes, il n’en avait pas pour autant raté l’opportunité d’exprimer sa profonde exécration en manifestant son désir privatif de courant électrique par quelques courts-circuits bien ciblés.

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La jeune fille qui attend son cher et tendre, qui assurément viendra la délivrer de sa morne existence, n’a guère évolué depuis les temps ancestraux du linceul de Laërte ou des romances médiévales. Seulement prépare-t-elle ses canevas depuis Internet tandis que son preux chevalier risque bien un jour de se trouver être un livreur de pizza monté sur sa bécane.

mieux vaut court que jamais #280

– tu l’aimes ma céramique murale ?

– oui, très.

– tu le trouves comment mon four à chaleur tournante ?

– très joli.

– tu la chéris ma plaque à induction ?

– oui fortement.

– et mon rail métallique pour couteaux à fixation sans trous, tu le trouves comment ?

– je l’aime beaucoup.

– donc tu l’aimes totalement mon plan de travail ?

– je l’aime suavement, sauvagement, exquisément.

Sur un air de Georges Delerue.

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Triste constat relevant de l’intemporel,

L’écrivain toujours en mal de postérité,

Fait son beurre des crises artificielles

Et choux gras des périodes d’austérité.

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Nul n’ignore les crises alimentaires qui se succèdent, toutes plus infamantes pour l’humanité les unes que les autres. Pas une espèce ne semble échapper au Prométhéisme à la mode de Caen et de Frankenstein. Seul le ver de terre, une fois encore se racornit un peu plus, ostracisé jusque dans les pratiques alimentaires nouvelles où l’équidé écope de son écot pour l’équité culinaire des hommes et où, le sage, à défaut d’apprendre à pêcher pour ne point donner de poisson, fournit les farines animales, triste ver de terre qui n’attend que son tour pour être nourri aux hormones, pris pour un bœuf ou drogué de Xanax.

mieux vaut court que jamais #279

Il y a ceux qui songent et ainsi singent leurs désirs. Viennent plus loin ceux qui analysent les ondes des songes à défaut de savoir ce, qu’intimement, dans le monde les ronge. Enfin arrivent ceux qui, au fond du sommeil, restent muets dans le silence des anges.

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Filant doucereuse mésange,

Mensonge du ciel,

Saisie des dernières glaces.

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Frustré, pour ne pas dire vexé, d’être ainsi pris pour un bambin tombé de la dernière pluie, la situation ne pouvait que me faire bouillir de colère. L’impression d’être pris pour un bleu me mettait tout bonnement hors de moi. C’est ainsi que cette rêvasserie de conflit thermonucléaire helvético-flamand me laissa plus que pantois et me mit hors de mon lit tant la crédibilité même du rêve était en jeu, fût-ce-t-il question d’un sommeil de bas-étage, d’une sieste sans panache.

fables modernes #103 : le ciel et l’essieu

Ouvrant la route du fier convoi,
Serpentant sur les étroites voies,
La flambante camionnette de service 
Dans la suite de lacets se hisse.
Car cette caravane extraordinaire
Devait, pour enfin changer d’air,
Accomplir quelques ascensions,
Au risque de quelques sensations.
De ce petit cirque de campagne,
Franchissant alors les montagnes,
Voyait-on tous les véhicules,
Prendre d’assaut les monticules.
Poussés par l’envie de nouveaux cieux,
Pour de leur création subjuguer le malicieux,
Franchissait-il inlassablement les frontières,
S’initiant toujours à de nouvelles matières.
Nul doute que de retour au pays,
S’instillerait dans leur féérie,
Quelques nouvelles prouesses,
Que les étoiles, un jour, caressent.
Car en spécialistes de l’acrobatie,
Refusant ce bas-monde rétréci,   
Que la gravité sans cesse gouverne,
Pour nous le rendre plus terne,
De la terre avait-il coutume,
De s’éloigner du triste bitume,
Pour naviguer dans les airs,
En curieux volatile bestiaire.
Contraint là par le voyage,
A demeurer comme en cage,
Les circassiens piaffaient,
D’être ainsi tristement coffrés.
Cependant s’élevant dans le ciel
Plus qu’il ne leur était habituel,
Il y eut cet étrange et sombre bruit,
Comme un nuage se détruit,
Pour tous alors les interpeller,
Derrière la camionnette esseulée,
Venant par une fameuse embardée,
Aviser que les ennuis n’allaient tarder.    
Le conducteur ne pouvait que constater,
Son véhicule désormais accidenté,
De son essieu malencontreusement brisé,
Il n’avait plus guère que les cieux pour prier.
 
 
Que l’on soit parfois téméraire,
N’est pas aux astres pour leur plaire,
S’ingéniant par des impondérables,
A rendre le sommet inatteignable. 

mieux vaut court que jamais #278

A quelques pas, jaillissait une lueur à faire pâlir l’astre solaire. La pièce, dardant de son éclat de bijouterie aussi éblouissant qu’un salon de dentiste, tout aussi froid qu’un ice-bar et aveuglant qu’un four solaire, présentait sous de maigres parois de verre, quelques bien pâles verroteries pas même en mesure de refléter les lumières qui étaient braquées sur elles.

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Le fin frémissement de la glace dans ses ondulations naturelles me frisait déjà les cheveux. Le chuintement de cette couche, pourtant si épaisse, s’ingéniant à se mouvoir malgré son état plus que solide me faisait déjà chanceler.  Le sifflement à la surface bientôt me fit m’affaler à-même le sol, savourant mieux encore l’atmosphère feutrée du lac gelé.

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Au milieu de l’assiette de faïence à la blancheur immaculée, le cuisinier avait déposé un ilot de maigrelets haricots, noués en fagot, accueillant à sa surface un monceau de viande. Autour, une sauce imbibait chaque haricot tant et si bien que déjà certains se désagrégeaient de l’ensemble. Nul doute que, même en cuisine, le radeau de la méduse n’est guère une représentation plaisante du monde.

mieux vaut court que jamais #277

Marchant d’un pas alerte le long du tapis roulant hors d’emploi, je sens ainsi décroitre l’allure du monde. Cette victoire du biologique sur le mécanique, qui me réjouit au plus haut point, m’en faire perdre l’équilibre de ma démarche, l’achevant lamentablement dans la rambarde elle-même. « Le rire est du mécanique plaqué sur du vivant », dixit Bergson, quid du vivant plaqué sur le mécanique ?

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Piéton automate, à peine la panne technique du transport en commun, et se jette-t-il sur les voies évidées du tramway, ne détournant pas son itinéraire d’un iota, sans pour autant marquer l’arrêt en station.

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Sur le bitume, pantoise, elle s’ébahit. En pamoison devant le macadam, elle s’y étend. Affriolée par l’asphalte, elle s’y fige et bientôt y somnole. Les passants s’étonnent, mais jamais ne la sonnent. Ses songes doucement s’y étreignent.

mieux vaut court que jamais #276

La corporation mondialisée des psychothérapeutes ne serait guère difficile à ébranler, si chacun y mettait un peu du sien. Il n’est qu’à envisager de ne plus rien révéler de nos rêves secrets de la nuit pour qu’une des sources se tarisse. Une chute de toute la communauté ne sera ensuite qu’une question de temps, à moins qu’elle ne s’accroche comme un mollusque à son rocher sur les cellules de crises et autres dispositifs de soutiens ad hoc, qui font aujourd’hui florès à chaque nouvelle catastrophe.

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Pas même un songe, vous dis-je !

Pourtant avais-je déboursé les sommes d’argent nécessaires à l’acquisition de quelques décoctions nocturnes aux promesses enchanteresses – « nuit tranquille » affichait-on ainsi sur l’emballage – d’une bande-son où la harpe répondait à la scie musicale dans une harmonie de crissement de glace lacustre en Laponie orientale et même d’une huile de massage devant, comme l’olive sur les cuisses de poulet, attendrir mes muscles. Mais le sommeil de plomb qui suivit, m’assomma tellement que la nuit me parut aussi terne que la susmentionnée surface glacée.

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J’avais beau tenter, par quelques expériences délicieuses, de me faire une place dans ses songes, je voyais bien que mes tentatives demeuraient sans effet. La voyant s’agiter et se contorsionner dans tous les sens, elle était sans arrêt prise d’assaut par quelques cauchemars qui n’offraient, à l’évidence dans l’espace-temps du rêve, aucune place de choix pour ma petite personne sous un jour plaisant. A moins que ces mouvements brusques ne fussent destinés à me faire ficher le camp du lit.

mieux vaut court que jamais #275

Parmi les analyses statistiques culturelles régulièrement effectuées, il est encore des pratiques culturelles qui peinent à être prises en compte. Il serait ainsi, dans un contexte de mondialisation où les influences de différents pays s’accentuent, notamment dans l’espace européen des pays du Sud, celle de la sieste, que l’on se refuse sans vergogne à considérer dans son ampleur et sa profonde signification.

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Dans un effort de compréhension de ces pratiques de sommeil diurne de courte durée, nous ne pouvons faire l’impasse sur une succincte taxinomie. Il ne faut ainsi pas confondre la sieste utilitaire, pouvant être pratiquée dans le cadre professionnel afin de recouvrer quelques forces,  de la sieste dépressive qui nécessite la validation d’un psychothérapeute assermenté ou de la sieste farniente et épicurienne qui se pratique, dans le meilleur des cas, sous un soleil éclatant de mi- saison.

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Nul être, pas même un Alceste,

Ne pourrait succomber à la suavité

Des concises songeries de la sieste,

Troublant, dans la brièveté, la réalité.

fables modernes #102 : l’oiselle et le casse-noisette

L’oisive et gracieuse oiselle
N’avait, comme ses ainées,
Investi dans le tissage éternel
Dans l’attente de l’être aimé.
Elle passait ses claires journées,
A évider la panière de noisettes
Qu’une à une elle retournait,
Pour ensuite les réduire en miette.
Le regard souvent dans le vide,
S’ouvrant le large horizon,
Fixe en disciple de Parménide,
Sans la moindre fenaison.
De ce cake au noisette,
Que jamais elle n’achevait,
Conservant sa nuisette,
Que jamais elle ne soulevait,
Avait-elle choisi l’austérité
De la vie triste de la recluse,
Sous le joug de la sévérité,   
D’une liberté qu’on récuse.
Sous le regard accusateur,
Et pourtant presque effacé,
De l’ustensile castrateur,
D’effroi se sentait-elle glacée,
Ne songeant rien accomplir
Qui puisse lui le froisser,
Maitre virtuel de son devenir,
Devant lui éviter de s’angoisser.
Ayant remis son destin,
Entre les pinces de l’outil,
N’était-elle que pantin,
Oubliant les soucis.
 
 
Il est parfois dans la vacuité,
Manière de se remplir,
Pour, dans une grande austérité,
Oublier ses désirs.