Archive pour novembre 2012

mieux vaut court que jamais #230

On ignore souvent le premier et profond trouble de celui qui accumule années après années les vêtements, la plupart mis en une et une seule occasion. Il rejoint en fait la pathologie de celui qui conserve les tickets de cinéma, celle du collectionneur d’instants à tendance matérialiste et à la mémoire concomitamment défectueuse.

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Si une des sciences médicales essentielles chez l’amateur qu’est le patient régulier du généraliste est la posologie, afin d’éviter soit de contracter une maladie préexistante que l’on ne devrait pas suivant les symptômes alors rencontrés soit d’en faire émerger une nouvelle alors encore inconnue, il est une autre discipline dans laquelle il se doit d’exceller, celle de l’optimisation du rangement, conciliant praticité de celui-ci, distinction des produits et accessibilité. Les médicaments par leur petitesse et leurs similitudes sont un véritable challenge pour les maniaques du rangement.

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S’il s’empresse de pianoter sur son clavier, histoire de récolter quelques numéros qu’il espère magiques, son intérêt n’est pas tant dans cette menue opération numérique qui ferait de lui un comptable sentimental sans vergognes. Le collectionneur de numéros de portables est surtout, au plus profond de son âme très lucide, un collectionneur de râteaux.

mieux vaut court que jamais #229

La vitrine arborait de ces bariolés ballons dont on faisait il y a encore quelques temps les anniversaires. (Il était alors un temps où la baudruche comme la peluche étaient, de ces célébrations, précieux amuses bouches). A l’intérieur la musique de discothèque, dont on avait élevé le niveau sonore par rapport à l’accoutumée, rompait avec la quiétude habituelle du salon de coiffure. Au moins eu-je droit, en ce jour anniversaire, à un café.

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Entre deux périodes de fastes fêtes, rassemblant de très larges pans de la population – si ce n’est son intégralité pour les plus rassembleuses d’entre elles – les surfaces de vente quelle qu’elles soient sont contraintes à meubler par quelques célébrations à la réussite plus ou moins grande, jouant de diverses valeurs. Si celle du terroir a le vent en poupe, il est fort à parier que les pancartes et autres kakémonos annonçant dans cette grande surface la « foire aux gras » soient en mesure de trouver leur public.

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Sans considération du qu’en-dira-t-on, la petite échoppe de librairie évangélique décorait sa devanture de multiples guirlandes électriques, espérant alors attirer le chaland, qui, à l’approche de noël se trouve vite aspiré par la consommation à outrance. Visant à une forme de sobriété, la décoration ne s’en tint qu’à une unique couleur, rouge rubis christique et eucharistique. Il était depuis lors devenu étrange que de voir ces passants, qui, face aux quelques littératures pour eux si iconoclastes enrobées dans ces rougeurs soudaines, se drapaient de la même pudeur que l’on arbore devant la vitrine chromatiquement identique du sex-shop.

mieux vaut court que jamais #228

Le bruit feutré du lecteur de livre – d’autant plus qu’il est ancien et que les feuilles râpeuses s’écharpent au contact de la peau – et celui plastique du lecteur de magazine n’ont rien de commun. Pour peu que la lectrice de magazine arbore un de ces manteaux doudouneux, informe et plastique et l’on n’entend plus guère les feuilles tombées des arbres, saisi par la violence de l’artifice plastique, qui, quand on l’étreint ainsi crisse plus fort que nombre de bêtes sauvages se manifestant au milieu de la nuit.

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Lui qui errait dans ces couloirs, dans ces travées si pleinement garnies, si jubilatoirement fournies, ressortait-il toujours bredouille. De ces livres qu’il voyait et qu’il touchait du doigt, un à un, pas un ne trouvait grâce à ses yeux. Il passait aux yeux de tous pour le plus fidèle lecteur de la bibliothèque, amoureux platonique des livres qu’il ne touchait pas. D’aucuns se figuraient que cette membrane de plastique qui enveloppe en ces lieux les livres le répugnait au plus haut point.

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Depuis qu’il époussette chaque jour la tranche de ses livres, le bouquiniste ne fait plus recette. Ne se guidant qu’à l’odorat, ces quelques collectionneurs cabotins ne retrouvent plus l’atmosphère olfactive qui leur sied tant et en laquelle ils ont placé toute leur confiance. Le nez sur la tranche, il n’est en effet pas commode de déceler le parfum des mots.

mieux vaut court que jamais #227

Se prenant les pieds dans le fil du chien, sa laisse donc, il s’entendit dire, en marque de prévention « attention Monsieur vous allez tomber ». A cause d’un fil tenu d’un côté par une dame à l’âge suffisamment important pour qu’on le taise et un yorkshire ? Je crois qu’aucun des deux n’eut fait le poids face à ce fringant hominidé.

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Désemparé et sans son maître, vaquant enfin librement sans sa laisse, ce fichu chien n’avait rien trouvé de mieux que d’emprunter le même parcours que celui qu’il accomplissait quotidiennement avec ce bougre de quadragénaire pour revenir errer devant la porte d’entrée de son immeuble désormais close. Et nul autre canidé pour lui venir en aide.

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Nulle ombre au tableau. La clarté limpide nimbait la pièce, effleurant les napperons des accoudoirs tout comme les bibelots de la cheminée. Jusqu’au tapis bariolé, la lueur se diffusait, pour ainsi dire quiètement. Fixant fébrilement le crucifix, le chien ceint des rayons soyeux s’assoupit de suaves songes. Enfin avait-il éteint ce fichu poste de télévision, cessant ainsi ses effusions de futilités.

fables modernes #90 : les préliminaires et le piètre luminaire

Posant alors sa frêle figure
Sur l’épaule toute offerte,
La donzelle, en belle d’Epicure,
Se pique de découvertes
De cet être qui l’accompagne,
Seyant élégamment à ses côtés,
Et qui bientôt son cœur gagne,
Avant d’avoir sa timidité ôtée.
Car la voilà soudain qui badine,
Ballotant quelques mots maladroits,
Qu’elle roule entre ses lèvres mutines,
Qu’elle distille lestement à son endroit.
Imperturbable le fier jouvenceau
Ne répond qu’avec parcimonie
Aux œillades lancées dans l’assaut,
Savourant la suave cérémonie.
Car sous ce soyeux couchant,
Aussi loin que dans ses songes,
Il n’avait connu pareil penchant
Qui doucement son cœur ronge.
Il ne pouvait cependant languir,
Son sort risquant de se sceller
Pour n’alors plus que souffrir
De n’avoir reçu ses baisers salés.
Car savait-il qu’au clair de lune,
Sous quelques artifices blafards,
Sa face de mauvaises fortunes
Qu’il ne pouvait voiler de fards, 
Jaillirait à son regard candide,
Pour lui être infligée sourdement,
La laissant à son teint livide  
Face à la vilenie des éléments.
Ainsi convaincu de la chose,
Il demeurait transi de frayeur,
N’arborant que son air morose,
Glaçant portrait de rigueur.     
Il était sous le piètre luminaire,

Cendrillon de rez-de-chaussée © Pierre Miglioretti

Cendrillon de rez-de-chaussée © Pierre Miglioretti

Son visage en lame de couteau,
Brisant ces doux préliminaires,
Se concluant en triste râteau.
 
 
Il n’est qu’à se figurer bête
Pour ôter empathie à la belle
Qui pourtant ne se fie à la tête
Et préfère ce qui s’y amoncelle. 

mieux vaut court que jamais #226

Dans l’amas de personnes, dans ce banc de passagers serrés les uns contre les autres, émergeait cette grande perche qui zyeutait en tous sens. Le cyclope du tramway, avec son œil circulaire sur le modèle du périscope sous-marinier quêtait le regard de sa future proie.

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Il pratiquait le morse. Mais le morse lumineux exclusivement. Comprenez qu’il peine à entretenir quelques relations sociales alors que l’été finlandais battait son plein.

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Si le détecteur de mensonge n’avait pas permis de résoudre leurs interrogations mutuelles, ne décelant le tien du mien dans cette sombre histoire de tromperie, au moins surent-ils alors qui avait égaré la télécommande.

mieux vaut court que jamais #225

Il était au milieu des édifices effondrés, comme en deuil, dans ces terrains profondément dans le vague, le bar de la marine. Si les rivages n’étaient guère éloignés, il n’était plus là le parfum des ports de jadis, voire même de maintenant. Ni marins, ni navires à l’horizon, hormis dans les effluves de mémoires de quelques anciens zonant encore ici ou là. Le bastringue n’était plus que le seul vestige des cargaisons que l’on chargeait au-delà du bastingage des embarcations sillonnant depuis là les océans. Seul, le bar de la marine s’accrochait à son rocher.

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Le carrelage meurtri et à la face déconfite n’avait rien à envier au zinc rayé en tout point. Les chaises dépareillées – et pour certaines, pour partie, démembrées – ne détonnaient guère dans l’espace clos du bar. Le décorum des années de gloire des verts stéphanois était au diapason de ce temps révolu. Pourtant le bistrot, depuis quelques jours, ne désemplissait pas.

En nouvel étalon, le wifi gratuit faisait la clientèle du patron.

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Les clés sur la serrure de la porte du bar chutant suite à la pression exercée sur la clenche, le clébard ne bougea pas d’un poil. Soulevant mollement une seule paupière, il eut le temps de s’apercevoir de l’irruption inopportune de cambrioleurs. Il n’aboya guère quand ils se saisirent de la caisse, pas plus qu’il ne grogna quand on lui martyrisa la queue par inadvertance.

Ce n’est qu’en ressortant que les cambrioleurs, sous l’enseigne « au père tranquille » virent l’écriteau « Attention, chien peinard ».

mieux vaut court que jamais #224

C’était une nuit de quart de lune

Dans le quartier de la lune

Au lointain sourit le sablier de la dune.

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S’illuminant à cette luisante mine,

Fuyant son linceul qui le mine

Son chagrin doucement s’élimine.

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Dans le sommeil qui l’envahit

Le songe vermeil des soirs ébahis

Sombre et se fait hara-kiri.

mieux vaut court que jamais #223

– tu l’aimes mon dérailleur arrière Shimano Dura Ace, SS à cage courte ?

– oui, très.

– tu les trouves comment mes pédales en acier inoxydable ?

– très jolies.

– et mon cadre en alu, tu le trouves comment ?

– je l’aime beaucoup.

– donc tu l’aimes totalement mon VTT ?

– je l’aime totalement, tendrement, tragiquement

Sur un air de Georges Delerue

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Il n’est désormais plus un poteau, plus une barrière de nos centres-villes qui n’arborent leurs épaves de vélo, auxquelles on a sans vergogne ôté, qui une roue avant, qui des câbles de freins, qui une selle. Il n’est même plus guère la maréchaussée pour venir, comme dans les océans, venir racler les fonds et décramponner les vestiges d’embarcations ayant subies les affres des éléments.

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La mode désormais bien lancée des vélos en libre-service proposés dans toutes les grandes villes de France créé bien entendu des comportements de circulation nouveaux, souvent sources de multiples accidents. Cependant, ce sont surtout des comportements autrefois rares qui désormais se généralisent. Ainsi on ne compte plus les dérives nocturnes de ces nouveaux usagers du vélo, qui, par habitude, dans leurs lits, continuent de pédaler dans leurs rêves. Ce qui n’était pourtant qu’attitude marginale que l’on ne rencontrait que chez les cyclistes réguliers, est devenu commun dans une large frange de la société.

fables modernes #89 : le colloquant et le cœlacanthe

Invité dans un de ces sommets,
Congrès pour quelques dignitaires,
Rencontres de pontes confirmés
Devant rétablir l’équilibre planétaire,
Un jeune colloquant néophyte 
Découvrait le cadre universitaire
Côtoyant ici quelques mythes,
Comblant des connaissances lacunaires.
Il baguenaudait dans les couloirs,
Quêtant quelques lieux de commodités,
Où quelques instants s’asseoir,
Et profiter d’une certaine intimité.
Comme en ces lieux de savoirs,
Tout est propice à l’érudition,
Il n’était pas le moindre urinoir,
Qui ne servait de lieu d’édition.
S’affichait ainsi là pêle-mêle,
Des posters et des graffitis,
Que les sciences emmêlent
Dans un joyeux embrouillamini.
Surtout une affiche attira le regard
Du jeune colloquant demeurant coi,
La bouche bée et les yeux hagards, 
Devant un cœlacanthe plein d’émoi.
Face à cet organisme que l’on crut éteint
Se sentit-il être profondément fragile,
Etre fugace dont on ignore le destin,
Sans cesse funambulant sur un fil,
Lui aussi risquant disparation aux abysses,
Pour ne réapparaitre que plus tard,
Par une quelconque découverte propice,
D’une espèce devenue nouvelle gloire.
Ainsi sombrant dans les affres métaphysiques,
Le colloquant demeura longuement hébété,
Oubliant les interrogations scientifiques,
Qui en arrivant au colloque, l’habitaient.
 
 
Il n’est nul savant qui ne se trouble
De l’arbitraire qui nous dirige,
Sortant des espèces en eaux troubles
Qui n’étaient alors que vestiges.