pensées écologistes #2

Pourquoi aujourd’hui on n’y arrive pas ? et pourquoi dans d’autres contextes nous avons réussi ? Schématiquement on se dit souvent qu’il nous faut tirer les leçons du passé pour mieux agir à l’avenir.

Il y a souvent un exemple qui vient en tête par rapport aux questions de climat et ce n’est effectivement pas inutile de faire la comparaison avec les enjeux liés à la Couche d’Ozone et l’accord de Montréal qui a permis d’établir l’arrêt progressif des CFC, accord lui-même amendé à Kigali en 2016 pour décréter la réduction des HFC, les gaz qui ont pris la place des CFC, gaz qui sont pour autant extrêmement puissants en termes de renforcement de l’effet de serre. Arte en a diffusé un documentaire dernièrement très pertinent sur la question.

Il y a plusieurs éléments qui expliquent le succès de cette mobilisation : comme habituellement – et comme aujourd’hui – il y a des travaux de scientifiques qui petit à petit découvrent les méfaits des CFC sur l’Ozone, qui accumulent petit à petit les preuves et se font gentiment éconduire par les dirigeants politiques sous influence des lobbies. Tiens ça me rappelle des choses contemporaines, des histoires de ministre de l’écologie et de chasseurs, de ministre de l’écologie et de VRP officieux d’Areva&Co… Et puis les preuves deviennent trop importantes, les découvertes inébranlables. L’opinion publique s’en saisit et en prend conscience. Les dangers sur la couche d’ozone deviennent même un objet médiatique et font l’objet de références dans des séries télé américaines. A cela, on ajoute aussi quelques paramètres personnels qui permettent aux politiques de s’identifier dans ce combat et d’en faire leur cheval de bataille. D’un côté de l’Atlantique, Ronald Reagan, libéral jusqu’au bout des ongles, pas vraiment tendance écolo, plutôt chasseur forcené. Mais il a eu un cancer de la peau et les risques avancés sur la progressive disparition de la couche d’Ozone ne peuvent que lui donner la chair de poule. De l’autre côté, Margaret Thatcher, pas non plus une communiste dans l’âme, la dame de fer aux idéaux libéraux est toutefois chimiste de formation. C’est une femme de science dans un milieu politique masculin et peu issu du milieu scientifique. Alors quand il faut donner un coup de pouce pour convaincre de l’intérêt pour tous les Etats de signer l’accord de Montréal, elle va au charbon, car elle sait de quoi elle parle et ce n’est pas non plus négligeable pour son leadership politique.

Je disais tout à l’heure que le combat a eu une résonnance rapide dans l’opinion publique, y compris par des biais médiatiques forts et une opinion publique qui a alors su adapter ses comportements. C’est notamment le cas après l’évocation des dangers pesant sur la couche d’ozone dans une série tv très populaire aux Etats-Unis où l’on assiste alors à une très forte réduction des ventes d’aérosols de cosmétique et autres.

Autour de cette question technico-environnementale, on a aussi des industriels qui sont prêts à évoluer à partir du moment où un accord global peut être trouvé, un accord qui devra donc concerner tout le monde.

Autre point fort de la gestion de cette problématique, c’est l’engagement, notamment via Margaret Tchatcher, d’aider les pays en voie de développement dans la transition vers d’autres solutions technologiques, ce qui aidera à les convaincre de signer l’accord. Cette logique sera remise au goût du jour pour la signature de l’accord de Kigali en 2016.

Alors qu’est-ce qu’il manque aujourd’hui par rapport à cela ?

Alors il manque l’intérêt politique personnel, c’est certain. Au-delà des convictions politiques, il n’y a pas aujourd’hui de personnages politique de premier plan qui se sentent personnellement impliqués dans la question. Là aussi Macron déçoit : on pouvait imaginer qu’un homme politique d’une génération plus jeune aurait saisi cet enjeu et j’ai envie de dire, comprendrai ce que cela implique pour lui, qui a encore pas mal d’années à tirer sur terre si tout va bien pour lui. Et comme il a la tête du gendre idéal, il ne doit pas faire d’excès dans sa vie et on peut lui promettre une espérance de vie plutôt convenable. Mais il ne montre pas de préoccupation particulière pour le monde dans lequel il vivra dans 40 ans.

Qu’est-ce qui est également différent par rapport à la question de la couche d’Ozone ?

Les comportements des gens : où se trouve la différence là-dessus ? Sur l’Ozone, il s’agissait d’abandonner quelques produits, il ne s’agissait pas de remettre en question tout un mode de vie,… On pouvait faire confiance aux industriels pour trouver une nouvelle technologie, une nouvelle solution. Aujourd’hui c’est un système social, économique, culturel … qu’il faut métamorphoser. C’est d’ailleurs cette globalité qui appelle à une réponse politique, une réponse coordonnée qui fait qu’on peut saisir les différents paramètres de manière simultanée.

Autre changement : les entreprises. On avait compris à l’époque la nécessité d’un mécanisme contraignant qui soit forcément global pour respecter la concurrence. Et plus globalement c’est l’enjeu de changer de modèle économique dont on peut se poser la question. Aujourd’hui, l’attente de la part des entreprises est toujours la même : il ne faudrait pas créer de distorsion de concurrence. Ce n’est pas de l’assouplissement et moins de contrainte que les entreprises attendent forcément – même si elles l’attendent bien – mais c’est aussi un traitement égal qui ne vienne pas en contraindre certaines et pas d’autres.

Mais au-delà de cela, la question est différente aujourd’hui et elle peut être ainsi formulée : le modèle entrepreneurial est-il tout simplement soutenable ? Quand on considère, dans une approche qui n’est pas si caricaturale qu’une entreprise qui n’avance et ne s’accroit pas c’est une entreprise qui meurt, c’est la question de la soutenabilité de ce modèle qui se pose. Je mets de côté bien évidemment des entreprises de la sphère économie sociale et solidaire dont l’accroissement d’activité ne peut qu’être bénéfique à la société. La globalité du problème qui ne touche aujourd’hui pas uniquement quelques secteurs économiques renvoie forcément à la globalité du système économique.

C’est en ce sens que nous avons besoin d’une réponse globale et d’une réponse politique parce que les individus isolément ne peuvent le faire ou sinon ils ne peuvent le faire que dans un temps bien trop long. Ce n’est pas pour se substituer aux initiatives citoyennes mais pour les accompagner, les épauler, les renforcer que nous avons besoin de l’Etat et du politique.

Dans cette question du pourquoi n’y arrive-t-on pas, cela me renvoie au constat fait par Nicolas Hulot et partagé par bon nombre d’analystes depuis : nous avons innové en créant un ministère de l’environnement. Alors parfois ce n’était qu’un secrétariat d’Etat, parfois il était rattaché à un autre ministère, parfois c’était un ministre d’Etat. Peu importe tout cela. Mais le constat est bien le suivant : c’est que même avec un ministre populaire et soucieux d’environnement – personnellement je ne doute pas de la sincérité de Nicolas Hulot et de son engagement – ce ministère n’a servi à rien ou si peu. Dans les jours qui ont suivi son départ, tout le monde a glosé sur son ou sa remplaçante potentiel.le. Mais qu’importe dans le système actuel. On pourrait mettre une chèvre, le résultat serait le même. Petite pensée à présent pour François de Rugy… On peut donc vraiment se poser la question : à quoi sert-il aujourd’hui ? Je veux dire, à quoi sert le ministère de l’environnement, pas François de Rugy, lui, personnellement, cela m’importe peu. Peut-on, voire même, doit-on lui privilégier une politique transversale ? Pour la transition climatique, il va falloir mobiliser la formation professionnelle, l’enseignement supérieur, l’éducation nationale pour accompagner les filières économiques et faire évoluer les secteurs, orienter autrement les carrières, accompagner les changements de carrière. Il va falloir mobiliser le ministère de l’agriculture et autrement que sur la défense de Monsanto pour l’heure aussi redoutable qu’une affaire suivie par Dupont-Moretti, il faut dès à présent l’affirmation très forte d’une orientation du ministère des affaires étrangères et européennes autour des enjeux climatiques, car le réchauffement produit déjà ses réfugiés climatiques, il a déjà son impact sur les conflits mondiaux, etc, etc.

Nous devons agir rapidement pour réorienter les secteurs et inventer de nouvelles manières d’intervenir pour aider et faire en sorte que des filières économiques disparaissent, car elles vont et doivent disparaître, soyons lucides et il faut le dire clairement, alors que d’autres doivent se renforcer : le transport routier n’a pas d’avenir (petite pensée émue pour la taxe carbone qui est en train d’être enterrée en grandes pompes et doux souvenir des bonnets rouges, ancêtres des gilets jaunes…), le transport aérien n’a guère plus d’avenir, celui des grandes surfaces est à interroger fortement. Par contre, disposer d’une agriculture durable et de proximité va nécessiter du personnel, réellement s’attaquer au chantier de la rénovation thermique des bâtiments aussi, etc. L’Etat doit pouvoir apporter cette vision, cette prospective, c’est son rôle. L’Etat devra combiner les outils possibles : des incitations financières, des taxes (voilà, c’est dit), de l’accompagnement et de la formation, son intervention directe dans de nombreux secteurs-clés (comme celui de l’Energie par exemple). Dans le capitalisme d’aujourd’hui, si l’Etat ne le fait pas, si l’Etat n’intervient pas, certes des citoyens pourront le faire mais cela sera long, imparfait et ne fera qu’accentuer le greenwashing du capitalisme dont les entreprises se reconfigureront sans cesse, sans changer leur perspective de croissance et de profit sans fin. C’est ainsi que des Coca-Cola ou autres peuvent promettre d’un côté du recyclage et lancer des lobbystes contre des mesures comme la consigne, c’est ainsi que ces mêmes sociétés vont se mobiliser pour une démarche de recyclage généralisé sans remettre en cause leur modèle de production et de développement ni même se souvenir que le 100% recyclage n’est pas possible.

L’urgence est telle qu’on ne peut pas se contenter des petits pas microscopiques, des gouttes d’eau du colibri : il faut le pas lourd et ferme d’un pachyderme étatique et surtout de la plupart des pachydermes étatiques voire de tous et qui seront ainsi en mesure de proposer à toutes les entreprises les mêmes conditions. Parce que là, il faut parler leur langage et leur garantir qu’il n’y aura pas de rupture de concurrence : elles seront toutes logées à la même enseignées, toutes contraintes aux mêmes objectifs d’efficacité énergétique et de contribution climatique.

Mais l’intervention de l’Etat ne peut pas être que punitive, elle doit être accompagnatrice. Je dois être un peu vieille école, mais l’Etat doit accompagner et mener son peuple comme on éduque ses enfants : en les guidant, en les accompagnant, en les aidant, parfois en les punissant et surtout en étant juste avec tous. Une écologie sans justice sociale ne pourra pas fonctionner, une taxation verte qui n’est pas transparente ne pourra pas non plus être une réponse. Les enjeux environnementaux, par leur gravité, par leur ampleur, par leur complexité amènent à repenser le rôle et l’intervention de l’Etat, à repenser la démocratie tout comme l’économie. Le renouvellement générationnel de la macronie achoppe sur un fonctionnement d’ancien régime.

pensées écologistes #1

Je ne suis pas militant encarté, je ne suis pas militant écologiste (je suis bien adhérent à Greenpeace depuis de nombreuses années, mais n’en suis pas un membre actif), je ne suis pas un éco-citoyen parfait : je prends mon vélo le plus souvent que je peux, utilise peu ma voiture, réduit dès que possible l’utilisation de l’avion, j’ai mon compost-maison, mais je sais que je mange trop de viande, que parfois je laisse pourrir quelques aliments au fond du frigo et il m’arrive même de prendre un bain de temps en temps quand je suis à l’hôtel. Eh oui, je ne suis pas un héros (Daniel, je pense à toi), je n’agis pas à 100% comme il faut. Et c’est le cas pour beaucoup d’entre nous. Je ne suis pas non plus climatologue, ni chercheur dans une branche environnementale quelle qu’elle soit, ni expert en nouvelles technologies environnementales. D’ailleurs je ne suis pas convaincu que la solution – s’il y en a encore une – ne viendra pas de la technologie. Peut-être au mieux, elle y contribuera, mais peut-être au pire, elle accompagnera notre chute. Mais j’y reviendrai à un moment donné. Je ne suis pas non plus calé sur tous les sujets environnementaux, sur toutes les évolutions, les actualités. Par contre je sais que tout ou presque a été dit, écrit, pensé, que les analyses sur le climat existent depuis si longtemps, que l’on sait maintenant avec bien trop de certitudes que le réchauffement climatique est dû à l’action de l’homme. Mais je ne suis pas là non plus pour faire une revue de presse ou un tour d’horizon de tout ce qui a été dit ou écrit. Soit dit en passant, une lecture indispensable actuellement, celle d’un article du New York times « « Losing Earth :  The Decade We Almost Stopped Climate Change » ». Et d’ailleurs sur tout cela, il y a des tas de gens qui feraient cela bien mieux que moi. Mais je pense que l’urgence est ailleurs et qu’il y a un enjeu politique à relever. Quand l’environnement sera pris en considération, toute cette connaissance – qu’il faut d’ailleurs continuer de faire progresser – sera à mobiliser. Aujourd’hui pensons politique, pensons global et agissons local mais pas que, parce que cela ne suffit plus.

 Je suis juste un type de 32 ans, quasi-bordelais (bref un banlieusard de Bordeaux), pacsé sans enfant, cancer, de pointure 43 ou 44 selon les modèles, mais qui n’est pas très bien dans ses baskets pour tout ce qui arrive à grand pas sur cette planète. Bon je suis conscient qu’elle sera détruite un jour de manière tout à fait naturelle mais néanmoins désagréable par extinction progressive du soleil qui viendra petit à petit brûler la planète Terre bien plus violemment qu’un coup de soleil sur la côte d’Azur. Mais par contre, je me sens bien moins à l’aise, dans la recherche d’un comportement éthique, d’assister et de contribuer à cette détérioration accélérée ayant des conséquences aujourd’hui pour moi, mais aussi mes semblables contemporains, ceux à venir qui n’ont rien demandé et mes plus ou moins dissemblables, autrement dit la faune et la flore qui n’a pas plus demandé quoi que ce soit à tout cela. Et éthiquement cela me gêne beaucoup, que de contribuer aux malheurs d’autres qui n’ont rien demandé. Il m’arrive de réfléchir, mais je n’ai ni la science infuse, ni la prétention d’avoir raison. Du coup, j’ai eu envie d’écrire mes tribulations cérébrales de ces derniers temps sur ces questions d’environnement (mais aussi de génération). Je pensais à cela avant que Nicolas Hulot décide de reprendre des vacances, mais sa démission, la manière dont il l’a faite, les constats qu’il tire m’ont renforcé dans cette conviction. Car je suis sûr aujourd’hui d’une seule chose, c’est que s’il y a encore une chance de sauver quelque chose en ce bas-monde, c’est qu’il faut une action politique forte et immédiate, c’est que cette question est éminemment politique et qu’il est absolument indispensable d’assister aujourd’hui à un éveil des consciences politiques. Bref, j’ai envie de parler de tout cela, peut-être que cela n’intéressera pas grand monde, mais si jamais ça en intéresse quelques-uns, je souhaite seulement que cela contribue à ce mouvement, que tant d’autres mènent aussi à l’heure manière. D’ailleurs des célébrités avec plein de pognon ont lancé un appel à l’action, des scientifiques également, alors pourquoi pas moi aussi. Donc plus on est de fous, plus on rit. Alors rions ensemble à cette fin du monde que chaque jour nous contribuons à positionner comme radieux horizon. Je ne sais pas encore exactement de ce dont je vais parler. En tous les cas, c’est possible que je parle de comportements NIMBY, d’urgence politique, de petits pas et de colibris, de combat de société, d’écologie conservatrice ou d’écologie progressiste, d’écologie de riche et d’écologie de Gauche, de collapsologie et de théorie de l’effondrement, de capitalisme, parce que c’est la base de notre monde actuel, de Donald Trump peut-être, même si j’ai pas envie de faire une fixette sur lui et de tout un tas d’autres choses auxquelles je ne pense pas encore, mais qui vont venir. A partir de là, échangeons, parlons, commentons, réagissons, organisons-nous et surtout soyons politique, parce qu’il n’y a que cela qui peut nous sauver. Réfléchissons et agissons – localement et globalement – au lieu de casser du manifestant ou de casser du patrimoine historique (fusse-t-il à la mémoire militaire qui plus est napoléonienne) Ne soyons pas gilets jaunes, mais plutôt gilets verts. Soyons indignés, constructifs et solidaires. Pensons écologie et social, mais ne cédons pas, le climat n’attend pas. L’heure n’est plus au moratoire, nous sommes déjà au purgatoire, l’apocalypse n’est plus une simple éclipse.

De la démocratie en Amérique (In Memoriam Alexis de Tocqueville)

Des milliards qu’il amasse,

Pour autant qu’il n’en laisse que des miettes,

Il en met plein les mirettes

De lasses et aveugles masses.

Renvoyés à ce seul face à face,

Qui laisse le monde sidéré, hébétant,

Le mano à mano des ultimes instants,

Nous anéanti, sans issue ou volte-face.

La farce du clown fût trop forte

Et la liesse dans cette mascarade

Enlace la démocratie alors morte

Dans une triste et amère pantalonnade.

Sans vergogne sur l’outrance,

Instrumentalisant la moindre grogne,

Le vertige de la litanie des offenses

Laisse dans les cordes ceux qu’il cogne.

Au prisme de ce projet de société,

Signant là son goût du sang,

Revendiquant une satiété de diversité,

Fait sombrer dans l’indécent.

La farce du clown fût trop forte

Et la liesse dans cette mascarade

Enlace la démocratie alors morte

Dans une triste et amère pantalonnade.

Fidèle à l’esprit de carnaval,

le bouffon du roi trône

Sur le strapontin paradoxal

De celui issue de la haute-faune.

A vouloir exprimer une catharsis

Il signe la décadence démocratique

Qui échoue sur les rides de Narcisse

Dans un naufrage pathétique.

La farce du clown fût trop forte

Et la liesse dans cette mascarade

Enlace la démocratie alors morte

Dans une triste et amère pantalonnade.

sur le vif #66 : brève sociologie de la nostalgie

Il y a de ceux qui pratiquent la nostalgie vespérale, le verre de whisky en support auprès de la cheminée l’hiver ou accompagné de pastis sur la terrasse l’été. La nostalgie se porte alors généralement élégamment, presque dignement. Les quelques effluves de l’alcool se mêlent tendrement, presqu’avec compassion, aux quelques souvenirs du passé qui rejaillissent. L’osmose est telle qu’on ne discerne généralement que peu la poule de l’oeuf de cette sensation mêlée. Comme de nombreuses autres formes de nostalgie, celle-ci confine à l’onanisme et n’accepte que rarement le partage. Elle peut toutefois s’interrompre au fil de la soirée de quelques bribes de dialogue avec un vieil ami de passage, ou en cas d’absence d’un individu de ce type, d’un parfait inconnu au coeur d’une soirée animée. Ce dernier trouvera alors un certain réconfort dans la présence discrète d’un homme replié sur son sort et ses turpitudes quant au temps qui passe. Il ne sera pas d’un grand secours pour en sortir, mais pourra allègrement ponctuer cette soirée de nostalgie de quelques contrepoints existentiels plus ou moins pertinents. Dans un cas comme dans l’autre, il n’en sera que d’une plus grande utilité. La bêtise de certaines de ses remarques ne manquera pas de faire relativiser la supposée détresse de sa propre vie tandis que ses traits de spiritualité apporteront de l’eau au moulin de la relativité de nos petites vies dérisoires. Malgré son caractère fortement solitaire, cette nostalgie est également aisément transportable en société et s’accommodera sans difficultés de la présence d’autrui et pourra même facilement se pratiquer en soirée mondaine. Il convient de veiller dans cette dernière perspective à disposer autour de soi d’individus volubiles, sinon extravertis, du moins fort en caractère, de quoi occuper l’espace-temps de la soirée. Les mondanités ne supportent guère le vide et le retrait solitaire sur soi. Mais il s’agit d’un jeu à somme nulle où la présence des uns compense celle des autres.

Il y a ceux qui pratiquent la nostalgie dès le matin. Le cheveu à peine dressé de l’oreiller et le coup de nostalgie se fait sentir sur leurs épaules déjà lourdes. Pour peu qu’ils choisissent alors avant d’ingurgiter quoique ce soit de faire se déplacer leur lourde carcasse vers un miroir et la peine se fait encore plus violente. Si, hasard du calendrier biologique, un de ces matins, l’homme découvre sur son cuir chevelu quelques reflets blancs, la douleur est incommensurable et se fera persistante toute la journée durant. Si cette fière tignasse, un temps longue jusqu’aux hanches, quelques années plus tard, taillée en brosse ou plaquée de quelques gels ou lotions cède le pas sous les coups de l’âge, que reste-t-il alors de la jeunesse ? Alors que le temps bientôt blanchit ses tempes, se gravant en estampe sur son visage, l’homme constate l’inéluctable d’un tableau qui déteint. Dans le bol de café, la pâleur de son reflet – qu’un tiède soleil ne pourrait de toutes les façons pas rehausser – ne saurait que lui renvoyer quelques doutes sur cette existence dont il ne sait s’il prendra plaisir à la boire jusqu’à la lie, lui qui l’avait bue jusqu’alors comme du petit lait. Dans l’estomac, l’afflux du café lui dresse Ulysse sur son mat, cherchant là quelque subterfuge pour un retour dans son Ithaque, comme la recherche d’un âge d’or achevé dans la guerre de Troie. Mais Ulysse ne connaitra jamais plus cette Ithaque. Il en connaitra une autre, aux traits atténués et aux contours flous, une autre dans laquelle il ne retrouvera jamais les mêmes sensations et dans laquelle il ne percevra que quelques lointaines réminiscences du temps d’avant.

Enfin, il y a ceux qui sont de l’après-midi. Souvent la nostalgie est alors balayée d’un revers de la main par quelques préoccupations quotidiennes, quelques activités professionnelles qui retiennent la pensée au plus proche et l’empêche de vagabonder plus loin. Cela ne dure alors généralement que quelques instants et se déclenche autour d’une phrase – parfois d’un mot – autour d’un son ou d’une image renvoyant à un passé révolu et qui nous frappe en plein coeur. Il suffit toutefois que nos activités nous laissent quelques latitudes et nous prenons de l’altitude. Quelques notes d’une chanson nous poussent dans la plongée complète dans toute une discographie de l’enfance ou de l’adolescence. Quelques mots nous renvoient dans l’abîme de textes entiers. Nous pouvons alors allègrement se lover dans ces sensations troubles du passé, sans sombrer dans la mélancolie vespérale. Sont-ce les radieux rayons solaires qui nous renvoient à la vitalité de notre existence et nous retiennent de sombrer totalement ? Sont-ce les exigences de la société qui nous rappellent à notre devoir de productivité et que notre monde n’est plus fait pour les rêveurs qu’ils soient doux ou amers ? Est-ce le tumulte de la vie nous entourant qui nous maintient, par un fil, dans le flot de l’existence ?

Demain, avec les vacances scolaires, une trentième année débute. Avec en fond la voix cassé de Renaud, les vingt-neuf écoulées m’apparaissent encore bien vivantes. Surtout celles autour de la décennie. Cette voix loin d’être omniprésente, était notamment celle de l’été, des vacances, des départs en fanfare en voiture et en famille pour quelques destinations balnéaires ou montagnardes. Sa voix s’est encore plus éraillée pour n’être aujourd’hui plus même ouïe. Elle a été remplacée par d’autre pour porter ses textes. Nulle place ici pour regretter le triste sort qui leur a alors été réservé, car le regard est biaisé et demeure encore dans un âge d’or révolu de mes douze ans. Il serait illusoire d’y vivre, mais pour paraphraser Proust, il faut tâcher de garder un morceau d’âge d’or au-dessus de notre vie.

mieux vaut court que jamais #493

Ses cheveux brossés de la gauche vers la droite de telle sorte que l’on aperçoive distinctement les sillons creusés par la brosse, faisaient de lui un hybride entre le fils à papa aux cheveux impeccables et remisés sur le coté et le jeune branché au volume et au brossage capillaire ostensiblement dressé sur le crâne.

***

Les riches des beaux quartiers aiment, parait-il, à s’encanailler. Les pauvres aiment aussi à s’embourgeoiser. Tous se rejoignent dans cette transgression où ils se croient être autres pour quelques instants dans cet étrange carnaval social.

***

Quand les masques tombent,

L’ombre des mousquetaires,

Fuyant alors en trombe,

Ne se dessine plus par terre.

mieux vaut court que jamais #492

Tous les jours, on meurt dans les rues ;

Ce jour, je meurs dans la déconvenue.

Encore ce jour, ils auront disparus,

Ce soir l’espoir est bien malvenu.

 ***

Tous les jours, ils grossissent les rues,

Ce jour, je garde les pieds nus,

La haine croit dans l’humanité en décrue,

Ce soir, l’espoir n’est plus charnu.

***

Tous les jours, ils martèlent la rue,

Ce jour, je suis un parvenu,

Nanti de ce à quoi j’ai toujours cru,

Espérant changé ce qui est advenu.

mieux vaut court que jamais #491

Le temps le presse, a-t-on l’impression. Pour peu qu’un jour il décompresse et il finira en dépression. Et pourtant il suffirait qu’il se déstresse pour éprouver de meilleures sensations.

***

Comme son ulcère qu’il cultive,

Dans la tombe qu’il creuse,

De son optimisme qu’il active,

Il en fera une jardinière radieuse.

***

La fatigue le prend des pieds à la tête. Seulement, les cheveux au vent du pédalage de vélo, n’y succombent pas et s’agitent en tous sens. La mèche folle fiévreusement s’envole.

mieux vaut court que jamais #490

Quand le tocsin résonne,

Troublé qu’il se trouve,

Face à cette belle personne,

Ses sentiments il éprouve.

***

Où qu’il soit, elle s’incarne à lui, le sort de ses torpeurs passagères, qu’enfin il digère au point de n’en avoir plus peur. Dans son esprit, elle l’accompagne pour que dans ses errements jamais il ne stagne. Sa belle personne, comme les cartes, lui rebat les présages.

 ***

Dans le creux de ses bras, le cœur dans son corsage bat à faire vibrer tout son corps sage. Dans la grâce, sous un souffle de glace, la belle personne, de ses fenêtres ou ses persiennes, fait l’autre sien.

mieux vaut court que jamais #489

– Tu l’aimes ma surface en inox et son coloris naturel gris anthracite ?

– Oui, très.

– Tu les trouves comment mes foyers d’alimentation électrique de 14 et 18 centimètres ?

– très jolis.

– Tu les chéris mes boutons de commande frontale à six gradations chacun ?

– Oui fortement.

– Et mon témoin lumineux d’alimentation?

– Je l’aime beaucoup.

– Donc tu les aimes totalement mes plaques électriques ?

– Je les aime exquisément, ardemment, chaleureusement.

Sur un air de Georges Delerue.

 ***

Entre mijoter un complot et cuisiner un plat de vengeance à déguster à froid, tout dépend des choix du chef de cuisine.

Cela devra toutefois régaler les papilles de la personne visée.

 ***

Le commissaire, arrivé de fraîche date, cuisinait ses suspects si bien qu’il fut très vite surnommé « le cannibale ». Ce n’était pas pour lui déplaire et même parvenait à le flatter mais n’était pas sans ternir sa réputation de fin cuisinier. Tristement était-il ainsi passé des flatteries quant à ses délicieux gueuletons au sort des suspects qui, dans leurs mensonges, prenaient alors le bouillon – sans toutefois n’être jamais de onze heures.

mieux vaut court que jamais #488

La mue de serpent m’émeut. De faire ainsi peau neuve pour mieux se mouvoir dans son corps, voilà qui incarne bien la présence au monde. De son ancien corps dont il se dégage, il s’en fait un autre qui lui va comme un gant.

***

Sa voix mue et se démultiplie. Dans les replis de sa tessiture, elle triture les émotions. Si parfois elle titube, jamais elle n’écorche le son des voyelles que l’on voit en elle.

 ***

Elle se meut dans les nues, tant émue de leurs nœuds. Dans le ciel noueux, toutefois nimbé de rayons nappant la masse sombre des nuages, la mésange en mouvement se voulait être présage d’un ciel clément et plus sage.