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pensées écologistes #2

Pourquoi aujourd’hui on n’y arrive pas ? et pourquoi dans d’autres contextes nous avons réussi ? Schématiquement on se dit souvent qu’il nous faut tirer les leçons du passé pour mieux agir à l’avenir.

Il y a souvent un exemple qui vient en tête par rapport aux questions de climat et ce n’est effectivement pas inutile de faire la comparaison avec les enjeux liés à la Couche d’Ozone et l’accord de Montréal qui a permis d’établir l’arrêt progressif des CFC, accord lui-même amendé à Kigali en 2016 pour décréter la réduction des HFC, les gaz qui ont pris la place des CFC, gaz qui sont pour autant extrêmement puissants en termes de renforcement de l’effet de serre. Arte en a diffusé un documentaire dernièrement très pertinent sur la question.

Il y a plusieurs éléments qui expliquent le succès de cette mobilisation : comme habituellement – et comme aujourd’hui – il y a des travaux de scientifiques qui petit à petit découvrent les méfaits des CFC sur l’Ozone, qui accumulent petit à petit les preuves et se font gentiment éconduire par les dirigeants politiques sous influence des lobbies. Tiens ça me rappelle des choses contemporaines, des histoires de ministre de l’écologie et de chasseurs, de ministre de l’écologie et de VRP officieux d’Areva&Co… Et puis les preuves deviennent trop importantes, les découvertes inébranlables. L’opinion publique s’en saisit et en prend conscience. Les dangers sur la couche d’ozone deviennent même un objet médiatique et font l’objet de références dans des séries télé américaines. A cela, on ajoute aussi quelques paramètres personnels qui permettent aux politiques de s’identifier dans ce combat et d’en faire leur cheval de bataille. D’un côté de l’Atlantique, Ronald Reagan, libéral jusqu’au bout des ongles, pas vraiment tendance écolo, plutôt chasseur forcené. Mais il a eu un cancer de la peau et les risques avancés sur la progressive disparition de la couche d’Ozone ne peuvent que lui donner la chair de poule. De l’autre côté, Margaret Thatcher, pas non plus une communiste dans l’âme, la dame de fer aux idéaux libéraux est toutefois chimiste de formation. C’est une femme de science dans un milieu politique masculin et peu issu du milieu scientifique. Alors quand il faut donner un coup de pouce pour convaincre de l’intérêt pour tous les Etats de signer l’accord de Montréal, elle va au charbon, car elle sait de quoi elle parle et ce n’est pas non plus négligeable pour son leadership politique.

Je disais tout à l’heure que le combat a eu une résonnance rapide dans l’opinion publique, y compris par des biais médiatiques forts et une opinion publique qui a alors su adapter ses comportements. C’est notamment le cas après l’évocation des dangers pesant sur la couche d’ozone dans une série tv très populaire aux Etats-Unis où l’on assiste alors à une très forte réduction des ventes d’aérosols de cosmétique et autres.

Autour de cette question technico-environnementale, on a aussi des industriels qui sont prêts à évoluer à partir du moment où un accord global peut être trouvé, un accord qui devra donc concerner tout le monde.

Autre point fort de la gestion de cette problématique, c’est l’engagement, notamment via Margaret Tchatcher, d’aider les pays en voie de développement dans la transition vers d’autres solutions technologiques, ce qui aidera à les convaincre de signer l’accord. Cette logique sera remise au goût du jour pour la signature de l’accord de Kigali en 2016.

Alors qu’est-ce qu’il manque aujourd’hui par rapport à cela ?

Alors il manque l’intérêt politique personnel, c’est certain. Au-delà des convictions politiques, il n’y a pas aujourd’hui de personnages politique de premier plan qui se sentent personnellement impliqués dans la question. Là aussi Macron déçoit : on pouvait imaginer qu’un homme politique d’une génération plus jeune aurait saisi cet enjeu et j’ai envie de dire, comprendrai ce que cela implique pour lui, qui a encore pas mal d’années à tirer sur terre si tout va bien pour lui. Et comme il a la tête du gendre idéal, il ne doit pas faire d’excès dans sa vie et on peut lui promettre une espérance de vie plutôt convenable. Mais il ne montre pas de préoccupation particulière pour le monde dans lequel il vivra dans 40 ans.

Qu’est-ce qui est également différent par rapport à la question de la couche d’Ozone ?

Les comportements des gens : où se trouve la différence là-dessus ? Sur l’Ozone, il s’agissait d’abandonner quelques produits, il ne s’agissait pas de remettre en question tout un mode de vie,… On pouvait faire confiance aux industriels pour trouver une nouvelle technologie, une nouvelle solution. Aujourd’hui c’est un système social, économique, culturel … qu’il faut métamorphoser. C’est d’ailleurs cette globalité qui appelle à une réponse politique, une réponse coordonnée qui fait qu’on peut saisir les différents paramètres de manière simultanée.

Autre changement : les entreprises. On avait compris à l’époque la nécessité d’un mécanisme contraignant qui soit forcément global pour respecter la concurrence. Et plus globalement c’est l’enjeu de changer de modèle économique dont on peut se poser la question. Aujourd’hui, l’attente de la part des entreprises est toujours la même : il ne faudrait pas créer de distorsion de concurrence. Ce n’est pas de l’assouplissement et moins de contrainte que les entreprises attendent forcément – même si elles l’attendent bien – mais c’est aussi un traitement égal qui ne vienne pas en contraindre certaines et pas d’autres.

Mais au-delà de cela, la question est différente aujourd’hui et elle peut être ainsi formulée : le modèle entrepreneurial est-il tout simplement soutenable ? Quand on considère, dans une approche qui n’est pas si caricaturale qu’une entreprise qui n’avance et ne s’accroit pas c’est une entreprise qui meurt, c’est la question de la soutenabilité de ce modèle qui se pose. Je mets de côté bien évidemment des entreprises de la sphère économie sociale et solidaire dont l’accroissement d’activité ne peut qu’être bénéfique à la société. La globalité du problème qui ne touche aujourd’hui pas uniquement quelques secteurs économiques renvoie forcément à la globalité du système économique.

C’est en ce sens que nous avons besoin d’une réponse globale et d’une réponse politique parce que les individus isolément ne peuvent le faire ou sinon ils ne peuvent le faire que dans un temps bien trop long. Ce n’est pas pour se substituer aux initiatives citoyennes mais pour les accompagner, les épauler, les renforcer que nous avons besoin de l’Etat et du politique.

Dans cette question du pourquoi n’y arrive-t-on pas, cela me renvoie au constat fait par Nicolas Hulot et partagé par bon nombre d’analystes depuis : nous avons innové en créant un ministère de l’environnement. Alors parfois ce n’était qu’un secrétariat d’Etat, parfois il était rattaché à un autre ministère, parfois c’était un ministre d’Etat. Peu importe tout cela. Mais le constat est bien le suivant : c’est que même avec un ministre populaire et soucieux d’environnement – personnellement je ne doute pas de la sincérité de Nicolas Hulot et de son engagement – ce ministère n’a servi à rien ou si peu. Dans les jours qui ont suivi son départ, tout le monde a glosé sur son ou sa remplaçante potentiel.le. Mais qu’importe dans le système actuel. On pourrait mettre une chèvre, le résultat serait le même. Petite pensée à présent pour François de Rugy… On peut donc vraiment se poser la question : à quoi sert-il aujourd’hui ? Je veux dire, à quoi sert le ministère de l’environnement, pas François de Rugy, lui, personnellement, cela m’importe peu. Peut-on, voire même, doit-on lui privilégier une politique transversale ? Pour la transition climatique, il va falloir mobiliser la formation professionnelle, l’enseignement supérieur, l’éducation nationale pour accompagner les filières économiques et faire évoluer les secteurs, orienter autrement les carrières, accompagner les changements de carrière. Il va falloir mobiliser le ministère de l’agriculture et autrement que sur la défense de Monsanto pour l’heure aussi redoutable qu’une affaire suivie par Dupont-Moretti, il faut dès à présent l’affirmation très forte d’une orientation du ministère des affaires étrangères et européennes autour des enjeux climatiques, car le réchauffement produit déjà ses réfugiés climatiques, il a déjà son impact sur les conflits mondiaux, etc, etc.

Nous devons agir rapidement pour réorienter les secteurs et inventer de nouvelles manières d’intervenir pour aider et faire en sorte que des filières économiques disparaissent, car elles vont et doivent disparaître, soyons lucides et il faut le dire clairement, alors que d’autres doivent se renforcer : le transport routier n’a pas d’avenir (petite pensée émue pour la taxe carbone qui est en train d’être enterrée en grandes pompes et doux souvenir des bonnets rouges, ancêtres des gilets jaunes…), le transport aérien n’a guère plus d’avenir, celui des grandes surfaces est à interroger fortement. Par contre, disposer d’une agriculture durable et de proximité va nécessiter du personnel, réellement s’attaquer au chantier de la rénovation thermique des bâtiments aussi, etc. L’Etat doit pouvoir apporter cette vision, cette prospective, c’est son rôle. L’Etat devra combiner les outils possibles : des incitations financières, des taxes (voilà, c’est dit), de l’accompagnement et de la formation, son intervention directe dans de nombreux secteurs-clés (comme celui de l’Energie par exemple). Dans le capitalisme d’aujourd’hui, si l’Etat ne le fait pas, si l’Etat n’intervient pas, certes des citoyens pourront le faire mais cela sera long, imparfait et ne fera qu’accentuer le greenwashing du capitalisme dont les entreprises se reconfigureront sans cesse, sans changer leur perspective de croissance et de profit sans fin. C’est ainsi que des Coca-Cola ou autres peuvent promettre d’un côté du recyclage et lancer des lobbystes contre des mesures comme la consigne, c’est ainsi que ces mêmes sociétés vont se mobiliser pour une démarche de recyclage généralisé sans remettre en cause leur modèle de production et de développement ni même se souvenir que le 100% recyclage n’est pas possible.

L’urgence est telle qu’on ne peut pas se contenter des petits pas microscopiques, des gouttes d’eau du colibri : il faut le pas lourd et ferme d’un pachyderme étatique et surtout de la plupart des pachydermes étatiques voire de tous et qui seront ainsi en mesure de proposer à toutes les entreprises les mêmes conditions. Parce que là, il faut parler leur langage et leur garantir qu’il n’y aura pas de rupture de concurrence : elles seront toutes logées à la même enseignées, toutes contraintes aux mêmes objectifs d’efficacité énergétique et de contribution climatique.

Mais l’intervention de l’Etat ne peut pas être que punitive, elle doit être accompagnatrice. Je dois être un peu vieille école, mais l’Etat doit accompagner et mener son peuple comme on éduque ses enfants : en les guidant, en les accompagnant, en les aidant, parfois en les punissant et surtout en étant juste avec tous. Une écologie sans justice sociale ne pourra pas fonctionner, une taxation verte qui n’est pas transparente ne pourra pas non plus être une réponse. Les enjeux environnementaux, par leur gravité, par leur ampleur, par leur complexité amènent à repenser le rôle et l’intervention de l’Etat, à repenser la démocratie tout comme l’économie. Le renouvellement générationnel de la macronie achoppe sur un fonctionnement d’ancien régime.